Petits et gros diamètres :

Les effets de la turbulence.

DAVID VERNET


A propos des effets de la turbulence suivant des diamètres d’ouverture très différents, on se pose souvent ces questions : quel est le diamètre idéal en fonction de la turbulence de mon site ? Un gros diamètre est t-il plus sensible à la turbulence qu’un plus petit ? Un petit instrument va-t-il donner de meilleures images planétaires qu’un plus gros si la turbulence est forte ? Pourquoi les étoiles semblent plus grosses dans de gros instruments ?

A l’aide d’un logiciel de simulation et d’observations comparatives sur le ciel pour des instruments de diamètres très différents, on va tenter d’y voir un peu plus clair.

Absence de turbulence : apport du diamètre.

La résolution qu’apporte un instrument n’est pas illimitée et d’un objet ponctuel comme d’une étoile à l’infini, le télescope ne donnera pas une image parfaitement ponctuelle mais un phénomène de diffraction appelé tache de diffraction.

L’accroissement du diamètre apporte un accroissement de la résolution qui double à chaque fois que le diamètre est doublé comme le montre cette formule simplifiée :

Résolution angulaire sur le ciel exprimé directement en secondes d’arc = 14.1/D

Formule valable pour l = 0.56 m et D le diamètre de l’instrument exprimé en cm.

Le doublement du diamètre apporte aussi un gain 4 fois plus important de lumière (rapport des surfaces)

Pour les simulations ainsi que les tests comparatifs sur le ciel, on va prendre les instruments suivants :

1 lunette de 60 mm, non obstruée ayant une résolution de 2,35 secondes d’arc

1 lunette de 100 mm, non obstruée ayant une résolution de 1.41 seconde d’arc

1 télescope de 200 mm, obstrué à 25% (secondaire de 50 mm de diamètre), ayant une résolution de 0.7 secondes d’arc

1 télescope de 400 mm, obstrué à 25% ayant une résolution de 0.35 seconde d’arc

1 télescope de 600 mm, obstrué à 25% ayant une résolution de 0.24 seconde d’arc

1 télescope de 800 mm, obstrué à 25% ayant une résolution de 0.18 seconde d’arc

Chaque instrument est considéré comme optiquement parfait et les images sont prises sur l’axe optique.

Pour toutes les simulations, seuls les paramètres des diamètres d’ouverture et de l’obstruction seront pris en compte.

Pour faciliter les comparaisons, le grossissement sera identique pour une même série d’images.

Comparaison sur une étoile

Comparons en image sur une étoile la taille des taches de diffraction et l’effet de l’obstruction pour chacun de ces instruments :

Fig. 1. Tache de diffraction.

De gauche à droite puis de haut en bas :

Lunettes de 60 et 100 mm puis télescopes de 200, 400, 600 et 800 mm.

On constate bien que plus l’instrument a un diamètre important et plus la tache de diffraction est fine. Les anneaux, en particulier le premier, sont plus discrets pour les lunettes de 60 mm et 100 mm qui ne sont pas obstruées. L’obstruction a pour effet de redistribuer un peu de lumière du pic central vers les anneaux, ce qui se voit bien sur les taches de diffraction des télescopes. On constate aussi qu’une lunette de 60 mm a une tache de diffraction 10 fois plus grosse que le télescope de 600 mm. La capacité du télescope de 600 mm à résoudre de fins détails augmentera donc dans la même proportion.

Pour faciliter les comparaisons, sur le ciel comme dans les simulations, on fera en sorte d’avoir des étoiles de même luminosité apparente à l’oculaire. Cela veut dire que l’on doit en pratique compenser l’accroissement de luminosité dans des diamètres plus importants, par le choix d’étoiles plus faibles si l’on veut se mettre dans les mêmes conditions pendant un test réel sur le ciel.

Par exemple, Si l’on prend une étoile de magnitude 5 avec une lunette de 100 mm, il faudra prendre une étoile de magnitude 8 pour le télescope de 400 mm pour compenser le gain de 3 magnitudes que donne le 400 mm par rapport à la lunette de 100 mm. On verra par la suite comment la luminosité d’une étoile peut influencer la résolution d’un instrument, notamment en présence de turbulence.

Comparaison sur une étoile double

Pour une étoile double, avec les 2 composantes de magnitude identique, séparées de 1.5 seconde d’arc, sans turbulence, le gain des gros diamètres est évident :

Fig. 2. Double séparée de 1.5 secondes d’arc.

De gauche à droite puis de haut en bas :

Lunettes de 60 et 100 mm puis télescopes de 200, 400, 600 et 800 mm.

Plus le pouvoir séparateur de l’instrument est important et plus il sépare aisément l’étoile double.

Pour la simulation sur les planètes, j’ai utilisé une image de Mars, prise par le télescope spatial, que j’ai redimensionnée pour faire un disque de 20 secondes d’arc échantillonné à 10 pixels par seconde d’arc.

Là aussi, je n’ai pas tenu compte de l’apport en luminosité que donne de plus gros instruments.

Toujours dans des conditions idéales, voici ce que ça donne :

Fig. 3. Mars

De gauche à droite puis de haut en bas :

Lunettes de 60 et 100 mm puis télescopes de 200, 400, 600 et 800 mm.

Sur les planètes, comme sur les étoiles doubles, en l’absence de turbulence, l’apport en résolution que donne l’accroissement du diamètre est évident.

 

Cas pratique : images turbulentes.

S’il est évident que l’augmentation du diamètre améliore la résolution sur les objets observés dans des conditions parfaites, qu’en est t-il en présence de turbulence ? Un plus gros diamètre sera-t-il plus handicapé qu’un plus petit par la turbulence et donnera-t-il des images moins bonnes qu’un diamètre plus modeste ?

Comment mesure-t-on la turbulence ?

La turbulence s’apparente à la surface de l’eau d’un lac où les vagues, suivant la houle ont une certaine période (espace entre chaque vague) et une certaine amplitude (hauteur des vagues).

La période de la turbulence se définie par son R0, l’amplitude est définie par les effets de tilt qui est un déplacement du centre de l’étoile perpendiculairement à l’axe (en visuel on voit le photocentre de l’étoile se déplacer), et de piston qui est un déplacement du foyer de l’étoile le long de l’axe optique. Cela introduit alors de la défocalisation.

Le R0 est le diamètre d’une cellule de turbulence à l’intérieur de laquelle l’onde ne sera pas parfaite, mais cohérente à l/2p RMS, ou environ 1 l à l/2 P.V. (crête à crête). C’est le paramètre de Fried qui donne le diamètre minimal d’un télescope, ayant la même résolution qu’un télescope de diamètre infini, tous deux en présence d’atmosphère. Cela permet d’avoir à l’intérieur de cette cellule le pic central de la tache de diffraction intact, d’un instrument dont le diamètre est égal au R0. Le premier anneau de la tache de diffraction sera fragmenté.

Par rapport à une tache de diffraction parfaite, il se produira aussi une baisse de contraste, car une partie de l’énergie lumineuse sera transférée sur les anneaux, ce qui les renforcera.

Si l’on connaît le R0 de la turbulence on peut remonter facilement à la résolution sur le ciel qu’elle permettra, en remplaçant D (Le diamètre d’ouverture du télescope) par R0. Par exemple si sur un instrument d’un diamètre de 100 mm on observe une tache de diffraction dont le pic central est intact, on peut alors estimer la turbulence à un R0 de 100 mm. La résolution équivalente sera alors celle de l’instrument de 100 mm, soit 1.4 seconde d’arc.

Bien entendu, comme la turbulence est constamment changeante, on ne pourra donner qu’une estimation «à la louche» représentative de ce que l’on observe pendant quelques minutes à l’oculaire.

On sait alors que des instruments inférieurs ou égaux à un diamètre de 100 mm pourront atteindre leur limite de résolution. Par contre des instruments plus gros n’atteindront pas leur pouvoir séparateur théorique, l’image sera brouillée par la turbulence.

Lors des simulations, toutes les composantes de la turbulence sont simulées.

Fig. 4. R0 de 100 mm sur un instrument de 100 mm.

Sur l’image de gauche de la figure 4 on a la tache de diffraction parfaite de la lunette de 100 mm. Au centre, on a une turbulence de l/6.3 RMS environ qui correspond au R0 du même diamètre. On remarque bien que le premier anneau est fragmenté et renforcé, ce qui induira une perte de contraste sur les images avec un Strehl ratio autour de 0.4. On atteint donc la résolution théorique de l’instrument mais le contraste des images sera diminué par rapport à des conditions parfaites.

A droite, la turbulence est 3 fois plus importante, le R0 est plutôt autour de 30 mm. La lunette de 100 mm ne peut plus atteindre son pouvoir séparateur, brouillé par une turbulence trop forte. Le contraste des images sera lui aussi considérablement dégradé.

Toujours sur l’image de droite, on remarque que les anneaux ainsi que le pic central se sont fragmentés en cellules turbulentes. Ces cellules sont appelées speckles ou tavelures en français.

Ces speckles apparaissent de manière bien plus évidente sur de gros instruments.

Fig. 5. Turbulence dans un 600.

A gauche, image parfaite, au centre et à droite, 2 instantanés d’une image turbulente.

Chaque speckle a une taille similaire à la taille du pic central d’une tache de diffraction parfaite comme le montre bien la figure 5.

Dans des conditions réelles d’observation à l’oculaire, ces speckles sont constamment en mouvement au gré de la turbulence, et l’œil perçoit sur une étoile à faible grossissement une grosse boule bouillonnante en perpétuel mouvement. Il faut grossir à 2 fois le diamètre de l’instrument en mm pour voir facilement ces speckles en mouvement, ainsi que le déplacement du photocentre, très rapide.

La durée de vie moyenne d’un speckle est de l’ordre de 2/100ème de seconde. Les simulations présentent ici des instantanés qui ne peuvent donc être vu avec netteté qu’avec des cameras vidéo, image par image.

Un télescope de 600 mm est t-il plus sensible à la turbulence qu’une lunette de 100 mm ?

Oui, car si une turbulence de 1,5 seconde d’arc affecte peu le pouvoir séparateur d’une lunette, très proche de la résolution que permettra la turbulence à ce moment là, cette même turbulence affectera beaucoup plus un télescope de 600 mm dont le potentiel résolvant est de 0.24 seconde d’arc. La comparaison entre les figures 4 et 5 le montre bien, où, pour l’image du centre de la figure 4 ainsi que les images du centre et de droite de la figure 5, simulées à la même échelle, ont été dégradées par la même turbulence.

Sur la lunette de 100 mm, la turbulence d’un R0 de 100 mm n’affecte pas notablement la taille de la diffraction théorique, en revanche sur le 600, il y a un facteur 7 à 10 entre la tache de diffraction théorique et la taille de la tache turbulente.

On peut aussi dire qu’un 600, par un pouvoir séparateur plus élevé, «résout» mieux le maillage de la turbulence.

On a constaté qu’un télescope de gros diamètre est plus sensible à la turbulence qu’un télescope de plus petit diamètre. Mais donne-t-il pour autant de moins bonnes images à turbulence égale ?

Voyons cela sur une étoile double de 2 secondes d’arc avec une turbulence de 100 mm de R0 ou d’environ 1.5 seconde d’arc :

Fig. 6. Etoile double de 2 secondes d’arc et R0 de 100 mm.

De gauche à droite puis de haut en bas :

Lunettes de 60 et 100 mm puis télescopes de 200, 400, 600 et 800 mm.

Pour la lunette de 60 mm limitée à 2.35 secondes d’arc, la double de 2 secondes n’est pas entièrement résolue, elle apparaît plutôt comme une sorte de cacahuète. Pour la lunette de 100 mm l’étoile est résolue mais difficilement car la résolution de la double est encore proche de la résolution théorique de l’instrument qui s’ajoute à un R0 voisin de ce diamètre. Par contre pour toutes les autres ouvertures, l’étoile double est résolue de manière relativement égale.

Lors des simulations, il subsiste cependant des petites variations, et entre 10 à 20% près on peut trouver des diamètres plus petits qui résolvent un peu mieux une étoile double, ou vice-versa, et cela pour une même turbulence. Cela vient du fait que chaque ouverture voit un front d’onde perturbé, qui peut varier localement de forme et d’amplitude. Une ouverture de 100 mm verra alors une fraction de la surface d’un front d’onde perturbé que voit un 600.

On peut reprendre l’analogie avec un lac pour mieux comprendre : Imaginez la surface de l’eau parcourue par des vaguelettes d’une période de 100 mm. Si vous mettez juste au-dessus de l’eau, mais sans toucher sa surface, une fenêtre de 100 mm de diamètre, vous ne pourrez alors voir qu’une seule vague à la fois qui passera devant l’ouverture. En revanche, avec une fenêtre de 600 mm, c’est une bonne trentaine de vagues qui pourront être vues en même temps dans cette ouverture plus grande, et comme les vagues sont aléatoires, même si elles ont la même période, elles seront de forme similaire mais pas parfaitement identique.

Cela explique de légères variations de résolution sur les étoiles doubles lors des simulations.

En visuel, et encore plus en imagerie, cette turbulence instantanée se moyenne et ces petits écarts disparaissent.

Cela se confirme très bien en visuel où pour une double de même séparation et de même brillance apparente dans des instruments de diamètre très différents, on résout de manière identique une étoile double dès que la turbulence limite de manière égale les instruments.

Sur une étoile double, dès que la turbulence limite la résolution quel que soit le diamètre, un instrument de gros diamètre ne sera donc ni moins ni plus résolvant qu’un instrument plus petit. Ils feront tous jeu égal.

Est ce valable pour les planètes ?

Fig. 7. Mars et R0 de 100 mm.

De gauche à droite puis de haut en bas :

Lunettes de 60 et 100 mm puis télescopes de 200, 400, 600 et 800 mm.

Comme l’illustre la figure 7, pour la lunette de 60 mm, on n'est pas limité par la turbulence, on a l’image théorique. Comme pour l’étoile double, toutes les autres images, à quelques petites variations près dues à la simulation d’une turbulence instantanée, on constate bien que la résolution est identique et conforme à un R0 de 100 mm. On constate aussi que face à des diamètres de télescopes beaucoup plus grands et en présence de turbulence, l’absence d’obstruction des lunettes n’apporte pas d’amélioration significative.

Donc en planétaire comme pour les étoiles doubles, et tout autre objet, astronomique ou terrestre d’ailleurs, tous les instruments offrent, sous la même turbulence, si le pouvoir séparateur est limité par la turbulence, la même résolution. La résolution ne dépend que de la turbulence.

 

Effet de la luminosité :

On constate en visuel, comme en imagerie, que plus l’image d’une étoile est lumineuse et plus elle est grosse. J’exclus volontairement l’imagerie dans l’analyse qui va suivre, où plusieurs paramètres interviennent, dont ceux des capteurs, pour expliquer ce qui se passe seulement en visuel.

En visuel, pour un même instrument, on constate qu’une étoile faible apparaît très fine, alors que les étoiles les plus brillantes semblent beaucoup plus grosses, plusieurs fois plus grosses que le diamètre apparent des étoiles les plus fines.

De même, la même étoile, vue au même grossissement, dans une lunette de 100 mm et dans un télescope de 400 mm apparaîtra plus lumineuse et plus grosse au 400 mm. Pourquoi ?

La tache centrale de diffraction est entourée d’anneaux concentriques. Dans l’absolu, il y en a une infinité. Dans la réalité, ils sont d’une part modulés par différentes longueurs d’onde, ils vont donc se brouiller rapidement au-delà du 5ème ou 6ème anneau pour la sensibilité nocturne de l’œil, et l’essentiel des photons (84% pour une optique non obstruée) sont concentrés dans le pic central de la figure de diffraction. Le reste (16%) se repartit dans les anneaux, avec un décroissement très rapide de la luminosité pour des anneaux extérieurs à la fois moins lumineux et occupant plus de surface, donc plus dilués, que le premier ou le 2ème anneau.

Pour les étoiles les plus faibles à l’oculaire, seul le pic central est visible, ce sont donc les étoiles qui nous apparaissent comme les plus fines et les plus piquées. Les étoiles un peu plus brillantes vont montrer le premier anneau. Elles apparaîtront donc comme un peu plus grosses, surtout si par un grossissement un peu faible, on ne distingue pas la séparation noire entre le pic central et son premier anneau. Les étoiles les plus brillantes peuvent montrer 3 à 4 anneaux, voire un peu plus. Ce seront les étoiles qui apparaîtront comme les plus grosses.

Fig.8. incidence de la luminosité sur la résolution.

Différence de 4 magnitudes entre les 2 étoiles.

Sur la figure 8, on constate effectivement sur les 2 premières images de gauche que l’étoile plus lumineuse semble plus grosse car les anneaux de diffraction sont plus facilement visibles. Sur les 2 images de droite, la turbulence aggrave les choses car elle redistribue de la lumière vers la périphérie. Un certain nombre de Speckles éloignés du centre qui ne sont pas visible sur l’étoile la plus faible, apparaissent pour l’étoile la plus brillante et la font quadrupler de volume.

3 magnitudes séparent la luminosité d’une lunette de 100 mm et un télescope de 400. Quel est l’effet sur une même étoile double ?

Fig. 9. Luminosité et résolution. Cas d’une lunette de 100 mm et d’un télescope de 400 mm pour une même étoile double.

Respectivement de gauche à droite. Image parfaite d’une double dans une lunette de 100 mm puis dans un télescope de 400 mm. Ensuite image turbulente de la même double dans la lunette de 100 mm puis dans le télescope de 400.

Pour le télescope de 400, en présence de turbulence, les speckles extérieurs sont plus facilement visibles grâce à l’accroissement de luminosité. Du coup, la double est plus difficile à extraire de ce bouillonnement de speckles brillants. Avantage donc à la lunette si l’étoile double est très brillante. En revanche, pour les étoiles doubles plus faibles, le 400 donnera un surcroît de luminosité bienvenue pour que l’œil travaille dans de meilleures conditions. Bien entendu, les doubles les plus faibles ne seront même plus visibles dans une lunette de 100 mm et seront encore aisément observables au 400. Pour ces 2 derniers cas, avantage donc au 400.

Pour les étoiles doubles les plus lumineuses, l’ajout d’une densité à l’oculaire réduirait leur luminosité. Cela facilite l’analyse de l’image en visuel en supprimant les speckles parasites les plus faibles.

Quel est l’apport de la luminosité en planétaire ?

Fig. 10. Apport de la luminosité sur les planètes.

A nouveau respectivement de gauche à droite : image parfaites de Mars donné par une lunette de 100 mm et un télescope de 400 mm prenant en compte l’apport respectif en luminosité de chacun des instruments, puis images modulées toujours par une turbulence de 1.5 secondes d’arc (R0 de 100 mm environ).

Bien entendu, en présence de turbulence, les grossissements utiles sont limités par le R0. Ils sont donc identiques quel que soit l’instrument. Si une lunette de 100 mm permet des grossissements de 250 fois, un télescope d’une ouverture bien plus importante limité par un R0 de 100 mm devra lui aussi se limiter à un grossissement de 250 fois.

Dans ce cas, la luminosité de la planète vue sous le même angle apparent a l’oculaire augmente. Cela améliore la perception des contrastes les plus faibles ainsi que la perception des couleurs. L'œil travaille dans de meilleures conditions et est plus apte à déceler des détails «limite».

Par cet apport en luminosité, l’avantage est donc clairement pour les gros diamètres, quelle que soit la turbulence.

Cela se vérifie bien sur le terrain. Le seul contraste sur de gros instruments permet, pour Jupiter et Mars, de sortir des détails peu contrastés qu’un instrument bien plus modeste ne permet pas d’extraire du fond lumineux de la planète. Sur Saturne, l’anneau de crêpe sera évident, d’un beau gris clair dans un télescope de 600 alors que dans une lunette de 100 mm, il sera la plupart du temps invisible. La visibilité de la division d’Encke, dépendant de la résolution mais aussi du contraste sera dans les mêmes conditions à la fois difficile dans un 300 et aisée dans un 800.

Sur le disque de Saturne, les bandes très peu contrastées, invisibles dans de petits instruments sont facilement discernables sur les plus gros.

La perception de nuances d’albédo, assez faibles, sur les satellites de Jupiter sera facilitée par un gros diamètre, etc…

On a vu que quel que soit le diamètre et la turbulence, et par l’apport de la luminosité, dans la grande majorité des cas, un gros télescope, par le seul apport en luminosité et en contraste, sera supérieur à un instrument plus petit et que dans le pire des cas, les performances de chacun des instruments seront identiques.

Alors pourquoi sur le terrain, on constate régulièrement des gros instruments qui donnent, en planétaire et sur les étoiles doubles notamment, des images plus mauvaises que des instruments plus petits ?

Plusieurs raisons à ça :

- plus l’instrument est gros et plus une bonne qualité optique est difficile à obtenir. Des petits instruments, inférieurs à 100 mm, sont en général faciles à fabriquer avec une bonne qualité optique, surtout pour les instruments fabriqués industriellement. Plus les instruments sont gros, et plus, pour des coûts raisonnables, on fera l’impasse sur la qualité optique. C’est par exemple le cas pour les gros Dobson équipés d’optiques bon marché provenant des Etats-Unis.

Se rajoute à ça des «opticiens» peu scrupuleux qui ont entretenu l’idée que pour des gros instruments, leur sensibilité à la turbulence étant plus importante que pour des diamètres plus modestes, il était alors normal d’observer des images plus dégradées… Cette idée reçue, parfaitement fausse, mais assez répandue dans le milieu amateur permet à ces personnes malhonnêtes de justifier plus facilement les résultats décevants que donnent en planétaire de grosses optiques de mauvaise qualité, pourtant vendues comme des optiques exceptionnelles…

Le tout fait que l’on compare souvent des petits instruments de bonne qualité avec de gros instruments de mauvaise qualité. Dans ces conditions, surtout si les défauts optiques de ces gros télescopes sont très importants, il est normal de constater de meilleures images dans des petits instruments.

- La comparaison se fait souvent entre des lunettes par construction bien collimatées avec des télescopes décollimatés.

- l’obstruction des télescopes dégrade le contraste des images, notamment sur les surfaces planétaires. Des lunettes plus modestes mais non obstruées peuvent donc donner de meilleures images. Mais ce gain trouve vite ses limites car une différence importante de diamètre gommera le gain donné par un instrument non obstrué. Un test comparatif sur Jupiter entre un Newton de 200 à F/4, optiquement irréprochable, obstrué à 37%, montre que l’on obtient les mêmes images que dans une lunette Astrophysic 155 EDF.

- La turbulence dans des gros tubes de télescopes est généralement plus importante que dans des petits instruments. Si cette turbulence instrumentale est prépondérante par rapport à la turbulence du site, notamment par une mise en température plus longue d’éléments plus massifs comme la structure du tube ou des miroirs épais, un petit instrument peut parfois donner de meilleurs résultats.

- les optiques d’un gros télescope sont plus sensibles aux contraintes de toutes sortes, le mauvais réglage d’un barillet complexe, composé de leviers astatiques, peut engendrer de l’astigmatisme. Là aussi, dans des cas extrêmes, un instrument plus petit peut donner de meilleures images.

- Il y a enfin des jugements très subjectifs. On a vu qu’une lunette ou un petit télescope produisent des taches de diffraction très grosses, facilement visibles et peu sensibles à la turbulence. Cela donne des images flatteuses qui sont, pour le débutant, plus faciles à interpréter qu’un bouillonnement de speckles dans un gros télescope. Les doubles sont donc vues comme un beau couple de taches de diffraction et les planètes, même peu détaillées et qui paraîtront pourtant bien fades à comparer avec leur aspect dans un gros télescope, apparaissent comme plus stables. Quelques amateurs considèrent ces images relativement flatteuses comme étant des images plus esthétiques, même si elles manquent objectivement d’informations par rapport à celles que montrera une optique plus grande. Ce sentiment très subjectif, appuyé par le coût exorbitant de certains instruments pourtant bien modestes et le besoin d’en justifier le bon fondement, prend le pas pour affirmer que les images que donnent de petits instruments sont forcément de meilleure qualité que celles d’un télescope de bien plus grand diamètre…

Malgré toutes ces difficultés, un amateur expérimenté, maîtrisant bien son matériel et possédant un gros télescope, doté d’optiques de bonne qualité, préférera la plupart du temps, quelle que soit la turbulence, les images que lui donnera cet instrument par rapport à un instrument plus modeste.

Donc quel que soit le site, plus le diamètre de l’instrument sera important et globalement, meilleures seront les images.

Bien entendu, ceci est à moduler avec le prix de l’instrument, son encombrement, sa facilité d’utilisation, la qualité du site, etc. qui fera qu’en pratique, chacun trouvera une limite à la taille de son instrument, même si en théorie, qui peut le plus peut le moins.

Toutes les simulations ont été faites sur Aberrator :

http://aberrator.astronomy.net/

Image originale de Mars :

http://imgsrc.hubblesite.org/hu/db/2001/24/images/a/formats/print.jpg
 

 
 

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