LA SPECTROGRAPHIE BASSE
RESOLUTION
La spectrographie est l’une des disciplines clefs de l’astronomie, peut-être
même la plus importante. En effet, l’essentiel de notre connaissance
physique des astres provient de l’analyse spectrale de la lumière
que nous collectons avec nos télescopes. Pourtant la spectrographie
est mal aimée des astronomes amateurs. Elle a la réputation
d’une technique difficile, aride, inaccessible. Les quelques images qui
suivent montrent qu'il n'en est rien si le sujet est bien abordé
et si on reste modeste sur le plan des performances. Cette étude
a été réalisée dans le cadre du programme Audine
dans le but de réaliser un spectrographe très lumineux pour
effectuer de la photométrie multispectrale de supernovae, de quasars
et de comètes, avec des télescopes d'amateurs.
La plupart des spectrographes comprennent un disperseur de lumière.
Ce composant optique a la propriété de dévier la lumière
qui le traverse d’un angle différent suivant la longueur d’onde.
Le disperseur le plus connu est le prisme. Le mécanisme de dispersion
est alors provoqué par la variation de l’angle de réfraction
qui est une fonction de l’indice de réfraction du verre, qui varie
lui-même en fonction de la longueur d’onde. C’est aussi la réfraction
qui explique l’arc-en-ciel, la lumière étant dans ce cas
déviée lors d’un parcours complexe dans les gouttes d’eau
d’une averse.
L’autre famille importante des disperseurs est basée sur la diffraction
de la lumière lorsqu’elle traverse une fine structure périodique
ou qu'elle se réfléchit sur une structure de ce type. Ce
sont les réseaux à diffraction. Les irisations colorées
observées dans la lumière réfléchie par un
compact disque ont pour origine un phénomène diffractif,
la structure périodique étant ici le fin sillon laissé
par le laser qui a gravé le disque.
Le spectrographe le plus simple que l’on puisse réaliser comprend
le seul disperseur que l’on place directement dans le faisceau optique
convergent du télescope, à proximité du plan focal,
c’est-à-dire du capteur CCD. Nul besoin de fente, de collimateur
et autre objectif pour réaliser un spectre tout à fait convenable.
Cette simplification a bien sûr un prix. Un spectrographe basé
sur un disperseur dans le faisceau convergent ne peut prétendre
rivaliser en matière de résolution avec le montage plus traditionnel
du spectrographe à fente. En revanche la facilité de réalisation
est sans commune mesure.
La figure ci-après montre comment disposer le disperseur, ici
un réseau, dans le faisceau optique. La lumière polychromatique
en provenance d’une étoile du champ est déviée en
traversant le réseau pour former un spectre dans le plan du CCD.
Dans la figure seuls 3 pinceaux de lumière correspondants à
3 longueurs d’onde distinctes sont tracés. En pratique, le nombre
de longueur d’onde est infini et on observe un spectre continu. Une autre
étoile du champ produira de la même manière un spectre,
mais celui-ci sera décalé spatialement. Il en sera de même
pour tous les autres objets du champ : galaxies, astéroïdes,
novae, ... On voit que ce spectrographe permet d’acquérir simultanément
le spectre d’un très grand nombre d’objets, et ce n’est pas le moindre
de ses avantages. Comparativement, un spectrographe à fente n’autorisera
l’étude que d’un seul objet à la fois.
Disposition du disperseur dans le faisceau convergeant du télescope.
La figure suivante montre que de part et d’autre de l’image d’ordre
zéro de l’étoile Vega (saturée sur ce document, d’où
la traînée de blooming), se forme les spectres d’ordre 1 et
–1. Plus loin encore on trouve les ordres supérieurs, mais ils sont
trop faibles pour donner un signal visible dans cette reproduction d’image
CCD. Les ordres provoquent un artéfact du fait de leur recouvrement.
Par exemple, la longueur d’onde 8000 A dans l’ordre 1 se superpose à
la longueur d’onde 4000 A dans l’ordre 2. Sans précaution particulière,
il faut considérer que le spectre à l’ordre 1 est inexploitable
au-delà de 8000 A à cause de ce phénomène avec
les CCD. Le réseau est un simple filtre photographique à
effets spéciaux Cokin N°40 placé 40 mm en avant de la
caméra Audine.
Le système de spectres produit par un réseau à
diffraction.
Image en négatif d’un champ d’étoiles observé
en interposant un réseau à transmission dans le faisceau
optique. Filtre Cokin N°40 et télescope de 190 mm à F/D=4.
Remarquez dans cette image les deux étoiles brillantes. A droite
de chacune vous avez un trait horizontal. Vous observez là le spectre
d’ordre 1 de ces deux étoiles. Les images approximativement ponctuelles
correspondent quant à elles à l’ordre zéro ; des images
que vous observeriez à l’identique si vous n’aviez pas mis en place
le réseau. De toutes les étoiles de ce champ s’échappent
des spectres mais ceux-ci sont trop faibles pour être visibles dans
cette reproduction. Notez que les spectres sont relativement fins, signe
qu’ils sont nets, mais en même temps, les étoiles sont assez
fortement défocalisées à l’ordre 0, ce qui trahit
une courbure de champ, inhérente à ce type de montage. En
examinant les spectres attentivement vous pouvez déjà apercevoir
quelques raies spectrales.
Une fois l’image du spectre obtenue, vous devez tracer le profil spectral
(en utilisant par exemple les logiciels VisualSpec ou QMiPS32).
Le spectre de l’étoile Vega. La partie bleue du spectre
est à gauche, la partie rouge est à droite. Les principales
raies spectrales ont été marquées. On remarque la
série de l’hydrogène particulièrement nette dans les
étoiles de type A0. La partie infrarouge se singularise par la présence
des bandes moléculaires de composants gazeux de l’atmosphère
terrestre : la bande B de O2 entre 6850 et 7020 A, la bande H2O entre 7000
et 7400 A et la bande A de O2 entre 7580 et 7750 A.
Le spectre de la figure ci-dessus est borné spectralement par
la réponse du CCD. A gauche le spectre débute dans le bleu
à partir 3900 A environ. A droite, le spectre s’évanouit
dans l’infrarouge vers 1 micron de longueur d’onde (dans la figure le spectre
est volontairement arrêté aux alentours de 8000 A à
cause du problème de recouvrement d’ordre). Entre ces deux bornes,
le rendement quantique évolue de manière complexe et de nombreuses
variations d’intensité dans le spectre sont dûes au CCD lui-même.
Une partie importante du traitement des spectres consiste à retirer
cette contribution du détecteur, mais aussi celle de la transmission
de l’optique ou encore celle du rendement du réseau qui évolue
lui aussi en fonction de la longeur d’onde.
D'excellents réseaux à diffraction sont distribués
par la société Jeulin (spécialisée dans la
fourniture d'équipements scientifiques pour l'Education Nationale).
Ils sont conditionnés sous cache diapositive en verre. Une propriété
fondamentale de ces réseaux est qu'ils concentrent une part imortante
du flux optique dans un seul ordre (on appelle cela le blaze). Le rendement
du spectrographe est donc très sensiblement accru. Les caches dispositives
se glissent sans problèmes dans le porte-filtres de l’Association
Aude. On voit sur cette image un des derniers prototypes de la caméra
Audine (le boîtier n'est pas encore anodisé noir).
L'image ci-après montre le champ de la nébuleuse planétaire
NGC 2392 (la nébuleuse du Clown) réalisée avec un
réseau Jeulin à 100 traits/mm placé à 21 mm
en avant de la surface sensible du CCD KAF-0400 équipant la caméra
Audine. Le télescope est une flat-field caméra de 190 mm
à F/D=4. L’image finale est un compositage de 10 poses de 2 minutes
chacune.
Le champ de la nébuleuse planéraire NGC 2392.
L’ordre zéro de celle-ci se trouve juste à droite du centre
de l’image (on devine le halot nébulaire). Remarquez qu’à
chaque étoile est associé un spectre. Celui de la nébuleuse
est complexe : on voit à la fois le spectre de l’étoile centrale
qui est de magnitude 9 environ et plusieurs images monochromatiques de
la nébuleuse qui s’y superposent. Le réseau Jeulin de 100
traits/mm concentre environ 40% du signal dans l’ordre 0, 40% dans l’ordre
1 et 20% dans l’ordre –1 et les ordres supérieurs.
Exemples de profils spectraux réalisés avec le
réseau Jeulin de 100 tr/mm placé au foyer d'un télescope
de 190 mm de diamètre. Le spectre en vert est celui de l'étoile
Delta Cassiopée, de type A5. La série de Balmer de l'hydrogène
est bien visible. En rouge, on trouve le spectre de l'étoile Gamma
Cassiopée, de type B0e. La raie de l'hydrogène H alpha y
apparaît en émission de manière spectaculaire. Les
temps de pose sont de 30 secondes. On voit ici comment un réseau
coûtant de l'ordre de 100 Fr, placé simplement à quelques
centimètres en avant de la caméra, permet de faire de la
bonne physique !
Le spectre d'une étoile extrèmement rouge (SAO5932).
Celui-ci est barré de multiples bandes moléculaires. L'étoile
plus faible, située juste en dessous, présente un spectre
plus traditionnel avec un continuum bien uniforme. Télescope de
190 mm. Le réseau 100 traits/mm est placé très prés
du CCD, à 19.46 mm, de manière à disposer d'une luminosité
maximale. Ceci est possible grâce à la compacité de
la caméra Audine.
Le profil spectral de l'étoile SAO5932. Le spectre débute
à 0.443 micron à gauche et fini à 0.990 micron à
droite.
Notre petit spectrographe de fortune permet d'accéder
au spectre des galaxies. On peut voir sur cette image, réalisée
avec le télescope de 190 mm (compositage de 19 poses de 2 minutes
chacune), les galaxies elliptiques NGC 2258, à droite, et NGC 2256,
à gauche (les galaxies ont été entourées d'un
rectangle bleu). Les spectres de ces galaxies sont entourés d'un
rectangle orange. Ils ressemblent à ceux de la plupart des étoiles.
Le réseau de 100 traits/mm est placé à 19.46
mm de la surface sensible du KAF-0400 et la dispersion est de 45A/pixels.
Le nord est à droite.
Le spectre du système double NGC 3690 (ARP 299) réalisé
avec la même configuration instrumentale que pour l'image précédente.
Il s'agit d'un compositage de 37 images posées 120 secondes, soit
un temps d'intégration cumulé de 1 heure et 10 minutes. Le
spectre du noyau de ces galaxies actives montre clairement une raie en
émission (notez que lors de la prise de vue, le 28/01/1999, une
supernova de magnitude 16.5 se trouvait juste à droite du noyau
principal de NGC 3690, mais elle est inaccessible à ce spectrographe
car trop faible). La longueur d'onde mesurée pour la raie en émission
est de 0.6740 micron. S'il s'agit de la raie H alpha présentant
un profil P-Cygni et normalement à 0.6563 micron, mais décalée
vers le rouge en raison de la vitesse de récession, la vitesse radiale
mesurée est de 8000 km/s alors que la galaxie est annoncée
pour avoir une vitesse radiale de 3000 km/s. L'écart peut s'expliquer
par une identification erronée de la raie ou par une forte déformation
de celle-ci du fait des grandes vitesses d'expansion dans le noyau. Sur
ce document il est possible d'exploiter des spectres d'étoiles jusqu'à
la magnitude 14.8. Si l'objet présente des raies en émission,
il est probablement possible de descendre plus bas en magnitude. Il faut
souligner que dans le montage utilisé, le spectre apparaît
en superposition avec le fond de ciel. En travaillant avec un ciel bien
noir, il est possible de réduire en proportion le bruit ajouté
par le niveau du fond de ciel (toutes les observations de cette page ont
été réalisées en milieu urbain). Le gain estimé
est de 0.5 magnitude. En utilisant dans ces conditions un télescope
de 300 mm, on calcule qu'il est possible d'acquérir des spectres
mesurables au moins jusqu'à la magnitude 16.5. On voit que l'objectif
d'observation de supernovae ou de quasars avec ce simple dispositif n'est
pas utopiste.
Profils spectraux non calibrés photométriquement
extraits de l'image précédente. A gauche, une étoile
normale du champ. A droite, le noyau principal du système ARP 299
(la raie en émission est bien visible). L'étendue spectrale
va de 0.443 à 0.793 micron.
Pour réaliser cette image, montrant le spectre des principales
étoiles des Pléiades (M45), le réseau Jeulin de 100
tr/mm a été placé entre un simple objectif photographique
de 80 mm de focale diaphragmé à F/5.6 et la caméra
Audine. La raie de l'oxygène atomique atmosphérique à
0.76 micron est bien visible dans le spectre de la plupart des étoiles.
La classification spectrale à la portée de la
caméra Audine associée à un objectif photographique
de 80 mm de focale et un raiseau de 100 traits/mm. Sur ces images, la partie
bleue du spectre est à gauche. En haut, le spectre de l'étoile
Bételgeuse, qui montre de larges bandes provoquées par des
molécules pouvant subsister dans l'atmposphère froide de
cette étoile. L'essentiel de l'énergie est émis dans
l'infrarouge. Au centre, le spectre de l'étoile Rigel, une étoile
bien plus chaude. Remarquez comment le continuum est déporté
vers la partie bleue du spectre. En bas, le spectre de la planète
Jupiter, qui montre de fortes bandes d'absorption provoquées par
le gaz méthane, un constituant majeur de l'atmosphère de
la planète géante.
Pour en savoir plus sur Audine et la spectrographie, rendez-vous
ici.