UltraViolet EXplorer spectrograph
(UVEX)
par Christian Buil
UVEX est un spectrographe compact qui adopte la configuration Czerny-Turner. Il est spécialement optimisé pour l’observation du proche ultraviolet sur des télescopes amateurs, jusqu’à des longueurs d’onde plus courtes que 3200 angströms en association avec une caméra CCD ou CMOS moderne. On présente un exemple de réalisation en impression 3D de ce concept.
Réalisation
La formule optique Czerny-Turner est dépouillée et simple. Elle se compose essentiellement de deux miroirs concaves sphériques et d’un réseau à diffraction exploité en réflexion. Dans cette disposition, l’optique est parfaitement achromatique puisque constituée de surfaces travaillant en réflexion. Une lentille cylindrique est ajoutée au voisinage du plan du détecteur pour corriger l’astigmatisme inhérent de cette combinaison (l’image spectrale 2D est sinon très allongée suivant l’axe spatial). Cette lentille est le seul élément que la lumière traverse si le spectrographe UVEX est par ailleurs associé à un télescope Newton, Cassegain ou Ritchey-Chrétien.
Le choix judicieux des angles d’incidences sur les miroirs et sur le réseau permet d’éliminer une large part de l’aberration de coma. Si on ajoute la propriété d’achromatisme (à la lentille cylindrique près), on dispose ici des tous ingrédients pour (1) saisir en une fois un large domaine de longueur d’onde, (2) explorer des parties du spectre où la plupart des autres spectrographe ne s’aventurent pas (ici la partie ultraviolette du spectre, mais on peut fort bien imaginer une version infrarouge). UVEX accepte un faisceau ouvert à f/5 avec un pouvoir de résolution de R = 1000 environ.
A droite, une photographie du premier prototype réalisé à partie de pièces usinées en aluminium. Le capteur est ici une caméra Atik460EX.
Ci-contre, le schéma optique de UVEX. La fente d’entrée est en F. La lumière rencontre d’abord le miroir concave sphérique M1, puis le réseau R, le miroir concave M2, traverse le lentille cylindrique C, pour enfin être focalisée dans le plan du détecteur.
Les composants utilisés dans ce prototype sont des éléments standards au catalogue ThorLab, inc, , ce qui permet de réaliser un spectrographe rapidement et à bas coût. Le réseau est un modèle 300 traits/mm blazé à 4°18’ (référence ThorLab GR25-305). Le miroir M1 possède un rayon de courbure de 150 mm pour un diamètre de 25,4 mm (référence CM254-074-G01), alors que le rayon de courbure du M2 est de M2 est de 200 mm (référence CM254-100-G01). Les miroirs sont fixés dans des montures ThorLab type LMR1/M.
Vue 3D de la formule optique UVEX
Implémentation mécanique
Disposition employée pour la première lumière du spectrographe UVEX le 20 septembre 2016 (observatoire de Castanet-Tolosan). L’instrument est installé au foyer direct d’un télescope Newton de 200 mm f/5. Pour ces essais préliminaires on ne dispose pas de système de guidage et la fente est retirée pour faciliter le pointage (configuration « slitless »).
Vues CAO du prototype numéro 2 réalisé en impression 3D. Plusieurs améliorations sont apportées, notamment le possibilité de faire pivoter le réseau via un levier pour sélectionner aisément la partie du spectre observée. En outre, les divers composants sont immédiatement en position par rapport au schéma optique, ce qui évite une fastidieuse phase de réglage, compliquée par l’utilisation de miroirs travaillant hors axe.
Quelques vues de la version « impression 3D » réalisée (une caméra ASI290MM fait ici office de détecteur et donne l’échelle).
Le prototype #2 en action sur un télescope Newton de 200 mm f/5 (marque Kepler). Pour palier l’absence de système de guidage au foyer dans ce prototype une petite lunette auxiliaire équipée d’une caméra guide est montée en parallèle sur le tube du télescope. Ce n’est pas idéal, mais cela rend tout de même service.
Aspect du spectre 2D de l’étoile lambda Auriga, de type spectral G1V pris avec le spectrographe UVEX.
Les longueurs d’onde vont croissantes de gauche à droite. Les deux raies proches et intenses dans le coté gauche sont les raies H&K du calcium ionisé une fois, aux longueurs d’onde de 3933,7 et 3968,5 A. La caméra d’acquisition est un modèle ATIK460EX (dispersion moyenne de 0,76 A/pixel).
On remarque dans l’image 2D du spectre que la largeur de la trace (suivant l’axe spatial) varie fortement en fonction de la longueur d’onde. Cette largeur provient de l’astigmatisme naturel de la formule optique Czerny-Turner. Cette aberration est réduite par l’ajout d’une lentille cylindrique, voir quasi annulée pour une longueur d’onde que l’on peut choisir. La lentille cylindrique actuellement utilisée est du type plan-convexe (référence ThorLab LJ 1934L1-A). Noter qu’il est possible de corriger quasi parfaitement l’astigmatisme sur tout le domaine spectral enregistré en employant une lentille cylindrique à rayon de courbure variable. Un tel composant n’est malheureusement pas disponible sur étagère… il faut faire du sur-mesure (en technologie « free-form » par exemple). Pour optimiser la transmission optique dans l’ultraviolet, l’usage du quartz pour cette lentille est par ailleurs idéal.
Quelques résultats…
Spectre UVEX de l’étoile lambda Auriga comparé au spectre de l’étoile HD209458 extrait de la base de donnée CALSPEC. Le type spectral de ces deux objets est très voisin. Le spectre CALSPEC est décalé de 0,25 unité pour améliorer la lisibilité. Les données sont traitées avec le logiciel ISIS.
Détail des spectres de lambda Aur et HD209458, entre 3450 et 4400 A. L’exploitation du spectre UVEX vers 3450 A pour l’étoile visée est limitée par le rapport signal sur bruit (pose de 18 x 40 sec). Dans l’intervalle spectral affiché les détails entre les deux profils sont correctement corrélés.
Spectre ultraviolet de l’étoile Vega. Sur cet exemple, il est remarquable de contacter l’observation d’un signal significatif à une longueur aussi courte que 320 nm, alors que l’observatoire est situé dans un site de plaine et que le détecteur CCD (Sony ICX694) n’est pas spécialement optimisé pour capter des photons d’aussi courte longueur d’onde. On note la présence de raies autour de 320 nm (en réalité des bandes moléculaire). Il s’agit de la signature ultraviolette de l’ozone atmosphérique (O3), une structure connue sous le nom de bandes de Huggins. Ces bandes marquent le début du coté bleu d’une absorption très sévère du rayonnement des objets céleste par la couche d’ozone de l’atmosphère terrestre. Cette dernière devient totalement opaque en dessous de 3100 A. Dans ce spectre de Véga nous observons donc quasiment l’ensemble du spectre ultraviolet accessible depuis un point d’observation proche du niveau de la mer (attitude 150 m). Pour faire mieux, il faut embarquer le spectrographe sur un ballon stratosphérique, ou observer depuis un satellite en orbite autour de la Terre !
Spectre de l’étoile gamma Cas (type Be) pris dans des conditions voisines que pour le spectre de Véga ci-devant. Par rapport à ce dernier on note ici l’aspect très différent du continuum en deçà et au delà de la limite de Balmer (environ 3700 A) par rapport à Véga. Les bandes de Huggins sont encore ici bien visibles. La raies en émission vers 4830 A est la raie en émission Hβ.
Ci-après, une collection de spectres UV d’étoiles Be :
Maintenant, un spectre de la lumière du jour (fond de ciel bleu) en équipant UVEX d’une fente de 25 microns de large. Le temps de pose est de 0,05 seconde en utilisant une caméra ASI290MM. Cette très peut couteuse est équipée d’une une matrice CMOS amincie Sony, c’est-à-dire un composant ayant un très bon rendement quantique dans l’ultraviolet et très bien valorisé ici :
La limite ultraviolette enregistré est voisine de 3100 A, ce qui constitue mon record actuellement. La version 2D de ce même spectre (remarquer la position du doublet H&K du Ca II) :
La puissance du concept UVEX transparait dans le document suivant. On y voit un spectre de l’étoile Véga construit en fusionnant 3 spectres distincts couvrant autant de domaine spectraux en pivotant le réseau à diffraction (l’observation date de juillet 2017). Il s’agit de combiner un spectre ultraviolet (configuration « UVEX »), ‘un spectre visible (configuration « VISEX ») et un spectre infrarouge (configuration « IREX »). Avec un seul et même spectrographe il apparait donc possible d’observer l’ensemble du domaine spectral accessible à un capteur silicium depuis un observatoire situé au sol, de 0,32 micron à 1,1 micron de longueur d’onde.
En résumé
L’initiative UVEX prouve qu’il est possible de réaliser un spectrographe répondant au cahier des charges initial : un instrument haute performance pour un coût réduit.
La haute performance concerne avant tout la très large couverture spectrale permise par l’usage d’une combinaison optique achromatique quasiment « tout miroir » et comprenant un minimum de surfaces. On est aussi aidé en cela par l’arrivée opportune d’une nouvelle génération de caméras CMOS aux qualités très cohérentes avec notre besoin (prix bas, capteur aminci éclairé par l’arrière à haut rendement quantique et domaine spectral étendu…). Le pouvoir de résolution en mode « slit less » est actuellement compris entre R = 500 et R = 1000 dès lors que l’on utilise un télescope de diamètre relativement modeste (jusqu’à D = 200 mm environ). L’ouverture du faisceau entrant peut aller jusqu’à f/5.
Le cout réduit résulte de l’emploi de simples miroirs sphériques disponibles sur étagère, de même pour ce qui concerne le réseau, et d’une formule optique dépouillée. En ce sens, la solution « impression 3D » se révèle crédible techniquement dans un contexte de production industrielle, ainsi que dans un contexte de réalisation par soi même du spectrographe. Le prépositionnement des composants allège par ailleurs considérablement la procédure de réglage et constitue aussi un atout fort de l’impression 3D.
Le projet est cependant loin d’être finalisé, outre des retouches concernant la CAO, il faut souligner deux points :
(1) En l’état, le spectrographe ne peut être mis entre toutes les mains en raison de l’absence d’un système de guidage/pointage sur fente étroite. Sans un tel dispositif, l’emploi de l’instrument se révèle pointu à l’usage. Pour la même raison, la productivité lors des observations en est sérieusement affectée alors même que le rendement radiométrique est intrinsèquement élevé - on gâche donc ici un fort potentiel. Implémenter ce système dans un volume très étroit pose question. Rien n’est cependant insoluble, mais il reste du travail…
(2) L’astigmatisme de la formule Czerny-Tuner n’est que partiellement corrigé avec l’emploi d’une lentille cylindrique disposée juste à l’avant du détecteur. Pour une correction quasi parfaite et en tant qu’option, le bon schéma consiste à employer une lentille du même type mais dont le rayon de courbure est variable en fonction de la coordonnée le long de l’axe spectral. Il faut s’en doute faire appel à la technologie d’usinage optique dite « free-from » pour parvenir à ce résultat, ce qui a un prix. UVEX peut fonctionner sans cette amélioration, mais celle-ci rend l’instrument quasi parfait. Si on poursuit ce dernier but, il faut mettre sur la table toutes les solutions permettant de réaliser une telle lentille optimisée (si possible taillée dans du quartz en raison de la très bonne transmission dans l’UV de ce matériau) ou réaliser un miroir déformé ayant la même fonction.
Il reste donc quelques jalons à franchir, mais même tel quel, UVEX a des capacités fascinantes et montre la voie d’une génération d’instruments aptes à démocratiser plus encore la spectrographie et à produire plus encore de données à valeur scientifique.
The UVEX initiative proves that it is possible to produce a spectrograph meeting the initial requirements: high-performance for a reduced cost.
The main high performance concerns the very broad spectral coverage allowed by the use of an achromatic optical configuration (a nearly « all mirror » solution) and a minimal optical surfaces number. We are also helped by the providential new generation CMOS cameras i.e. very consistent qualities with our need: low price, back-illuminated sensor with high quantum efficiency and extended spectral range... The spectral resolution power in "slit less" mode is currently between R = 500 and R = 1000 by using a relatively small diameter telescope (up to D = 200-mm). The entrance aperture go up to f/5.
The reduced cost come from the use of simple spherical mirrors available on the shelf, the same for the grating, and a stripped optical formula. In this sense, the « 3D printing » solution is technically credible in a context of industrial production, as well in a context of a by itself realization (diffusion of CAD design). The critical components prepositioning also simplify the adjustment procedure - thanks to the « 3D printing » !
The project is however far from being finalized, besides adjustments concerning CAD, it is necessary to underline two points:
(1) At this stage, the spectrograph can not be placed in all hands due to the lack of a narrow slit guidance/pointing system. Without such a device, the use of the instrument is not a simple task. For the same reason, the productivity is seriously affected, even though the radiometric efficiency is intrinsically high - so we are wasting a lot of potential here. Implementing this slit system in a very small volume is not an easy task. Nothing is however insoluble, but there is still work ...
(2) The astigmatism of Czerny-Turner formula is only partially corrected by the use of a classical cylindrical lens just in front of the detector. For an almost perfect correction and as an option, the use of a variable curvature radius cylindrical lens along the spectral axis is a fine solution. It is likely to use the optical machining technology called "free-from" to achieve this result, which has a cost. UVEX can work without this enhancement, but this makes the instrument almost perfect.
So there are some milestones to go through, but UVEX has fascinating capabilities and is leading the way in the generation of instruments that can further democratize spectrography and produce more and more scientific data.