Éclipse sur la Guadeloupe

par Laurence NOURRISSON

 

 

Il est à peu près 9 heures. Nous sommes cinq, un peu serrés dans la voiture qui roule vers Port Louis. J'ai une grosse boule dans l'estomac. Je lance des regards méchants vers les nuages blancs qui s'accrochent au ciel.

C'est la toute première fois pour nous tous. C'est notre première !

Depuis ce matin, j'affirme avec une calme (fausse) certitude qu'à 13 heures le ciel sera d'un bleu immaculé : c'est Radio-Lolo qui le dit ! Cela me rassure et rassure tout le monde ! Je n'envisage pas une seconde de ne pas LA voir ! C'est impensable ! Nous sommes le 26 février 1998 et nous nous préparons à voir une éclipse totale de Soleil, notre éclipse !

Cela fait un an qu'au Club Janus nous mijotons notre voyage en Guadeloupe. Tout se conjugue pour former des vacances hors du commun : les Antilles, le Carnaval et le spectacle du ciel.

Depuis une dizaine de jours, nous jouons aux parfaits vacanciers entre balades, visites, plages et gastronomie. Nos appareils photo crépitent sans arrêt tandis que les pellicules réservées AU MOMENT reposent tranquillement entre punch et lait dans le réfrigérateur.

Le Carnaval donne au mot " fête " une autre dimension. Musique, costumes et rires nous entraînent dans une ronde de quatre jours. L'éclipse s'imagine en chapeaux célestes, en jupes lunaires car elle est, avec le 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, la star du Carnaval. Le Mercredi des Cendres, dernier jour de fête, est aussi la veille du rendez-vous entre la Lune et le Soleil.

Nos filtres sont prêts ; les appareils sont armés, déclencheurs et pieds sont dans le coffre. A Port Louis, nous rejoignons le reste du groupe dont fait partie le " patron ", Michel, le président de notre club. Et en cortège nous filons vers le lieu stratégique repéré il y a plusieurs jours : Campêche, lieu-dit la Mahaudière.

Nous ne sommes pas seuls. Astronomes amateurs, simples spectateurs vont remplir l'espace peu à peu. Il y a beaucoup d'enfants, les Guadeloupéens sont venus en famille… et en lunettes !

" Radio Lolo " jubile car le ciel se fait bleu pur. Bientôt, le petit bout de campagne se hérisse d'engins de toutes tailles plantés par des astronomes à peine nerveux. Comme les autres, je vérifie cinquante fois mon installation et me dis soudain que, peut-être, la pile de mon appareil va choisir de s'arrêter maintenant… ! Jo et Yvette s'installent dans ce qui reste d'une maison en pierres. Nous nous moquons tous de Nadine qui a un pied de la taille d'une chandelle. Valérie et Laurent sortent papier et thermomètre ; en véritables scientifiques, ils vont mesurer la chute de température provoquée par l'obstruction du Soleil.

L'heure tourne et Michel nous réunit pour un dernier briefing. Aucune plaisanterie ne fuse. Mon cœur cogne un peu plus fort que la normale. Les instructions de Michel se mélangent un peu dans nos têtes. Compréhensif, il nous rassure : il nous aidera pas à pas dans nos " manips ".

Enfin nous y sommes. 13 h 05 m 36 s : premier contact. Pendant une heure et demie se produit alors une étonnante succession : la rigueur froide du technicien photo fait à chaque instant place à l'émerveillement béat des spectateurs vierges que nous sommes. Un kaléidoscope d'images se bouscule aujourd'hui dans ma tête. Je ne peux pas décrire ce que j'ai vu. Les émotions, les sensations, sont trop fortes pour les coucher sur du papier. Mais je n'ai qu'à fermer les yeux et je vois !

                  
Photo © Laurence Nourrisson - Obj. 500 mm à f/8, pose 1/500 s            Photo © Valérie Michel - Focale 600 mm à f/5,6, pose 1/500 s


Photo © Laurence Nourrison - Objectif de 500 mm à f/8, pose 1/15 s.

Je vois un croissant d'or, un azur de crépuscule ; je vois une couronne de lumière ; je vois des planètes briller près du Soleil éclipsé ; je revois les ombres se dessiner sur le sol et les jets de lumière faisant un bijou de la Lune. Je sens la fraîcheur, bienvenue ; enfin j'entends les cris de joie et les applaudissements de tous au moment de la totalité ; commentaire amusant d'un Guadeloupéen : " Ah ! On va voir Dieu ! ".

Ce qui m'étonne encore aujourd'hui, c'est ce drôle de bonheur tranquille que nous a apporté cette belle éclipse.

Quand tout est terminé, Jo et Yvette nous apprennent que des chauves-souris se sont envolées au début de la totalité. Quant à Michel, il nous dit gravement qu'il vient peut-être d'assister à la plus belle éclipse de sa vie, lui qui en est à sa sixième.

Nous, on le regarde gentiment, un peu étonnés. Bien sûr, que c'est la plus belle ! On le savait bien, nous ! C'était notre première éclipse ! C'était NOTRE éclipse !

 
Quelques instants après l'éclipse, une partie de l'équipe Janus pose pour la postérité...

 

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Dernière mise à jour : le 16 octobre 1999.