Comment réaliser une image en couleur
d'une nébuleuse avec un spectrographe


Un spectrographe à fente longue est conçu pour obtenir le spectre d'une section d'un objet à surface étendu tel, une nébuleuse diffuse. L'aire couverte durant la prise du spectre est une coupe longitudinale de l'objet suivant l'axe long de la fente. On réalise ainsi une image spectrale 1D. Pour accéder à la seconde dimension de l'image, il est nécessaire d'acquérir plusieurs sections contiguës, qui correspondent à autant de spectres. Une fois mise côté à côte, pour une raie donnée, ces acquisitions permettent de construire l'image spectrale 2D de l'objet. La méthode est très voisine de celle employée en spectrohéliographie. Voir ici pour des détails.

Cette technique est expérimentée lors du stage de spectrographie de l'Observatoire de Haute Provence 2013 avec l'équipement suivant :

Le spectrographe est un modèle Alpy 600 équipé d'une fente de 23 microns de large. Le pouvoir de résolution est de R = 600 dans le rouge. La caméra CCD principale est une Atik460EX utilisée ici en binning 1x1. La caméra de guidage/pointage est un modèle Ayik314L. Le tout est monté sur un télescope Newton Takahashi CN212 de 212 mm de diamètre à f/4. La monture est une Astrophysics Mach1 GTO.

L'objet visé pour ce test est la nébuleuse planétaire Messier 27.



Image de Messier 27 prise par Thierry Lemoult au travers d'un filtre Luminance lors du stage de spectrographie OHP 2013,
en même temps que l'expérience scanning se déroulée. Ce type d'image peut être exploité pour réaliser des
compositions LRGB (fusion d'une image panchromatique à fort rapport signal sur bruit et haute
résolution spatiale avec des images monochromatiques moins résolues radiométriquement et spatialement) - voir plus loin.
Lunette de 80 mm, focale 480 mm.



L'équipement de Thierry Lemoult au stage OHP2013. Un spectrographe LISA est monté au foyer d'une
lunette Astrophysics 130ED. La lunette de pointage a servi à acquérir l'image luminance de M27.
 



Au même moment que je réalisai l'observation de M27, Stéphane Charbonnel, avec son télescope C11 fixé
sur une monture 10Micron GM4000 HPS et un spectrographe LISA, effectué un long et précis "scanning" du même type
sur la nébuleuse planétaire Messier 57. Cliquer ici pour afficher un exemple d'exploitation (traitement Olivier Garde/Stéphane Charbonnel).

L'animation suivante montre comment se décompose l'observation. Cette succession d'images est prose avec la caméra de guidage/pointage Atik314L (pose de 10 secondes). Une image de cette animation correspond à une position pour laquelle un spectre est acquis (on ne montre ici que 14 positions sur les 27 finalement réalisées). A chaque position l'autoguidage est mis en route et un spectre posé 5 minutes est pris. On va ensuite à la position suivante, qui correspond à l'acquisition du spectre d'une nouvelle tranche de la nébuleuse et ainsi de suite. Le déplacement entre deux positions consécutives correspond à 5 pixels de la caméra de guidage (en binning 2 x2). Ce déplacement est trop large pour espérer obtenir au final une image spectrale bien résolue spatialement suivant l'axe du déplacement (le temps a manqué pour faire mieux à cause de l'arrivée de nuages). Idéalement le pas suivant l'axe horizontal devrait être ici de 1 à 2 pixels, ce qui représente un temps d'observation de plusieurs heures.

Le mouvement de la nébuleuse relativement à la fente d'entrée du spectrographe (le trait noir
vertical, celui-ci fait 23 microns de large).  Ce mouvement est ici très acceléré. Entre deux positions il s'écoule
en réalité 5 minutes, correspondant au temps de pose pour un spectre.

La figure suivante montre la succession des spectres acquis pour diverses sections de la nébuleuse (14 sur 27) :

L'enregistrement du passage de la nébuleuse devant la fente d'entrée du spectrographe.
La raie d'émission la plus intense un peu à gauche du centre est la raie de l'oxygène interdite [OIII] à 5007 A.
Le groupe de trois raies à droite correspond à l'hydrogène (raie du centre est la raie Halpha) et à l'azote (les deux raies qui encadrent Halpha).

Le traitement est réalisé sous le logicel ISIS 5.2.5. Pour ce faire, d'abord, demander à ce que les fichiers temporaires ne soient pas effacés à la fin du traitement. Pour celà, depuis l'onglet "Configuration" :

Programmer ensuite un traitement très simple, sans étalonnage spectral, car on ne va ici s'intéresser qu'aux images spectrales 2D prétraitées, pas au profil spectral. Le but est retiré le signal d'obscurité, le signal d'offset, de corriger géométriquement les spectres 2D, puis de retirer le fond de ciel. Voici comment configurer l'onglet "Général" pour réaliser ces opérations :

Notez que l'on ne demande pas l'étalonnage spectral. On ne veut pas non plus que ISIS décale verticalement les spectres les uns par rapport aux autres. Si les images sont faites en binning 1x1 (c'est le cas ici), vous pouvez éventuellement activer le filtre de rayons cosmiques.

Prenez garde à choisir une zone de calcul du niveau de fond de ciel bien en dehors de la nébuleuse (de part et d'autre des raies d'émission) :

Vous pouvez ensuite lancer le traitement depuis l'onglet "Go". La série d'images 2D prétraitées est nommée @1.fit, @2.fit, @3.fit, ...., @3.fit. Vous pouvez afficher ces images depuis l'onglet "Image".

La moitié du travail est accomplie.

Il reste à calculer l’image 2D de la nébuleuse à partir du signal présent dans une raie spectrale de votre choix. Vous devez pour cela utiliser la commande SCAN, accessible depuis la console "Ligne de commande" de ISIS (onglet "Outils" puis onglet "Ligne de commande"). Voici la syntaxe :

SCAN [SEQUENCE] [NOMBRE] [RESULTAT]  [X]  [Y]  [LX]   [LY]

Avec

- [SEQUENCE], le nom générique de la séquence de spectres à traiter (ici "@") ;

- [NOMBRE], le nombre d'images dans la séquence (ici 27)

- [RESULTAT], le nom de l'image 2D calculée;

- [X] [Y], les coordonnées en pixel du centre de la raie sélectionnée ;

- [LX], la largeur apparente caractéristique de la raie dans l'image spectrale. ISIS va calculer le signal total dans cette largeur LX colonne après colonne pour construire l'image 2D de l'objet. Cette largeur LX définit la bande passante spectrale d'intégration du signal ;

- [LY], la hauteur de raies exploitée (se sera aussi la hauteur de l'image résultat).

La figure précise la signification des paramètres géométriques :

Voici pour mon propre example les paramètres d'extraction de la raie de l'oxygène [OIII], sachant que le centre de cette raie est trouvé (environ) aux coordonnées (1120, 1140) dans les images 2D du spectre (pour les autres paramètres, remarquer que la hauteur de la raie et d'une partie du fond de ciel de part et d'autre fait 400 pixels et on somme le signal sur une fenêtre de 6 pixels centrée sur la raie) :

Le résultat :

L'image 2D juste après le lancement de la commande SCAN.

Bien sûr, à ce stade le résultat ne ressemble pas à l'image habituelle de Messier 27. Le nombre de colonnes qui échantillonnage l'image 2D n'est que de 27. L'image est bien plus étroite que haute. Il faut de la patience et consacrer une bonne partie de la nuit pour mieux résoudre spatialement l'objet suivant l'axe horizontal en augmentant le nombre de points de mesure. Ici nous allons tricher en étirant suivant l'axe horizontal notre image spectrale pour que le facteur de forme naturel de l'objet soit retrouvé.

Vous pouvez utiliser la ligne de commande SCALE pour modifier la taille d'une image à loisir. Ici j'ai fait :

 

 

Le facteur d'échelle en X est de 10,0 et en Y de 0,688. Avec ces valeurs, évaluées par essais successifs, l'image monochromatique se superpose à l'image donnée par la caméra de guidage/pointage du spectrographe Alpy 600 (astuce : le facteur d'échelle en hauteur peut-être trouvé directement en se servant de la position verticale du spectre d'étoiles qui passent dans la fente et l'écartement mesuré de ces mêmes étoiles dans l'image donnée par la caméra de guidage). Le dernier paramètre de la commande SCALE définit la méthode d'interpolation (ici une méthode spline, qui est recommandée). Voici le résultat :


Image spectrale (ou image monochromatique) de Messier 27 dans la raie de l'oxygène interdite après ajustement de l'échelle en X et en Y. Vous pouvez recommencer sur une autre raie de votre choix et ainsi constituer une collection d'images spectrales servent à composer des images couleurs comme on va le voir plus loin.

Le graphe ci-après est le profil spectral de Messier 27 tracé en exploitant la quasi-totalité des images acquises pour cette expérience :



Profil spectral de Messier 27 avec deux échelles d'intensités permettant de mieux voir les raies faibles
(le spectre est corrigé de la réponse instrumentale). Noter la capacité du spectrographe Alpy 600
et du détecteur Sony équipant la caméra Atik460EX a détecter avec netteté des raies dans l'ultraviolet profond.
 


Image [O II] - 3723 A
 


Image [Ne III] - 3866 A
 


Image He II - 4683 A
 


Image [O III] - 5007 A
 


Image Halpha - 6563 A
 

Image [N II] - 6583 A

Image [S II] - 6723 A

Image Luminance (voie guidage)

 

 


Composiition (R) [NII] + (V) Halpha + (B) [OIII]
La raie de l'azote structure le bord de la nébuleuse au nord et au sud. Contrairement à ce que laisse entendre les photographies classiques prises au travers de filtres interférentiels, ce n'est pas la raie Halpha (affichée en vert dans cette image) qui est responable de cette structure.

 

Composition (R) [NII] + (V) [Halpha] + (B) HeII
La zone d'excitation de la raie l'hélium ionisé une fois (HeII) est localisée dans la partir centrale de la nébuleuse, d'où le halot bleuté visible dans cette image en "vraies-fausses" couleurs.
 

 

 


Luminance + (R) {NII] + (V) Halpha + (B) [OIII]
L'image luminance (large bande) est ici fusionnée à l'information couleur.

 


Luminance + (R) [NII] + (V) [Halpha] + (B) HeII


Conclusion : Comme cela est classiquement réalisé avec un spectrohéliographe, il est possible de générer des images 2D des objets du ciel profond avec un spectrographe. Pour obtenir une image en couleur, la procédure est bien plus longue que celle consistant à photographier les objets au travers de filtres interférentiels. Esthétiquement parlant, la photographie a aussi un net avantage. En contrepartie, le technique spectrographique autorise une meilleure finesse d'analyse spectrale. Avec l'équipement utilisé pour acquérir les données qui illustrent cette page, la résolution spectrale est de l'ordre de 1 nm, à comparer à celle des meilleurs filtres interférentiels pour amateurs, qui est d'environ 6 nm. Ainsi les raies de l'azote [NII] et de l'hydrogène Halpha ne sont pas séparées en photographie, alors qu'elles le deviennent en spectrographie. Ceci permet de constater que des structures significatives vues dans le plan rouge des images couleur photographiques ne viennent pas de la fameuse raie Halpha mais de l'azote. En outre, il est aisé de choisir une raie, sans avoir besoin de disposer d'une multitude de filtres. L'acquisition de toutes ces raies est simultanée avec un spectrographe. L'information spectrale peut aussi être bien mieux quantifiée en spectrographie. Il devient possible de dresser des cartes de densités électroniques et de températures en faisant certains ratios de couples d'images spectrales. Enfin, la méthode de balayage décrite dans cette page est un très bon exercice pour les étudiants, spectaculaire, et qui aide à comprendre en profondeur le fonctionnement d'un spectrographe et les techniques de traitement des données.


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