LE FILM COULEUR

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Le rendu des couleurs

        La combinaison dans un film couleur du bleu, du vert et du rouge permet de reconstituer toutes les teintes, même les plus nuancées. Hélas, le rendu des couleurs n'est jamais parfait car aucun film ne transmet uniformément tout le spectre visible. En noir et blanc, ceci n'est pas gênant car quelle que soit la longueur d'onde, le fond du ciel reste noir. Ainsi, les anciens films "spectroscopiques" Kodak 103aE n'étaient sensibles qu'au rouge, les 103aO qu'au bleu. Sans en arriver à ces extrêmes, les films couleur présentent un certain nombre de handicaps.

Dans tous les films, le colorant cyan absorbe en plus du rouge un peu de bleu et de vert. De même, le colorant magenta absorbe en plus du vert un peu de bleu. Ces défauts sont uniquement perceptibles lors du tirage d'un négatif sur papier. On a résolu le problème en intégrant aux films négatifs un masque correcteur, donnant un aspect orangé caractéristique.

On trouve à la jonction du jaune et du magenta, comme à la jonction du magenta et du cyan, des "creux" dans la transmission spectrale du film. Si ce phénomène n'a que peu d'importance en photographie classique, il est particulièrement gênant en astronomie. Les nébuleuses, par exemple, émettent des pics de lumière à la fois dans le rouge et à la limite entre le bleu et le vert. Or le pic du rouge se situe dans une zone où le film est très sensible, alors que le pic du bleu-vert se situe dans un "trou" de sensibilité. Le rendu des couleurs d'une nébuleuse sera forcément faussé, accentuant le rouge au dépend du vert.

Les films couleurs employés en astronomie sont les mêmes que ceux utilisés pour la photographie classique. Ils sont équilibrés pour la lumière du jour, c'est à dire qu'ils enregistrent convenablement des sujets terrestres exposés à la lumière du Soleil... c'est loin d'être le cas des astres qui parsèment le ciel ! Selon le dosage des colorants, les films privilégient certaines couleurs : d'un film à l'autre, on trouve des balances chromatiques fort différentes, ce qui se voit de manière flagrante en astronomie. Le disque de la Lune n'est-il pas tantôt verdâtre, tantôt violacé, tantôt jaune, suivant le film employé ? Le fond du ciel présente également une dominante colorée, visible en photo de ciel profond. Souvent vert, le fond du ciel peut parfois devenir rouge-violet, voire bleu dans le meilleur des cas. Ce phénomène devient peu gênant lorsque les images sont ensuite traitées numériquement, car il devient très aisé de corriger de telles dominantes. Par contre, certains fabricans éliminent volontairement des parties du spectre visible pour soit disant améliorer le rendu des couleurs. Cela s'avère dramatique en astronomie, car le domaine visé est souvent le rouge lointain, dans lequel émet l'hydrogène ionisé des nébuleuses. La gamme Fuji Superia par exemple, pourtant demeurée longtemps l'une des préférée des astrophotographes, est, depuis plusieurs années, totalement inutilisable en astrophotographie.

La grande nébuleuse d'Orion photographiée la même nuit, avec le même instrument (lunette EDT 105mm) et le même temps de pose. Seul le film diffère : à gauche, le Fuji Superia 400 ne répond absolument pas au beau rouge de l'hydrogène ionisé. A droite, le Kodak Supra 400 possède une bonne sensibilité sur tout le spectre visible. Notez, dans tous les cas, l'absence de la couleur verte de l'oxygène ionisée.

 

Malgré ces remarques peu encourageantes, les clichés pris à travers le monde par les amateurs démontrent qu'en pratique, les films couleur sont des outils très performants, possédant une surface sensible qu'une caméra CCD ne peut s'offrir qu'à un prix astronomique. Actuellement, le Kodak Supra 400, en négatif, et l'Ektachrome 200, en diapositive, comptent parmi les meilleurs film. Hélas, il y a fort à parier que l'explosion des appareils photo numérique marque un terme au développement de nouveaux films.

Les astronomes très exigeants sur le rendu des couleurs devaient pratiquer la trichromie. Cette méthode, indispensable en CCD où les matrices ne sont pas "couleur", consiste à prendre trois clichés en noir et blanc du même objet avec des filtres colorés. Un cliché est pris dans chacune des trois couleurs primaires : bleu (film sensible au bleu plus filtre bleu), vert et rouge. Les négatifs étaient ensuite superposés au laboratoire et tirés sur papier couleur avec les filtres complémentaires aux couleurs primaires. On obtenait une restitution exacte des couleurs, mais au prix une bonne dose de patience et de rigueur ! Les anciens films scientifiques Kodak de type 103a, sensibles dans des domaines bien délimités du spectre, permettaient d'utiliser des filtres peu sélectifs et de garder des temps de pose raisonnables. Avec le TP 2415, sensible dans tout le spectre visible, des filtres plus puissants sont nécessaires pour bien délimiter les trois couleurs concernées. L'augmentation du temps de pose est telle que cette méthode ne reste valable qu'avec des optiques très rapides.

 

Le contraste

        Les films couleur possèdent un contraste faible, prévu pour restituer et nuancer les scènes de tous les jours. En astronomie, les pâles lueurs qui nous viennent du fin fond de l'univers sont extrêmement peu contrastées et les films couleur sont mal adaptés. Il en va de même pour les planètes, dont les détails ressortent à peine sur le fond brillant de leurs disques. Il semble illusoire de penser qu'un film "scientifique" couleur à grand contraste et de sensibilité assez élevée sera mis au point un jour. En noir et blanc, le TP 2415 développé dans un révélateur énergique offre un très fort contraste, environ 6 fois supérieur aux films couleur.

Les films inversibles possèdent un contraste plus important que les films négatifs (environ 2 fois supérieur). Ils sont souvent utilisés en photographie planétaire mais ils sont peu performants en photographie du ciel profond, notamment à cause de leur mauvaise réaction à l'hypersensibilisation et de leur granulation élevée.

Le faible contraste des clichés couleur est certainement le principal handicap auquel doit faire face l'astrophotographe. Sur ce plan, la photographie en noir et blanc avec le TP 2415 offre un avantage évident.

Pour augmenter le contraste des films couleur, on peut "pousser" le développement : il suffit de laisser le film plus longtemps dans le révélateur. Outre le gain en contraste, on obtient également un accroissement de la sensibilité du film. Par contre, on augmente également la granulation, mais dans des proportions tolérables. Par exemple, un film de 100 ISO poussé à 200 sera plus contrasté qu'un film de 200 ISO, pour un grain tout de même plus faible ! C'est une très bonne solution en photographie des planètes. En photographie du ciel profond, il faut se méfier du développement poussé car un temps prolongé dans le révélateur provoque une montée du fond du ciel pas toujours bien contrôlée. L'opération peut ne pas être rentable si l'on augmente trop le voile sur le film.

Les filtres LPR (comme le Deep-Sky de chez LUMICON) augmentent le contraste des nébuleuses diffuses et planétaires de manière spectaculaire. Même sous un ciel bien noir, un filtre LPR est très utile pour photographier des nébuleuses faibles et étendues comme la Rosette, California et tant d'autres. Cependant, ces filtres ne sont pas utilisables sur les galaxies, les amas et bien-sûr les planètes, à cause de leur transmission spectrale limitée. De plus, ils allongent le temps de pose de façon importante (prévoir de le doubler ou même le tripler). Pour plus de détails, consultez la partie sur les filtres.

Une technique intéressante pour les négatifs de ciel profond consiste à rephotographier le film sur un négatif à haut contraste. On obtient alors une diapositive aux couleurs saturées et au contraste accru. Nombre de clichés de nébuleuses et de galaxies présentés sur ce site résultent de ce procédé, décrit dans la partie contretypage. Par ailleurs, avec la généralisation du traitement par informatique, il est devenu facile d'accroître le contraste : un simple clic de souris sur la balance des contrastes suffit pour redonner du punch aux images, sans passer par un fastidieux travail en chambre noire.

On peut grandement améliorer la qualité des clichés couleur en combinant plusieurs images d'un même objet. Non seulement on réduit la granulation (comme la racine carrée du nombre d'images combinées), mais on améliore également la détection des objets faibles et le contraste. En photographie du ciel profond, on se contente en général de deux images à cause des temps de pose très longs. On superpose les négatifs et on les tire sur papier, ou mieux on les rephotographie afin d'obtenir une diapositive. En photographie planétaire, on peut additionner un grand nombre d'images et réduire notablement le grain. La difficulté consiste à superposer très exactement les images. Si ce travail reste délicat à mettre en œuvre en chambre noire, il est en revanche très facile lorsque l'on travaille sur des images digitalisées.

 

Le défaut de réciprocité

        Tous les films voient leur sensibilité chuter durant les longues poses. On nomme cela le défaut de réciprocité, ou effet Schwartzschild. Ce phénomène est imperceptible en photographie classique, où les poses sont presque "instantanées". En astronomie, les photographies durent parfois des heures et le défaut de réciprocité, déjà sensible au bout de quelques secondes d'exposition, devient dramatique. En général, plus le film est sensible au départ, plus il est affecté par ce défaut. Ainsi, certains films pourtant très intéressants en astronomie n'enregistrent pratiquement plus rien après quelques minutes de pose. Le problème se complique en photographie couleur car les différentes couches des films ne sont pas toujours affectées de la même façon. La couche sensible au rouge est en général la plus affectée par le défaut de réciprocité. Ainsi, une nébuleuse rouge avec une ou deux minutes de pose peut virer au rose ou à l'orange lors d'une exposition prolongée. Non seulement la sensibilité de chaque couleur baisse de façon différente, mais le contraste varie également. On peut ainsi se trouver dans la situation insoluble où les zones brillantes d'un objet montrent un excès d'une couleur, et les zones sombres un excès du complémentaire à cette couleur !

Le défaut de réciprocité peut être en grande partie corrigé grâce à un traitement du film appelé hypersensibilisation. L'hypersensibilisation la plus commune est celle au Forming-Gas. Elle était très intéressante quand les amateurs pouvaient trouver facilement des films déjà traités chez des vendeurs spécialisés, ce qui n'est plus le cas actuellement. Reste alors à réaliser soi-même l'opération. La manipulation du film traité est aisée et, moyennant quelques précautions, la conservation n'est pas si délicate qu'on le laisse parfois entendre. Par contre, le Forming-Gas n'agit pas forcément de la même manière sur les différentes couches du film. Ainsi, la sensibilité des trois couches de l'émulsion et la balance chromatique deviennent quasiment constantes dans le temps, mais peuvent être modifiées par le traitement au Forming Gas. Par exemple, il se peut que le traitement soit très efficace pour la couche sensible au rouge et beaucoup moins pour les autres. Le film hypersensibilisé présentera alors un excès de rouge lors des longues poses, ce qui n'était peut-être pas le cas avant traitement. Alors que certains films réagissent bien à l'hypersensibilisation, d'autres peuvent décevoir. Seuls des essais permettent de savoir comment un film va être modifié par ce traitement. Enfin, le voile du film se trouve toujours augmenté et le contraste global baisse légèrement.

m20_1.jpg (30903 octets)    M20_2.jpg (37233 octets)

Même instrument (lunette de 105mm), même temps de pose (40 min) et même film (Super G 400).  A gauche, le film a été utilisé sans traitement préalable. A droite, le film a été hypersensibilisé dans du Forming-Gas (HYPERCAMERA).

 

Une autre parade contre le défaut de réciprocité consiste à refroidir le film pendant l'exposition à l'aide d'un dispositif appelé Cold Camera. On place de la glace carbonique dans un caisson en contact avec le film, de manière à amener sa température bien en dessous de 0°C (-40°C et en dessous). Le film est immédiatement utilisable, sans traitement préalable. Bien qu'assez difficile à mettre en œuvre, notamment à cause du risque de givre sur le film, cette méthode offre l'avantage de ne pas modifier la chimie du film, et la balance chromatique reste fidèle au modèle initial. Bien que ce soit dans l'absolu une excellente solution pour la photographie à longue pose en couleurs, elle n'est plus utilisée depuis longtemps, à cause des contraintes pratiques (découpage du film, problème de givre...).

 

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