LE CYGNE (Cygnus, Cyg)

Domestiqué d'abord pour sa chair, puis comme ornement, ces hypocrite animal a eu le droit à la consécration suprême: il s'est fait offrir une constellation, fort belle de surcroît. Il n'a commis aucune action particulière pour mériter un tel cadeau. La légende la plus célèbre à laquelle il est associé met en scène Léda, épouse de Tyndare, à l'époque roi de Sparte. Léda était une plantureuse matrone, aussi moelleuse et appétissante qu'une tarte aux myrtilles. Zeus, toujours à l'affût d'un mauvais coup, ne résista pas à l'envie d'y goûter. Léda barbotait dans les eaux claires d'un lac lorsqu'elle vit, voguant vers elle, le plus élégant des cygnes. Touchée par tant de grâce aristocratique, elle enlaça le bel animal, qui s'empressa de l'emmener dans le premier fourré venu. Là, Zeus reprit forme humaine et savoura en toute quiétude la friandise qu'il était allé pêcher. De retour dans son palais, Léda tomba sur son mari Tyndare dont les sangs ne firent qu'un tour à la vue de cette belle encore toute émoustillée par son aventure. Elle se plia de bonne grâce à ses exigences et, après le dieu, se laissa croquer par l'époux. Il n'y aurait pas eu de quoi plumer un cygne si cette libidineuse journée n'avait eu des suites sévères pour le monde antique. Zeus a laissé en souvenir à Léda, deux mioches immortels : Pollux le pugiliste et la blonde Hélène. De son côté, Tyndare, le même jour que le dieu, lesta sa femme de deux autres enfants, mortels et demi-jumeaux des précédents : la funeste Clytemnestre et Castor le cavalier. Les deux mâles de la portée, bien que nés de pères différents, étaient inséparables. Castor rendit l'âme au cours d'une sombre rixe. Pollux ne supporta pas la perte de son frère et exigea de partager avec lui l'immortalité. Tous deux occupent une place de choix dans le ciel : la constellation des Gémeaux. Quant aux filles de Léda, il eut sans doute mieux valu pour le repos et la tranquillité de bien des héros qu'elles n'aient jamais vu le jour.

Le cygne a inspiré bien d'autres histoires, dont celle d'un certain Cycnus. Demi-frère de Phaéton, le fils mortel du Soleil qui, un jour, s'en alla demander à son père la permission de conduire son char. Le Soleil essaya de l'en dissuader, l'attelage était par trop fougueux et le chemin semé d'embûches, mais Phaéton tint bon. Les portes de l'est s'ouvrirent et le char s'élança dans le ciel. La griserie du jeune homme fut de courte durée : les chevaux sentirent qu'ils n'avaient pas affaire à leur puissant maître et larguèrent les amarres. Leur course devint démentielle, ils zigzaguaient dans le ciel, brûlant tout sur leur passage, y compris le pauvre Phaéton. N'y tenant plus, la Terre se mit à beugler, affolant Zeus qui lança sa foudre sur le chariot. Homme et chevaux furent réduits en miettes et dégringolèrent dans le fleuve Eridan. Le fidèle Cycnus, affligé par la mort de son ami, voulut lui donner une sépulture convenable. Il plongea dans le fleuve, une fois, deux fois, mille fois, ramenant, bribe par bribe, les morceaux épars de Phaéton. Zeus, touché par tant de compassion voulut faire quelque chose pour le simplet Cycnus. Sans lui demander son avis, il transforma le jeune homme en un bel oiseau aux pattes palmées, qu'il transporta au firmament.

Illustration: URANOGRAPHIA de Johannes Hevelius (1611-1687)