Techniques d’imagerie du Soleil en lumière blanche

 

Christophe Béthune

Société astronomique de France

Commission Acquisition et Traitement de l’Image

christophe.bethune@worldonline.fr

http://www.astrosurf.com/astrodryat

 

 

L’astronomie est une activité presque toujours nocturne ce qui peut parfois sembler rebutant ! Il ne faut cependant pas oublier que l’astre de jour présente également beaucoup d’intérêt. Son observation peut de plus se faire assez facilement, en lumière blanche, avec un matériel modeste. Pourquoi alors ne pas s’essayer à la photographie solaire ou perfectionner sa technique pour être tout à fait au point pour le transit de Vénus en juin prochain !

 

Matériel nécessaire

 

Tout d’abord, il est important de préciser que l’imagerie solaire, tout comme l’observation requiert l’emploi INDISPENSABLE d’un filtre pour éviter toute dégradation de ses instruments… et de son œil. Divers matériaux existent, Astrosolar, polymère, verre ! Les deux premiers sont assez peu onéreux (ce sont de « simples » feuilles) et donnent d’assez bons résultats mais il faut savoir qu’ils sont fragiles et que la moindre pliure à leur surface peut les rendre dangereux d’utilisation. Par ailleurs, les feuilles Astrosolar donnent une image bleutée tout à fait inesthétique en photographie couleur obligeant d’avoir recours au noir et blanc. Les filtres verre sont beaucoup plus chers (parfois plusieurs centaines d’euros suivant le diamètre de l’instrument) mais ne se déforment pas et donnent au final des images plus fines. Il en existe de plusieurs types. Les plus utilisés sont de densité 4 ou 5. C’est à dire qu’ils laissent passer 1/10000ème de la lumière ou 1/100000ème . Les premiers sont dits « photographiques » et les seconds « visuels ». Nous reviendrons plus tard sur leur utilisation respective mais, dores et déjà, on peut considérer que les photographiques seront réservés à l’imagerie argentique et que les visuels seront utilisés avec les webcams, appareils numériques… et bien entendu le dessin. D’autres filtres peuvent s’avérer être utiles, surtout en imagerie numérique noir et blanc pour renforcer le contraste des images, ce sont les filtres verts légers (W56). Les filtres anti infra rouge améliorent aussi le rendu de certains capteurs numériques mais restent assez onéreux.

 

De nombreux types d’instruments seront utilisables. Pour des images de groupes de taches en « gros plan », il sera nécessaire d’avoir recours à un télescope ou une lunette, motorisé de préférence pour plus de facilité. Pour des vues plus larges (éclipse partielle ou transit de planètes par exemple), un objectif photographique peut tout à fait suffire. Concernant leur mise en œuvre, et contrairement à l’utilisation nocturne, une mise en température « longue » n’est pas toujours idéale. Les meilleurs résultats obtenus à mon niveau l’ont été avant que le télescope ne chauffe trop, c’est à dire dans la première demi heure suivant sa mise en station. Ceci est d’autant plus vrai si on utilise un filtre en Astrosolar qui a tendance à gondoler avec l’augmentation de température, déformant ainsi l’image et nécessitant une correction de mise au point fréquente.

 

Enfin, comme nous l’avons déjà évoqué, le « système captureur » pourra être un appareil photographique argentique, numérique, une caméra CCD, une webcam… ou votre œil dans le cas du dessin. Notre sujet sera plutôt dédié aux techniques numériques qui ont montré de grandes capacités et une facilité d’utilisation bien supérieure à la photographie argentique.

 

La photographie argentique

 

De loin la plus ancienne technique (si on exclut le dessin), elle perd petit à petit de son champ d’action. En effet, les handicaps sont nombreux : forte exigence quand au matériel utilisé et à la compétence de l’opérateur, résultats aléatoires et bien souvent décevants, coût du traitement dans des laboratoires pas toujours très « professionnels », forte dépendance des conditions climatiques… Il n’en reste pas moins vrai qu’elle garde toutes ses lettres de noblesse pour les captures de Soleil en une fois (ou « one shot ») où tous ces inconvénients sont moins pénalisants. Les montages optiques sont très variables : téléobjectifs, au foyer d’un instrument avec l’aide d’une bague T (1900 mm de focale permettent tout à fait de « faire tenir » notre astre dans le champ d’un 24X36) ou derrière un système grossissant (projection oculaire, lentille de barlow… ou les 2). Cette dernière possibilité est la plus exigeante car on travaille dans ce cas avec des rapports d’ouverture (FD) de 40 ou plus ce qui pose problème pour la mise au point, le suivi du télescope, mais aussi l’influence de la turbulence.

Bon nombre d’appareils réflex sont capables de calculer en automatique les temps de pose mais il faut savoir que, suivant la sensibilité des pellicules choisies, ils pourront varier de 1/1000ème de seconde pour les Soleils en une fois à près de une seconde pour les gros plans de taches. Pour réduire au maximum ces temps de pose, l’emploi de filtre de densité 4 ou photographiques sera indispensable (transmission 10 fois supérieure aux filtres visuels)

 

Le traitement des pellicules ( qu’elles soient couleur ou noir et blanc, à l’exclusion des TP 2415 qui nécessitent un traitement non standardisé) sera bien souvent confié à un laboratoire spécialisé mais il nous restera ensuite la possibilité de numériser avec un scanner le négatif, la diapositive ou même le tirage papier pour lui appliquer un jeu de correction de gamma, de contraste ou un masque flou avec un logiciel de retouche photo standard comme Photoshop Paint shop pro et ainsi fortement améliorer le rendu final.

 

Comparatif de champ couvert suivant la technique employée:

-à gauche, photographie réalisée avec un appareil Minolta 5000 i au foyer d’un ETX 125 (1900 mm de focale)

-à droite, image capturée le même jour avec une webcam Philips Vesta pro au foyer du même instrument.

 

 

Les caméras CCD et les webcams

 

Nous aborderons simultanément ces deux types d’instruments car ils sont à peu près similaires sur leurs capacités, fonctionnement et sur les montages optiques réalisés. Les webcams utilisées en astronomie sont équipées de capteurs CCD comme leurs grandes soeurs. Elles fonctionnent par l’intermédiaire du port USB et ont l’avantage par rapport aux caméras CCD astro de pouvoir filmer en continu le sujet désiré, en couleur ou en noir et blanc. Les dernières créations en la matière sont les Philips ToUcam pro 2 et les Quick cam pro 4000. Leur inconvénient majeur réside dans la petitesse de leur capteur ( au mieux un quart de pouce pour 300000 pixels). Ce problème touche également, même si c’est dans une moindre mesure, les caméras CCD qui dépassent rarement le million de pixels.

Les captures en une seule fois du Soleil ne seront possibles de ce fait qu’avec des lunettes de très courtes focale pour les caméras CCD et avec des objectifs photographiques de moins de 250mm de focale pour les webcams (au détriment alors de la résolution). Une autre possibilité est de recourir au sport de la mosaïque mais ceci est délicat à réaliser sur le Soleil car aucun repère n’y est visible.

Leur champ de prédilection sera donc plutôt la capture des groupes de taches avec des caméras placées au foyer des instruments de focale allant de 1900 à 4000mm de focale (lunettes, Schmidt-Cassegrain ou mieux Maksutov-Cassegrain au rapport FD élevé). Pour atteindre ces valeurs, on optera plutôt pour l’utilisation de lentilles de barlow et non de la projection oculaire.

La résultats obtenus avec ces caméras sont bien souvent très supérieurs à ceux de la photographie argentique. En effet, pour les caméras CCD, la dynamique, la qualité des capteurs et leur forte sensibilité autorisent des temps de poses très courts limitant les aléas liés à la turbulence. Les webcams, quant à elles, pallient à leurs petites déficiences par leur capacité à capturer des centaines d’images en quelques dizaines de secondes et donc de figer les quelques instants de netteté (on capture bien souvent 10 images par secondes durant une à 2 minutes, caméra laissée en mode automatique pour le réglage luminosité/contraste et pour le temps de pose).

La contrepartie de cette forte sensibilité est de mettre en évidence très rapidement le vignettage optique et la présence éventuelle de poussières sur le capteur. La théorie veut que l’on réalise une autre série d’image sur un fond uniforme (ciel bleu, zone de Soleil sans taches…) ne montrant que ces « défauts » et de les diviser aux images de groupes de taches pour « gommer » ces imperfections. Tout ceci se fait de façon automatique avec des logiciels tels que Prism ou Astroart pour ne citer qu’eux. Il est possible de s’affranchir de cette opération en faisant se déplacer dans le champ de la matrice, lors de la capture, le groupe de taches pour que le vignettage et les poussières (eux toujours situées au même endroit sur les images au pixel près) soient gommés lors du compositage.

 

Le traitement des images passera préférentiellement donc par le compositage c’est à dire la superposition et l’addition d’images unitaires pour lisser le bruit (granulations artéfactuelles générées par le capteur) et donc autoriser ensuite un traitement renforçateur de contraste.

Pour ce faire, on peut utiliser de nombreux logiciels astro, certains payants, d’autres gratuits sur Internet. On peut citer Prism 5 et Astroart pour les payants; Iris et Registax pour les gratuits. Ces logiciels (à l’exception d’Astroart) sont capables de traiter ou de convertir en direct un film capturé par une webcam en images unitaires. Il leur est possible ensuite de sélectionner les meilleures, de parfaire leur superposition, de les empiler et de les traiter enfin. Prism et Registax font ces opérations en automatique grâce à des menus déroulants. Iris nécessite la frappe de scripts certes allégés dorénavant comme « compute_trichro1 » par exemple. On appliquera ensuite des algorithmes de type ondelettes, masque flou ou même vancittert. Il faudra cependant rester prudent. En effet, même si nous avons au préalable composité 20 à 40 images, un surtraitement peut être facilement atteint. Les grains de riz sont en effet difficilement capturables mais des artéfacts les simulant sont aisément visualisables si les paramètres d’amplification des couches d’ondelettes sont trop forts. D’une manière générale, les « vrais » grains de riz ne peuvent être mis en évidence que simultanément aux filaments concentriques présents dans les taches.

 

Image brute d’un groupe de taches solaires capturé le 04/05/2003 avec une webcam Philips Vesta pro au foyer d’un ETX 125 (focale 1900mm). Notez la différence entre l’image brute (à gauche) et l’image compositée et traitée par ondelettes (à droite)

 

Les appareils numériques 

 

Ce sont les derniers arrivants dans l’astrophotographie. Ils sont bien souvent équipés de capteurs CMOS, de moins bonne qualité que les CCD, mais cette technologie fait de grands progrès et les résultats obtenus se nivellent peu à peu. Ils ont par contre l’avantage, par rapport aux CCD astro ou aux webcams d’avoir des matrices de plusieurs millions de pixels, donc de plus grande taille. Cet avantage sera décisif sur la finesse des images obtenues mais aussi sur le champ couvert. Presque tous équipés d’objectifs fixes (sauf pour quelques appareils Canon à objectifs amovibles), il faudra donc les adapter sur son instrument derrière un système de projection oculaire. L’appareil sera lors réglé sur l’infini en mode manuel et la mise au point se fera par l’intermédiaire de la crémaillère du porte oculaire. Il va sans dire que la qualité des oculaires choisis influera directement sur le résultat final (les super plössl, lanthanum ou équivalents seront bien entendu supérieurs aux « simples » Kellner ou Huygens). Il est tout à fait possible de laisser l’appareil faire des réglages automatiques pour les temps d’obturation mais, dans certains cas, des réglages manuels rapides seront obligatoires surtout si le groupe de taches se situe en bord de limbe, donc dans une région très contrastée. Tout les avantages de l’argentique et du numérique sont ici réunis : bonne définition, aperçu en direct du résultat obtenu par l’intermédiaire du petit écran LCD situé à l’arrière de l’appareil, facilité de retouche et de traitement des images obtenues. Un dernier atout de l’emploi des APN réside, à l’instar des webcams, dans leur grande tolérance vis à vis du suivi du télescope. Alors que la photographie argentique nécessite pour les gros plans un suivi impeccable car les temps de pose peuvent dépasser le quart de seconde, la sensibilité du capteur numérique permet de s’affranchir de ce problème en autorisant des poses très courtes quelles que soient les situations.

 

Le traitement des images est identique à celui des caméras CCD ou webcams. On pourra avoir recours au compositage ou au traitement d’images uniques. Le compositage, comme nous l’avons déjà évoqué, limite lors d’un traitement poussé par ondelettes ou masque flou l’apparition d’artéfacts et l’amplification disgracieuse du vignettage optique, à condition d’avoir déplacé le sujet de quelques pixels entre chaque capture. La théorie voudrait de toute façon que l’on divise par une PLU chaque image unitaire avant traitement, mais la solution de facilité est parfois plus plaisante.

 

Conclusion

 

Comme vous l’avez vu, l’observation de Soleil en lumière blanche peut se révéler passionnante surtout si on la met à profit pour parfaire sa technique photographique. Que ce soit avec une technique plus ancienne comme la photographie argentique ou avec la dernière née que sont les APN, il est tout à fait possible d’obtenir de superbes clichés exploitables par la commission Soleil de notre association. En effet, le suivi et l’évolution de groupes de taches sur plusieurs jours peuvent être tout à fait intéressants. Il en est de même pour les mesures résultant de captures correctement documentées (heure, date, site…) de phénomènes plus rares comme les transits de Mercure en 2003 ou de Vénus en 2004. J’espère que ces quelques lignes vous donneront envie d’obtenir de belles images et pourquoi pas de me les envoyer pour la rubrique « Portraits célestes ».

 

Exemple de montage possible pour la photographie solaire avec un Maksutov-Cassegrain type ETX. Grâce au flip mirror intégré, il est possible de capturer en alternance des images webcam et de photographier en grand champ en argentique. Une simple mise au point est à réaliser lors du passage de l’un à l’autre. Notez la protection aussi installée sur le chercheur pour éviter tous dégâts.

 

 

Logiciels « astro » utilisés

 

Astroart : http://www.sira.it/msb/astroart.htm : Un des logiciels les plus conviviaux et les plus évolutifs de par sa possibilité de recevoir des Plug-in spécifiques des différents modèles de caméras CCD astro mais aussi maintenant des webcams : capture d’images unitaires, autoguidage,  traitement et depuis peu la « vraie » pose longue.

 

Astrosnap : http://astrosnap.free.fr/ : logiciel gratuit de pose longue pour webcam, soit par intégration de poses courtes, soit par pilotage des webcams Philips modifiées. Il offre en outre la possibilité de faire des captures en rafale d’images mais pas de films au format AVI.

 

Iris : http://astrosurf.com/buil/ : Un must en traitement des images astronomiques créé par C.Buil.

 

Prism : http://www.astrosurf.com/prism : Traitement des images astro en tout genre.

 

Qcfocus : http://astrosurf.com/astropc/  : le logiciel créé par P.Chevalley qui permet à le fois la focalisation, la gestion de la pose longue avec les webcams modifiées mais aussi la capture des séquences au format AVI

 

Registax : http://aberrator.astronomy.net/registax : logiciel en langue anglaise de sélection, registration et traitement des images webcams.

 

 Petit glossaire

 

Bruit : C’est un terme que l’on emploie pour décrire la qualité d’une image ou d’une photographie. Plus cette image sera granuleuse et plus elle sera dite « bruitée ».

Le traitement numérique a pour but de diminuer ce bruit tout en augmentant le contraste.

 

CCD  (Charge Couple Device) et CMOS : C’est le système électronique qui permet la capture des images. Le principe est le suivant : des puits à photons (les pixels) sont placés en grand nombre sur une plaque (sur un capteur de Vesta Pro, il y a 659x494 pixels). Chaque pixel collecte une quantité de photons qui est fonction de la luminosité et les retranscrit en électrons utilisables par le système informatique. L’ordinateur les interprète et forme l’image (on comprend aisément que plus la pose est longue et plus le « puits » collecte de photons et peut ainsi révéler des objets peu lumineux !)

Les CMOS sont également des capteurs CCD mais de conception différente ce qui se traduit par un coût de fabrication plus faible, une sensibilité moins bonne et donc des résultats plus médiocres qu’avec les  « vraies » CCD. Tout cela justifie de faire le distinguo partiellement faux : CCD/CMOS.

 

Compositage : C’est le maître mot du traitement des images numériques qu’elles soient réalisées avec une webcam, un APN ou une caméra d’astronomie. Il consiste à « additionner » un grand nombre d’images (au moins 20 à 30 avec une webcam) pour augmenter le ratio signal/bruit, c’est à dire, augmenter les détails visibles sans pour autant augmenter l’aspect granuleux de l’image.

 

Flat (ou PLU) : C’est une image qui prend en compte les irrégularités de sensibilité des pixels du capteur, mais aussi les irrégularités de transmission de lumière due au montage optique lui-même (poussières essentiellement, mais aussi vignettage, etc…) Il faut ensuite la diviser à son image brute pour la « nettoyer » de ces imperfections.

 

Focale : (F) C’est la distance qui sépare le miroir primaire (ou l’objectif s’il s’agit d’une lunette) du point où les rayons lumineux convergent. Plus la focale est longue et plus le télescope grossit l’image et moins il est lumineux. On parle de ce fait souvent du rapport F/D (où D est le diamètre du miroir primaire). Pour simplifier cette notion, disons que quand ce rapport est inférieur à 5, le télescope est plus destiné au ciel profond ; lorsqu’il est proche de 10, le télescope est polyvalent ; lorsqu’il est supérieur à 15, le télescope est destiné à l’observation planétaire. Il est donc important de savoir que pour l’imagerie webcam planétaire, un F/D de 15 ou plus sera particulièrement indiqué.

 

Ondelette : traitement de base des images compositées (tout comme le masque flou). Le logiciel sépare l’image en couches de moins en moins bruitées mais également de moins en moins détaillées. L’addition amplifie de façon sélective ces différentes couches et permet d’obtenir une image « dépourvue » de bruit, mais possédant tout de même les détails. Ceci est très utile en imagerie planétaire.

 

Vignettage optique : Le vignettage est un phénomène essentiellement observé sur les instruments possédant un système optique avec une obstruction centrale : Schmidt Cassegrain, Maksutov Cassegrain, Newton (dans une moindre mesure)…

Les lunettes échappent bien souvent à ce problème. Il se manifeste par une différence de luminosité sur l’image (on voit très nettement un disque plus lumineux au centre de l’image) qui est d’autant plus importante que la pose est longue mais aussi que la focale est courte. Ce phénomène, par exemple avec un Schmidt Cassegrain, est acceptable à FD 10, un peu moins à FD 6,3, mauvais à FD 5 et catastrophique à FD 3,3.

On peut diminuer son effet par l’application d’une PLU ou flat.