L'ARTICLE DE L'ASTRONAUTE No.6 - Septembre 1998
LA NAVETTE SPATIALE: DU
DÉCOLLAGE A LA MISE EN ORBITE
Par Serge Chevrel, Association
Apollo25
La navette constitue depuis le début des années 80 le moyen de
transport spatial des américains. Présentée lors de sa
conception comme un moyen idéal de transport, la navette n'a pas rempli
toutes les espérances. En particulier, même si elle fournit un
accès relativement régulier à l'espace, ce dernier reste
encore d'un coût élevé. Mais la navette spatiale est un engin impressionnant, qui force l'admiration à la fois par sa
complexité et sa beauté, notamment lorsqu'elle prend son
envol pour l'espace. Le but de cet article est de donner quelques
éléments d'information sur la phase du décollage,
jusqu'à l'arrivée en orbite. Une "randonnée" de
8 mn 30 s que ne doit pas être prêt d'oublier tout astronaute
qui se trouve à son bord...
T - 9 mn: "Go for the launch !" ("bon pour le départ"). Le
compte à rebours vient de reprendre après un arrêt
normal de 10 minutes dans la chronologie du lancement. Tout est "OK" et
le départ est imminent. Cela fait plus de 2 heures que les 6
membres de l'équipage sont installés à bord de la
navette (1). Quatre d'entre eux se trouvent dans le cockpit proprement
dit ou "flight deck". Il s'agit du commandant de bord (CDR), sur le
siège de gauche, du pilote, sur le siège de droite et
du spécialiste de mission (MS) numéro 2 et d'un
spécialiste de charge utile (PS) (2), sur des sièges
situés au milieu et en arrière de ceux du comandant et
du pilote. Les deux autres astronautes, un spécialiste de mission
et un spécialistes de charge utile, se trouvent dans le
compartiment inférieur de l'habitacle (le "mid-deck", sous le
"flight deck). Cette partie inférieure ne comporte pas de hublots
et les astronautes qui s'y trouvent ne voient donc rien pendant le
décollage.
L'orbiteur: détail de l'habitacle préssurisé Document Apollo 25.
T -7 mn: Le bras d'accès à la navette se rétracte.
Il y a une heure que l'écoutille de la navette a été
vérouillée et 25 mn que le personnel de la "White Room" (3)
a quitté le pas de tir pour se mettre dans la zone de
sécurité situé à quelques kilomètres
de là. Les astronautes, solidement sanglés sur leurs
sièges, participent pour certains, et écoutent pour d'autres,
la longue liste technique de tous les derniers préparatifs pour le
lancement. Les sièges ne sont pas très confortables. Ils
sont formés de deux pièces d'acier plat recouvertes d'un
coussin peu épais... Ce design un peu particulier est fait pour
supporter les forces auxquelles seront soumises les astronautes en cours
de vol et en cas d'atterrissage un peu brusque (un "crash landing").
T -3 mn 30 s: "Internal power". Cela veut dire qua la navette fonctionne
à partir de maintenant sur ses propres réserves
énergétiques (batteries électriques), l'alimentation
venant de l'extérieur étant coupée.
T -31 s: Les ordinateurs au sol laissent la main aux ordinateurs de bord
de la navette. La séquence de lancement ("launch sequence") commence,
dictée par la navette elle même, qui est maintenant autonome.
Si un problème survenait obligeant à interrompre le compte
à rebours, celui ci devrait reprendre à T - 20 mn.
La navette Endeavour (STS-89) sur le pas de tir 39-A (photo
NASA, KSC97EC-1826).
T -15 s: Au niveau du pas de tir, tout est relativement calme. On voit
cependant se produire de temps en temps des éclairs à la
base de la navette. Pour quelqu'un de non averti, cela pourrait
paraître inquiétant. Mais cela est tout à fait normal.
Il s'agit simplement d'une série de brûleurs, disposés
tout autour, et en dessous des tuyères des moteurs principaux, qui
ont pour rôle de brûler l'hydrogène qui s'échappe
des réservoirs, avant que ce dernier ne s'accumule en trop grande
quantité sous la navette. Le risque est en effet qu'en se
mélangeant avec l'air, il se produise une explosion spontanée
susceptible d'endommager l'engin spatial.
T -6.5 s : Les ordinateurs commandent l'allumage, à 0.012 s
d'intervalle, de chacun des trois moteurs principaux (SSME) de la navette.
Ils sont mis en action en premier, 6.5 s avant les boosters à
poudre (SRB) car contrairement à ces derniers, ils peuvent
être stoppés si besoin était. Le délai
avant l'allumage des boosters est utilisé pour tester très
en détail les moteurs SSME. Cinquante fois par seconde, un
ordinateur pour chaque moteur examine une trentaine de paramètres
critiques (pressions et flux des carburants, température, vibrations,
puissance, etc.). Si, à T -3 s, les trois moteurs ont atteint 90% de
leur puissance, et si à T = 0 s, tous les paramètres sont dans
les limites tolérées, alors les ordinateurs de la navette
envoient les ordres des commandes pyrotechniques pour l'allumage des SRB
et libérer la navette du pas de tir. A T -3 s, un "timer"
réglé à 2.64 s est justement mis en route pour
procéder à l'allumage des SRB. Par 5 fois dans l'histoire
des vols navette, les tests de contrôle ont révélé
une défaillance nécessitant l'arrêt des moteurs pendant
le délai de 6.5 s et le tir a donc été avorté
("abort" en anglais). Heureusement, il s'agissait à chaque fois
de problèmes relativement mineurs qui n'ont pas mis en danger
les équipages sur le pas de tir (aucun n'a nécessité
l'abandon du vaisseau en urgence). L'un de ces abandons eut lieu lors du
vol Challenger STS-51F le 12 Juillet 1985, 3 secondes avant la mise à
feu des boosters. Un autre eut lieu le 30 septembre 1994 à
seulement 1.9 s après l'allumage lors du vol Endeavour STS-68.
Lorsqu'on regarde pour la première fois une navette au moment
de l'allumage des SSME, on a généralement un instant de
frayeur... L'ensemble se met à pencher du coté du
gros réservoir externe (ET), comme si tout allait tomber à
la renverse... La déviation de la verticale n'est pas
négligeable puisqu'elle atteint 50 cm au sommet du réservoir.
Ce comportement, qui est tout à fait normal, s'appelle le "ET-twang".
Il s'agit d'une réaction à l'impulsion des moteurs qui montent
en puissance, l'ensemble du véhicule spatial (au total 2000 T)
étant toujours maintenu fermement sur le pas de tir. Le délai
de 6.5 s avant l'allumage des SRB est aussi utilisé pour attendre
que l'ensemble soit revenu en position verticale stable. C'est à
cette condition que les boosters seront mis à feu.
Chaque booster est constitué d'un bloc de poudre, dont la combustion
une fois entamée ne peut être stoppée par aucun
dispositif, ni à l'intérieur du booster lui même,
ni au niveau de la tuyère située à sa base. Une
fois l'allumage effectué, c'est parti pour 2mn10s de combustion
ininterrompue... et cela, quoi qu'il arrive... On comprend pourquoi on
prend beaucoup de précautions avant l'allumage de ces deux gros
pétards. On arrive tout de même à les contrôler
et même à obtenir une poussée variable lors de leur
fonctionnement. En effet, dans le cylindre formant le booster, la poudre
(perchlorate d'ammonium: 70% en pourcentage poids, aluminium: 16%, oxyde
de fer: 0.4%; polymère qui maintient le tout: 13%) est moulée
en laissant une cavité centrale vide. La forme de cette cavité
contrôle l'aire de la surface brûlée et donc la
poussée. Cette forme, qui à la base du booster, est celle
d'une étoile à cinq branches, fait place plus haut à
un cercle (surface plus réduite que celle de l'étoile),
permettant ainsi de diminuer la poussée. C'est ainsi que cette
dernière est par exemple réduite au bout de 50 s de vol
(voir plus loin).
Décollage de la navette Discovery (mission STS-51)
(Photo NASA, STS051(S)105).
T = 0 s : Les deux boosters (SRB) sont mis à feu.
Simultanément, les 4 boulons explosifs situés au niveau de
la jupe de la tuyère de chacun des boosters entrent en action et
libèrent l'engin spatial qui commence à s'élever
à T + 3 s. La voix du "PAO" (4) retentit alors, avec toujours
la même phrase: "Liftoff ! We have liftoff !". En seulement 0.2 s,
les boosters atteignent leur pleine puissance, avec une poussée
de 1500 T chacun... A eux deux, ils fournissent 71.4% de la poussée
pendant les deux premières minutes de vol. A l'extérieur,
le bruit est assourdissant et la navette s'enveloppe d'un nuage blanc
dont elle semble avoir du mal à émerger. A l'intérieur,
le bruit est les vibrations sont intenses et quasi instantanément,
les astronautes sont soumis à une accélération de
1.6 g. Inutile d'annoncer aux astronautes qu'ils sont partis, ils s'en
rendent compte par eux mêmes...
T + 5 s : La vitesse de la navette est déjà de 160 km/h.
Le "PAO" annonce: "The tower is clear". Cela veut dire que la base de la
navette vient de passer au dessus de la tour de lancement. Cet instant
du dégagement du pas de tir peut sembler anodin, mais il correspond
au moment ou le centre de contrôle du centre spatial de Kennedy en
Floride (KSC: Kennedy Space Center) passe le relais, pour toute la suite
de la mission, au centre de contrôle ("Mission Control") du centre
spatial de Houston au Texas (JSC: Johnson Space Center).
Entre 7 et 10 s après le décollage, alors qu'elle vient
à peine de quitter le pas de tir, la navette effectue toujours
une manoeuvre assez impressionnante, dite de roulis ("Roll" en anglais),
ou on la voit pivoter autour de son axe longitudinal. Cette manoeuvre a
pour but d'orienter l'engin selon un angle d'azimuth bien
déterminé pour le tir. Cet angle détermine l'angle
d'inclinaison de l'orbite par rapport à l'équateur terrestre.
L'angle d'inclinaison change suivant les objectifs de la mission et peut
varier de 28.5degrés (minimum) à 62degrés (maximum)
sur l'équateur (5). Les navettes utilisent pour leur décollage
les anciens (et au combien célèbres) pas de tir 39A et 39B
des Saturnes 5 des missions Apollo. Ces derniers n'ont pas pu être
beaucoup modifiés pour être adaptés aux tirs des
navettes. Il s'en suit que lorsqu'une navette se trouve sur l'un de ces
pas de tir, sa queue (empennage arrière) se trouve orientée
vers le sud. La manoeuvre du "Roll" est de ce fait toujours
nécessaire car on tire toujours dans une direction Est à
Nord-Est pour bénéficier de l'accélération
de la Terre et se placer sur une orbite à une inclinaison
donnée.
C'est pendant la manoeuvre du "Roll", qui dure environ 7 secondes, que
le commandant de bord de la navette prononce ses premiers mots dans la
mission: "Houston, Discovery, roll program". Ce commentaire pourrait
paraître complètement inutile étant donné
que les contrôleurs à Houston le constatent de visu et
d'après les données d'attitude du vaisseau sur leurs
écrans. Néanmoins, ce commentaire est maintenu car il
s'agit du premier essai radio de la navette après le décollage,
et, quitte à dire n'importe quoi pour effectuer ce test, autant
signaler que le "roll program" est amorcé. En même temps que
le nez de l'engin est correctement orienté au cours de la manoeuvre
du "roll", la navette entame la manoeuvre dite du "pitch over" qui la
place selon une attitude dite "tête en bas" (upside-down attitude).
Le but est cette fois ci de positionner aussi vite que possible la navette
de façon à ce que le commandant de bord et le pilote
aient l'horizon terrestre en vue, cela au cas ou ils devraient piloter
le vaisseau manuellement et "à vue" (en position normale
("tête en haut") cela n'est pas possible, car le réservoir
externe (ET), qui dépasse devant le nez de la navette, cache
l'horizon). Les manoeuvres combinées de roulis (roll), de tangage
(pitch) et aussi de lacet (yaw) qui sont exécutées
aussitôt après le décollage ont également
un objectif important qui est de positionner la navette selon un angle
d'attaque minimisant la charge aérodynamique qui s'exerce sur
sa structure tandis qu'elle franchit les couches denses de
l'atmosphère. En fait, durant les 90 s après le
décollage, le système de contrôle de vol maintient
autant que possible le vaisseau dans un attitude ou cette charge aérodynamique est minimale, cela même au dépend
d'une trajectoire précise... Ce qui importe durant cette phase
du vol, c'est de préserver la "fragile" structure du vaisseau.
Configuration de la navette au décollage (figure, modifiée, extraite de "L'homme dans le cosmos", Encycl. hachette, P.
Kohler, 1982).
T + 30 s: L'accélération de la navette n'a cessé
d'augmenter depuis l'instant du décollage et sa vitesse approche
maintenant Mach 1. Elle va même trop vite ! La pression
aérodynamique qui s'exerce sur sa structure devient trop forte. Les
risques de dommages sur les ailes ou autres parties de l'engin ne sont pas
négligeables, et une réduction de la poussée s'impose
donc. Le pilote automatique (6) réduit la poussée des trois
moteurs SSME de 100% à 65%. C'est ce qu'on appelle le "throttle down"
(réduction de la poussée). La poussée des SRB se trouvera
également réduite quelques instants plus tard (voir plus haut).
T + 40 s: La vitesse est de Mach 1. A ce moment, la pression dynamique est
maximale, les vibrations et le bruit sont à leur maximum
d'intensité à l'intérieur du vaisseau.
T + 60 s: La navette arrive dans des zones d'air plus raréfié, et
les vibrations et le bruit commencent à diminuer un peu. Le
régime des trois moteurs SSME est à nouveau amené
à pleine puissance ("throttle up").
Les astronautes vivent cette partie du vol, jusqu'à l'extinction des
boosters, non pas avec angoisse, mais avec une certaine appréhension.
Les boosters ont toujours été considérés par les
ingénieurs comme le point faible du système navette et la cause
la plus probable de problèmes graves. L'accident de Challenger en 1986
a malheureusement confirmé ce jugement. Qu'arriverait-il, si pour une
raison ou une autre, les boosters (et donc aussi le réservoir externe)
devaient être largués à ce stade du vol ?
Théoriquement, la navette pourrait revenir se poser en planant sur une
piste proche de son point de départ. Cependant, la plupart des
ingénieurs pense que le vaisseau serait en fait incontrôlable
et que cela conduirait certainement à un crash avec la perte de
l'équipage. Bien que la procédure soit prévue, une
séparation prématurée ("fast sep abort"), n'est
officiellement pas considérée par la NASA comme un "intact
abort" pour employer son propre jargon. De toute façon, vu leur
nature, un problème rencontré au niveau des boosters serait
forcément grave, avec un fort risque d'explosion qui ne laisserait
vraisemblablement pas le temps à l'équipage de réagir
pour réaliser la séparation (un bouton de séparation
manuelle de l'ET existe dans le cockpit, situé entre le commandant
de bord et le pilote).
S'il n'y a pratiquement pas de parade face à un problème grave
sur un booster, de nombreuses procédures de retour en urgence (en
anglais des "launch aborts") sont prévues en cas de problème sur
un des trois moteurs principaux (SSME) durant la phase d'ascension, ou tout
autre problème comme une dépressurisation de l'habitacle, etc.
Pendant toute la phase de l'ascension, le souci majeur de l'équipage
(surtout du commandant) est de se tenir prêt pour un abandon ("abort")
et exécuter un retour en catastrophe. Il existe de nombreuses
procédures d'abandon selon la gravité du problème et le
moment du vol ou se dernier se produit. Réagir très vite pour
activer la bonne procédure occupe une grande partie du temps
d'entrainement de l'équipage. Aucune de ces procédures de retour
en urgence n'a été jusqu'à présent utilisée
lors des vols navette. Jusqu'à 2 mn de vol, si l'on admet qu'un des SSME
cesse de fonctionner, un retour peut être tenté à Cap
Kennedy. Il s'agit dans ce cas d'un "RTLS abort" (Return To Launch Site). Mais
aucun commandant de bord n'aimerait vivre une telle situation en raison des
risques très importants qu'elle comporte. En effet, la manoeuvre serait
plutôt délicate à exécuter. Une fois les boosters
largués (le réservoir externe reste attaché au vaisseau,
sinon les deux moteurs restants ne seraient plus alimentés en
carburant), la navette devrait, sur sa lancée, se positionner moteurs
dans le sens de la marche et le nez vers la Floride pour annuler sa vitesse.
Arrivée à environ 65 km d'altitude au dessus de l'océan
Atlantique, elle commencerait à descendre comme une brique qui
pèserait 450 Tonnes! Les moteurs fourniraient alors une
légère accélération vers l'ouest, en direction de
Kennedy. Une fois le réservoir largué, la navette commencerait sa
descente planée vers la piste... Facile à dire, mais difficile
à réaliser... Notons que cette procédure de "RTLS abort"
ne vaut que si un seul moteur est en panne. Si deux moteurs se trouvaient hors
d'état de fonctionner, l'équipage pourrait tenter un retour, mais
les chances de réussite seraient minimes et il en résulterait
malheureusement la perte du vaisseau et de son équipage.
Spectaculaire photo de la navette Discovery STS-41 lors de son
ascension le 10 Octobre 1990, prise par un appareil de poursuite
automatique (Photo NASA STS041(S)120).
T + 1 mn 30 s: "Discovery, Houston, performance... nominal". Par cet appel
Houston signale que les boosters se comportent de façon normale. En
effet, les boosters sont des engins capricieux, qui d'un vol à
l'autre, ont des performances légèrement variables.
Cela dépend de la façon dont le mélange de la poudre
a été fait en usine, mais aussi de facteurs extérieurs
comme la température ambiante, etc. Chaque série de booster
se comporte donc différemment et un vol peut hériter d'une
série de "hot boosters" (des boosters "chauds"), qui donnent une poussée plus importante que celle nominalement prévue,
tandis qu'un autre vol peut hériter d'une série de "cold
boosters"( des boosters "froids") qui donnent une poussée un peu
plus faible que celle escomptée...
Régulièrement, au cours de leur combustion, le centre de
contrôle informe les astronautes sur l'état et les performances
des SRB. Cette information est importante car elle a une incidence sur les
procédures d'urgence à utiliser en cas d'abandon de la mission
("launch abort").
T + 2 mn: Vu de l'intérieur du cockpit, la rotondité de la Terre
apparait dans sa splendeur et le ciel s'est assombri très rapidement.
Il est maintenant noir. Mais le commandant et le pilote n'ont guère
le temps de contempler les étoiles car la séparation des deux
boosters est proche... Ils voient en effet sur le tableau de bord que la
pression dans la chambre de combustion des deux SRB est soudainement devenue
très faible et que ces derniers sont donc sur le point de cesser
de fonctionner.
T + 2 mn 11 s: Les astronautes entendent un "bang" qui leur donnerait des
frissons s'ils ne savaient qu'il s'agit des boulons explosifs chargés
de séparer les boosters (SRB) du réservoir externe qui viennent
d'entrer en action. Aussitôt, les fortes vibrations et le bruit cessent.
A travers les hublots, les astronautes perçoivent un éclair
venant de l'extérieur. Ce dernier correspond à la mise
à feu des petites fusées situées sur le nez et la queue
de chacun des boosters, et qui sont destinées à les éloigner de la navette. En effet, bien que les boosters cessent
brusquement de fonctionner par manque de combustible, ils continuent sur
leur lancée et risquent de percuter la navette. Ils sont donc
écartés de sa trajectoire.
Depuis le décollage, l'accélération est graduellement
passée de 1.6g à 2.5g. Au moment de l'éjection des
boosters, elle descend subitement à 0.9g, pour augmenter à
nouveau graduellement.
En fin de combustion, les SRB ont consommé près de 1000 T de
poudre, la vitesse est de l'ordre de 1800 km/h, et l'altitude est de 44 km.
Sur leur lancée, ils continuent à monter jusqu'à une
altitude de 65 km avant de retomber dans l'océan Atlantique à
environ 270 km du pas de tir, ou ils seront récupérés
et réutilisés pour prochain vol (leur poids à vide est
de 87 T).
T + 2 mn 30 s: Le vol est maintenant relativement plus calme et plus
silencieux. Il reste encore 6 minutes de combustion des moteurs SSME. Si
l'un des moteurs venait maintenant à s'arrêter, la navette
serait incapable d'atteindre son orbite et un retour en catastrophe serait
envisagé cette fois ci sur une piste de secours située en
Europe ou en Afrique. Il s'agit d'un "TAL abort" (Trans Atlantic (Abort)
Landing). La traversée de l'Atlantique serait alors
réalisée en 35 mn ! (contre 3h30mn pour l'avion
supersonique Concorde...). Les pistes de secours se situent à
Moron (Espagne), Dakar (Sénégal) et Ben Guerir (Maroc).
Houston annonce très simplement et très laconiquement aux
astronautes les moments où les procédures de retour en urgence
débutent ou arrivent à leur terme. Par exemple: "Discovery,
Houston, negative return" ("négatif pour un retour"). Cela signifie
que la "fenêtre" pour un "RTLS abort", qui s'était ouverte
au moment du décollage, est maintenant fermée. Houston
poursuivra alors un peu plus tard par: "Discovery, Houston, two-engine
Moron", ce qui signifie que la "fenêtre" pour un "TAL abort" avec
un moteur arrêté est ouverte et que la piste prévue pour
un atterrissage est celle de Moron en Espagne. Et ainsi de suite...
"Discovery, Houston, press to ATO" (ouverture de la fenêtre "ATO")...
Ces bouts de phrases, prononcés par Houston et les astronautes,
définissent ce qu'on appelle le langage technique ("tech-
talk" en anglais), compris seulement par les spécialistes, et donc
complètement hermétique pour les profanes... surtout pendant
la phase de mise en orbite.
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Les CAPCOM (Capsule/Spacecraft communicators) du vol Challenger STS-8
(Août 1983) dans le MOCR (Mission operation Control Room) du JSC
(Johnson Space Center) à Houston. De gauche à droite:
F. Williams, Anna Fisher et John Blaha. Les CAPCOM sont des astronautes
chargés de communiquer avec l'équipage en vol (Photo
NASA S93-39677).
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T + 5 mn: L'ascension se poursuit normalement. A cet instant, l'arrêt
prématuré d'un moteur SSME ne permettrait toujours pas
à la navette d'atteindre son orbite, mais sa vitesse est telle
qu'elle effectuerait un tour autour de la Terre avant de se poser
à Kennedy, à la base d'Edwards (Californie) ou à
White Sands (Nouveau Mexique). Cette procédure d'abandon est
appelée "AOA abort" (Abort Once Around). A T + 5 mn 30 s, la
vitesse est cette fois ci suffisante pour que suite à l'arrêt
d'un moteur SSME, la navette atteigne une orbite certes plus basse que
prévue (environ 190 km contre 320 km) et instable, mais où
elle serait en sécurité. On appelle cela un "ATO abort"
(Abort To Orbit). Suivant la nature du problème détecté,
la navette pourrait retourner sur Terre selon un délai plus ou moins
long ou bien utiliser ses moteurs OMS pour se rapprocher de l'orbite
prévue et effectuer sa mission. Un "ATO abort" c'est produit le 29
Juillet 1986 lors de la mission Challenger STS-51F, lorsqu'à
T + 5 mn 46 s le moteur SSME central s'est arrêté (c'est
cette même mission qui avait connu quelques jours plus tôt
un arrêt des moteurs seulement 3 s avant le décollage...). Il
s'est avéré que le moteur lui même n'était pas
en cause et qu'il s'agissait d'un problème sur un capteur de
température. A 15 secondes près, la navette aurait dû
revenir sur Terre en effectuant un abandon de type "AOA" !
T + 6 mn 30 s: L'altitude de la navette est de l'ordre de 130 km. Il
reste encore 2 mn de combustion des moteurs SSME.
T + 7 mn 30 s: Depuis la séparation des boosters, les trois moteurs
SSME sont à plein régime, brûlant près de 1.4 T
de carburant par seconde... L'accélération est maintenant
proche de 3 g, une valeur que l'on ne doit absolument pas dépasser
car la structure de la navette commencerait à subir de sérieux
dommages. De même, une accélération de cet ordre serait
pénible pour l'équipage. La poussée des SSME est
donc à nouveau réduite. Ceci s'opère automatiquement,
mais il existe une procédure d'urgence qui consisterait à
couper manuellement un des trois moteurs si la réduction automatique
ne survenait pas.
T + 8 mn 30 s: "MECO !" (Main Engine Cut Off). Cela signifie que les
trois moteurs SSME ont été arrêtés et que
l'insertion en orbite est réalisée. Tous les bruits cessent
aussitôt et les astronautes passent instantanément de presque
3g à 0g ! Le fracas du décollage et de l'ascension, surtout
lorsque que les boosters rugissaient, semble loin derrière. La tension
aussi est retombée, autant du coté des astronautes, que du
côté des contrôleurs et des techniciens à Kennedy
et à Houston, et aussi... des spectateurs qui ont suivi le
décollage sur place ou à la télévision. Tout
le monde respire. En fait, les moteurs ne sont pas stoppés de
façon brutale, une réduction de la poussée est
opérée quelques secondes avant leur arrêt.
Pendant les 8 mn 30 s qu'aura durée l'ascension pour la mise en
orbite, environ 1700 T de carburant solide et liquide ont été
consumés, soit une moyenne de 3.3 T par seconde... A présent,
la navette file silencieusement à près de 27400 km/h sur une
orbite qui n'est cependant pas définitive. Les paramètres de
cette orbite sont variables suivant le type de mission.
Généralement, il s'agit d'une ellipse d'environ 296 km
(apogée) sur 64 km (périgée). Ce dernier point est
bien trop bas pour que la navette puisse rester durablement en orbite:
la friction des gaz atmosphériques, même très
raréfiés à cette altitude, l'amène
inévitablement à descendre petit à petit.
Aussi, à T + 45 mn, les moteurs OMS (Orbital Maneuvering System)
sont mis à feu pour circulariser l'orbite à environ 300 km d'altitude (une seconde mise à feu est parfois nécessaire
pour obtenir la circularisation). Cette orbite est bouclée en environ
90 mn, la vitesse étant de l'ordre de 27700 km/h. Les moteurs OMS
fonctionnent à l'hydrazine et au tétraoxyde d'azote. Leurs
réservoirs, d'une capacité de 8.6 T, sont situés dans
la structure de la navette, au niveau de la queue. Les moteurs SSME, quant
à eux, ne serviront plus pendant le reste de la mission. Le réservoir externe (ET) aura donc été éjecté
environ 20 s après leur arrêt. Ce dernier, d'une masse de 30 T,
se trouvant sur une orbite instable, il rentrera presque aussitôt
dans l'atmosphère ou il brûlera (certaines parties qui
résisteront à la rentrée s'abîmeront dans
l'océan Pacifique ou Indien).
La navette Challenger en orbite lors de la mission STS-7, juillet 1983 (Photo NASA).
Une fois la navette placée sur une orbite stable, la mission peut
réellement commencer. Un travail souvent très prenant et
épuisant attend les astronautes, heureusement entrecoupé de
moments calmes passés à admirer la Terre et les étoiles.
La formidable aventure continue pour les astronautes, qui ont bien de la chance...
Notes
- Les membres d'équipage des vols navettes sont au minimum de 5
(sauf pour les 4 premieres missions ou iln'y avait que deux) et au maximum
de 8 (théoriquement, il y aurait de la place pour 10... mais cela
poserait des problèmes d'intendance pour les vols de longue
durée). Notons au passage que la durée moyenne des missions
est d'une dizaine de jours (16 jours au maximun). la limite est
impossée par les réserves énergétiques: la
navette ne possède pas de panneaux solaires et ses piles à
combustible sont de capacité moyenne.
- C'est le commandant de la mission qui pilote la navette (manoeuvres
de correction et de changements d'orbite, de rendez-vous avec des satellites
déjà en orbite ou avec d'autres vaisseaux spatiaux comme Mir,
rentrée...). Le pilote joue le rôle du copilote dans un avion
de ligne.
Après un ou deux vols en tant que pilote, un astronaute est
généralement promu commandant de bord de la navette. Les
spécialistes de mission (MS) sont des astronautes qui pendant la
mission s'occupent des tâches telles que la manipulation du bras
robotisé (pour capturer ou lâcher des satellites en orbite),
les sorties dans l'espace (EVA), etc. Le spécialiste de mission
numéro 2 (MS-2) occupe une position "privilégiée"
car il assure le rôle d'ingénieur de vol (au décollage
et atterrissage), assistant ainsi le commandant et le pilote.
Les spécialistes de charge utile (SP: Payload Specialist) ne sont
pas des astronautes de carrière de la NASA, mais des chercheurs.
Il s'agit le plus souvent de scientifiques qui ont conçu et qui
vont mener leurs propres expériences à bord de la navette.
Leur entraînement est minimal à propos des systèmes
complexes de la navette, du moins en qui concerne le pilotage, la
navigation...
- La "White Room" est la petite salle qui vient s'accoler contre
l'habitacle de la navette sur le pas de tir pour permettre les derniers
préparatifs des astronautes et leur installation dans la navette.
- PAO (Public Affair Officer). Le PAO est un bureau responsable de
la diffusion des informations auprès de la presse. Le commentateur
du PAO est la voix que l'on entend et qui décrit, pour le public
présent sur le site et la télévision, tous les
évènements survenant lors de la mission.
- Pour une inclinaison de 62degrés, la navette, au cours de
son ascension, survole l'Océan Atlantique parallèlement
à la côte de la Floride, ne faisant donc encourir aucun
risque à la population. Pour obtenir une inclinaison plus grande
que 62degrés sur l'équateur, la navette serait amenée,
au moment du décollage, à survoler des régions
habitées, ce que la NASA se refuse à faire, surtout depuis
l'accident de Challenger en 1986.
- Grâce à ses ordinateurs, la navette se pilote elle
même.
A tout moment le commandant peut reprendre les commandes, mais cela
n'arriverait que dans un cas d'extrême urgence. Lors de l'ascension,
le vaisseau doit suivre une trajectoire optimisée au maximum que
seuls des ordinateurs peuvent assurer. La nécessité
d'optimisation de la trajectoire pour la navette pourrait être
comparable à celle qu'il faudrait assurer pour un avion de ligne
faisant la liaison Paris-Toulouse, et qui disposerait pour cela, que d'une seconde de carburant en extra...
Références:
Do your ears pop in space?, R. Mike Mullane, John Wiley & Sons Inc., 1997.
The space shuttle operator's manual, Kerry M. Joels et Gregory P. Kennedy,
Ballantine Books, New-York, 1998.
5... 4... 3... 2... Abort, Gregory Freiherr, Air&Space, Décembre
1995/ Janvier 1996.
Shuttle Challenger, David Shayler, Prentice Hall Press, New-York, 1987.
Space Shuttle, The history of developping the National Space
Transportation System, Dennis R. Jenkins, Walsworth Publishing Company, 1993.
La navette spatiale et le mythe de la rentabilité, Y. Candal,
Le fana de l'aviation, Octobre 1997.
Sur Internet:
Compte
rendu des missions
Classement des missions par
année
Manuel de référence technique de la navette et des
opérations
Planning des prochains vols navette
Biographie des astronautes des vols navette
Des milliers d'images des missions navette
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