GÉNÉRALITÉS

    Les occultations d’étoiles par la Lune sont des phénomènes astronomiques relativement fréquents, mais que bien peu d’amateurs observent. Ils sont pourtant d’un intérêt scientifique certain. Les phénomènes les plus fréquents — donc les plus observés — sont les occultations ordinaires ou normales, mais il existe également un autre cas, plus particulier, qui est l’occultation rasante.

    Nous savons que la Terre tourne sur elle-même d’ouest en est en un peu moins de 24 heures. De ce fait, lorsque l’on regarde le ciel la nuit, les étoiles et la Lune paraissent se déplacer d’est en ouest, mais la Lune, du fait de sa propre révolution autour de la Terre, rétrograde par rapport à la marche des étoiles. C’est ainsi que dans sa course elle passe très souvent devant certaines étoiles de la région zodiacale ; ce sont les occultations d’étoiles par la Lune.

    Si, dans un premier temps, l’étoile disparaît au bord est du disque de la lune et, dans un deuxième temps, elle réapparaît au bord ouest, il s’agit d’une occultation normale (généralement appelée occultation totale).

    Mais si au lieu de disparaître normalement, l’étoile rase le limbe lunaire aux alentours d’une région polaire (nord ou sud), l’occultation est dite rasante. Comme ces régions sont très accidentées, surtout au pôle sud de la Lune, l’étoile va disparaître et réapparaître plusieurs fois de suite derrière le profil des montagnes lunaires.

    Tous ces phénomènes sont observés dans le but de mesurer, à mieux qu’une demi-seconde, les instants de disparition et de réapparition de l’étoile.

Historique

    Il semble que les premières observations d’occultations remontent à un lointain passé. En 357 avant J.-C., Aristote aurait vu la planète Mars disparaître derrière le disque de la Lune, déduisant ainsi que Mars est plus éloigné que la Lune. Ptolémée, dans son Almageste, fait état de sept occultations de Spica, de b Scopii et des Pléiades, observées entre 294 avant J.-C. et 98 après J.-C. Mentionnons aussi l’encyclopédie japonaise The Nahongi, écrite en 720, qui rapporte une série d’occultations dont les circonstances de quelques-unes ont pu être calculées. Ensuite, c’est Copernic qui, en 1497, voit une occultation d’Aldébaran. Au XVIIIe siècle, J.J.L. de Lalande réalise que les observations d’une occultation de la même étoile, faites depuis deux endroits différents, peuvent apporter des informations précises sur la différence de longitude entre les observateurs : il mentionne à ce sujet une occultation d’Antarès observée depuis Paris et Berlin le 6 avril 1749.

    Une autre application des observations d’occultations est démontrée quand, en 1637, Jeremiah Horrocks regarde la Lune traverser les Pléiades. Il constate que chaque étoile, quand elle est occultée, disparaît en un clin d’œil et en déduit que la dimension angulaire des étoiles doit être très petite. Cette idée est reprise en 1908 quand P.A. Mac Mahon suggère que l’intervalle de temps précis durant lequel la lumière de l’étoile diminue d’intensité avant de disparaître peut être utilisé pour la mesure du diamètre angulaire de cette étoile. Et enfin, Jacques Cassini, qui observe le 21 avril 1720 l’occultation de l'étoile double g Virginis, voit très bien l’étoile disparaître en deux temps.

    Quant aux occultations rasantes, il semblerait que la première observation fut faite, tout à fait par hasard, à Danzig le 7 mars 1794 vers 19 heures U.T. À ce moment, Aldébaran, rasant le limbe nord de la Lune, disparut et réapparut deux fois de suite derrière le profil des montagnes lunaires.

    En Belgique, c’est sous l’impulsion de Jean Meeus, qui fut le premier à calculer et à réussir l’observation d’une occultation rasante le 20 novembre 1959 près de Louvain, que les amateurs belges, suivis des français et des hollandais, ont depuis lors organisé, de 1959 à 2000, un peu plus de 350 expéditions pour tenter l’observation d’une occultation rasante, aussi bien en Belgique qu’à l’étranger.

    De toutes ces expéditions, environ un quart seulement ont fourni des résultats, mais avec quelques belles réussites comme l’occultation d’Aldébaran le 11 avril 1978 en France ou celle de Régulus le 12 février 1981 aux Pays-Bas. Le petit nombre de réussites par rapport aux observations tentées pourrait étonner, mais l’échec est dû, dans la majorité des cas, aux mauvaises conditions météorologiques. Pourtant, le réel intérêt scientifique de ce genre d’observation fait qu’il faut persévérer et tenter, chaque fois que cela est possible, l’observation de ces phénomènes d’extinction et de résurrection d’une étoile, ne fût-ce que pour la beauté du spectacle.

Les instruments

     Un télescope ou une lunette, un récepteur DCF 77 ou l’horloge parlante et un chronomètre au 1/10 de seconde sont largement suffisants pour une occultation normale où il n’y a qu’un seul instant à mesurer. Mais dans le cas d’une occultation rasante, il y a plusieurs instants successifs à mesurer et il est nécessaire d’avoir en outre un magnétophone à cassette ou un chronomètre avec plusieurs mémoires.

    L’horloge parlante ou le récepteur DCF 77 nous permettra de synchroniser le chronomètre avec précision. Quant au magnétophone, il servira à enregistrer simultanément les tops vocaux de tous les instants de contact et les bips sonores émis par l’horloge ou par le récepteur DCF 77. Il permettra également, et c’est très important, d’enregistrer les commentaires sur l’observation (réapparition ou disparition graduelle, en deux temps, lumière cendrée visible, etc.).

Fig. 1. Caméra de type T6 CK92A munie d’un tube EBS et d’un amplificateur de brillance (30 x). Photo Jean Dommanget.

    L’avènement de la vidéo a pour conséquence que de plus en plus d’amateurs utilisent une caméra vidéo pour l’observation des occultations. Dans un tel système, la caméra est directement couplée au foyer primaire d’un télescope et l’image est retransmise sur un écran vidéo. Pour enregistrer les différents instants de contact, il est superposé à l’image TV un chronomètre synchronisé avec les tops horaires de l’une ou l’autre station émettrice. Comme la fréquence de balayage de la vidéo est de 25 images par seconde, on peut enregistrer des informations chaque 0,04 seconde.

    En 1977, le département d’astrométrie et de mécanique céleste de l’Observatoire royal de Belgique a acquis une caméra de télévision de type EBS (Electron bombardment silicone) pour l’observation d’étoiles doubles visuelles et d’occultations. Elle est montée sur l’équatorial Cooke-Zeiss de 45 cm d’ouverture et de 7 m de distance focale (figure 1). L’équipement comprend la caméra, un moniteur, une alimentation stabilisée, un générateur de marques horaires piloté par un signal transmis par le Bureau de l’heure de l’observatoire et un magnétoscope.

    L’observation se fait par l’enregistrement d’une séquence d’images d’une durée de 20 à 30 secondes, englobant l’instant prévu du phénomène. La caméra fournissant, par seconde, 25 paires d’images, l’examen individuel de ces 50 images ainsi enregistrées permet une précision finale de ±0,02 seconde. Grâce à ce système, des occultations d’étoiles de magnitude 11,5 ont pu être observées au bord obscur et dans des conditions atmosphériques favorables.

    Il est bien évident que plus l’ouverture de l’instrument sera grande, plus les étoiles occultées observables pourront être faibles.

Intérêts scientifiques

    L’étude des occultations normales fournit des informations sur le mouvement de la Lune en longitude et sur l’inégalité parallactique (il s’agit d'une perturbation périodique dans la longitude de la Lune, de période égale à la révolution synodique (donc 29,53 jours). L’amplitude est de 125". Ce terme s’écrit : –125" sin D, où D est l’élongation moyenne de la Lune. L’inégalité parallactique est donc nulle à la nouvelle lune et extrémale à la pleine lune et aux quartiers. Elle retarde les occultations de 3 min 48 s au premier quartier et les avance d’autant au dernier quartier). Étant donné l’excellente précision avec laquelle on connaît actuellement les positions des étoiles, on peut dès à présent, grâce aux résultats des observations d’occultation, retracer le profil du limbe lunaire avec une meilleure précision, mieux même que ne l’a fait la sonde Clementine. Ce travail vient d’ailleurs d’être entrepris par deux astronomes amateurs allemands.

    Quant aux résultats des observations d’occultations rasantes, ils permettent l’étude plus approfondie du mouvement de la Lune en latitude et, plus particulièrement, de la longitude des nœuds de son orbite. Ils permettent également d’étudier le profil lunaire dans les régions polaires et de déceler parfois des dénivellations d’une dizaine de mètres seulement.

    Une autre conséquence résultant de l’observation d’occultations est la découverte d’étoiles doubles très serrées ayant des séparations aussi petites que 0,01", impossible à résoudre visuellement.

    L’occultation d’une étoile double peut se traduire de deux façons : réapparition ou disparition lente (système d’étoiles de magnitudes voisines) ou en deux temps (différence de magnitudes entre les étoiles). Le nombre d’étoiles doubles découvertes grâce aux observations d’occultation au cours de ce siècle (1901 à 1998) s’élève à 937, avec plus de la moitié (586) découvertes entre 1975 et 1998. Au cours des dernières années, de 1990 à 1998, c’est le Belge Jean Bourgeois qui remporte la palme avec un total de 197 découvertes (tableau 1 et figure 2).

    Nom       Découvertes Confirmées

 J. Bourgeois    197          85

 H. Bulder        44          30

 D. Evans         43           3

 H. Bril          16           4

 H. Povenmire     13           3

 B. Loader        13           2

 D. Duhnam        13           0

 R. Wilds         11           0

 J. Vannulan      11           1

Tableau 1. Observateurs ayant plus de 10 découvertes entre 1990 et 1998.

Fig. 2. Diagramme des découvertes annuelles d’étoiles doubles de 1965 à fin 1997.

    Malgré la modestie du matériel qu’ils utilisent (parfois), les astronomes amateurs apportent cependant une contribution scientifique appréciable. Les résultats provenant d’observations d’occultations restent le fruit d’un travail de longue haleine. Seule la multiplicité des observations permet d’améliorer de façon fiable les théories du mouvement de la Lune ou la position des étoiles (bien que maintenant nous disposons des positions très précises d’étoiles grâce à Hipparcos).

    C’est ainsi qu’à la fin des années 60 de vastes programmes d’observation d’occultations d’étoiles par la Lune ont été créés. Le Mc Donald Observatory en 1968 et le Lowell Observatory en 1969 ont observé quelque 10 000 occultations. Durant les années 73-74, les Américains ont analysé 50 000 observations dont la grosse majorité provenait d’astronomes amateurs. En 1985, Mitsuru Soma a dépouillé 60 000 observations dans le but de déterminer la qualité des éphémérides basées sur les données provenant des mesures laser de la distance de la Lune et celles basées sur des considérations angulaires, un exemple parmi tant d’autres démontrant l’utilité des observations d’occultations.