UTILISATION D'UNE MONTURE
À TROIS DEGR
ÉS DE LIBERTÉ

POUR L'OBSERVATION DE LA
COURONNE SOLAIRE MONOCHROMATIQUE

par Roland CARON

Cet article est paru dans le numéro de novembre 1986 de L'Astronomie, revue mensuelle publiée par la Société Astronomique de France.

1. - Introduction.

L'observation de la couronne solaire monochromatique présente un grand intérêt pour l'analyse de la structure thermique. En effet, différentes raies coronales et chromosphériques sont formées dans différentes régions de la couronne, caractérisées par des régimes thermiques et donc des températures différentes. Par exemple, les raies les plus intenses de la couronne, raie rouge et raie verte, sont formées à des températures typiques voisines respectivement de 1 million et 2,5 millions de kelvins. Pourtant, les émissions provenant de ces raies sont produites dans des régions différemment localisées (fig. 1), même si elles montrent un gradient radial très comparable. A l'occasion de l'éclipse totale du 22/23 novembre 1984 en Nouvelle-Calédonie et dans le cadre des expériences préparées par le groupe de la S.A.F., une monture très spéciale a été conçue et réalisée pour effectuer ce type d'observation dans des conditions très particulières, puisqu'il fallait travailler sur un navire ! Pour éviter une perte trop importante de la résolution, S. Koutchmy avait proposé, par ailleurs, d'utiliser un tube-image permettant de réduire considérablement les temps de pose et d'éviter en partie le « bougé ». Il était cependant essentiel de pouvoir pointer correctement et de maintenir l'image de la couronne dans le champ étroit de l'objectif, d'où l'intérêt de développer une monture spéciale que nous allons décrire.

Figure 1. - La couronne monochromatique observée à l'éclipse du 31 juillet 1981
A gauche, dans la raie rouge du Fe X (filtre de 6 Å) - A droite, dans la raie verte du Fe XIV (filtre de 2 Å)
Images prises à l'aide d'un réfracteur de 1,95 m de focale. Ces clichés, qui sont parmi les meilleurs du genre,
illustrent parfaitement l'hétérogénéité en température de la couronne solaire (clichés J. Sykora).

2. - Dispositif de prise de vue.

Ainsi, le programme complet consistait à tenter des prises de vue de la couronne solaire, pendant l'éclipse, en utilisant divers filtres interférentiels à bandes étroites (Ha, K CaII, FeXIV et continuum) à l'entrée du système optique. Chaque filtre devait être placé devant un téléobjectif de 300 mm collecteur de la lumière reprise aussitôt par un tube-image de type VARO à deux étages. Le signal lumineux est ensuite repris par un objectif de 50 mm, F/D 1,2 puis par un second, inverse, de 35 mm, F/D 1,4 (fig. 2). Le gain obtenu est ainsi de 90 fois environ.

Figure 2.

Cet ensemble d'empilage de lentilles et de filtres nécessitait un temps de pose de durée qui avait été fixée au 1/30 de seconde minimum. L'équipement optique étant réalisé, il ne restait qu'à concevoir un support suffisamment mobile pour compenser les mouvements du bateau.

3. - La monture.

On devine aisément qu'un bateau, quel qu'il soit, est animé de mouvements divers. Le centre de gravité d'un navire se situe généralement en une zone que nous ne pouvions évidemment pas utiliser. Ce point aurait-il été utilisable que nous n'aurions pas été à l'abri des « bougés ». Le mouvement des vagues, même par mer dite calme, impose au bâtiment bon nombre de sollicitations : le roulis et le tangage, pour les plus connus. La combinaison des deux s'ajoute aux élévations et chutes de portance sur les vagues et aux mouvements de toutes directions et amplitudes qui agitent le centre de gravité.

Le temps et les moyens nous ont limités à ne considérer que les deux principaux déplacements des structures d'un navire : le roulis et le tangage. Restait encore à leur donner des valeurs moyennes pour déterminer les dimensions de la monture. L'idée maîtresse était de lier toute l'optique à un support gardant référence à la « verticale du lieu » et à la direction visée. Trois axes étaient nécessaires : un premier, entouré de trois galets roulant dans un cercle fixé au bateau et orienté dans son axe longitudinal ; un second, orthogonal au premier, horizontal, permettait de compenser le tangage et de faire le réglage de la hauteur sur l'horizon. Un troisième axe permettait de conserver l'azimut selon la direction de route du navire.

L'opérateur ne maîtrisait l'appareillage optique qu'autour de cet axe d'azimut, les autres mouvements étant automatiquement compensés par le balancier lesté d'un contrepoids de 7 kg (fig. 3), réglable en hauteur, en fonction de l'équilibre des masses et de la hauteur du Soleil.

Figure 3. - La monture « marine » préparée pour l'éclipse des 22-23 novembre 1984,
observée à bord du « Jacques Cartier » (dessin Roland Caron).

4. - Mise en station et observation.

Ce n'est que sur place, à Nouméa, que le type de bateau mis à notre disposition par la Marine nationale nous fut connu : le « Jacques Cartier », bâtiment du type « Batral » (bâtiment de transport léger) qui comportait sur sa plage arrière une plate-forme hélicoptère. C'est sur cet emplacement que les instruments furent mis en place, grâce aux croisillons d'amarrage existant dans des petites cavités du plateau d'acier recouvert de bitume.

Lors de la conception de la monture, j'avais prévu un « cône de liberté » du balancier de 38° au sommet, en supposant que l'oscillation du pont ne dépasserait pas 15 degrés. Le « Jacques Cartier », en route pour le lieu désigné sur la mer de Corail, a eu fréquemment de telles attitudes pour que ce cône de liberté soit entièrement consommé, ce qui m'a un peu effrayé pensant aux résultats totalement négatifs probables de tout ce travail. Heureusement, le navire rendu au lieu prévu prit la direction souhaitée et adopta une marche « alimentaire ». La monture accusait toutefois, par moments, des balancements de 10 degrés, avec une fréquence de 12 secondes. Les réglages du contrepoids suivaient la montée du Soleil, régulièrement ; chaque boîtier ajouté (jusqu'à trois) modifiait l'équilibre rapidement retrouvé grâce à ce simple réglage.

La réponse du balancier aux mouvements du bateau n'était certes pas instantanée, mais il était possible, le rythme des oscillations étant pris, d'anticiper les réactions à l'aide du levier tenu ferme sous l'aisselle. C'est avec une certaine émotion que j'ai pu constater que, l'œil rivé au réticule de la lunette de visée (lunette de fusil), « mon astre » ne bougeait plus pendant de longues secondes. Tout a donc fonctionné comme prévu, mais la durée de l'éclipse, trop courte, ne permettait pas des tentatives de correction. Nous avons dû rapidement effectuer le programme prévu et les gestes répétés tant de fois dans la chambre d'hôtel, avec mes coéquipiers, Michel Sarrazin, Hervé Roy et Joseph Tisserand.

Le tube-image a bien fonctionné et nous avons ainsi pu obtenir quelques clichés étalonnés pour cet ambitieux programme, sans que les résultats surpassent évidemment ce qui s'était fait de mieux sur la terre ferme (voir fig. 1 par exemple). Avec quelques améliorations en ce qui concerne l'utilisation des filtres interférentiels, très délicats à manipuler, cette expérience pourrait être renouvelée avec succès dans l'avenir.

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Dernière mise à jour :  le dimanche 10 décembre 2000.