L'Éclipse totale
du Soleil du 11 août 1999
à Loueuse (Oise)

Joseph Renier

 

Disposer, quelques jours avant une éclipse de Soleil, d'une lunette de 150 mm, d'un filtre neutre radial, d'un sidérostat, et se retrouver au bord de l'axe de la totalité, c'est une chance à saisir pour tenter quelques clichés de la couronne solaire (à condition que le temps s'y prête !!!). C'est aussi l'obligation de réussir convenablement la « mise en station ». Non seulement l'alignement des instruments doit être parfait, mais encore faut-il que leur axe commun soit fortement incliné parallèlement à l'axe des pôles. À la latitude de la Picardie, ce n'est pas évident.

Matérialiser la méridienne sur le sol est la première opération

La méthode employée consiste à « relever » le soleil à un instant quelconque et à calculer son azimut pour obtenir la direction Nord-Sud. D'où la construction d'un « taximètre » comportant deux disques superposés et une mire faisant office d'alidade. Le disque supérieur est d'un diamètre précis, 1,146 m, de sorte qu'un angle de 1° correspond à 1 cm sur le périmètre. Un tube métallique sert de mire. L'heure est prise au chrono.

Le calcul de l'azimut terminé, la mire est pivotée de l'angle trouvé et une nouvelle visée détermine sur un mur un petit cercle dont le centre est la direction cherchée.

Un simple fil tendu entre deux repères éloignés matérialise le plan méridien de l'endroit où va se faire la mise en place de la lunette. Cette première opération a été faite le 7 août 1999 à 17 h 46 m 18 s (T.U.), le Soleil étant dans l'Ouest assez bas sur l'horizon.

 

Coordonnées de Loueuse : latitude (phi), 49° 26' 15'' N ; longitude, 1° 49' 25'' E
Déclinaison du Soleil à l'heure du relevé : D = 16° 23,94' N
Angle au pôle du Soleil : P = 5 h 47,85 m Ouest
Heure (T.U.) du passage au méridien de Paris : T = 11 h 56,4 m
Écart en longitude Paris-Loueuse : 2 m 05 s
tg z = sin P / tg D cos phi - sin phi cos P, d'où z = N 81,4° Ouest
Sur le cercle horizontal, le Sud est à 986 mm puisque 1,146 m x pi
 = 3,6002... m.

Le tube de diamètre intérieur 12 mm et de 1,30 m de long découpe sur le ciel un disque tel que tg alpha/2 = 6/1300, soit alpha = 31,7', et le Soleil a pour diamètre 32'.

Pivotée plein Sud, la mire découpe sur un mur distant de 26 m un disque de (12 x 26) / 1,3 = 240 mm. Son centre est le repère retenu.

 

Installation de la lunette : « mise en station »

Un socle en ciment et quelques parpaings pour soutenir une dalle de granit poli de 90 kg (1,20 m x 0,80 sur 3 cm d'épaisseur) et mise de niveau par vérins. Sur cette dalle, une construction rigide formant un plan incliné à 49,4°, boulonnée sur deux grosses équerres en tube 40 x 40 mm. Un fil à plomb pointe sur un réglet horizontal pour contrôler l'inclinaison. Lunette et sidérostat, alignés par auto-collimation dans une goulotte en forme de U, sont installés sur le plan incliné. L'obturateur sera modifié pour fonctionner par gravité sous un tel angle. La mise au point reste à faire...

La couverture nuageuse empêchera pendant trois jours de procéder aux essais et réglages. Daniel Poncin, accouru de Bayonne pour la circonstance dès le lundi soir, partagea mes préoccupations.

Mercredi 11 août 1999

3 h 00 du matin, réveil. Dehors, le ciel est couvert. Aucune étoile. La nuit est tiède, il a plu. Le vent toujours à l'Ouest sème la résignation.

À 6 h, le petit matin qui vient de se lever est encore bien gris. Il ne reste que cinq heures avant l'éclipse ; et tout à coup le volet qui vient de battre signale une saute de vent. Est-il raisonnable de s'accrocher à ce faible espoir, le vent d'Est ? Si la météo nous accordait sa clémence, il faut absolument tout mettre en œuvre et démonter la lunette pour tenter une mise au point acceptable. Entre 7 et 8 heures, l'horizon reste imprécis, les lointains sont ternes, la visibilité réduite. Seul un petit château d'eau, à 2,5 km, affiche un contour un peu net. Daniel Poncin fait de son mieux et réussit une mise au point sinon parfaite, du moins satisfaisante.

À 9 heures, la lunette a repris sa place. Les nuages se sont éclaircis par endroits, des lambeaux de ciel bleu apparaissent, l'espoir renaît sérieusement. Quand le Soleil enfin surgit dans une trouée, vite il faut en profiter pour régler le sidérostat en « heure » et « déclinaison ». Les nuages vont et viennent, le centrage sur le dépoli se fait difficilement. Le temps passe et le suspense continue.

À 11 heures, le Soleil commence à se faire grignoter alors que, tout autour de nous, les trajectoires des nuages semblent converger au plus mauvais endroit. La tension continue de monter. Un grand silence plane sur l'assistance. Il est midi, les réglages en resteront là ; et il est temps de remplacer le dépoli par le chargeur de plaques 13 x 18.

Chacun retient son souffle, cependant que le Soleil n'en finit pas de jouer à cache-cache. Elle n'est pourtant pas épaisse, la couche de nuages, et le croissant solaire s'amenuise très vite...

Soudain c'est la nuit. La surprise et la joie éclatent en même temps ; la couronne solaire s'impose dans toute sa splendeur.

Trente secondes plus tard, le léger voile se déchire totalement, la couronne se magnifie. Le deuxième cliché sera le meilleur. La dernière minute verra une contemplation muette, intense, inoubliable... et la suite un jour de liesse.

 

 



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Dernière mise à jour le dimanche 3 mars 2001.