Antimatière



Antimatière... voici un mot qui a bientôt 100 ans et qui garde encore tout son mystère, tant auprès des scientifiques que des amateurs de science-fiction. En effet, ce fut en 1928, avec les travaux du physicien anglais Paul Dirac que l'on parla pour la première fois d'antimatière, la jumelle de la matière mais constituée de particules de charge opposée.
Ce qui fut initialement un concept mathématique est aujourd'hui une réalité physique que l'on sait reproduire, mais dont les propriétés restent énigmatiques. L'antimatière est difficile à créer, difficile à conserver, et donc difficile à étudier.
Sa connaissance et sa maîtrise pourrait cependant révolutionner le futur de la physique. Il est donc légitime qu'elle soit aussi fascinante !

Je vous propose ici quelques explications simples pour mieux comprendre l'antimatière, et vous donner envie d'imaginer ce que le futur nous réserve...



1) Structure de la matière et de l'antimatière :

Matière :

Pour comprendre ce qu'est l'antimatière, il faut d'abord connaître la nature de la matière. Au début du XXe siècle, on savait déjà que la matière se constituait de particules microscopiques, les atomes, mais on pensait qu'ils étaient insécables (atome en grec = qu'on ne peut pas couper). On sait aujourd'hui qu'ils sont eux aussi composés de sous-particules.

Aussi, chaque atome est constitué d'un noyau (lui-même constitué de nucléons) autour duquel gravitent un ou plusieurs électrons (e-).

Chaque électron possède une charge électrique négative (-1).

Quant aux nucléons, il en existe deux sortes :

- les protons (p+) constitués de 2 quarks up (1 quark up a une charge électrique de +2/3) et de 1 quark down (charge électrique -1/3). La charge électrique du proton est donc +1.

- les neutrons (n) composés de 2 quarks down et 1 up ; ils sont électriquement neutres (charge = -1/3 -1/3 +2/3 = 0).

Structure d'un atome d'Hélium
Notons que le numéro atomique d'un élément chimique est égal au nombre de protons contenu dans son noyau. Dans l'exemple ci-dessus, l'Hélium, de numéro atomique 2, contient deux protons. De plus, si tous les atomes d'un même élément comptent le même nombre de protons, ils peuvent en revanche avoir différents nombres de neutrons : chaque nombre de neutrons d'un élément définit un isotope de cet élément.
Notons également que les plus petites particules élémentaires connues présentes sur le schéma ci-dessus sont les quarks et les électrons. On ne peut pas dire pour l'instant si ces derniers sont eux-même constitués de sous-particules. Cela nécessiterait des accélérateurs de plusieurs milliers de milliards d'eV, ce que notre technologie moderne ne permet pas.


Antimatière :

C'est la soeur jumelle de la matière. Elle est constituée d'anti-particules qui ont les mêmes caractéristiques que la particule élémentaire correspondante (même masse, même durée de vie, même spin) mais dont la charge électrique est de signe opposé.
Ainsi, on distingue l'anti-électron (appelé positron ou positon) de charge électrique +1 (e+).
De la même façon, les anti-quarks s'opposent aux quarks, et se réunissent pour former des anti-protons (p-).
Quant aux photons qui ne portent pas de charge électrique, ils sont leur propre anti-particule (photon = anti-photon).

L'anti-matière est donc le double de la matière, exactement symétrique mais de charge opposée. On peut ainsi imaginer l'existence d'anti-mondes composés d'anti-galaxies, d'anti-étoiles ou d'anti-personnes qui surfent sur des anti-ordinateurs...



2) Naissance et destruction de la matière et de l'antimatière :

Matérialisation :

Si on concentre en quelque point de l'espace des photons d'énergie suffisante, on verra alors apparaître, par véritable génération spontanée, de la matière. Celle-ci naît toujours par paire : une particule et son anti-particule associée.
énergie matière + antimatière

Cette relation qui lie énergie et matière est régie par la célèbre formule d'Einstein E = mc².

Annihilation :

À l'inverse, si une particule rencontre son antiparticule, elles s'annihilent, tranformant leur masse en énergie.
matière + antimatière énergie

Les photons émis sont des photons γ, c'est à dire très énergétiques. D'ailleurs l'annihilation particule-antiparticule est la seule réaction connue qui permet de libérer autant d'énergie à partir de si peu de matière, puisque dans son cas toute la masse est convertie en énergie. L'annihilation dégage 1000 fois plus d'énergie que la fission nucléaire (tristement célèbre depuis la 2ème guerre mondiale avec la bombe A) et 150 fois plus d'énergie que la fusion (bombe H).
Cela laisse des perspectives futures très alléchantes en terme d'énergie (carburant ultraléger, armes portatives hyperpuissantes... aah le fantasme du sabre-laser de Jedi, enfin disponible !)


3) Antimatière et Big Bang :

Au tout début du Big Bang, une énergie colossale était concentrée dans un volume réduit. Cela a permis l'apparition par matérialisation de paires de particules et d'anti-particules. C'est ainsi que la matière est apparue, avec dans le même temps l'antimatière en quantité strictement égale. Continuellement elles s'annihilent en lumière et renaissent de la lumière par matérialisation.
Donc au départ, matière et antimatière coexistent équitablement. Or on sait aujourd'hui qu'il n'y a pas d'antimatière dans notre environnement proche (sinon on observerait un intense rayonnement γ par annihilation).

Alors, où est passée l'antimatière ?

Actuellement plusieurs théories s'opposent, avec 2 grands modèles différents. Un modèle où l'antimatière existe toujours dans l'univers et un autre où elle a complètement disparu.

• Une première théorie propose que l'antimatière existe toujours mais qu'elle n'est pas détectable car elle se situe au-delà du champ de vision des télescopes les plus puissants. Au moment de sa création, lors du Big Bang, l'antimatière aurait été éjectée aux confins de l'univers ou dans une autre dimension et subsisterait donc au delà de notre « horizon » visible. Cette théorie a peu de partisans car rien ne peut expliquer une répartition aussi inhomogène de la matière et de l'antimatière.

• Une autre théorie suggère que matière et antimatière sont présentes dans l'univers en quantités égales mais qu'au fil du temps, l'antimatière s'est séparée de la matière, puis, de son côté (et sur le modèle de la matière), a formé des anti-mondes d'anti-galaxies et d'anti-étoiles qui existent réellement mais dont nous ne pouvons pas discerner la nature exacte car ils émettent des anti-photons... qui sont des photons !
Si un jour, un habitant d'un de ces anti-mondes vient nous rendre visite et nous serre la main, il aurait par annihilation une surprise très lumineuse !

• La théorie actuelle la plus communément admise par les scientifiques est radicalement différente puisqu'elle déclare que toute l'antimatière a désormais disparu de l'univers. En effet, il y aurait un minuscule déséquilibre entre la création de matière et celle d'antimatière à la faveur de la matière. Pour chaque milliard d'anti-quarks, 1 milliard +1 quarks seraient créés. Après le Big Bang, les paires particule / anti-particule se seraient auto-détruites en se transformant en photons et 1 seul quark sur 1 milliard aurait survécu. Les survivants de ce carnage formeraient la matière de l'univers d'aujourd'hui. Quant aux photons produits, ils seraient venus grossir les rangs du rayonnement de fond cosmologique.
Un argument de poids pour cette théorie, c'est qu'on a mesuré qu'il y a 1 milliard de photons lumineux pour chaque atome dans le cosmos.
De plus, cette asymétrie dans les processus de désintégration de particules et d'anti-particules, connue sous le terme de violation de la symétrie CP (Charge, Parité), a été confirmée par plusieurs expériences. Cependant, il faudra encore attendre quelques années avant de pouvoir valider toute cette théorie de façon définitive. Affaire à suivre !

• Enfin, il existe une dernière théorie, qui est plutôt séduisante puisqu'elle permet d'expliquer le mystère de la matière et de l'énergie noires (rien que ça !). Cette théorie part d'un postulat plutôt déroutant : l'antimatière anti-gravite. En d'autres termes, si la matière exerce sur les autres particules une interaction gravitationnelle de type attraction, eh bien il n'est pas impossible que l'anti-matière ait une interaction gravitationnelle de type répulsion. Cela signifie que si l'on jetait une pomme sur une planète constituée d'antimatière (en supposant que cela puisse exister du fait de l'anti-gravité), la pomme s'envolerait ! Quelle révolution ce serait pour la physique si jamais ce postulat se confirmait !
Donc revenons au Big Bang ; matière et antimatière sont produites en quantités égales. Du fait de la gravité, la matière a tendance à se regrouper, pour former ce qui sera les étoiles et les galaxies, donc de la matière visible. Inversement, du fait de l'anti-gravité, l'antimatière à tendance à s'isoler dans les régions vides de matière, repoussant cette dernière à bonne distance. Toujours par anti-gravité, l'antimatière ne se concentre pas, elle est donc incapabable d'acquérir la densité qui permet à la matière de s'allumer en étoiles, et reste invisible.
Nous serions donc en présence d'un univers constitué par un réseau filamenteux de galaxies faites de matière, isolant de grands espaces remplis par l'antimatière. Aux zones frontières, particules et anti-particules initialement en contact se seraient annihilées et actuellement, l'antimatière antigravitant repousse la matière progressivement sans qu'il y ait de contact entre elles.
Nous avons donc une explication possible du premier grand mystère : quelle est cette masse manquante, cette matière noire, non rayonnante mais qui remplit tout l'univers et s'impose dans les équations du modèle standard ? Ce pourrait-être l'antimatière produite par le Big Bang !
Et l'énergie noire alors ? Eh bien là aussi, il y aurait peut-être une solution à la clé. On sait que la matière gravite. Donc après l'explosion initiale du Big Bang, l'expansion de l'univers devrait se ralentir du fait de sa propre gravité, voire même se reconcentrer en Big Crunch. Mais voilà, on mesure paradoxalement une accélération de l'expansion de l'univers. Une mystérieuse énergie noire en serait responsable. Et s'il s'agissait simplement d'anti-gravité ? Ainsi l'antimatière dilaterait progressivement l'univers par anti-gravité comme un tissu spongieux qui se gorgerait d'eau.
Reste à prouver que l'antimatière antigravite... Mesdames et messieurs les scientifiques, au travail !


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