L'ARTICLE DE L'ASTRONAUTE No.8 - Décembre 1998



APOLLO 8 : LE PREMIER BOND DE GEANT POUR L'HUMANITE
1ère partie: de la Terre à la Lune

Par Serge CHEVREL, Association Apollo25



Vacances de Noel 1968... J'allais sur mes 13 ans...
C'était un après midi empli d'une ambiance particulière, celle des préparatifs des fêtes de fin d'année. Nous étions allés en famille acheter des boîtes de chocolats et de retour à la maison, nous donnions une dernière touche à la décoration de l'arbre de Noel. Tous les ans, c'était un moment que nous attendions avec impatience, et qui était autant savouré que l'instant des cadeaux. Dans un coin de la pièce, la télévision était allumée. Un film de "Tarzan" passait, donnant une atmosphère qui contrastait étonnamment avec cette froide journée d'hiver. A un moment, tandis que la décoration du sapin touchait à sa fin, mon attention fut attirée par des images qui défilaient sur l'écran de télévision. Elles montraient des astronautes dans un vaisseau, lequel était en route vers la Lune. Sur l'instant, cela me parut incroyable. Des hommes avaient quitté la Terre et voyageaient vers la Lune! Je fus totalement captivé par le reportage et longtemps après que ce dernier fut terminé, je ne cessais de me répéter, tout au long de la soirée, que des hommes allaient pour la première fois tourner autour de la Lune. J'avais du mal à réaliser qu'ils allaient voir de près cet objet si lointain, si mystérieux et qui me fascinait de façon incroyable.
Assister pratiquement en direct à un tel évènement représente un moment important dans sa vie et un privilège. Bien plus tard, je réaliserais que les nouvelles de ce jour là et des suivants, concernant Apollo 8, avaient définitivement contribué à me propulser sur une voie ou la Lune allait occuper une place prépondérante.


LE VAISSEAU APOLLO
  1. Cône de protection pour le lancement
  2. Tunnel de sortie vers le Module Lunaire (LM)
  3. Parachute principal utilisé lors de l'amerrissage
  4. Habitacle des astronautes (volume: 6 mètres cube)
  5. Moteur-fusée pour stabiliser le vaisseau
  6. Antenne
  7. Attache pour la Tour de Sauvetage
  8. Moteurs de contrôle d'attitude (RCS) (quatre groupes de 4 moteurs)
  9. Piles à combustible fournissant l'énergie électrique et l'oxygène au vaisseau
  10. Tuyère du moteur principal (SPS)
  11. Réservoirs de propergols
(1) à (7): Module de Commande (CM)
(8) à (11): Module de Service (SM).
Schéma du vaisseau Apollo (ou CSM)
composé du Module de Commande (CM) et du Module de Service (SM).


Sans amoindrir l'importance historique du premier pas de Neil Armstrong sur la Lune, Apollo 8 était tout aussi important et a surement constitué le premier et véritable bond de géant pour l'humanité. Pourtant, cette mission n'était absolument pas à l'origine programmée en ce sens. Elle fut le résultat d'un concours de circonstances. Une chose prévue était qu'il devait s'agir de la première mission habitée lancée par la fusée géante Saturne V, dont cela serait le troisième vol. Les deux premiers vols de qualification (non habités) de la fusée se déroulèrent le 9 novembre 1967 (Apollo 4) et le 4 avril 1968 (Apollo 6). Lors de ce dernier vol, il s'agissait de tester la rentrée dans l'atmosphère du Module de Commande (CM) avec une vitesse proche de celle qu'il aurait en revenant de la Lune. Ce fut un succès, mais plusieurs problèmes furent rencontrés lors de ce vol, dont le non fonctionnement du moteur J-2 du troisième étage (S-IVB) de la Saturne V. Cela parut au premier abord très sérieux, au point d'abandonner l'idée de confier un équipage au lanceur pour son troisième vol. Cependant, les innombrables analyses et tests réalisés après le vol montrèrent que tous les problèmes qui avaient été rencontrés pouvaient être corrigés pour le prochain vol. Apollo 8 serait donc lancé comme prévu par une Saturne V, avec un équipage à bord.

L'objectif de cette mission, programmée pour décembre 1968, était de tester le comportement du Module Lunaire (LM) en orbite autour de la Terre. L'équipage prévu pour Apollo 8 se composait de James McDivitt (commandant), David Scott et Russell Schweickart. Entre temps, le Module de Commande (CM) et le Module de Service (SM) seraient testés courant octobre 1968 par Apollo 7, avec pour équipage Walter Schirra, Donn Eisele et Walter Cunningham , lancé par une Saturne IB. De nouveaux tests du LM et des procédures de navigations complexes pour des rendez-vous seraient effectués, toujours autour de la Terre, lors de la mission Apollo 9 dont l'équipage prévu était Frank Borman, William Anders et Michael Collins.
Ce planning, élaboré à l'issue du vol Apollo 6, allait être bouleversé car durant l'été 1968, il apparut que le LM ne serait pas prêt avant le mois de décembre. Des problèmes d'interférences électriques au niveau de certains systèmes du vaisseau retardaient sa construction par la firme Grumman à Long Island, près de New-York. Il était clair que le LM ne serait pas prêt à voler avant mars 1969... Le programme Apollo allait de ce fait conna”tre un certain ralentissement. Sans le module lunaire, le problème était de savoir quoi faire de la mission Apollo 8. Réaliser une mission de simulations de navigation et de rendez-vous entre le CSM (1) (voir aussi le schéma ) et le LM sans que ce dernier soit présent? Cela revenait un peu à répéter la mission Apollo 7. Dans l'éventualité ou le vol Apollo 7 se déroulerait de façon nominale (cela fut le cas), une telle répétition s'avérait inutile. C'est alors que George Low, responsable des véhicules spatiaux Apollo, eut l'idée plutôt audacieuse de mettre à profit ce retard dans le développement du LM pour faire réaliser au CSM un vol circumlunaire (en orbite autour de la Lune).
Une réunion de l'équipe de direction du programme Apollo eut lieu au Marshall Space Flight Center de Huntsville (Alabama) quelques jours plus tard pour discuter de cette idée. En fait, on y discuta le pour et le contre de quatre options possibles pour la mission Apollo 8. Ces dernières étaient un vol en orbite autour de la Terre, un vol à plusieurs milliers de kilomètres de la Terre, un survol de la Lune ou bien encore un vol avec mise en orbite autour de la Lune. Les membres de cette réunion, qui dura trois heures, furent pour la majorité convaincus qu'un vol circumlunaire était la meilleure option. Des détails restés dans l'ombre furent examinés cinq jours plus tard lors d'une autre réunion à Washington. Certains problèmes concernaient par exemple l'antenne grand-gain du vaisseau Apollo qui était encore incertaine pour les communications. Mais la mission pouvait être assurée avec une certaine sécurité en utilisant les antennes omni directionelles (seule la transmission télévision étant alors perdue).

On reporta le premier vol du LM (LM-3) sur la mission Apollo 9. Pour Apollo 8, il serait remplacé par un LM "factice" (dit "test article" en anglais), du même poids que le vrai, pour des problèmes d'équilibrage de la fusée. Tout semblait donc rentrer dans l'ordre dans le planning des missions. Sauf en ce qui concernait les équipages... En effet, Deke Slayton, le "patron" des astronautes, tenait à ce que McDivitt pilote le premier Module Lunaire car ce dernier s'était beaucoup impliqué dans le suivi du développement du Module. Depuis des mois, McDivitt vivait littéralement avec le LM... Il avait passé d'innombrables heures dans son simulateur et il était le seul à être parfaitement au courant de tous les détails concernant cet engin. De son côté, McDivitt tenait évidemment à être le premier pilote de ce vaisseau. La décision fut donc prise de permuter les équipages d'Apollo 8 et d'Apollo 9. L'équipage initial d'Apollo 8 (McDivitt, Scott, Schweickart) devint celui d'Apollo 9 et celui d'Apollo 9 (Borman, Anders, Collins) devint celui d'Apollo 8.

Ainsi, alors que son équipe aurait pu être la première à aller vers la Lune, McDivitt déclina cette opportunité. Dave Scott par exemple, qui était le pilote du module de commande s'accommoda de la décision de son commandant. Il était en fait davantage préoccupé de devoir abandonner son module de commande (le CM 103) à Jim Lovell. Pendant des mois, il avait bichonné "son" CM à l'usine de Downey (Californie) puis à Cap Kennedy et développé une entière confiance en ce dernier. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la "perte" du CM 103 pour le CM 104 fut une dure épreuve pour lui et il du être consolé par Collins, qui à l'époque, s'était beaucoup occupé de la préparation du CM 104 et qui lui assura que ce dernier était autant au point que le 103. Les astronautes sont parfois de grands sentimentaux... Un des " grands perdants" dans ce changement était plutôt Bill Anders, car il était initialement désigné comme le pilote du LM d'Apollo 9, et il se retrouvait maintenant sur Apollo 8, sans LM... Un pilote de vaisseau sans son vaisseau est toujours un peu triste, mais apparemment, il s'accommoda bien de la compensation qui était de devenir un des premiers humains à aller voir de très près la Lune. Bref, les équipages d'Apollo 8 et Apollo 9 furent permutés, au détail près qu'au cours de l'été 1968, Collins fut remplacé par sa doublure, Lovell, suite à des problèmes de santé. Collins manqua ainsi sa chance d'être l'un des trois premiers hommes à tourner autour de la Lune...

Ce sont donc Frank Borman (commandant)(à droite sur la photo ci-contre), William (dit "Bill") Anders (au centre) et James (Jim) Lovell (à gauche) qui finalement composaient Apollo 8.
Leurs doublures étaient respectivement Neil Armstrong, Edwin (Buzz) Aldrin et Fred Haise.
Deux des membres d'équipage de Apollo 8 étaient des vétérans de l'espace. En effet, Lovell en était à son troisième voyage dans l'espace (égalisant le record de Schirra en nombre de vols) après Gemini 7 (décembre 1965) et Gemini 12 (novembre 1966). 0n notera que Lovell commençait à prendre le rythme avec un vol par an depuis 1965! Borman en était à son second vol après Gemini 7 (avec Lovell). Anders allait quant à lui effectuer son premier vol.


Photo ci-contre: L'équipage d'Apollo 8: James A. Lovell, William A. Anders et Frank Borman. (Photo NASA S68-50265).


La décision finale d'un vol circumlunaire fut prise à la mi-Août 1968 et annoncée lors d'une conférence de presse le 19 Août par la NASA. Dans cette conférence, on restait tout de même prudent, annonçant que la décision d'un vol vers la Lune dépendrait du succès de Apollo 7.


Certes la mission Apollo 8 était motivée par le fait qu'elle donnait l'opportunité de tester le vaisseau (CSM) en trajectoire trans-lunaire et en orbite lunaire, ce qui représentait encore de grandes inconnues sur le plan de la technique du vol. Mais la décision était aussi fortement politique et tactique dans le contexte de la course à la Lune entre les américains et les soviétiques. Un vol habité vers la Lune représentait une grande première spatiale, au même titre que le premier satellite, le premier homme dans l'espace et le premier "piéton" dans l'espace. Or, toutes ces premières avaient été réalisées par les soviétiques (Spoutnik-Gagarine-Léonov). Les américains avaient aussi à leur actif quelques "premières", mais moins spectaculaires, telle que le premier rendez-vous et arrimage entre deux vaisseaux autour de la Terre. Un bruit courrait que les russes préparaient un vol circumlunaire avec un équipage... Il n'en fallait pas plus aux américains pour précipiter les choses. Il fut décidé que cette première spatiale ne leur échapperait pas.
A part quelques problèmes mineurs, la mission Apollo 7 se déroula parfaitement bien, ouvrant ainsi la voie vers la Lune pour Apollo 8.


Le 21 décembre 1968, à l'aube, à 7h51 heure de Cap Kennedy (12:51 TU), la fusée géante Saturne V décolle du pas de tir 39-A. Plus de 250000 personnes assistent au décollage. Onze minutes et vingt cinq secondes plus tard, Borman signale que le moteur du troisième étage est arrêté. Apollo 8 est en orbite dite de "stationnement" autour de la Terre, à une altitude moyenne de 180 km (185 x 176 km pour être précis; une orbite inclinée à 32.5 degrés et bouclée en 88 minutes).

A 02:27 GET (2) tandis que le vaisseau effectuait sa deuxième orbite, les mots magiques sont prononcés aux astronautes par le CapCom qui est alors Mike Collins: "You are go for TLI !". "Vous êtes bon pour la TLI", c'est à dire l'injection en trajectoire translunaire (Translunar Injection). Le message est bien accueilli à bord et 23 minutes plus tard, alors que Apollo 8 est au dessus de l'océan Pacifique, presque au dessus des îles Hawaii, le moteur J-2 du troisième étage de la Saturne V (l'étage S-IV-B) est mis à feu pendant 5mn19s. Cette mise à feu permet de dépasser la vitesse critique de 38760 km/h nécessaire à la libération de l'attraction de la Terre. Ainsi, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, trois hommes échappent à leur planète et prennent une trajectoire qui va les amener à être capturés par la force de gravitation d'un autre corps, en l'occurrence, la Lune.

L'instant de la TLI est un moment historique: l'homme s'affranchit de la Terre. Il quitte son berceau pour commencer sa lente mais inexorable progression dans l'espace. Il quitte sa planète pour poursuivre une destinée dont il n'a pour l'instant aucune idée. Une destinée qui pourrait être grandiose pourvu que l'homme acquiert un jour plus de considération envers lui même et l'univers qui l'entoure. Le moment est donc également symbolique. Même si un jour nous voyagerons dans tout le système solaire, il n'y aura pas d'autre moment aussi intense que celui d'Apollo 8, sauf peut être le jour ou nous échapperons à l'attraction de notre étoile pour tomber dans la sphère d'influence gravitationnelle d'une autre étoile...
A partir de ce moment, Borman, Lovell et Anders partent pour un voyage de près de 66 heures pour la Lune. Ils sont les terriens qui contemplent pour la première fois la Terre dans son ensemble. Et le choc est grand lorsque cette dernière leur parait si belle, mais aussi si vulnérable dans l'espace.


Pour la première fois des hommes contemplent la Terre de loin dans l'espace. (Photo NASA AS08-15-2561)

03:21 GET. Le troisième étage de la Saturne V, désormais inutile, est largué. Il terminera son vol en orbite autour du Soleil après être passé à proximité de la Lune. En attendant, il reste bien en vue du vaisseau car il est encore relativement près (à environ 250 m)... Un peu trop près même, au goût de Borman, si bien que ce dernier décide d'effectuer une petite manoeuvre (à l'aide des moteurs RCS (3) )pour s'en éloigner davantage.

04:53 GET. Le vaisseau est à environ 33600 km de la Terre. "Ca y est, la Terre est maintenant plus petite que le hublot à travers lequel nous la regardons! " s'exclame Lovell. " Je peux voir presque toute l'Amérique du Sud, quasiment depuis l'Amérique Centrale, le Yucatan et la péninsule de Floride". "Eh, dites au gens de Terre de Feu de mettre leurs imperméables car on dirait qu'il y a un orage là bas..." ajoute Anders.

05:08 GET. Les astronautes observent à environ 5 km devant eux un véritable feu d'artifice!. Il s'agit du troisième étage S-IVB (encore lui...) qui selon une procédure normale, est en train d'éjecter tout l'oxygène et l'hydrogène liquide qui lui reste. Cela rempli tout l'espace de milliers de gouttelettes qui flashent sous la lumière du Soleil... Le spectacle est féerique! Entre la vue du S-IVB et la Terre, les trois astronautes ne savent plus ou donner de la tête. Sauf que... sur les cinq hublots que comporte le Module de Commande, trois d'entre eux sont sérieusement "embués" et deviennent inutilisables pour observer au dehors! Cela est dû à un composant, servant à l'étanchéité des hublots, qui dégaze dans le vide et se dépose entre les trois couches de verre, rendant ce dernier opaque... Un comble! Trois hommes font le voyage vers la Lune et ils risquent de ne rien voir du paysage, comme s'ils se trouvaient à l'intérieur d'une boite de conserve!

05:33 GET. Moins de trois heures après la TLI, la distance à la Terre est de 41440 km. Cette dernière exerce une force moindre sur le vaisseau dont la vitesse a considérablement réduit. Elle n'est plus que de 13760 km/h et ne cesse de décroître au fur et à mesure que le vaisseau s'éloigne.

06:20 GET. Apollo 8 passe en mode dit PTC (Passive Thermal Control), plus communément appelé par les astronautes "le mode barbecue". En effet, le vaisseau dirige son plus grand axe en direction du Soleil, puis il se met a exécuter une lente rotation pour exposer alternativement chacune de ses faces au Soleil et ainsi réduire les différences de températures entre les parties directement éclairées et celles situées dans l'ombre. Il tourne cependant moins vite qu'un poulet à la broche, réalisant une rotation en une heure...

09:25 GET. L'astronaute Ken Mattingly, qui a pris son tour en tant que CapCom, demande à Anders de réaliser une purge des piles à combustible (oxygen fuel-cells) qui se trouvent dans le Module de Service et qui alimentent le vaisseau en électricité et en eau. Cette opération doit être effectuée toutes les dix heures environ. C'est au cours de cette opération qu'une des piles à combustible d'Apollo 13 explosera en avril 1970, endommageant gravement le vaisseau alors en route vers la Lune, avec Jim Lovell à bord...

11:00 GET. A plus de 96000 km de la Terre, l'équipage d'Apollo 8 effectue sa première correction de trajectoire prévue au plan de vol entre la Terre et la Lune. Le moteur principal du vaisseau, le SPS (Service Propulsion System), est mis à feu pendant 2.4 secondes, augmentant la vitesse de 27.2 km/h. C'est la première fois que ce moteur fonctionne depuis le début de la mission. Trente minutes plus tard, toujours selon le plan de vol, le commandant Frank Borman "se met au lit" pour une période de repos, tandis que Jim Lovell et Bill Anders vaquent à des taches ménagères...

13:30 GET (2h21 TU, le 22 décembre). Depuis tout à l'heure, Borman n'arrive pas à trouver le sommeil. Houston décide de mettre en veilleuse les communications avec Lovell et Anders afin que Borman puisse s'endormir.

22:50 GET. Tout est calme à bord d'Apollo 8 qui est à plus de 160000 km de la Terre. Il n'y a pas eu beaucoup de communications pendant ses dernières heures, les astronautes coupant parfois eux même la liaison avec Houston. Après avoir été pendant presque 24 heures sur la brèche, Lovell et Anders vont enfin pouvoir se reposer.

A bord du vaisseau, il y a un magnétophone sur lequel l'équipage enregistre parfois des informations et des messages non urgents destinés à Houston. Il s'agit en quelque sorte d'un "livre de bord" parlé, étant donné que très souvent les astronautes n'ont pas le temps d'écrire. A certains moments de la mission, le contrôle de mission demande aux astronautes de leur passer les messages qu'ils ont enregistrés.

Frank Borman, le commandant de la mission, à l'intérieur du vaisseau Apollo. Cette photo est une image tirée d'un film
16-mm pris à bord. (Photo NASA S68-56532.)

C'est en écoutant le dernier enregistrement que Houston apprend avec stupéfaction que vers 19:00 GET Borman allait plutôt mal, soufrant de nausées, de vomissements et de troubles intestinaux...

28:00 GET. Sur le circuit de communication privé avec les astronautes, Houston appelle Apollo 8 à propos des problèmes de santé de Borman. "Mike (Collins), C'est Frank. Je me sens beaucoup mieux maintenant. Je crois que j'ai eu une espèce de courte grippe". Plus tard, Borman mettra ce problème d'ordre médical sur le compte du somnifère qu'il avait pris pour parvenir à dormir. Pour la première fois, le docteur Charles Berry s'adresse directement (sans passer par le CapCom) à l'équipage et prescrit à Borman quelques médicaments. Une conférence au contrôle de mission a lieu tout de suite après. La situation est préoccupante (on pense à la grippe de Hong Kong qui fait des ravages à cette période dans le monde), mais la décision est prise de poursuivre le vol suivant le plan déterminé.

31:15 GET. On est pratiquement à mi distance entre la Terre et la Lune. Tout est redevenu normal à bord. La seule chose préoccupant un peu le docteur Berry est que les trois membres d'équipage mangent et boivent moins que prévu et surtout qu'ils commencent à manquer de sommeil. A présent, les trois astronautes sont en train de réaliser une présentation télévisée. Ils essaient de montrer la Terre, mais leur petite caméra ne peut pas rendre la beauté du spectacle qui s'offre à leurs yeux. Ils se rabattent alors sur des images maintenant classiques, mais inédites à l'époque, qui montrent les astronautes préparant leur repas ou faisant flotter divers objets en apesanteur.

55:10 GET (20:01 TU, le 23 décembre). Les heures ont passées calmement, au cours desquelles les trois hommes se sont occupés à faire du rangement, des contrôles de navigation (sur les étoiles), déplacer des antennes pour les communications avec la Terre, rentrer de nouvelles données dans l'ordinateur de bord pour affiner la trajectoire, et somnoler de temps en temps... A 320000 km de la Terre, ils font une deuxième émission de télévision, en direct. La Terre est très lointaine, ils peuvent maintenant la cacher avec le bout de leur doigt. Vue d'ici, Lovell la trouve comme si elle était inhabitée.

55:39 GET. Apollo 8 vient d'entrer dans la sphère d'influence gravitationnelle de la Lune. Cette dernière exerce maintenant une attraction plus importante que celle de la Terre. La vitesse du vaisseau, tombée à 3560 km/h, va se mettre à augmenter. A partir de cet instant, Borman, Lovell et Anders n'appartiennent plus à la Terre...

61:00 GET. La trajectoire de Apollo 8 était si parfaite pendant la majeure partie du vol que les corrections numéro 2 et 3 prévues dans le plan de vol ont été annulées. Cependant, de simples opérations comme le rejet des eaux usées hors du vaisseau donnent des impulsions qui modifient un peu la trajectoire. Une dernière correction est donc nécessaire à l'approche de la Lune. Les moteurs d'attitude (RCS) sont allumés pendant 11.8 secondes afin de ralentir un peu le vaisseau. La correction de la vitesse n'est que de 43 cm/s... ce qui a pour effet de ramener le péricynthion (le point de l'orbite le plus près de la Lune) du vaisseau à 112 km au lieu de 128 km.
Après cette manoeuvre de correction de trajectoire, tous les esprits se portent sur la manoeuvre critique dite de LOI (Lunar Orbit Insertion), ou d'insertion en orbite lunaire. Il s'agit de vérifier, plutôt dix fois qu'une, tous les systèmes du vaisseau ainsi que la navigation et tous les paramètres des ordinateurs.


La Lune vue par l'équipage de Apollo 8 lors de leur orbite lunaire (Photo NASA AS08-14-2506).

62:35 GET. Houston annonce à l'équipage que tout parait bon et que ce dernier peut prendre une petite période de repos.

68:12 GET (09:03 TU, le 24 décembre). Borman donne le signal de reprise des activités à bord. Ce dernier indique à Houston qu'il aimerait bien voir la Lune! Lors du mode "barbecue", l'orientation du vaisseau est telle que les hublots ne sont pas tournés vers la Lune. Ce problème de vision est aggravé, comme nous l'avons mentionné plus haut (voir 05:08 GET), par le fait que seulement deux petits hublots sont disponibles sur les cinq que comporte le vaisseau, pour cause "d'embuage". "C'est comme si on se trouvait dans un sous-marin." souligne Anders. En fait, seul Lovell a pu jeter un oeil sur la Lune, et encore, à travers le télescope du vaisseau... Vue depuis Apollo 8, la Lune apparaît comme un fin croissant.
Attiré par la Lune, Apollo 8 ne cesse d'accélérer. L'instant de l'insertion en orbite lunaire (LOI) approche, précédée par la perte de communication avec le vaisseau (LOS: Loss of Signal) au moment ou ce dernier passera derrière la Lune pour un observateur terrestre.

68:40 GET. La Lune n'est plus qu'à 2080 km et la vitesse est de 1971 m/s (7096 km/h).

68:48 GET. Nous sommes à dix minutes de la perte de signal. La vitesse est de 2084 m/s (7500 km/h) et la distance de 1520 km.

68:53 GET. Apollo 8 fonce vers la Lune avec une vitesse de 8000 km/h. La distance n'est plus que de 1070 km. La tension monte d'un cran au centre de contrôle de Houston. L'équipage ne dit rien, tant il est occupé à tout vérifier à bord pour préparer la manoeuvre de LOI.

68:57 GET. Le CapCom Jerry Carr signale aux astronautes qu'ils sont à une minute de la perte de signal (LOS) et que tous les systèmes sont "GO". Il souhaite un bon voyage à l'équipage. Anders lui répond: "Merci beaucoup les troupes. On vous retrouve de l'autre coté".

68:58 GET. On a perdu le contact avec Apollo 8 qui est maintenant derrière la Lune. A Houston, on ne plus rien faire sinon attendre que le vaisseau débouche de l'autre coté de la Lune, rendant ainsi les communications à nouveau possibles (AOS: Aquisition of Signal) dans 35 minutes. Borman, Lovell et Anders sont totalement coupés du reste des terriens et sont livrés à eux mêmes. Si tout va bien, d'ici 10 minutes, ils doivent procéder à la mise à feu du moteur SPS pour réduire leur vitesse et se faire capturer par la Lune. En cette soirée de réveillon de Noel, ils seront alors les premiers terriens à être satellisés autour de la Lune. De quoi laisser rêveur...


A suivre dans la deuxième partie: "AUTOUR DE LA LUNE"




Notes

  1. CSM: sigle employé pour désigner le vaisseau Apollo proprement dit, c'est à dire le Module de Commande (CM), qui est l'habitacle dans lequel se trouvent les astronautes, et le Module de Service (SM), qui est la partie compartiment moteur dans laquelle les astronautes ne peuvent accéder.
    Voir aussi le schéma .
  2. GET, sigle employé pour "Ground Elapsed Time", c'est à dire le temps écoulé dans la mission, décompté à partir de l'instant du décollage.
  3. RCS, "Reaction Control System". Sigle employé pour désigner les petits moteurs d'attitude se trouvant principalement sur le Module de Service.



Références:

  • Apollo expeditions to the Moon, E. M. Cortright (Ed.), National Aeronautics and Space Administration, SP-350, 1975.
  • Carrying the fire, M. Collins, Bantam Books, 1974.
  • Return to Earth, E. Aldrin and W. Warga, Random House Ed., 1973.
  • All we did was fly to the Moon, D. Lattimer, The Whispering eagle Press, 1988.
  • Apollo 8: "A most fantastic voyage", S. C. Phillips, National Geographic, Vol. 135, No.5, Mai 1969.
  • Apollo VIII, "A vastness of black and white", J. E. Catchpole, Spaceflight, Vol.40, No.12, déc. 1998.

    Et sur Internet:
    Apollo Missions


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