L'ARTICLE DE L'ASTRONAUTE No.4 - Février 1998



L'HOMME DANS L'ESPACE
(Réflexions suscitées par l'article de Serge Chevrel dans l'Astronaute numéro 3)

Par Georges Anderlini, Association Apollo25


L'article "l'homme dans l'espace" de Serge Chevrel est évidemment le moins que l'on puisse attendre de quelqu'un qui se prononce pour la présence de l'homme dans l'espace, qui a créé et qui anime une association consacrée à la conquête spatiale. Étant moi-même membre d'Apollo 25, passionné comme vous tous d'exploration spatiale, je ne peux que m'inquiéter de la diminution des moyens et des objectifs liés à l'espace.
Mais il nous faut faire preuve de recul lorsque nous essayons d'analyser pourquoi l'espace n'a plus les faveurs de l'opinion publique, qui tout au moins fait preuve parfois de sympathie, souvent d'indifférence, au pire d'hostilité envers les programmes spatiaux. Beaucoup de gens sont persuadés que l'argent de l'espace serait mieux dépensé ailleurs, et à une époque ou les budgets se resserrent, il est évident que la société et les politiques qui la représentent se posent la question du pourquoi de ces dépenses. Que le ministre de la Recherche réfléchisse à haute voix sur l'avenir de la conquête spatiale est très salutaire, même si les réponses qu'il apporte ne sont pas de nature à nous satisfaire. Trop souvent, les choix technologiques sont l'apanage d'une très petite minorité, qui ne doit des comptes qu'à elle même, et qui met la société devant le fait accompli. Alors, pour une fois qu'il y a débat, nous n'allons pas nous plaindre !

Edward White, premier américain ayant réalisé une sortie dans l'espace, mission Gemini 4 en Septembre 1965. (Photo NASA S65-30428)

Qui a le plus oeuvré pour que les gens se détournent de la conquête spatiale? Ma réponse vous étonnera peut-être, mais je pense que l'industrie spatiale et les défenseurs de l'exploration de l'espace ont certainement une part de responsabilité.
Aujourd'hui, c'est le retour du balancier, balancier qui a été manoeuvré trop imprudemment dans le passé. Seulement, la situation politique mondiale a changé en quelques années, et ce qui était évident voilà quelques années ne l'est plus. Maintenant que les questions de prestige national ne sont plus suffisantes, la question de l'homme dans l'espace se trouve de nouveau posée. A quoi sert l'espace habité? Ne pas vouloir répondre à cette question, ou y répondre par des circonvolutions sur la nature humaine qui le pousse à ouvrir de nouveaux horizons, c'est prendre le risque de voir les gens se détourner de l'espace. Mais répondre par un savant mélange de possibilités technologiques et de science fiction, du style nous irons tous bientôt sur la Lune pour y prendre nos vacances, ce n'est pas donner du rêve, mais c'est tromper son monde. Et même si certains se mettent à rêver, le réveil est douloureux. Or, force est de constater qu'à ce jeu là les défenseurs de l'astronautique n'y sont pas allés avec le dos de la cuillère. Les promesses extravagantes ont fini par lasser. Les jeunes rêvent plus aujourd'hui d'être un informaticien qu'un astronaute! L'informatique tient ses promesses, elle!
La lecture d'anciens ouvrages de vulgarisation (ancien est un bien grand mot: la plupart de ces ouvrages datent des années 55-75) est très révélatrice:

l'espace devait tout permettre. Pour décrocher des crédits, on nous promettait... la Lune! L'homme dans la Lune, la Terre aménagée en jardin d'Eden grâce aux satellites, la culture pour tous et l'alphabétisation terrassée par l'espace, les médicaments miracles...
Que sais-je encore?

Certaines réalisations sont effectivement entrées dans la réalité: un événement aux antipodes est immédiatement retransmis sur son poste de télévision, la téléphonie mobile, la localisation des navires et des avions, les satellites météorologiques, etc...Oui, tout cela existe. Mais ce sont des réalisations portées par le marché, donc rentables, qui de plus se passent de la présence de l'homme en orbite. Quant aux lendemains qui chantent...! C'était oublier que les satellites ne sont qu'une technique, et que l'utilisation qui en est faite n'est pas aux mains des techniciens, mais des décideurs. C'est d'ailleurs une constante dans les ouvrages consacrés à l'espace: le propos porte toujours sur la technique, et rarement sur le pourquoi de cette technique.
Et pourtant, comme des milliers de gens, j'ai rêvé. J'ai rêvé lorsque les hommes se sont posés sur la Lune. Parmi tous les programmes spatiaux, Apollo a été celui qui a le plus marqué l'exploration de l'espace. Peu de personnes étaient indifférentes à la conquête de la Lune. Et même si toutes n'approuvaient pas, elles se retrouvaient avec les autres devant leur poste de télévision au moment de l'alunissage. Mais le rêve s'est terminé, et le réveil a été brutal. La "Recherche" de décembre 1997 parle même "d'une gueule de bois monumentale" (page 68). Trente ans après, ceux qui ont rêvé attendent encore.
Les bases lunaires, l'observatoire lunaire font toujours partie des projets dont la réalisation est renvoyée aux calendes grecques. De temps en temps, renaît un projet d'installation de l'homme sur la Lune. Et puis tout retombe dans l'oubli. Alors la question se pose: pourquoi a-t on été dans la Lune? Serge Chevrel, dans son article, donne à l'homme un rôle fondamental dans la conquête lunaire. Hélas, on ne l'a pas envoyé pour permettre un meilleur atterrissage, ni pour déployer une station scientifique. D'ailleurs, des sondes avaient déjà atterri sans présence à bord et d'autre ont plus tard renvoyé des échantillons sur Terre. On a envoyé des hommes sur la Lune parce que c'était le but du programme Apollo. But qui n'était ni technique, mâme s'il fut relevé avec panache, ni scientifique, mâme s'il a permis une connaissance plus précise de la Lune. Non, le but était politique, il était de démontrer la supériorité américaine sur l'URSS d'alors. Le but atteint, les raisons techniques et scientifiques n'étant pas suffisantes pour continuer, on s'est dépâché d'arrâter les frais. Et c'est ainsi que la suite ne vint jamais.
Peu de vulgarisateurs ou d'écrivains scientifiques ont relevé cet état de fait. On peut citer François de Closets qui, dans son livre "La Lune est à vendre" (écrit en 1969!), a clairement entrevu l'impasse devant laquelle se trouvait la conquâte lunaire. Par contre, que ne s'est-on extasié sur le module de commande, le module lunaire, la fusée Saturn V, et ainsi de suite...

Aujourd'hui l'histoire recommence! La technique pour construire la station spatiale internationale est prête. On la construira. Mais dans quel but? Elle devrait être un début, alors qu'elle semble être une fin par elle-même. Les nations associées à ce projet on l'air d'y adhérer du bout des lèvres, voulant prendre le train en marche, tout en se demandant où il va les conduire, et surtout à quel prix. Elle provoque des dissensions même dans les milieux consacrés à la recherche spatiale.
Réduire les opposants de l'espace habité à des gens manquant d'arguments me paraît trop facile. Certains sont peut être simplement opposés à des vols humains qui n'ont pas de justification profonde. Qu'un président du CNES démissionne alors que la France s'est engagée dans l'aventure de la station spatiale est très évélateur de la part d'une personne qu'on ne peut qualifier d'anti-spatial! A la vérité se joue un remake d'Apollo: on y va, sans trop savoir pourquoi il faut y aller.

J'aime l'espace et la conquête spatiale. J'aimerais revoir des hommes sur la Lune. Mais j'aimerais qu'ils y aillent simplement pour être là-haut, pour la science et pour voir si l'homme peut conquérir ces espaces vierges. Je voudrais ajouter une remarque: comme ces voyages seraient mieux perçu si un poète les racontait, au lieu d'un ingénieur. Enlever la dimension poétique de l'espace, c'est supprimer le rêve. J'attends qu'un nouveau Victor Hugo se lève parmi les étoiles. Lui seul saura nous dire pourquoi il faut y aller. Lui seul évitera de nous promettre des médicaments que les gens se lasseront un jour d'attendre...


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