OPTIMISATION DU SPECTROGRAPHE eShel

par  Christian Buil

Octobre 2020

L’instrument eShel est un spectrographe type échelle fabriqué par la société Shelyak Instruments. Son pouvoir de résolution est de R = 13000 environ. L’appareil est couplé au télescope au travers d’une fibre optique de 50 microns de diamètre. L’ensemble est complété par une bonnette spécifique : un dispositif qui permet d’injecter la lumière de l’étoile au foyer du télescope et qui sert aussi au guidage durant les poses. Une description de eShel est donnée à cette adresse : http://www.astrosurf.com/buil/eshel3/review.htm.


Le présent article décrit l’ensemble des améliorations que j’ai effectué sur le eShel ces dernières années afin d’en améliorer la performance. Divers sujets sont discutés, dont la transmission optique du télescope, l’optique du spectrographe, les caractéristiques propres des caméras CMOS (on évoque en particulier les particularités du capteur 24x36 Sony IMX455) et le traitement des données (introduction de l’algorithme CMED permettant une réduction d’une forme de bruit généré par les capteurs CMOS).



1. Le télescope


Un de mes objectifs a été d’améliorer la sensibilité globale dans la partie bleue du spectre, voire même la partie ultraviolette, le spectrographe eShel de base montrant un déficit de performance à ces longueurs d’onde. Mais ce travail doit commencer dès le télescope. Il ne sert à rien en effet d’optimiser le spectrographe si tout est ruiné en amont, par un télescope qui coupe le rayonnement désiré. En la matière, il y a des pièges assez redoutables. Voici une démonstration :

La courbe tracée en rouge est celle du profil spectral de l’étoile alpha And alors que l’on utilise un télescope Schmidt-Cassegrain Celestron 11 équipé d’un réducteur de focale (Celestron) pour passer à ouverture à f/6.3 (une fibre optique fonctionne d’autant mieux que le faisceau est très ouvert à son entrée, l’idéal étant f/3.5 - f/4). La courbe noire représente le profil spectral de la même étoile, la même nuit et traitée de la même manière, mais en exploitant cette fois un télescope Newton de la marque Kepler de 200 mm de diamètre ouvert nativement à f/5. Le déficit de signal enregistré à l’extrémité bleue du spectre en utilisant un C11 est criant. La courbe suivante montre le signal relatif enregistré entre ces deux télescopes :

D’où vient cette différence ? Certes, la lame de fermeture d’un SC est opaque au rayonnement ultraviolet, mais cela concerne des longueurs d’ondes plus courtes que celles explorées ici. De même, les traitements antireflets modernes et sophistiqués ne sont optimisés que pour la partie visible du spectre, mais cela ne peut aussi expliquer un si fort écart entre les deux équipements. Du reste, la transmission optique intrinsèque de plusieurs réducteurs de focale a été mesurée par l’auteur et celle-ci apparaît assez neutre spectralement jusqu’à 400 nm (c’est une autre histoire en dessous de 380 nm, ce qui est d’importance pour les utilisateurs du spectrographe UVEX par exemple)  :

La seule explication qui tienne vraiment est la présence de l’aberration chromatique qui affecte tout système dioptrique (composé de lentilles).  On peut penser au sphérochromatisme du Schmidt-Cassegrain, mais la majorité du problème est à chercher du coté du réducteur de focale. La délocalisation des étoiles consécutive dans le bleu et l’UV élargie leur image au foyer du télescope, ce qui réduit d’autant la quantité de lumière parvenant au spectrographe. Le flux optique déborde en effet du diamètre de la fibre. Le phénomène s’accentue au fur et à mesure que l’on plonge dans le bleu profond. On retrouve le même phénomène si le C11 est remplacé par une télescope Richey-Chrétien GSO (RC), en soit potentiellement excellent (pas de lame de fermeture), mais détérioré par l’ajout d’un réducteur de focale dioptrique (pour passer de f/8 à f/6,5) :

Ici encore, la dégradation du rendement dans le bleu du RC équipé d’un réducteur est très forte (un facteur 4 par rapport au Newton, dont la formule optique ne comporte que des miroirs).  Voici ce même rapport lorsqu’on retire le réducteur de focale  de la combinaison RC :

L’écart est nettement moins important. On soupçonne que les miroirs du RC sont recouverts d’un traitement diélectrique qui accroit le rendement dans le milieu du spectre visible, mais le dégrade les longueurs d’onde extrêmes, alors que le Newton Kepler de 200 mm semble disposer d’une aluminure, simplement protégée par une monocouche de silice, plus neutre spectralement, ce qui est l’idéal. 


Une conclusion s’impose : la première chose à faire lorsqu’on ambitionne d’observer un large domaine spectral est de proscrire l’emploi d’un réducteur de focale (les modèles dioptriques classiques proposés dans le commerce). Cela concerne le spectrographe eShel, mais aussi bien d’autres équipements (Alpy, LISA, UVEX, …). 


Comme je l’ai laissé déjà entre, l’usage optimal des fibres optiques demande l’emploi de télescopes bien ouverts, entre f/3,5 et f/6. Cette forte luminosité améliore le rendement d’ensemble (réduction du FRD i.e. « Focal Ratio Degradation ») et diminue le bruit modal (le continuum spectral est plus lisse et plus stable dans le temps). La limite haute acceptable est f/8, ce qui est le rapport d’ouverture de la plupart des télescopes Richey-Chretien disponibles sur le marché amateur, et très populaires aujourd’hui. Si vous exploitez un RC f/8, utilisez-le à cette ouverture et surtout pas avec un réducteur de focale, vous avez compris pourquoi en lisant ce qui précède. Pour ma part, je me suis équipé de télescopes Newton (200 mm f/5 et 250 mm f/4) pour exploiter aux mieux des spectrographes à fibre optique — mais avec l’inconvénient majeur d’un encombrement vite excessif si on vise un diamètre plus grand.


Puisque nous en somme au télescope, si quelques poussières déposées sur le miroir primaire (la surface la plus exposée) n’affectent que très marginalement la transmission optique, en revanche, une couche graisseuse qui se dépose en particulier lorsque l’observatoire est urbain, peut absorber une fraction des photons bleus et ultraviolets incidents. Autant bien nettoyer ce miroir primaire lorsque cette situation se présente. La méthode que j’utilise pour cela est simple, car j’essaye de ne pas altérer la collimation du télescope et je minimise les manutentions afin de réduire les risques de casse…



Il faut bien sûr retirer le barillet du tube du télescope, mais en revanche je garde le miroir dans son barillet. Le voici à gauche, bien poussiéreux et surtout recouvert d’une fine couche graisseuse qui s’est déposée avec le temps. Le miroir n’est pas démonté de son barillet.

Le premier secret pour bien faire est de ne JAMAIS utiliser de produit chimique ou de produit détergent comme on peut le lire un peu partout. De l’eau, tout simplement de l’eau, du robinet même ou d’une bouteille d’eau minérale. Dans 99% des situations, c’est tout ce qu’il faut. Vous évitez ainsi les accidents d’attaque chimique ou autres, et c’est aussi de loin le plus simple (et c’est un opticien qui vous dit cela). 


En dehors de l’eau, le second élément nécessaire est du coton hydrophile de pharmacie.


Au début, ne JAMAIS frotter à sec le miroir. Imbibez un coton d’eau, et seulement après frottez la surface du miroir avec celui-ci. Ne pas hésiter à utiliser beaucoup d’eau.

Un autre grand secret est de changer TRES fréquemment de coton. Toutes les 5 ou 6 secondes de frottement, vous pouvez pendre un nouveau bout, surtout au début de l’opération. L’idée est de ne pas étaler les salissures, mais de les retirer. A la fin, vous aurez une montagne de coton, à ne pas ré-utiliser bien sur. Plus cette montagne est haute, mieux c’est !

L’une des clefs de la réussite est de ne jamais toucher avec les doigts la partie du morceau de coton qui sera en contact avec le miroir, sinon vous allez auto polluer la surface. Arrachez donc avec précaution des bouts de coton assez généreux du sachet en pensant toujours à cette règle.

Après avoir frotté avec une force modérée en utilisant toujours du coton généreusement imbibé d’eau et sans insister plus que cela (il faut être très doux… comme du coton), laissez les quelques goûtes d’eau résiduelles s’évaporer toutes seules. Parfois, c’est l’instant de panique, car des traces apparaissent nombreuses à la surface. On se dit que l’on a fait plus de mal que de bien ! Pas d’affolement. Si elles sont vraiment nombreuses, vous pouvez refaire une séance de nettoyage à l’eau, mais en général on peut passer à la seconde phase, celle du « nettoyage à sec ». En fait pas tout à fait, car vous avez un outil formidable, la buée qui sort de votre bouche ! Soufflez cette buée sur  une zone du miroir, et frottez celle-ci délicatement avec un bout de coton sec et neuf à chaque fois. Il faut un peu de patience si la surface du miroir est grande, mais vous allez petit à petit enlever les traces. 

La buée permet aussi de repérer les endroits qui sont encore sales, car alors elle s’évapore un peu moins vite en ces parties et permet de repérer les traces résiduelles. Pensez à aller dans les recoins, et comme toujours, changez de coton fréquemment.

Eclairez bien la surface de travail pour bien analyser l’avancement du travail. Si des traces de gras résistent, n’insistez pas, recommencez un nettoyage à l’eau en faisant un nouveau cycle. Il est assez courant de réaliser deux cycles complets si le miroir n’a pas était nettoyé depuis longtemps ; c’est normal. Le truc qui ne trompe pas est que lorsque le miroir est bien propre, le frottement avec un coton légèrement humide provoque un crissement et même une résistance. Cela signifie qu’il n’y a rien entre les fibres du coton et la surface moléculaire du miroir, et que ce dernier est donc parfaitement propre.

Et vous allez y arriver avec cette méthode de nettoyage simple, écologique et sans risque. Vous pouvez remonter le barillet sur le tube et le plus souvent, il n’est même pas utile de collimater si vous avez pris la précaution de repérer l’orientation de montage au début. 


Pourquoi faire compliquer quand on peut faire si simple !

2. L’optique du spectrographe


La qualité image délivrée par le spectrographe eShel est rapidement dégradé en dessous de la longueurs d’onde de 425 nm. C’est encore l’aberration chromatique qui fait ses oeuvres. Le flou généré rend délicat l’exploitation à des longueurs d’onde plus courtes. Rappelons que eShel comporte deux éléments qui ont une puissance optique et sont donc capables de produire du chromatisme : le doublet achromatique constituant le collimateur et l’objectif de caméra, une optique photographique Canon de 85 mm de focale ouverte à f/1,8.

La première action a été de travailler avec Shelyak pour que soit conçu un doublet collimateur mieux corrigé. J’ai ensuite passé du temps et dépensé un peu d’argent pour trouver des objectifs photographiques de meilleure qualité que le 85 mm f/2,8 de base, puis enfin, j’ai analysé la possible compensation du chromatisme du collimateur par celui de l’objectif afin de constituer un ensemble plus ou moins apochromatique, sans tout chambouler dans le spectrographe.


Ces recherches sont passées par les optiques photographiques Samyang, très efficaces sur le papier et peu coûteuses car très dépouillées. De fait, pour le photographe traditionnel et l’astrophotographe, le piqué d’image délivré par ces objectifs, souvent très lumineux, est vraiment bon, et la construction excellente pour le prix (et très clairement, j’ai vu des objectifs de marque bien plus décentrés et scandaleusement mauvais dans ma carrière !). Voici par exemple, ci-contre, le spectrographe eShel équipé du spectaculaire objectif Samyang 85 mm /1,2 et d’une caméra ASI1600MM (capteur CMOS). J’ai aussi testé le Samyang 135 mm f/2 dans la même situation.

Il est vite apparu que les optiques Samyang étaient d’une qualité supérieure à celle de l’objectif Canon 85 mm f/2,8 en terme de piqués d’images, en tout cas, dans le contexte de l’utilisation avec eShel. Le document qui suit montre un ensemble de sous-images d’un spectre Thorium-Argon pour plusieurs objectifs (la capture est faite avec une caméra Aik460EX dans le cas de l’objectif de base 85 mm f/2 et avec une caméra ASI1600MM pour les objectifs Samyang, le plus gros capteur CMOS auquel j’avais accès au moment de ces essais).

Avec le Canon 85 mm f/1.8, le défaut de chromatisme se révèle élevé dans la partie inférieure de l’image (le flou constaté dans les les monochromatique de la lampe Thorium Argon), une zone correspondant à la partie bleue du spectre.  L’objectif Samyang 85 mm f/1.2 donne un résultat meilleur. Mais c’est surtout l’objectif Samyang de 135 mm f/2  a suscité un grand espoir en permettant d’étendre le domaine spectral exploitable de 4 ordres de diffraction dans le bleu ; un gain très fort. Bien sûr, cette longue focale implique l’utilisation d’un détecteur de plus grande taille pour saisir toute l’image du spectre échelle. Mais cela tombe bien avec l’arrivée de capteurs CMOS de qualité pour un prix relativement modeste (comparativement au CCD), comme le capteur Panasonic qui équipe la caméra ASI1600MM. Une très belle conjonction technique ! Voici la même comparaison, mais sous la forme d’un profil spectral, celui de l’étoile 28 Tau (le continuum est rectifié pour une meilleure lisibilité) :

Malheureusement, un déficit de flux a été vite repéré dans le bleu avec les objectifs Samyang. La mesure de la transmission optique de l’ensemble de ces objectifs confirme ce point (mesuré par l’auteur avec un spectrographe LISA) :

La transmission optique des objectifs Samyang testé s’écroule en dessous de 400 nm (aussi bien le 85 mm que le 135 mm). La chose ne va pas gêner le photographe, et c’est même plutôt un avantage car l’objectif coupe par lui-même le rayonnement ultraviolet nuisible à cause de la mauvaise correction optique des objectifs en général dans ces longueurs d’onde. C’est une autre affaire pour la spectrographie, où la chose est totalement rédhibitoire (car aucun signal n’est mesurer au final). L’explication technique n’est pas connue officiellement, mais je soupçonne que les optiques Samyang comportent des lentilles en plastique pour abaisser le coût. Si c’est le cas, cela ne signifie pas pour autant que ces optiques sont de mauvaises qualité. On voit le contraire même, car on sait faire aujourd’hui des lentilles en plastique aussi efficaces que des lentilles en verre pour ce qui concerne la conduite des rayons lumineux.  Pas de soucis de ce coté là. 


Malheureusement la transmission optique en pâtit, et gravement pour nous : le plastique absorbe le bleu profond et l’ultraviolet. Mais la piste d’une longue focale pour équiper eShel est correcte, et finalement, la bonne pioche a été l’objectif Canon 135 mm f/2 Série L, de facture plus classique et plus cher, mais qui c’est révélé très bon pour notre application. En outre, le couplage avec la nouvelle optimisation du collimateur a permis d’atteindre une forme d’apochromatisme permettant d’observer le spectre avec la quasi résolution spectrale théorique jusqu’à 3750 A environ, ce qui est remarquable. Les images suivantes montrent le très bon couplage trouvé entre le nouveau collimateur (disponible auprès de Shelyak) et le Canon 135 mm f/2 :

Ci-dessous, l’ensemble de l’image du spectre échelle du Soleil, dans la version optique optimisée de eShel (noter la large couverture spectrale depuis les raies Ca II infrarouge jusqu’aux raies Ca II ultraviolette et au delà) :

Conclusion de cette partie : pour optimiser le fonctionnement de eShel, ce procurer le couple constitué du nouveau collimateur Shelyak et de l’objectif Canon 135 mm f/2, puis utiliser un capteur grand-format pour saisir le large spectre ainsi produit. Tout ceci a un coût financier malheureusement, mais c’est aussi le prix d’une performance supérieure.  

3. La fibre optique


La concentration de OH dans une fibre détermine le niveau d’atténuation du flux optique sur sa longueur. Pour une atténuation minimale dans le visible et l’ultraviolet il faut sélectionner une fibre dite « high-OH ». Shelyak peut fournir ce type de fibre, mais vous pouvez aussi l’acheter facilement chez ThorLabs avec les caractéristiques qui vous conviennent le mieux (longueur, type de gaine, …).  J’utilise actuellement une fibre ThorLabs multimode de 50 microns FG050UGA à gainage métallique de 15 mètres de long (le connecteur est du type FC/PC). J’emploie l’équivalent en 200 microns pour pour conduire la source d’étalonnage, ici encore sur une longueur de 15 mètres. 

Des agitateurs (scrambler) secouent la fibre science lentement et continuellement sur une large amplitude. J’utilise le mouvement oscillatoire de grande amplitude de ventilateurs domestiques sur lesquels on attache une portion de la longueur de la fibre. Ce système scrambler, rudimentaire, brouille la structure modale de la fibre et diminue significativement les artefacts dans les spectres, induits par les modes propagés, que l’on peut assimiler à un bruit modal. Chez les amateurs peu d’utilisateurs du spectrogragraphe eShel (ou tout autre spectrographe à fibre travaillant avec un haut pouvoir de résolution) emploient ce type de dispositif, alors que pourtant… 

On trouvera sur la page : http://www.astrosurf.com/buil/modal_noise/, un article sur cette question. Ne pas secouer la fibre induit un bruit dans les données, dans la valeur est traduites dans mon cas en chiffres dans le tableau suivant :

Les valeurs du tableau expriment le bruit mesuré dans un spectre d’une lampe tungstène, c’est-à-dire un spectre continu. On étudie l’ordre 37 de eShel. Si la distribution statistique du bruit de mesure est gaussien, ce qu’il faut toujours viser, le bruit doit diminuer en racine carrée du nombre d’images que l’on moyenne. Par exemple, entre un spectre et la moyenne de deux spectres (indépendants) le bruit est réduit d’un facteur RACINE(2)=1,414. C’est la situation idéale en mesure physique. La colonne « Gain théorique » du tableau montre ce gain attendu si on moyenne 5, 10 et 24 spectres. Il atteint 4,9 pour 24 pour un nombre de 24 spectres par rapport à l’acquisition d’un seul spectre.


La colonne « Fibre secouée » montre le gain constaté lorsque la fibre est agitée durant l’observation (avec un jeu de deux ventilateurs). Dans la parenthèse j’indique aussi le rapport signal sur bruit mesuré (RSB). Pour une moyenne de 5 spectres, la réduction du bruit est significative, mais on s’aperçoit que l’on n’atteint pas tout à fait la valeur théorique (1,87 pour 2,24). La moyenne de 10 spectres apporte aussi un bénéfique, mais à partir de cette valeur, l’augmentation du rapport signal à bruit stagne sérieusement. L’explication vient de ce que la bruit gaussien (essentiellement le bruit de lecture du détecteur et le bruit de photon du signal) devient négligeable à partir d’une moyenne de 10 images face à un bruit structurel, ou bruit fixe : le bruit de speckle produit par les modes de la fibre. Cette expérience montre qu’au-dessus d’un rapport signal sur bruit de 400, mon système de brouillage de fibre devient insuffisamment efficace. Il faudrait l’améliorer pour dépasser cette valeur (agiter plus fortement et à plusieurs fréquences, réaliser un brouilleur optique, etc). Je considère qu’un RSB de 400 est un résultat très honnête, car on ne l’obtient que sur des astres très brillants, rarement observés 


Mais que ce passe-t-il si la fibre n’est pas du tout secouée durant les observations ? La dernière colonne du tableau donne la réponse Dans ma configuration, que l’on moyenne 5, 10, 24,… ou 1000 spectres, le rapport signal sur bruit ne change pas et reste bloqué autour de 150 à 160. Autrement dit, lorsque le signal produit par l’objet permet d’atteindre ce RSB, il ne sert plus à rien de continuer à moyenner des spectres. Cette sérieuse limitation est illustrée sur la figure suivante :

Ces profils correspondent à des prises d’images de la lampe tungstène très brèves, avec un temps d’intégration inférieur à 0,1 seconde. Le seul  moyen d’accroître le rapport signal sur bruit consiste ici à calculer la moyenne de plusieurs acquisitions successives. Dans la situation de la ligne du haut de la figure, alors que la fibre est agitée en permanence, la moyenne de 24 profils est efficace pour augmenter le RSB.  Dans la situation de la ligne du bas, la fibre n’est pas agitée, et la moyenne n’améliore quasiment pas le bruit pas rapport à une pose unique. 


Le même phénomène s’observe en visant des étoiles, sauf que l’effet moyenne est réalisé sur la durée totale de la prise d’un spectre, qui peut durer plusieurs minutes voir plusieurs dizaines de minutes. Si sur cette durée la fibre n’est pas secouée, le bruit modal demeure visible, même après une longue exposition.


Si l’origine de ce bruit est parfaitement établie (propagation de modes dans une fibre), son importance apparente peut varier assez fortement d’une configuration à l’autre (ce problème est un grand classique de la spectrographie à fibre, y compris  chez les professionnels !). Mon constat, sur un petit échantillon, laisse penser que l’ensemble des spectrographes eShel distribué est affecté (à des degrés divers ?). En ce qui me concerne, l’agitation mécanique de la fibre est le seul moyen technique trouvé pour réduire le bruit modal. Il faut noter en outre que ce bruit s’accroît si le télescope est optiquement fermé : dans mon cas, fort à f/4,5, très fort à f/8 et énorme à f/10. Les utilisateurs de fibres à fort diamètre (100 microns pour le coeur) sont en revanche avantagés car le nombre de modes propagé augmente, ce qui réduit l’effet de speckles. Les professionnels qui exploitent des fibres de 80 à 100 microns de diamètres, couplées à de gros télescope, sont avantagés. Je soupçonne que la manière d’éclairer le collimateur a aussi un effet.


Bien sur, si on observe des étoiles avec un rapport signal à bruit de 10 à 50 (correspondant à des astres de faible éclat), le bruit modal est négligeable, et l’agitation n’est donc pas nécessaire. Mais, très souvent les objets sont plus lumineux et dans ce cas, quoi qu’on fasse, le bruit modal devient la limite. Tout utilisateur sérieux de eShel devrait (1) tester la présence du bruit modal, comme indiqué ci-avant (est-ce que le bruit diminue en racine du nombre de spectres moyennés ?), (2) se résigner à agiter la fibre par le moyen de son choix si le bruit modal est présent (ce qui est hautement probable).

Pour conclure cette partie consacrée la fibre optique, voici une petite astuce : une fibre possède deux extrémités et le choix de l’extrémité a exploité du coté télescope d’importance. Les pertes de flux à l’entrée d’une fibre peuvent dépendre de l’état du polissage du plan d’entrée. Il y a fort à parier qu’une extrémité est plus efficace que l’autre, aussi, de jour, viser le ciel bleu du ciel et prendre un premier spectre, puis un second en intervertissant les extrémités. Bien sûr vous, allez choisir la configuration qui donne le signal maximal en un point donné du spectre solaire digitalisé. Suivant les cas, le gain en flux peut aller de 10 à 30%, ce qui n’est pas du tout négligeable. Cette opération, qui ne dure que quelques minutes est souvent hautement rentable.


Un conseil, prenez grand soin des extrémités de votre fibre de 50 microns de coeur. Si vous le pouvez, évitez de déconnecter souvent la fibre de la bonnette via la prise FC/PC, cela réduit les risques de l’abîmer par des chocs et des fausses manoeuvres. 

De temps à autre, penser à frotter très délicatement, sans insister, les extrémités de la fibre pour ôter d’éventuelles poussières en utilisant un papier doux non abrasif spécial pour nettoyer les verres (évitez les chiffons microfibres qui peuvent toujours pelucher). Si vous ne faites pas cela, voyez ce qui peut advenir :

Dans c’est exemple, une poussière déposée sur la face de la fibre coté spectrographe, comme ici,  est facile a repérer dans les images monochromatiques des raies du thorium-argon. Elle doit être éliminer sous peine de perdre un flux optique significatif ((la surface collectrice équivalente du miroir principal de télescope peut passer de 250 mm à 200 mm. dans les mauvaises situations). Pensez que la même chose peut se produire coté télescope.

Après un léger frottement de l’extrémité de fibre avec un papier optique doux, le problème est réparé et le gain en flux es très significatif.

4. Régulation en température


Une variation de température de fonctionnement du spectrographe induit une erreur d’étalonnage d’environ 3 km/s par degré, ou 0,055 angströms au centre du spectre visible à cause de la variation de l’indice de réfraction de l’air. Cet effet est discret, mais il peut être détecté avec un spectrographe eShel et donc se révèle gênant pour les travaux de haute précision. Mais surtout, une régulation en température réduit les risques de déformation thermoélastique du spectrographe, à l’origine d’erreurs aléatoires d’étalonnage spectral. La vue à droite montre le spectrographe eShel logé en permanence dans une cave à vin où est maintenu une température voisine de 10°C, avec une stabilité assez satisfaisante en l’état  de +/-1 °C. L’instrument est ici équipé de l’objectif de 135 mm f/2 et d’une caméra ASI6200MM. Un autre avantage offert par la cave à vin est la capacité de descendre à une assez basse température de fonctionnement du capteur, ici -15°C en l’espèce avec la caméra indiquée. Cette basse température aide à la détection des objets faibles par abaissement du bruit thermique.

5. Le détecteur


En spectrographie, et tout particulièrement en spectrographie échelle, la valeur du bruit de lecture a un impact très fort sur le résultat obtenu.  Le bruit du fond de ciel étant en effet ici très faible en général, sinon nul, c’est bien le bruit de lecture (+ le bruit du signal thermique) qui domine et qui détermine la magnitude limite de l’instrument. Ce bruit est appelé RON, pour Read Output Noise. Dans les capteurs CMOS actuels, il est compris entre 1 et 2 électrons, alors qu’il est de 4 à 6 électrons dans les caméras CCD, dont l’usage devient de plus en plus marginal. Cette valeur exceptionnellement basse en CMOS est un atout potentiel en spectrographie, mais d’autres sources de bruits s’ajoutent (ce sont des pseudo-bruits),  qu’il faut savoir reconnaître et maitriser pour exploiter au mieux ce type de capteur (voir section suivante).


J’utilise ici une caméra toute récente au moment où est écrit cet article, la ASI6200MM (ZWO) équipée du détecteur CMOS Sony IMX455, de taille imposante (au format photo 24x36), et dont voici les principales caractéristiques mesurées par l’auteur sont résumées dans le tableau suivant :

Ce que ne précise pas le tableau, se sont deux points de rupture forts par rapport aux anciennes générations de capteur CMOS : l’absence totale d’électroluminescence, ou AmpGlow et la numérisation sur 16 bits, soit 65536 niveaux ou ADU (alors que pour la plupart des modèles antérieurs, la numérisation se fait sur 12 bits ou 14 bits). On entre donc dans l’âge adulte du CMOS. Un autre point fort à relever est la large taille du capteur, au format 24x36. Cette taille généreuse permet de saisir l’ensemble du spectre échelle délivré par le spectrographe eShel avec une bonne marge de sécurité, y compris avec un objectif de 135 mm de focale, comme l’indique l’image ci-après du spectre solaire, où la surface sensible totale est représentée  :

Bien entendu, lors des acquisitions effectives, on ne sauvegarde sur le disque que la portion juste utile (le fenêtrage réduit d’un facteur deux la taille des images dans le cas présent, et aussi le temps passé aux calculs). Attention, en CMOS il y a une règle d’or à respecter : il faut TOUJOURS acquérir les données spectrales en binning 1x1 afin de se donner le moyen de réduire le bruit par la suite, même si les fichiers paraissent encore gros, ici 117 Mo après le fenêtrage  - j’y reviens plus loin. Voici l’aspect de l’image « croppée » : 

Grace à cet équipement et au traitement appliqué, je peux acquérir des spectres jusqu’à la longueur d’onde de 3725 A (ordre 60) , un record pour le spectrographe eShel. Par exemple, ci-après,  le spectre de la brillante étoile Véga, qui sert classiquement d’objet de référence ; 

Malheureusement, comme dans tous les capteurs CMOS testés jusqu’alors, le IMX455 présente un défaut typique qui prend la forme d’un taux de génération de charges qui varie brusquement et aléatoirement dans le temps au niveau du pixel, produisant alors un signal aléatoire dit télégraphe (ou en abrégé RTS, pour  « Random Telegraph Signal »). De ce fait, l’histogramme du bruit de lecture s’éloigne de la forme gaussienne idéale (caractéristique des capteurs CCD). Voici une image à très haut contraste du signal d’offset du IMX455 qui montre bien le RTS (des pixels éparpillés et isolés dont le niveau monte ou descend significativement par rapport au niveau moyen) :

Cette structure évolue plus ou moins vite dans le temps, ce qui rend le défaut impossible à étalonner (c’est bien un bruit, du type 1/f). Notez bien que le RTS n’est pas propre au IMX455 ; on le rencontre par exemple dans le capteur CMOS Sony IMX183, qui équipe une caméra populaire comme la ASI183MM de ZWO. Notez encore que le bruit RMS de 1,6 électron indiqué dans le tableau de performance ci-devant prend en compte le bruit RS, ce qui signifie qu’il est assez discret, fort heureusement. Mais nous allons chercher malgré tout à l’éliminer grâce à un processus décrit à la section suivante.


Une question qui revient très souvent lorsqu’on utilise un capteur CMOS est celle du réglage des paramètres « gain » et « offset ». Ces réglages sont possibles en CMOS, et pas en CCD, ce qui déroute les utilisateurs de ces derniers capteurs. Le cas IMX455 est particulier, car à partir du gain de 100 (dans la terminologie ZWO), le bruit de lecture est quasi constant, compris entre 1,5 et 1,6 électron. Pour les utilisations courantes, il y a donc tout intérêt à travailler avec le gain de 100, car outre le bruit le plus bas, il offre alors aussi la dynamique maximale.

Mais ce n’est pas si simple… J’ai pu constater un problème subtil lorsqu’on se cale sur le gain de 100 et que l’on travaille avec des signaux très faibles (quelques ADU). Il est hautement probable que ce capteur, et sans doute d’autres CMOS, souffre d’un défaut de non-linéarité de réponse à très bas signaux de signal (quelques électrons à dizaines électrons de charge). Le profil spectral ci-contre montre le phénomène sur une étoile de magnitude 9, avec des vagues typiques indiquants que les ordres de diffraction se raccordent mal entre-eux, alors que le résultat est bien meilleur pour une étoile de magnitude 8 ou plus brillante pour un temps de pose unitaire identique.  Cette structure périodique indique que la fonction de blaze corrige mal la réponse des spectres à très bas niveau et avec ce gain de 100.

Le spectre à droite est celui d’une étoile de magnitude 9,7 réalisé cette fois avec un gain de 200. La restitution du continuum est bien plus satisfaisante. Conclusion : même si cela fait perdre de la  dynamique, je recommande fortement d’adopter un gain supérieur à 100 pour vos observations faibles flux. J’ai pour ma part choisi un gain de 200 et un offset réglé à la valeur 60 (il faut éviter absolument de voir apparaître des pixels dont l’intensité est « négative » à cause du bruit, des signaux qui sont alors tronqués, ce qui est source de biais de mesure). Ce réglage constitue un bon compromis entre la qualité radiométrique et la dynamique d’image. 

Noter que les auteurs du driver ASCOM de la caméra ASI6200MM n’autorisent pas actuellement un gain supérieur à 100, ce qui correspond donc à une dégradation d’un élément de la performance de la caméra. Il faut espérer que cette limitation sera corrigée dans le futur. J’utilise ici le driver natif du logiciel Prism, qui n’a pas cette limite en gain. Le tableau suivant permet de comparer les paramètres de la caméra ASI6200MM pour les gains de 100 et 200 :

Le rendement quantique « système » de la caméra ASI6200MM a été évalué au travers d’une campagne intensive de comparaison inter-caméras. Au minimum, les valeurs relatives entre caméras indiquées dans le tableau suivant sont correctes. Par QE « système », j’entends un rendement  qui inclue la transmission optique du hublot qui ferme la caméra et du fin hublot qui recouvre la surface sensible du détecteur. A priori, les fabricants donnent le rendement quantique de la puce photosensible nue, ce qui peut expliquer des valeurs mesurées ici légèrement inférieures à celles données par le fabricant généralement, surtout dans le bleu.

On remarque que le rendement quantique mesuré sur une caméra ASI183MM et une caméra ASI6200MM est fort semblable, sauf dans le bleu profond, où la performance de cette dernière est légèrement en retrait, ce qui constitue une déception. Par ailleurs, le rendement quantique au pic à 90% parfois affiché pour le IMX455 semble bien optimiste. La valeur absolue du rendement est sûrement plus proche de celle indiquée dans le tableau (80%, ou 82% au mieux si on retire la transmission des divers hublots que traverse la lumière jusqu’à la puce photosensible), ce qui représente déjà une très bonne performance. Si le QE était de 90% ou plus, la surface sensible aurait un aspect visuel s’approchant de celui du charbon (forte absorption de la lumière), ce qui n’est pas le cas ici.

5. Le traitement des données


La petite taille des pixels de la plupart des capteurs CMOS (3,76 microns pour le IMX455) est parfois considérée comme préjudiciable à la performance en détection faible flux. En réalité, ce format réduit peut être mis à profit pour filtrer très efficacement le bruit RTS et plus globalement, l’’ensemble des bruits du détecteur, jusqu’à atteindre un niveau nettement inférieur à 1 électron RMS sur l’image d’offset. C’est l’idée de l’algorithme CMED (« pour Cmos MEDian »), que j’ai développée et que je décris dans cette section (voir aussi une application pour les données provenant du spectrographe UVEX ici : http://www.astrosurf.com/buil/UVEX_soft/ )


Le but de CMED est ainsi de valoriser la petite taille des pixels, qui fait que les images acquises avec un capteur CMOS sont souvent sur-échantillonnée, à une fréquence spatiale bien supérieure à la fréquence optique donc. Dès lors, il est licite et facile de filtrer une large part du bruit RTS en appliquant un simple filtre spatial médian à l’image acquise en pleine résolution, c’est-à-dire en binning 1x1. Le filtre médian est un filtre dont la non-linéairité pose parfois problème en traitement d’image : il peut générer des artefacts et des erreurs photométriques. Mais la manière dont il est appliqué ici réduit considérablement ce défaut. Ces difficultés sont en quelque sorte masquées par la haute fréquence d’échantillonnage. L’algorithme comporte par ailleurs une étape de réduction de la taille de l’image par agglomération des pixels - une opération appelée binning - qui estompe plus encore les défauts potentiels. Voici l’ensemble du traitement réalisé dans le contexte CMED, l’algorithme proprement dit concernant les étapes de 3 à 6 :


- Etape 1 : Toujours effectuer les acquisitions en binning 1x1.

- Etape 2 : Réaliser le pré-traitement classique en demeurant en binning 1x1 : soustraction de l’offset (ou bias), du signal d’obscurité, division par le flat-field.

- Etape 3 : Appliquer un filtrage médian 3x3 (éventuellement 5x5 dans les situations de très fort sur-échantillonnage - voir plus loin).

- Etape 4 : Optionnellement, s’autoriser à réaliser un léger filtrage spatial gaussien. Ce filtrage aide à éliminer l’effet artificiel du filtrage médian de l’étape précédente et participe à réduire encore le bruit.

- Etape 5 : Binning de l’image d’un facteur qui préserve la résolution spatiale de l’image initiale afin de réduire encore légèrement le bruit et pour alléger la taille des images, généralement un binning 2x2 ou 3x3.

- Etape 5 : Exploiter de manière classique l’image résultante (corrections géométriques, extraction optimale du spectre, analyse scientifique…).


Voici sous forme graphique cet algorithme, avec le bruit à chaque étape dans une image d’offset d’une caméra ASI183MM, prise en exemple :


Voici ces mêmes étapes illustrées en images, celles de la lampe Thorium/Argon, réalisées avec un eShel équipé de la nouvelle optique (collimateur + Canon 135 f/2)) et d’une caméra ASI6200 exploité en mode binning 1x1. D’abord l’image brute :

Autour de la raie Halpha, l’échantillonnage spectral est de 0,048 A/pixel. En outre, on calcule que le pouvoir de résolution doit être de R = 13000 environ compte tenu du diamètre de la fibre et de la dispersion spectrale. On en déduit le FWHM d’une raie monochromatique, soit 6563 / 13000 = 0,505 A, soit encore 0,505 / 0,048 = 10,5 pixels. On est très au-dessus du critère de Shannon de 2 pixels/FWHM, le sur-échantillonnage est massif, ce qui est idéal pour CMED.


L’image suivante montre l’effet d’un filtrage median 3X3 du document précédent :

La résolution spectrale n’est quasiment pas affectée par cette opération (les images monochromatiques changent très peu d’aspect). En revanche, le bruit est fortement réduit (notamment le RTS) — voir plus loin. 


On profite de l’échantillonnage généreux pour réaliser un filtrage gaussien (l’équivalent de « GAUSS 2 » sous ISIS, ce qui correspond à une convolution par une fonction gaussienne dont la largeur à mi-hauteur est de 4,7 pixels) :

La finesse du spectre est un peu plus affectée mais demeure très bonne. Le pouvoir de résolution passe de R=13000 à R=12000 environ. Cette opération de filtrage gaussien casse l’aspect trop géométrique (« boxy ») de la réponse impulsionnelle spectrale en donnant un profil plus naturel aux raies étroites, tout en améliorant encore le rapport signal sur bruit.


Finalement, la taille de l’image est réduite d’un facteur 2 par agglomération 2x2 des pixels (binning), afin surtout que le poids des images pèse moins lourd pour la suite des traitements. Le FWHM reste fort correct pour ces traitements ultérieurs (FWHM=5 à 6), donc sans risque de générer des pseudo-bruits (par exemple lors de la correction des  distorsions géométriques) :

Voici la même séquence de traitement, mais cette fois vis-à-vis du bruit, en utilisant une image d’offset. D’abord l’image brute, où on mesure un bruit de 1,49 électron RMS :

Puis après le filtrage médian 3x3, avec pour résultat un bruit mesuré à 0,38 électron :

Puis après le filtrage gaussien de force 2  (dans le référentiel ISIS), avec un bruit RMS qui passe à 0,14 électron :

Puis enfin le binning 2x2, qui n’améliore pas très significativement le bilan de bruit, ici 0,13 électron au final (soit un bruit apparent de seulement 1,7 ADU — on comprend ici l’utilité de travailler avec un gain de 200 sur la caméra plutôt que 100, car on frise le bruit de quantification) : 

Cette dernière performance est en mettre en regard avec le pouvoir de résolution, qui lui reste stable du début à la fin. L’algorithme CMED permet un gain en détectabilié assez considérable dans la situation décrite, certes favorable (fort échantillonnage spatial du spectre, bon détecteur et faible bruit de photon). On estime que ce gain est voisin d’une magnitude, ce qui est très élevé lorsque l’on songe ce que cela représente en terme de diamètre de télescope (et on n’est plus très loin de pouvoir compter les photons un à un…).

6. Utilisation pratique du logiciel ISIS


La version 6 de ISIS ajoute un outil qui facilite la mise en oeuvre de l’algorithme CMED (onglet Instruments/CMOS).  Je vais ici en décrire l’usage,  qui reprend exactement les étapes exposées  précédement. Mais avant, j’évoque mes conditions d’acquisition des spectres et de pré-traitement, car ces éléments ont un impact sur le résultat final.


Le premier point que je développe est la question du temps de pose optimal en observation très faible flux. Une manière de faire pour établir un critère de choix est de s’intéresser au bruit thermique. La méthode consiste à calculer le temps de pose de manière à ce que le bruit thermique (égal à la racine carré edu signal thermique) soit voisin du bruit de lecture. A ce jeu, compte tenu du taux de charges thermique du capteur IMX455 utilisé  à -15°C, à savoir seulement 0,00049 électron par seconde (voir le tableau au début de cet article), ce temps avoisine une heure (3600 secondes). Cela signifie que le temps de pose idéal s’il faut réaliser le spectre d’un objet très faible est d ‘une heure. Et il vaut sûrement mieux réaliser une pose unique de 3600 secondes que fragmenter en 4 poses de 900 secondes, par exemple. Ce sont ici des considérations assez nouvelles en matière d’utilisation des capteurs CMOS (note : en imagerie planétaire avec capteur CMOS, on cumule un très grand nombre d’images, ce qui est un autre moyen de supprimer le bruit RTS et aussi faire de la sélection d’images, mais ici, en imagerie très faible flux, les temps de pose très longs sont fort efficaces,  en particulier grâce à l’algorithme CMED, capable d’éliminer efficacement des accidents comme les rayons cosmiques).

L’usage du CMOS n’enlève absolument pas l’importance de réaliser une carte « maitre » du signal d’obscurité de qualité avec au moins le temps de pose maximal d’observation. Par exemple, ici le calcul d’une image maître du signal thermique à partir d’une séquence de 10 images posées 1200 secondes, prises donc en obscurité (et bien sur en binning 1x1) :

La situation de l’image « maitre » du signal d’offset est différente avec les capteurs CMOS. Même en moyennant un nombre considérable d’images élémentaires, il est très difficile de faire ressortir une image qui ressemble à autre chose qu’à un signal constant sur toute la surface, en tout cas avec le IMX455. C’est assez impressionnant. Il s’agit plus d’un biais électronique qu’un offset. . En fin de compte, le mieux et le plus expéditif est de synthétiser une carte d’offset artificielle en utilisant le niveau le plus approchant de celui trouvé dans des images d’offset caractéristiques. Voici donc comment je calcule mon image d’offset, donc exempte de tout bruit : 

En spectrographie échelle, je réalise toujours l’image flat-field (et LED) en positionnant la fibre d’étalonnage de 200 microns devant une lampe halogène de 4700 K (lampe d’éclairage musée, SOLUX MR16, 12V 50W). Je n’utilise jamais la lampe tungstène interne du boîtier d’étalonnage Shelyak, d’une température bien trop froide pour pouvoir étalonner les spectres dans le bleu profond avec un bon rapport signal à bruit. Je réalise donc une bonne vingtaine d’images tungstène externe au boîtier, en pensant à agiter la fibre (le « scrambleur » évoqué au début de l’article). Le temps de pose est ajusté pour s‘approcher du niveau de saturation au pic (les 16 bits du détecteur IMX455 sont ici particulièrement appréciés). 

Afin de garder un coté humain à ce descriptif, somme toute assez technique, je vous montre dans quelle condition je réalise les images d’étalonnages actuellement, en attendant que le boîtier soit modifié pour que la procédure puisse être entièrement automatisée : dans un placard, au milieu de la sauce tomate et des petits pois, non loin du spectrographe eShel qui est au frais dans sa cave à vin. Noter la lampe halogène 4700 K avec la fibre positionnée en face sur un support (donc externe au boitier actuel d’étalonnage Shelyak). Attention, c’est du sérieux, cette source de lumière participe grandement au succès de l’observation du spectre dans le bleu profond.

Vient ensuite la partie centrale du traitement, l’application de l’algorithme CMED. La figure à gauche montre l’outil implémenté dans ISIS, avec les valeurs de paramètres indiqués dans l’exemple précédent (on les retrouve facilement dans ce panneau).


On traite une séquence de 7 images de la comète C2020 F3 NEOWISE (images neowise-1, …, neowise-7), bien sur acquises en binning 1x1. Notez bien que le pré-traitement est inclus dans le panneau de commande CMED (offset + dark).

Il ne reste plus qu’à traiter la séquence de spectres échelle neowise_bin-xxx d’une façon (presque) normale depuis l’onglet eShel de ISIS :

Les champs OFFSET et DARK sont laissés vierges, car le pré-traitement a déjà été réalisé (le champ PRNU est laissé aussi de côté car cet aspect est jugé peu critique à ce stade avec le IMX455). Noter que les champs Tung. et LED sont remplis avec le même nom d’image, celui de l’image tungstène réalisée  au milieu des petits pois ! Voir à droite pour ce qui concerne l’onglet de réglages pour le traitement eShel et une caméra ASI6200MM.


Remarquer la valeur élevée (500) du coefficient de réjection des pixels déviants pour l’extraction optimale. Dans ce cas, la détection de ces pixels est quasi inexistante (c’est une sécurité). On peut abaisser la valeur en  cas de nécessité et en faisant des essais successifs. La valeur du RON est celle trouvée lors des tests de CMED et le gain est la valeur de base multipliée par 4 en raison du binning (4 x 0,26 = 1 environ).  


Le résultat est une image 2D spectaculaire de la comète NEOWISE (24 juillet 2020), qui est la somme des 7 images neowise_bin-xxx, et profil spectral correspondant :

Il faut bien se rappeler que les images d’étalonnage Tungstène et Thor-Ar se doivent aussi de passer par la case CMED. Par exemple, pour le traitement d’une séquence de 22 images individuelles du tungstène, neowise_tung-xxx, toujours réalisées en binning 1x1, voir ci-contre.


Les images ainsi pré-traitées sont ensuite additionnées pour générer l’image « tung_neowise » à haut rapport signal sur bruit (voir en bas). Noter que l’on utilise pour cela un petit outil qui se trouve dans l’onglet CMOS de ISIS pour faciliter les opérations. 

On procède de la même manière pour générer l’image « thor_neowise » à partir d’une séquence neowise_thor-xxx.  Astuce, je capture en général 6 à 8 images de la lampe Thorium-Argon avec des temps de pose différents, qui s’étalent dans mon cas entre 5 et 30 secondes (certaines avec des raies saturées). Le fait de réaliser une addition à la fin de toutes ces images donne une image spectrale d’étalonnage de haute dynamique qui fonctionne très bien sur l’ensemble du spectre. 



7. Conclusion


En guise de conclusion, voici un extrait de spectre centré sur la raie Halpha de l’étoile EM* MWC 622. Il est riche d’enseignement sur le travail d’optimisation de eShel que je viens de présenter :

 Temps de pose de 1200 s (20 min.)

 Temps de pose de 6 x 1200 s (2 heures)

Ce discret objet de magnitude V = 12 est inclu dans la base d’étoiles BeSS (étoiles Be), mais n’avait pas de spectre jusqu’alors en raison de sa relative faiblesse d’éclat. Le document montre que l’on peut entreprendre l’observation d’étoiles de cette magnitude avec eShel et un pouvoir de résolution R = 12000, alors que normalement elle est est plutôt réservé à des spectrographes dotés d’une basse résolution spectrale. L’extrait de spectre à gauche correspond à un temps de pose de 20 minutes seulement et un rapport signal sur bruit mesuré de 14 (RSB = 14), ce qui suffit pour bien détailler la raie en émission.  Le spectre à droite correspond à une pose de 2 heures dans les mêmes conditions (télescope Newton 250 mm f/4.0, caméra ASI6200MM). Le rapport signal sur bruit est à présent de 30 (RSB =30), ce qui permet d’étudier le continuum,  bardé de raies fines. En deux heures de pose il est donc possible d’atteindre V = 13 avec un RSB de 15 dans le continuum avec un télescope somme toute modeste, de 250 mm de diamètre. La puissance de eShel optimisé s’exprime aussi lorsqu’on examine un large domaine spectral de l’étoile EM* MWC 622 : il se révèle bien trop rouge pour être celui d’un objet de type Be :

Relativement au spectrographe eShel d’origine, l’ensemble du travail d’optimisation présenté ici a permis de gagner entre 1 et 1,5 magnitude en détection des objets faibles suivant la partie du spectre considérée (ce que les anglo-saxons appellent « detectivity »). C’est très significatif !

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