La fabrication des "chaussettes solaires"

Par Steve Annet  (Société Astronomique de France / Club d'Astronomie Caudrésien)

 

 

En préambule:

En 1999, lors de notre entraînement pour photographier tant bien que mal l’éclipse de soleil du 11 Août (que nous n’avons d’ailleurs pas vue …), nous nous sommes aperçus que les filtres classiques en verre pour l’observation solaire étaient très onéreux (surtout pour le haut de gamme aux bons rendements !). Ayant à l’époque des ressources économiques très limitées, en d’autres termes étant étudiant, la solution qui me restait alors était de me rabattre sur les filtres " feuilles " de type Mylar ou autres. L’adoption de cette solution ne s’est pas faite sans à priori avec les risques de déchirures, le réemploi hasardeux et la fixation de ces filtres par des moyens plus ou moins risqués. Tout y est passé : du ruban adhésif, du double face, une sangle, des élastiques, j’en passe et des meilleurs, … Bref, toutes ces manipulations abiment très vite le filtre et pour notre sécurité, nous devons en changer assez souvent ce qui entraîne un rachat de feuilles, et les budgets s’envolent très vite. J’ai déjà pu remarquer qu’un grand nombre d’astronomes amateurs hésitaient littéralement à remplacer leurs feuilles filtrantes ! Rappelons que les risques liés à la mauvaise utilisation des filtres ou tout simplement à de mauvais filtres sont sans appel : l’œil directement exposé reçoit tant d’énergie qu’il perd définitivement ses fonctions en quelques fractions de seconde, alors méfiance ! Une phase de tests dans une salle obscure avec un spot puissant permet de déceler en quelques instants les défaillances éventuelles d’un filtre ! Pour ce qui est de mon expérience personnelle, nous avions acheté au club un filtre solaire Thousand Oaks pour notre T150 qui , en de grandes occasions, était dédié à l’observation solaire sans risque. Choix raisonnable au vu de nos systèmes, certes performants, mais jugés aléatoires et risqués pour une utilisation grand public. Il s’est avéré qu’après plusieurs utilisations, de petits points sont apparus sur la face externe et interne du filtre. Après un test en milieu obscur, il s’est avéré que de petites têtes d’épingles lumineuses microscopiques apparaissaient face au spot lumineux ! Question sécurité d’utilisation à revoir … José a passé une journée entière à mettre de petites bulles d’encre de chine pour boucher l’ensemble de ces trous minuscules. Il est tout de même à noter que depuis cette période, il n’y a plus d’évolution du filtre. J’ai pu constater également que les nouveaux filtres de type Astro solar de cher Baader, pour un prix très raisonnable, peuvent servir une année complète à condition d’en prendre le plus grand soin, et ceci sans aléa particulier tout en offrant des qualités optiques supérieures. Enfin, tout cela nous amène à parler de la construction et de l’utilisation des filtres bricolés, pas chers et réutilisables ! Dans une première partie, à l’instar d’un livre de cuisine, je vais vous donner quelques explications sur la fabrication de ces fameuses chaussettes, puis je vous montrerai quelques applications et clichés réalisés avec ces filtres. Ayant récemment acheté une paire de jumelles 20x80, et au vu de ses performances sur la Lune, je me suis décidé à fabriquer de petits porte filtres solaires avec les " moyens du bord " en ne sacrifiant ni la performance, ni la sécurité. Je vais donc faire un rapide inventaire du matériel dont j’ai eu besoin :

Matières premières :

Un morceau de tapis de gymnastique, un vieux calendrier cartonné, une feuille format A4 de filtre Astro Solar et six petites vis avec écrous.

Pour l’assemblage :

Du ruban adhésif, du double face et de la colle forte de type glue.

Pour les prises de mesures et traçages :

Une simple règle ou un réglet métallique font très bien l’affaire, un feutre et un compas.

Pour la découpe :

Un cutter et une paire de ciseaux robustes.

Pour l’amélioration du système et l’esthétique :

Un peu de peinture blanche, du feutre noir et … c’est tout !

Alors … parés pour la construction ?

1er étape : La constitution du manchon support .

Pour faire une bonne chaussette solaire, (l’originalité de ce mot tient à ce que le filtre s’adapte parfaitement au tube de l’instrument) il faut s’attacher à faire un support de filtre sur mesure. En effet, chaque tube possède ainsi son propre porte filtre. Pour y arriver, c’est très simple. Dans un premier temps, pour la construction du manchon de couplage avec l’instrument, il suffit de prendre les mesures sur le tube de l’instrument en y appliquant directement le matériau utilisé. Le tapis de gymnastique se prête miraculeusement bien à cette manipulation puisqu’il épouse tous les types de formes du carré au cercle, en passant par l’ovoïde. La matière du tapis de gymnastique est parfaite et serre " juste ce qu’il faut " le tube de l’instrument.

A propos, c’est également un très bon matériau pour faire des pares buée semi-rigides et très efficaces !

Il faut veiller à laisser assez de support pour assurer un couplage franc entre le porte filtre sur le tube (ne pas hésiter à en mettre plus que nécessaire), sinon, à la moindre brise, ou au basculement de l’instrument, le porte filtre se déchausse et mettre en danger les yeux de l'observateur ! Dans un second temps, toutes les mesures prises et les bandes de tapis découpées proprement au cutter, il faut rouler celles-ci pour leur donner la forme adéquate en les enrobant de ruban adhésif pour qu’elles puissent conserver la forme désirée. Une fois nos cylindres prêts, et ayant passé à la vérification de l’essayage, il faut maintenant s’occuper des supports qui vont pincer le filtre et assurer le raccord entre le manchon et le filtre.

 

2ème étape : La fabrication des supports de filtres

Là, le vieux calendrier cartonné va être mis une dernière fois à contribution. En effet, à l’intérieur de celui-ci, nous allons découper des anneaux aux dimensions de l’ouverture de notre instrument.

[Par exemple : le cercle interne correspond à l’ouverture maximale de l’instrument et le cercle externe correspond à cette dernière distance augmentée de plusieurs centimètres pour permettre l’accrochage du manchon, la fixation des anneaux entre eux, ainsi qu’une protection efficace du tube de l’instrument et de l’observateur face aux radiations solaires.]

Deux sont nécessaires pour chaque porte filtre. Ces anneaux découpés, une fixation sur les manchons doit être réalisée.

 

 

3ème étape : L’ assemblage de plusieurs éléments

Il suffit de badigeonner avec une colle très forte de type glue la tranche d’un manchon et de le coller concentriquement sur un anneau pour obtenir un espèce de chapeau de magistrat. Il faut veiller à ce que le collage soit parfait et résiste à plusieurs tractions des deux parties. J’ai dû réaliser quelques essais de collage pour tester la non réaction des deux éléments à la colle (certaines colles sont corrosives surtout pour des matières de type tapis de gymnastique !) ainsi que la résistance à l’arrachement.

 

4ème étape : La fixation du second anneau

Des trous doivent être percés dans la matière restante des anneaux pour permettre de passer de petites vis contribuant à l’assemblage des deux anneaux entre eux.

  

5ème étape : l’emballage final

 

 

Après ces 4 étapes, nos porte filtres sont presque prêts ! Une petite couche de peinture blanche sur la face avant et arrière (pour rejeter le flux thermique) peut rendre plus agréable l’utilisation de ces porte filtres. L’assemblage de l’anneau de fermeture et de la feuille Astro Solar se fait très simplement avec du collant double face disposé de telle sorte qu’il tapisse la face intérieure de l’anneau de fermeture (celle non exposée au soleil). Il ne reste plus qu’à appliquer l’anneau sur le filtre, celui-ci doit adhérer parfaitement à l’anneau puis de découper l’Astro Solar proprement au cutter.

Ensuite, il suffit de réunir les deux parties : le porte filtre d’un côté et l’anneau équipé du filtre de l’autre par l’intermédiaire des petites vis.

Et le tour est joué !

 

Voici un petit synoptique qui facilitera la compréhension du montage

de cette « chaussette solaire ».

 

En route pour les observations !

 

Pour les diamètres d’instruments supérieurs, d’autres techniques sont à employer pour donner plus de fiabilité et de rigidité à l’ensemble. Cependant la philosophie reste la même : un maximum de performance et de sécurité pour un coût le plus bas possible !

 

 

 Ci-dessus une chaussette solaire réalisée pour mon MK66 un Maksutov de 150mm de diamètre.

Ce type de dispositif m’a donné de bonnes images des taches solaires , et lors du passage de Mercure devant le soleil le 07 Mai 2003 !

     

Ci-dessus, quelques prises de vues de taches solaires en Juin 2003.

 

Le 07 Mai 2003, la planète Mercure rejoignant le limbe du disque solaire.

Ci-dessus deux prises de vues réalisées aux RASSP en Août 2003

J’espère que vous ferez bon usage de ces quelques conseils de construction ! L’observation solaire et l’utilisation de filtres doivent être réalisées avec la plus grande prudence et ne s’adressent qu’à un public averti ! Pour ma part, à travers quelques mois d’observation, les filtres " feuilles " bien montés et surveillés, ne présentent pas plus de risque que les filtres en verre.

A force d’observations et de comparaisons je pense même que la qualité optique des feuilles traitées de type Astro Solar dépasse nettement celle des filtres classiques en verre car ces feuilles sont extrêmement fines, et la longueur d’onde d’émission de l’image résultante dans la couleur bleu renforce la perception des fins détails sur les taches solaires et les facules.

Et pour une fois, les coûts de revient des filtres feuilles sont les plus bas !

Je vous souhaite à tous de bonnes observations solaires !

 

Steve / Janvier 2004