Comment évaluer la magnitude limite instrumentamentale

Par  Christian Buil

Mai 2019

Cette article explique comment évaluer expérimentalement la magnitude des astres les plus faibles observables par un couple spectrographe + télescope donné. Le résultat est la magnitude limite de ce système instrumental.

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La magnitude limite est définie comme la magnitude d’une étoile produisant un spectre mesuré dans lequel le rapport signal sur bruit est unitaire, alors que le temps de pose pratiqué est de 1 heure de pose et que la bande passante spectrale Δλ est égale à l’élément de résolution spectral (Δλ= λ/R). Cette performance, aussi appelé détectabilité, dépend de la transmission de l’atmosphère, du seeing, du diamètre du télescope, des caractéristiques techniques du spectrographe, du détecteur, de la méthode employée pour traiter les données… On propose ici une méthode expérimentale pour trouver cette magnitude. La méthode englobe l’ensemble de ces contributeurs et évite de les évaluer individuellement, une opération toujours un peu compliquée.

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L’idée est d’observer avec l’instrument testé une étoile dont le profil spectral est bien étalonné en énergie spectrale absolue (flux en unité énergétique). Pour cet exemple, l’étalon spectrophotométrie est choisi dans la base CALSPEC, réputée précise (elle s’emploie par exemple pour étalonner les instruments astronomiques embarquées sur des satellites, et en premier lieu, le télescope Hubble). Les spectres CALSPEC sont un sous ensemble de la base de données spectrale fournie avec le logiciel ISIS (Profil->Database->CALSPEC). Voir aussi : http://www.stsci.edu/hst/observatory/crds/calspec.html,

ou encore pour d’autres standards : http://www.eso.org/sci/observing/tools/standards/spectra/

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L’équipement testé est un spectrographe UVEX avec un réseau de 300 traits/mm et une fente d’entrée claire de 35 microns de large et de 3 mm de hauteur. La caméra d’acquisition est un modèle ZWO ASI183MM (détecteur CMOS Sony IMX183, pixels de 2,4 microns, utilisée à -20°C). Le pouvoir de résolution est de R=500 environ. Le tout est monté au foyer f/5 d’un télescope Kepler de type Newton de 200 mm de diamètre. L’observatoire est situé en milieu semi-urbain, sévèrement pollué par l’éclairage des rues (lampes sodium basse pression en particulier). Le seeing est de 2,8 arcsec environ.

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Pour ce test on observe une étoile d’assez faible éclat, HD1802271, de magnitude V=11,98 et de type A2V. La caractérisation de l’ensemble instrumental a été conduite en avril 2019. A droite, la distribution spectrale attendue de cet objet, hors atmosphère terrestre, telle qu’on la trouve dans la bibliothèque CALSPEC, avec un profil en erg/cm2/s/A : 

L’image ci-après est celle du spectre  brut de l’étoile après une exposition de 900 secondes : 

La trace du spectre de l’étoile est au centre. On remarque la forte pollution du ciel (background), avec la signature spectrale caractéristiques des lampes au sodium. Sur le coté droit, la forte source de lumière parasite est le détecteur lui-même (phénomène d’électroluminescence = certains circuits du composant électronique produisent de la lumière par eux-mêmes lorsqu’ils sont alimentés). Ce phénomène est caractéristique des capteurs CMOS actuels. Plutôt discrète en général, cette électroluminescence est ici spectaculaire à cause d’un affichage à haut contraste compte tenu de la faiblesse de l’astre observé. La capteur est orienté pour que seule la partie rouge du spectre de l’étoile soit atteinte par ce parasite artificiel (une translation verticale physique du détecteur de l’ordre de 2 mm permettrait d’éloigné la source de lumière polluante de la trace du spectre stellaire).

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Ci-dessous, le spectre 2D pré-traité de manière habituelle (retrait des cartes d’offset et de dark) et après correction des distorsions géométriques (tilt et slant) :

L’électroluminescence s’élimine bien après ce pré-traitement, mais il subsiste la trace du bruit de photons correspondant. De ces images on tire les profils spectraux suivant :

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A gauche (profil B), le spectre lorsque le fond de ciel n’est pas retiré : la signature de la pollution parasite urbaine contribue beaucoup au résultat. A droite (profil C), le spectre calculé après que le fond de ciel soit soustrait (ce fond est mesuré de part et d’autre de la trace du spectre, c’est la procédure standard). Dans les deux cas, la hauteur de binning pour extraire le spectre est de 12 pixels. Les spectres sont étalonnées en longueur d’onde alors que l’intensité est en comptes digitaux (ADU = Analog Digital Unit). En certains points du profil, le signal parasite du fond de ciel vaut plus de deux fois le signal de l’étoile, ce qui est bien sur un handicap pour la performance de détectabilité.

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C’est notamment à partir du spectre C que nous allons calculer la magnitude limite. Mais au préalable, un peu de théorie est nécessaire. D’abord, par la suite, cette magnitude limite sera notée D*. La valeur est données par la formule suivante, que l’on applique en tout point du profil :  

où M* est la magnitude monochromatique de l’étoile pointée (ici HD 18022771) et où RSB 1 heure est le rapport signal sur bruit dans le spectre mesuré, ramené à un temps de pose équivalent de 1 heure. 

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Occupons nous en premier du calcul de la magnitude monochromatique de l’étoile (terme M* dans la formule précédente)….

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Il faut tout d’abord ne pas oublier que la lumière de l’étoile observée est atténuée par notre atmosphère, ce dont il faut tenir compte pour calculer la magnitude monochromatique apparente. L’objet HD 1802271 était situé à une hauteur angulaire de 71,3° au moment de l’observation. Par ailleurs, la transparence horizontale a été jugé correcte pour une nuit de printemps, on a donc adopté un AOD de 0,10. A partir de ces éléments, on calcule la valeur de la transmission atmosphérique correspondante en utilisant l’outil de ISIS Divers->Atmosphère. A gauche (profil D), la courbe de transmission atmosphérique adoptée, calculée par ISIS.

Ci-contre (profil E), la distribution spectrale en énergie de l’étoile vue à travers l’atmosphère. C’est le résultat du produit du profil A par le profil D (sous ISIS on utilise par exemple Outils->Spectre 1->Arithmétique entre deux spectres).

La magnitude monochromatique (magnitude AB) est déduite du flux en erg/cm2/s/Hz à partir de la formule :

alors que la relation entre le flux exprimé en unité de fréquence et le flux exprimé en unité de longueur d’onde est : 

Les opérations arithmétiques précédentes sont réalisées sous ISIS par une ligne de commande (Outils->Ligne de commande), appelée L_MAG. Cette commande possède deux paramètres : en entrée, le profil énergétique en unité de longueur d’onde, erg/cm2/s/micron  (courbe E), en sortie, le profil en magnitude calculé. Par exemple, supposons que le spectre en densité d’énergie soit nommé « _hd1802271_flux_apparent ». On obtient alors le profil en magnitude monochromatique « _hd1802271_magnitude » en faisant :

Le graphe ci-contre (courbe F) montre le résultat, la magnitude monochromatique apparente M* de l’étoile HD 1802271. La magnitude V catalogue de cet astre est proche de V=12,0, mais il faut bien se rappeler qu’il est observé au travers de l’atmosphère, d’où ici une magnitude apparente de 12,2 environ. Remarquons par ailleurs que la magnitude apparente de notre objet est de 14 vers 3600 A.

Afin de trouver la magnitude limite (monochromatique) D* de notre instrument pour une observation d’une heure en continu de la même étoile,  il reste à évaluer le rapport signal sur bruit (RSB) pour ce même temps de pose.

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Le plus simple et le plus précis est d’avoir prévu lors de l’observation de l’étoile de réaliser deux spectres de l’étoile et non pas un seul. Grâce à ces deux images spectrales, nous allons pouvoir évaluer le bruit de manière précise pour des conditions aussi proches que possible des observations. Voici les deux clichés correspondants, exposés chacun 900 secondes (noter que le pré-traitement complet est réalisée, y compris la soustraction du fond de ciel) : 

On réalise ensuite la soustraction point à point de ces deux images. Ci-dessous le résultat, l’image « différence » :

La trace du spectre a quasi disparu, en revanche, le bruit est toujours présent (multiplié par racine(2) par rapport à ce qu’il est dans une image individuelle posées 900 secondes (car nous avons avons soustrait 2 images entre lesquelles le bruit est non corrélé). Une analyse attentive montre cependant que le bruit global est supérieur dans les parties de l’image associées à une forte intensité lumineuse (les raies du sodium, l’électroluminescence sur le coté droit, et même la trace du spectre de l’étoile). Le bruit final est en effet le résultat de la somme quadratique du bruit de lecture du détecteur (constant sur l’image), du bruit thermique (constant sur l’image) et du bruit de photons, ou de signal (variable sur l’image en fonction de l’éclairement).

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Le bruit en ADU va être cherché dans la partie de l’image «différence» associées au fond de ciel. Par exemple, le bruit est calculé colonne après colonne entre les lignes Y1=170 et Y2=215 (choisir une zone relativement large pour une estimation assez précise du bruit). ISIS possède un outil dédié pour cette opération, la commande L_NOISE. Supposons que le nom de l’image «différence» soit _DIF. Depuis la ligne de commande on exécute alors l’opération suivante : 

Le second paramètre de cette fonction est le fichier profil du bruit en ADU, pixel après pixel le long de l’axe spectral. Dans l’exemple, on produit dans le répertoire de travail le fichier _noise.dat,  un fichier au format ASCII. Celui-ci est ensuite étalonné en longueur d’onde (Profil->Dispersion->bouton Etalonner). Le résultat est sauvegardé sous la forme d’un spectre au format FITS en gardant le même nom par exemple (_noise.fits dans le répertoire de travail). La courbe suivante est le résultat : la valeur du bruit par pixel dans le fond du ciel mesurée dans l’image «différence» :

On retrouve bien une remontée du bruit dans les zones les plus éclairées du spectre. 

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Il importante de remarquer que la statistique utilisée pour trouver ce bruit donne la valeur par pixel du détecteur. Or, la valeur du bruit qui compte pour évaluer la magnitude limite est celle par canal spectral, celui-ci tenant compte de la largeur de binning utilisée pour calculer le profil spectral de l’étoile. Le bruit effectif est de ce fait multiplié par la racine carré du nombre de pixel agglomérés suivant l’axe spectral (le bruit de chacun de ces pixels s’ajoute quadratiquement). Ici le facteur de binning est de 12 (12 pixels agglomérés), ce qui signifie que le bruit à considérer pour le calcul du RSB est le bruit de la courbe G, multiplié par racine(12) = 3,46. Soit finalement un bruit par canal spectral :

Il reste à trouver le rapport signal sur bruit (RSB) proprement dit associé à notre observation de HD 1802271. A priori, il suffit de diviser la courbe C, représentant le signal de l’étoile en ADU, par la courbe du bruit H. Mais ce n’est pas correct, quelques ajustement devant encore être réalisés :

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L’ensemble de ces remarques conduisent à utiliser la formule suivante pour trouver le rapport signal sur bruit effectif par élément de résolution spectral et pour une exposition de 1 heure :

avec S, le signal de l’étoile (le profil C), B le spectre de bruit (le profil H), t* le temps d’intégration lors de l’observation de l’étoile (ici t* = 900 secondes), ts le temps d’intégration lors de l’acquisition des images permettant de calculer le bruit (ici ts = 900 secondes), ns le nombre de pixel par FWHM (dans la configuration UVEX employée on adopte  ns = 3,75 pixels/FWHM pour un pouvoir de résolution de R=500, mais en toute rigueur la valeur de ce terme change avec la longueur d’onde). Note : cette relation fait l’hypothèse que le bruit est proportionnel à la racine carré du temps d’intégration, ce qui n’est pas strictement juste (le bruit de lecture est en effet constant avec le temps), cependant l’approximation est correcte quant le temps de pose est long et l’objet faible, le bruit thermique et le fond de ciel finissant par dépasser le bruit de lecture dans les situations limites.

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La commande en ligne L_RSB de ISIS implémente cette formule. Avec les notations de la formule, la syntaxe est :

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l_rsb  [S]   [B]   [t*]   [ts]  [ns] [RSB]

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Par exemple, pour calculer la rapport signal sur bruit spectral _hd1802271_rsb, on fait :

La courbe ci-dessous représente le rapport signal sur bruit ainsi trouvé et attendu pour l’observation de l’étoile HD 1802271 pour un temps de pose de 1 heure et par élément de résolution :

Nous disposons de la magnitude monochromatique de l’étoile cible (courbe F) et du rapport signal sur bruit correspondant  en 1 heure de pose (courbe I), il est maintenant possible de calculer la détectabilité D* en magnitude. Pour faciliter la tâche, vous pouvez utiliser la commande en ligne L_LIMIT_MAG, dont la syntaxe est :

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l_limit_mag [profil_magnitude]   [profil_rsb]   [RSB cible]  [profil_magnitude_limitelimit]

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Le résultat est le spectre [profil_magnitude] (sous-entendu «magnitude limite») pour un certain [RSB cible] que l’on fourni en paramètre (en interne, le RSB d’entrée est divisé part [RSB cible]). Pour trouver la détectabilité pour un RSB de 1, faire bien sur [RSB cible] = 1, comme dans l’exemple ci-après :

Le résultat ci-après : la magnitude limite pour un RSB de 1, de 5 et de 10, suivant la valeur de [RSB cible] fournie (attention, le résultat n’est juste que si le bruit de signal de l’objet observé est faible, ce qui correspond à de faibles valeurs du RSB cible, 10 typiquement tout au plus). Un RSB de 5 correspond au seuil raisonnable de détection effectif. Un RSB de 10 permet d’envisager des mesures astrophysiques. Dans l’exemple traité la sensibilité est optimale dans le bleu, ce qui est la spécificité du spectrographe UVEX. La perte de détectabilité dans le rouge est en partie provoquée par un problème de vignetage interne au spectrographe et en partie par un rendement quantique du détecteur moins élevée que dans le bleu.

Comment lire ces courbes ? Par exemple, le rapport signal sur bruit de 5 à la longueur d’onde de 4500 A est atteint en une heure de pose (non segmentée) pour une étoile de magnitude 16,8. On rappelle que ce résultat est obtenu avec un télescope de 200 mm et un spectrographe UVEX 300 traits/mm associé à une caméra CMOS ASI183MM sous un ciel pollué par l’éclairage urbain. Bien sur, il sera différent avec votre équipement… à vous de le trouver en suivant la méthode décrite.

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