Dans
cette histoire d’invasion maritime échouant à notre confluent, il est un
élément inanimé, un engin, fils de génie : le navire.
C’EST
LE CHEF D’OEUVRE DE LA CULTURE DES VIKINGS
ET L’ABOUTISSEMENT D’UNE COMPETENCE TECHNIQUE.
La
nef a ici presque plus d’importance que l’homme. Elle fut l’outil du grand
oeuvre. Il a fallu près d’un millénaire de tâtonnements pour mettre au
point le navire, qui rendra les nordiques si puissants.
Longtemps,
l’incertitude a régné à ce sujet et la terreur inspirée par le Drakkar
(Dragon) et le Snekkar (Serpent) leur a prêté des proportions démesurées.
Ainsi qu’au Skuta et au Langskir, plus long et plus étroit qui sacrifie le
confort à la vitesse.
Ils
savent manœuvrer ces bateaux avec une habileté qu’ignoraient nos anciens.
Les Normands ont découvert l’art de naviguer au plus près et de louvoyer, ce
qui leur permet de remonter dans le vent. Ils sont ainsi toujours en mesure de s’éloigner
ou d’approcher des côtes.
Ils
débarquent et rembarquent, et comme leurs navires ont un faible tirant d’eau,
ils remontent le cours des fleuves, pénètrent très avant dans les terres et
en dévastent les rives.
Le
navire peut aussi servir de bateau d’apparat, ouvragé comme une oeuvre d’art,
avant de devenir une sépulture pour les plus puissant du clan.
Jean
Revel nous donne des indications précises et concordantes d’après les
résultats des fouilles archéologiques bien conduites en 1867 et en 1881 à
Gokstad confirmées par la mémoire du savant Gabriel Gustafson.
La
longueur du bateau est de 21,5 mètres et sa largeur de 5 mètres. Il se compose
d’une quille et d’un étambot, ainsi que de couple de baux, de bordages, d’un
gouvernail et d’un dispositif destiné à consolider la mature. Entre les
genoux du couple, il y a des barrots en bois de pin.
Le
troisième bordage est composé d’un gros linteau. Aux deux extrémités, ce
bordage se continue le long de l’étrave et de l’étambot par des pièces
décoratives en bois de hêtre. Dans le bordage supérieur sont pratiquées les
ouvertures destinées à laisser passer les avirons au nombre de quinze de
chaque côté. La coque est bordée à clin, les planches calfatées au goudron
se chevauchent comme les tuiles d’un toit ce qui permet de gagner du poids.
A
la quille, une grosse poutre destinée à recevoir le pied du mât ainsi que des
étambrais au-dessus des baux. Le mât peut s’abattre et porte une voile
rectangulaire de lin ou de laine renforcées de bandes de cuir. Une vergue porte
le bord supérieur de la voile.
Tout
au long du pavois sont fixés les boucliers peints de différentes couleurs
vives, généralement jaune et noir. Le navire a un fond passablement plat. Il a
des formes élégantes et a été certainement rigide et bon marcheur, telle
était la coque.
Tel
était le mince gabarit qui porta dans notre monde la révolution. Très
légères, d’une grande maniabilité, ces belles embarcations permettent des
attaques foudroyantes qui jettent l’effroi parmi les ruraux que sont alors les
occidentaux chrétiens.
De
cette description, nous pouvons tirer tout de suite deux conclusions : ce navire
n’était pas ponté et n’offrait, en conséquence, que peu à ses passagers;
pour eux n’existaient ni averses, ni canicule, ni froid, ni tempête.
On
ne conçoit, dés lors, pas la présence de femmes à bord. Il pouvait contenir
environ une vingtaine à une soixantaine de guerriers, d’où il est permis d’inférer
que le nombre d’envahisseurs fut en définitif assez restreint. Mais à leur
faiblesse numérique, ils suppléèrent par une méthode et une tactique
particulière.
Etrave :
pièce massive formant l’avant de la carène.
Etambot :
pièce arrière soutenant le gouvernail.
Baux :
synonyme de barrot, poutre.
Barrot :
pièce de bois destinée à raidir transversalement le pont.
Etambrais :
pièce de bois soutenant le mât à l’endroit de son passage à travers le
pont.
LA METHODE.
Après
avoir exposé ces hommes hors du commun et leur principal outil, le navire, il
convient de présenter « la méthode » suivie par les envahisseurs.
Tout
d’abord, ils cherchèrent à obtenir l’ascendant moral, en médusant les
esprits naïfs, mobiles et impressionnables des habitants. Très habillement,
ils escomptèrent et exploitèrent l’effroi qu’ils inspiraient pour diminuer
la résistance des adversaires. Ils savaient, en effet, quel parti l’assaillant
peut tirer d’une peur transformée en panique et à quel point la dépression
prépare la défaite. Ils entretenaient la terreur comme moyen de vaincre. Ils
soignaient l’effet à produire, s’attachant à troubler l’adversaire à le
décontenancer par un sentiment d’épouvante.
Aussi
lorsque les Drakkars et autres Snekkars remontent l’Escaut, dés que les
équipages sont en vue d’une proie, ils sonnent des trompettes guerrières.
Ils frappent avec leurs piques sur les haches et sur les bordages. Avec leurs
boucliers polis, ils réfractent les rayons solaires et les promènent sur le
rivage. Ils poussent des clameurs inhumaines. Le navire est décoré et bariolé
de couleurs truculentes. La proue est peinte avec des figures effrayantes, en
forme de têtes de dragons, de chimères, de reptiles gueules ouvertes. Quant
aux marins eux-mêmes, ils sont affreux à voir. Sous la forme d’amphibies
huileux, hisurtes sanglants sous leurs peaux de phoque mal tannées, sous l’affublement
que leur compose la dépouille de morses écorchés vifs.
Sur
terre, ils font du feu un de leur allié privilégié. Ils allument sans compter
des incendies qui ont tôt fait de balayer les moindres velléités de
résistance.
Ils
se conduisent comme des forbans, comme des sauvages, tuant, brisant, dévastant.
Or toutes ces horreurs, ils les commettent avec une suite d’idées et une
méthode particulière. Leur rage est à la fois forcenée et raisonnée. Leur
sauvagerie apparente n’est au fond qu’une habileté, un moyen d’intimidation.
S’ils
n’avaient eu que la ruse, l’audace et l’habileté, leur succès fût
démesuré, éphémère et hasardeux. Mais ils possédaient le sens tactique.
Ils connaissaient la loi du nombre.
En
outre, le succès des Scandinaves envahissant l’Europe fut dû principalement
à la supériorité des armes solides que leur fournissaient d’émérites
forgerons. La fabrique des armes atteignit dès cette époque une haute
perfection. Umbos des boucliers, cottes de mailles, casques ornés de scènes
guerrières, épées à deux tranchants avec gardes et pommeaux. Cet armement
force l’admiration par l’élégance des formes, le fini de l’exécution,
la richesse du métal, la solidité de la trempe. Le guerrier vénère ses
armes.
Au
point de vue militaire, il serait inexact d’assimiler les Vikings du IXème
siècle à des bandes ignorantes en l’art de la guerre. Ils savent s’éclairer,
se couvrir en marche. Ils savent se fortifier, s’approvisionner. Leur tactique
est un mélange d’individualisme et de discipline acceptée. Ils avancent un
peu en ordre dispersé, chaque groupe gardant ses initiatives. Mais, à la
première alerte, tous se réunissent spontanément autour de leur étendard.
Les cors sonnent l’attaque qui se déclenche parmi les hurlements. Les
guerriers frappent d’estoc et de taille avec leurs glaives longs et lourds.
En
cas d’échec ou devant des forces supérieures, ils se pressent en bloc, coude
à coude. Ils se mettent sous leurs boucliers et forment ainsi ces célèbres
« tortues » impénétrables aux traits de l’ennemi.
Pour
le siège des places fortes, ils connaissent et emploient déjà la méthode des
sapes et des tranchées. Ils savent creuser des circonvallations recouvertes de
branchages sur lesquelles ils amèneront l’ennemi par un simulacre de fuite. C’est
une de leurs ruses de guerre. Il y en a d’autres comme l’enterrement feint,
l’utilisation des moineaux incendiaires, ...
Au
confluent de l’Escaut et de la Haine, arrêtés en 874, par l’automne et
surtout par l’impossibilité de remonter le cours des rivières jusqu’aux
sources par manque de tirant d’eau suffisant, les Vikings établissent leurs
quartiers d’hiver dans ce lieu particulièrement propice, devant les marais de
Thivencelles et dans l’angle formé par le confluent.
Ainsi
protégés par les deux rivières, au sud et à l’ouest, ils aménagent leur
campement en creusant, face au nord, un large fossé sec couvert par une haute
butte de terre.
Puis
ils organisent des simulacres d’attaques par les plus jeunes combattants
armés, pendant que les plus anciens défendent le rempart avec des bâtons. Ces
exercices permettent d’entraîner les guerriers néophytes, tout en vérifiant
l’efficacité du système de défense.
Contrairement
à une opinion répandue par les gens d’église de cette époque, ainsi que
par les souverains, une chose est maintenant certaine, comme le prouve Régis
Boyer : chaque fois que les Scandinaves furent confrontés à un pouvoir fort,
ils se muèrent en simples mais habiles commerçants.
La
grande affaire pour eux, c’est le commerce. Ils y déploient toutes leurs
qualités d’intelligence et de diplomatie.
En
vérité, les souverains du moment ne savent plus vivre dangereusement. La seule
vie digne d’un Roi, ils n’osent pas tous risquer pour tout sauver. Ils n’affronteront
point d’emblée la mort pour que subsiste la sauvegarde du pays. Ils
préféreront le plus souvent payer une forte somme « le dangeld »
(l’argent des Danois) pour voir partir les Normands. Ces pâles successeurs de
« KAROL » n’opposeront aux déprédateurs qu’une résistance
piteuse. Pour tenir en échec les Vikings, Charles le Simple propose tout
simplement de les acheter. Charles le Chauve paie 5000 livres à un chef Danois
Weland. Louis le Débonnaire propose de la terre. Tout concourt donc à exciter
les convoitises et l’appétit de pillage. Ce pays, que les chefs défaillants
à leur fonction abandonnent et même trahissent en s’alliant comme Herbert,
le Comte de Vermandois pour détruire Mortagne avec les Danois et piller l’abbaye
de Saint-Amand en 861.
En
881, Regnier au long col, Comte du Hainaut, tenta une expédition contre le camp
de Roll, chef Normand à Condé. Une bataille sanglante se livra entre
Quiévrain et Valenciennes, à la lisière des marais de Vicq. Le Comte du
Hainaut fut vaincu et fait prisonnier. Grâce au dévouement de son épouse
ALBRADE et à la « générosité » de son adversaire, il put être
libéré. Mais les Normands vainqueurs, après avoir traité avec Charles le
Gros restent sur les lieux pendant plusieurs années. Ils n’abandonnent ce
camp qu’ en 889, d’où ils pouvaient ravager non seulement le Hainaut, mais
aussi l’Artois et la Picardie, que pour aller s’établir à Louvain.
Il
est établi maintenant que l’état social de cette Europe au IXème siècle ne
représentait guère l’idéal d’une civilisation avancée. En réalité, la
Scandinavie allait nous apporter non seulement la dévastation, mais aussi la
rénovation. En avance sur notre monde, il lui est permis de prendre le pas,
obligeant les autres à la suivre.
Sans
pousser plus loin ces remarques, est-il maintenant téméraire d’avancer que
cette civilisation Viking du IXème siècle n’était pas précisément la
barbarie et qu’on pouvait, non sans avantage, la comparer avec nos sociétés
locales d’alors reconstruites tant bien que mal avec les débris du grand
édifice Romain.
Pour
le campement, à terre, au bord de la rivière ou du marais, ils utilisent les
matériels embarqués à bord du DRAKKAR. Les voiles deviennent les toiles de
tentes, ...
Restées
primitives et rurales, elles ne peuvent associer les milliers de petits
systèmes autarciques. Elles ne peuvent qu’engendrer l’insécurité de ces
temps difficiles. L’impéritie, la faiblesse des descendants du Grand
Charlemagne, les dissensions et les guerres qui déchirent leurs tristes
règnes, assurèrent bientôt l’avènement définitif du régime féodal.
Les
hommes les plus intrépides fortifièrent des habitations sur des points faciles
à défendre.
Deux facteurs :
Les invasions des Normands et la sécurisation des biens de l’église
contribuèrent à assurer le triomphe de la féodalité naissante.
Et pour conclure ...
Ces faits remontent
à plus de mille ans.
Laissons maintenant mille ans se refermer sur :
Ces combattants téméraires,
Ces marchands avisés,
Ces marins intrépides.
en renouvelant ce vœu
tendrement ironique relevé sur une inscription Runique
« NIAUT-KUBLS.UAL. »
JOUIS BIEN DE LA
TOMBE!