Les enfants d'Orion

La Nature
revue scientifique


LE CIEL EN 1876.

par Camille Flammarion
(La Nature, revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l'industrie, 4° année, n° 135, 1° janvier 1876, p. 65)

Les amateurs d'astronomie qui voudraient être au courant des principaux phénomènes célestes et en constater quelques uns à l'oeil nu ou même en observer à l'aide d'une petite lunette astronomique sont souvent embarrassés pour les connaïtre, et d'ailleurs aucune publication ne les indique dans leur ensemble : ni la Connaissance des temps, ni l'Annuaire du Bureau des longitudes, ni les Alamanachs. Nous répondrons au désir exprimé par un certain nombre de nos lecteurs en publiant ici les observations qui seront les plus intéressantes à faire dans le cours de l'année 1876.



Commençons par les éclipses. L'année 1876 aura quatre éclipses : deux de soleil et deux de lune. Les éclipses de soleil seront invisibles à Paris. La première, qui arrivera le 25 mars, sera une éclipse annulaire, elle commence dans les îles de l'océan Pacifique par 169 degrés de longitude orientale et 8 degrés 46 minutes de latitude nord ; sa ligne centrale [début de la page 66] se dirige vers le nord -est, traverse l'Amérique du Nord et finit par 47 degrés 43 minutes de longitude ouest et 67 degrés de latitude nord. La seconde éclipse de soleil de l'année aura lieu le 17 septembre et sera totale ; sa ligne centrale est tout entière comprise dans l'océan Pacifique. ces deux éclipses se trouvent donc en mauvaises conditions pour être observées. Quant aux éclipses de lune, elles seront toutes les deux visibles à Paris, mais ne seront que partielles. La première arrivera le 10 mars et commencera à 4 heures du matin, pour finir au lever du soleil. Par une coïncidence assez rare, on pourra voir en même temps le soleil se lever, car il se lèvera à 6 heures 25 minutes, et la lune se coucher, car elle ne se couche qu'à 6 heures 30 minutes. Ce sera précisément le moment de l'éclipse de lune, et nous pourrons voir ainsi en même temps : le soleil éclairant la pleine lune, la terre où nous sommes l'éclipsant, et la lune partiellement éclipsée. La grandeur de l'éclipse sera de 0,295, le diamètre de la lune étant de 1, c'est-à-dire que la partie éclipsée sera un peu plus du quart de diamètre de la lune.

Ce fait de voir le soleil pendant une éclipse de lune serait impossible sans la réfraction de l'atmosphère terrestre qui élève les deux astres au-dessus de leur position vraie, tandis qu'en réalité les trois centres du soleil, de la terre et de la lune se trouvent alors sur une même ligne droite.

La seconde éclipse de lune aura lieu le 3 septembre et commencera à 6 heures 56 minutes du soir, un quart d'heure après le lever de la lune ; l'entrée dans l'ombre arrivera à 8 heures 25 minutes ; le milieu de l'éclipse à 9 heures 32 minutes ; la sortie de l'ombre à 10 heures 39 minutes, et la fin de l'éclipse ou sortie de la pénombre à minuit 6 minutes.

Un phénomène rare et curieux arrivera le 7 août prochain : la merveilleuse planète de Saturne s'approchera de la lune, si près, qu'elle finira par la toucher, et même par passer derrière et ressortir de l'autre côté. L'immersion ou contact de l'anneau de Saturne avec la lune arrivera à 5 heures 22 minutes du matin ; l'occultation durera près d'une heure, et l'émersion ou la sortie aura lieu à 6 heures minutes du matin. Le spectacle serait du plus haut intérêt s'il arrivait pendant la nuit ; malheureusement, le 7 août, le soleil se lève à 4 heures 43 minutes, et il fera plein jour quand cette rare occultation arrivera. Mais en examinant, dés la veille, la position de Saturne relativement à la lune, on pourra facilement observer le phénomène dans une lunette astronomique même de faible puissance, et se rendre compte de cette magnifique conjonction de la plus belle planète de notre système avec notre satellite. Ce sera deux jours après la pleine lune, et la lune se couchera ce jour-là à 6 heures 45 min. du matin.

Il y aura cette année plusieurs occultations d'étoiles fort intéressantes à observer. Les plus curieuses seront celles des Pleïades, devant lesquelles la lune passera 4 fois cette année, pour un habitant de Paris, car, à cause de la faible distance de la lune à la terre, on ne voit pas à Lyon ou à Marseille les mêmes occultations d'étoiles qu'à Paris ou à Dunkerque ; il y a un effet de perspective ou de parallaxe très-instructif à observer. Nous avons dessiné (p.68) les quatorze principales occultations calculées pour la position de Paris sur le globe : nos lecteurs de province, ou même de l'étranger, pourront avec intérêt remarquer la différence qui se produira entre les lieux qu'ils habitent et le phénomène calculé pour celui-ci. Nous ne nous ommes occupés ici que des étoiles supérieures à la 5° grandeur, facile à observer à l'oeil nu ou avec une lunette ordinaire ; toutefois nous avons fait exception lorsqu'il s'agit d'un groupe.

La lune est représentée avec sa phase pour le jour indiqué. L'étoile occultée entre derrière la lune par la gauche (orient), au point de l'immersion, suit derrière notre satellite la ligne ponctuée, dessinée ici comme si la lune était transparente, et en ressort sur le bord de droite, ou occidental, au point de l'émersion. Si l'on se servait d'une lunette astronomique pour observer, les images seraient renversées. Voici la description succincte de chaque occultation, représentée page 68.



Les autres étoiles occultées sont de petites étoiles, moins intéressantes pour l'observation populaire.

Les plus grandes marées de l'année auront lieu le 19 septembre (105), le 21 août (104), le 11 mars (102), le 27 mars (102) et le 25 avril (101). Il sera extrêmement intéressant d'observer à ces époques l'arrivée comme le retrait de la mer sur les plages du mont Saint-Michel, de Saint-Malo, et sur toutes les côtes à pentes douces des bords de la mer, ainsi que le phénomène, toujours si émouvant, du mascaret à Caudebec.

Examinons maintenant les époques où chaque planète sera dans sa meilleure situation pour être observée. Rapproché comme il est du soleil et constamment plongé dans ses feux, Mercure n'est visible pour nous que dans les parties de son orbite qui se trouvent former un angle droit avec la terre, c'est-à-dire [début de la page page 67] dans ses plus grandes élongations occidentales ou orientales. Ses plus grandes élongations du soir auront lieu : le 28 janvier, époque à laquelle il se couche une heure 14 minutes après le soleil ; le 21 mai, époque à laquelle il se couche 1 heure et demie après le soleil, et le 17 septembre, époque à laquelle il retarde également de 1 heure et demie également sur le soleil. C'est à ces époques qu'il faudra le chercher le soir à l'occident après le coucher du soleil. Ses plus grandes élongations du matin auront lieu le 9 mars, le 9 juillet et le 28 octobre.

La planète Vénus continuera d'étinceler tous les beaux soirs dans le ciel occidental, jusqu'au mois de juin. Le 4 mai elle atteindra sa plus grande élongation et retardera de plus de 3 heures sur le soleil ; on la verra alors briller au sud-ouest, et dans une lunette astronomique on pourra reconnaître qu'elle offre alors l'aspect de la lune dans son premier quartier. Son diamètre qui n'était que de 11 secondes le 1er janvier sera alors de 23 secondes ; puis, à mesure qu'elle se rapprochera du soleil et de la terre son diamètre augmentera pour atteindre 57 secondes au commencement de juillet, époque à laquelle elle passera devant le soleil non juste comme le 9 décembre 1874 (mais un peu au-dessous) et cessera d'être visible. Son plus grand éclat aura lieu au mois de juin, époque à laquelle elle se présentera sous le forme d'un croissant argenté s'amincissant de plus en plus. Passant ensuite de l'autre côté du soleil, elle deviendra étoile du matin jusqu'au mois de décembre.

La planète Mars est arrivée dans la constellation des Poissons au commencement de cette année; elle traverse ensuite le Bélier et se trouvera sous les Pléiades le 27 avril, passera au nord de l'étoile m des Gémeaux le 27 mai ; au nord de d des Gémeaux le 20 juin, au nord de Régulus le 22 août, au sud de b de la Vierge le 5 octobre et continuant son cours suivant une ligne parallèle à l'écliptique s'arrêtera dans la Balance au mois de janvier 1877. Elle reste visible comme étoile du soir jusqu'au mois de juin, mais en s'éloignant de plus en plus et la planète finit par disparaître derrière le soleil. Nous ne la reverrons qu'en 1877, époque à laquelle elle se rapprochera de la terre à son minimum de distance, ce qu'elle n'a pas fait depuis quinze années, et ce qui nous permettra de continuer les cartes que nous sommes occupés à faire sur ce petit monde voisin, si semblable au nôtre.

Le brillant Jupiter plane dans la constellation du Scorpion, dans laquelle il décrit les sinuosités visibles sur notre carte (p. 65). Il sera en opposition avec le soleil, le 17 mai, et passera alors au méridien à minuit. A partir de cette époque il retardera sur le soleil et restera visible le soir jusqu'à ce que la constellation dans laquelle il se trouve descende sous l'horizon au coucher du soleil. On voit donc que c'est au mois de mai, juin et juillet qu'il sera dans la meilleure situation pour être observé, brillant dans le ciel du Sud comme la première étoile du ciel.

Les anneaux de Saturne vont en se refermant de plus en plus, et ce changement est très-visible d'année, même dans une lunette de faible puissance ; ils disparaîtront tout à fait en 1877, la combinaison des mouvements de translation de Saturne et de la Terre amenant notre planète dans le plan des anneaux, et le soleil aussi, de telle sorte qu'il ne les éclaire plus que par la tranche. Voici la valeur de l'élévation de la terre et du soleil au-dessus du plan de l'anneau, comme elle est vue de Saturne ; cette élévation est actuellement au nord de ce plan, elle va devenir nulle, puis sera au sud.
1er Janvier 1876, terre : + 12°35', soleil : +10°55'
1er Janvier 1877, " : + 7°57', " : +5°53'

L'opposition de Saturne arrivera le 27 août ; c'est donc pendant les mois d'août, septembre et octobre qu'elle se trouvera dans les meilleures conditions d'observation, brillant le soir dans le ciel du Sud comme une étoile de première grandeur au milieu de la constellation du Verseau. Le diamètre de Jupiter aura atteint 46 secondes au mois de mai ; celui de Saturne présentera au mois d'août, indépendamment de ses anneaux, un disque de 18 secondes de diamètre.

On voit par notre carte (p. 68) que la planète Uranus, astre de 6° grandeur se tient en 1876, dans la constellation du Lion et dans une région qui n'est occupée que par de très-petites étoiles. Elle est invisible à l'oeil nu, mais on peut la chercher à l'aide d'une lunette ordinaire, en ayant dans les mains cette petite carte. Son opposition arrive le 6 février. A partir du mois de mai, elle cessera d'être visible car elle se couchera peu à peu vers l'heure du coucher du soleil, astre derrière lequel elle passera le 12 août pour ne plus reparaître sur notre horizon qu'en 1877.

Plusieurs rapprochements curieux de planètes et d'étoiles auront lieu cette année. Voici les plus intéressants. Nous n'indiquons que ceux qui sont inférieurs à 1 degré. Quelques-uns auront lieu le jour, et ne pourront être observés qu'à l'aide d'une lunette.




[début de la page 68]Telles sont les principales conjonctions de 1876.
Ces derniers rapprochements sont calculés pour Londres (à l'exception de l'occultation de Saturne du 7 août), car nous n'avions pas les éléments suffisants pour les calculer pour Paris. Il sseront presque les mêmes pour Dunkerque et Calais, mais diffèrent d'autant plus qu'on se trouvera plus au midi. Ainsi, par exemple, Saturne restera pour Londres au sud de la lune, de plus du diamètre de la lune. Il y a encore d'autres différences provenant de la longitude et de l'heure. Mais ces indications suffisent pour intéresser tout amateur d'observations astronomiques.




Il n'y a rien à dire de Neptune, ni des petites planètes situées entre Mars et Jupiter, actuellement au nombre de 157, ni des comètes télescopiques qui peuvent traverser le ciel. Ce sont là des observations réservées aux astronomes de profession et qui nécessitent de grands instruments. Nous pouvons cependant indiquer en terminant un sujet d'observation à faire pendant le jour : c'est celui des taches du soleil, si faciles et si intéressantes à suivre et à dessiner, même dans une lunette de faible distance.

CAMILLE FLAMMARION

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Mise à jour : 30 juillet 2003