Essai du boitier photographique Sony Alpha 7s

Mis à jour le 2 novembre 2016

by Christian Buil

Le boîtier photographique Sony Alpha 7s est très particulier dans le monde de photographie. Il joue en effet à contre-courant en offrant un capteur type 24x36 équipé de "gros" pixels, de 8,4 microns de coté.

 

Avec une image ne comportant que 12 millions de pixels environ, Sony avec ce produit est bel et bien à rebours de la tendance actuelle. Par exemple, en comparaison, le nombre de pixels présents dans le capteur du boîtier Canon 6D est de 20 millions, pour une taille pixel de 6,5 microns. La surface de captation du Alpha 7s par pixel est 1,7 fois plus grande. Ceci aiguise bien sur la curiosité lorsqu'on s'intéresse à la photographie faible flux, comme c'est le cas en astronomie.

 

En revanche, il faut oublier l'argument publicitaire des 400 000 ISO de gain (et non pas de sensibilité) dont ce prévaut le fabricant, dès lors que nous travaillons en RAW (la règle en astronomie). Ce gain ne fait qu'amplifier le bruit et ce au détriment de la dynamique. Je recommande de sélectionner avec ce boîtier un gain compris entre 2000 et 4000 ISO, qui constitue un bon compromis avec les caractéristiques de bruit, qui sont minimales dans cette plage (voir plus loin).

 

Le format RAW de l'image du capteur CMOS Exmor fait 4256 x 2848 pixels, pour une taille de 35,7 mm x 23,9 mm. Il s’agit malheureusement d’un RAW comprimé, et donc, pas d’un vrai RAW dans les faits, avec en prime un mécanisme de filtrage du bruit particulièrement destructeur en mode pose B (Bulb), comme on va le voir. La version 2 (Sony 7s II) de ce boitier propose une option dans laquelle le RAW n’est plus compressé, mais sans que l’on sache à la date de rédaction de ces lignes si le problème lié à l’existence du filtrage du bruit en Bulb est réglé.

L’essentiel des tests présentés dans cette page on été réalisés depuis mon observatoire suburbain (Castanet-Tolosan), assez sévèrement pollué par l'éclairage urbain. L'appareil est installé au foyer d'un lunette apochromatique de haute qualité, l'astrographe Takahashi FSQ-106ED (diamètre de 106 mm, f/d = 5,0), comme le montre la photographie ci-contre.

L’image ci-après est celle du champ du double amas de Persée (NGC 869 et NGC 884) réalisée avec cet équipement. Le boîtier est réglé sur le gain de 8000 ISO, sachant qu'au delà de 2000 ISO, le bruit intrinsèque de lecture est approximativement constant (voir le tableau à la fin de cette page). Compte tenu de la brillance du fond de ciel, le temps de pose total de 36 secondes est fragmenté en 9 poses de 4 secondes. Entre chaque cliché élémentaire, l'objet visé est légèrement dépointé de quelques pixels, ce qui va avoir une grande importance pour la suite...

 

Les images RAW sont développées avec le logiciel IRIS (en utilisant le mode dit "Median" d’interpolation, ce qui préserve correctement la finesse des images brutes). L'ensemble du traitement est par ailleurs réalisé toujours en utilisant ISIS (retrait du signal d'obscurité, uniformisation du gradient de fond de ciel, compositage, ...). Les coefficients de la balance du blanc sont 2,25 pour le canal rouge, 1,00 pour le canal vert et 1,35 pour le canal bleu.

L'image apparaît très propre d'aspect. Le bruit est homogènes, les pixels chauds rares (mais ici le temps de pose est court). Aucun effet de compression n'est perceptible à l'oeil.

 

Les étoiles très fines (des quasi Dirac) produites par la FSQ-106ED consituent un test sévère pour le boitier photographique. Ideal pour détecter un bruit de compression par exemple.

 

Les RAW en sortie du code DCRAW ici employé sont codées sur 12 bits (4096 niveaux de gris) alors que le codage natif est sur 14 bits (format RAW DNG). Le signal d'offset semble systématiquement remonté par le firmware au niveau de 128 pas codeur (ADU), ceci afin de ne pas pas perdre de l'information dans le bruit (perte si la moyenne du signal en obscurité était centré autour de zéro). C'est très bien, Sony connait son métier !

 

La grosse taille de pixels est ici à l’origine d’une difficultés lié à l’échantillonnage des images stellaires. La lunette FSQ-106ED est en effet capable de produite des images stellaires aussi fines que 4 à 5 microns à mi-hauteur dans le plan du capteur. C'est significativement plus fin que la taille des pixels natifs du Sony Alpha 7s. Autrement dit, une large part du flux stellaire peut se retrouver dans un seul pixel. Or, la structure microscopique est celle d'une matrice de Bayer, avec des pixels recouverts successivement de filtres rouge, vert et bleu. Cet ensemble forme une sorte de damier coloré qui permet en fin de compte de restituer une image en couleur (structure CFA, pour Color Filter Array). Sans trop de surprise, on peut s'attendre à quelques artefacts colorés dans une telle situation. C’est ce que montre les détails ci-après du fichier RAW.

Il s’agit de 3 clichés du même champ avec un léger dépointage de la lunette entre chaque prise de vue. Dans ces agrandissements (6x), la structure en damier CFA est bien visible. Les images stellaires sont fortement "pixelisées" à cause du sous-échantillonnage massif. Suivant les cas, un même étoile est soit projetée sur un pixel rouge, un pixel vert ou un pixel bleu (avec toute les situations intermédiaires bien sur).

 

Après le développement d’un tel RAW, les étoiles ont l’aspect de guirlandes de Noël ! La couleur des étoiles change au grès de leur position dans l'image suivants quelles sont focalisées sur un filtre rouge, vert ou bleu :

La solution pour éliminer des artefacts colorés consiste à additionner un assez grand nombre de clichés acquis en décalant le télescope (c'est la technique du "diphering", correspondant à un déplacement aléatoire restreint du télescope entre les prises successives). Bien sur, avant addition des clichés, les images sont soigneusement recentrées à une fraction de pixel près par rapport à une référence commune. On compte ici sur effet de moyenne pour réaliser une image finale qui présente correctement la réalité des couleurs des étoiles. Avec 9 images, on commence à disposer d'un échantillon significatif, ce qui aboutit au résultat suivant :

En résumé, sur un télescope qui pique aussi bien que la lunette FSQ-106ED, les gros pixels du A7s associé au motif de Bayer impose une stratégie de dipphering au moment de la prise de vue. On remarque que le filtre anti-aliasing est particulièrement discret, sinon quasi absent, ce qui ajoute au piqué des images.

 

Ci-contre  une image de l'amas des Pléiades (M45), toujours avec la lunette FSQ-106ED.  Le temps de pose est relativement modeste, 4 x 30 secondes. Le gain est réglé sur 2000 ISO.  Outre l’exposition courte, on rappelle que la magnitude limite dans le site d’observation à l’oeil nu est de 3, ce qui ne permet pas une détection aisée des faibles draperie gazeuse qui englobent cet amas d’étoiles.

Détail de l'image des Pleiades prise avec une FSQ-106ED, à gauche,  avec le Sony Apha 7s, au centre,  avec une caméra Atik 460EX (cette dernière est équipée d'un capteur CCD Sony N&B exploité ici en binning 2x2 pour une taille de pixel de 9,08 microns - voir à gauche). Le temps de pose est identique (4 x 30 secondes). Bien sur le boitier photographique enregistre directement la couleur, mais en contre-partie, la détectabilité (capacité à voir des objets faibles) est inférieure, de 1,2 magnitude environ dans le cas présent (imagerie panchromatique, i.e. à large bande spectrale).

 

La table ci-dessous précise les valeurs mesurées par l’auteur du gain électronique (en électrons par pas codeur) et du bruit de lecture (en électrons). On remarque une nette différence de comportement à partir du gain de 2000 ISO - voir aussi l’étude de Thierry Legault à ce sujet Le bruit ce stabilise alors vers 1 électron, ce qui est remarquablement faible. Cette performance fait d’autant plus regretter qu’il n’existe pas une version N&B de ce boitier, car le CMOS qui l’équipe concurrencerait alors les CCD des cameras astronomiques traditionnelles (au refroidissement du détecteur près). Il est recommandé d’exploiter le A7s en mode RAW avec une sensibilité ISO de 2000 à 4000 seulement pour bénéficier par ailleurs du maximum de dynamique en imagerie du ciel profond.  L’usage d’une sensibilité ISO n’a d’intérêt qu’en travaillant sur des fichiers JPEG, ce qui n’est pas notre propos.

Le déficit de détectivité du A7s (mais aussi de tout boitier photo standard) par rapport à une caméra CCD spécialisée faible flux est particulièrement évident lorsqu’on travaille en bande spectrale étroite,  Ci-contre, le champ de la nébuleuse NGC 1499 (California nebula) observé au travers d’un filtre Halpha Astrodon de 6 nm de bande passante. La vue  à gauche est prise avec le boitier Sony avec un temps de pose de 7 x 30 s = 210 s, à droite avec une Atik460EX pour le même temps de pose. Les dégâts causées par la matrice de Bayer sont ici particulièrement évidents du fait que dans le rouge seulement un pixel sur quatre enregistre effectivement un signal utile. En outre, le boitier photographique de base contient un filtrage spectral qui atténue fortement le signal au niveau de la raie rouge de l’hydrogène, d’un facteur 4 environ - voir ici pour plus de détails. Au final, le A7s standard répond 16 fois moins qu‘une caméra CCD N&B. La sanction est immédiate comme  l’indique ces images, avec un rapport signal à bruit bien plus élevée dans le document pris avec la caméra CCD .

Il est malgré tout possible de tirer un profit d’un tel boitier en imagerie de nébuleuses à partir du moment où est réalisé un défiltrage  pour le rendre bien plus passant dans la raie de l’hydrogène. Je présente à titre d’illustration une expérience de prise de vue  depuis le  centre de Paris (15 eme arrondissement) avec un boitier A7s modifié poussant la sensibilité jusqu’à 700 nm environ (remplacement du filtre de coupure infrarouge d’origine par un filtre AstrodonInside réalisé par EosForAstro).

Le A7s modifié est équipé d’un objectif Sonnar 55 mm f/1.8 exploité à pleine ouverture, le tout fixé sur une petite monture équatoriale Vixen. Le champ visée pour ce test est celui de la constellation d’Orion (voir à droite).

A gauche, une partie de la constellation d’Orion photographiée sans filtre externe. Somme de 19 expositions de 3,2 secondes à 2000 ISO. A droite, le même champ visualisé en négatif, pris en plaçant à l’avant de l’objectif un filtre Halpha Baader de 7 manomètres de bande passante et de 2 pouces de diamètre. Somme de 112 poses de 30 secondes (soit un temps de pose total de 56 minutes). La pose B est malheureusement à proscrire car elle « mange » les étoiles à cause du travail du logiciel interne (firmware). La boucle de Barnard est aisément mise en évidence, ainsi que la grande nébuleuse NGC2174 autour de lambda Ori. Sur le bord gauche de l’image on peut apercevoir la nébuleuse de la Rosette. Malgré le ciel très pollué d’une grande ville et le 1/4 pixel exploitable de la matrice de Bayer, des objets nébuleux à très faible magnitude surfacique peuvent êtres mis en évidence dès lors que le filtre d’origine IR-cut est retiré et que l’on observe dans une bande spectrale étroite et adaptée.

A gauche, détail de la région de la Tête de Cheval (zeta Ori) à l’échelle originale en ne conservant que la couche rouge (les couches verte et bleu ne contiennent que du bruit et donc, aucune information utile). La largeur à mi-hauteur des étoiles est de quasiment un seul pixel. Le pas d’échantillonnage physique est de 16,8 microns en tenant compte de la matrice de Bayer, ce qui est beaucoup vis à vis de la finesse des images délivrés par l’optique employée.  

 

En bas, la même région, mais en appliquant l’algorithme Drizzle qui exploite à la fois le sous-échantillonnage et le léger décalage fractionnaire entre les 112 images de la séquence pour accroitre le pouvoir de résolution angulaire, ici d’un facteur 2 environ (traitement réalisé avec les logiciels IRIS et ISIS).

Ci-contre, l’amas Messier 45, toujours à la lunette  FSQ-106ED, mais en interposant à l’avant du boitier photographique un réseau Star Analyser 100 équipé d’un prisme  (montage GRISM optimisé pour réduire les aberrations optiques). A chaque étoile brillante de l'amas (à gauche) est associé un spectre (à droite). Somme de 3 poses de 30 secondes à 2000 ISO.

Aspect de l'écran de contrôle orientable (très pratique) du Sony Alpha 7s durant l'observation du spectre des étoiles de  l'amas des Pléiades.

Le spectre de l'étoile gamma Cassiopée pris avec le montage GRISM sur la lunette FSQ-106ED. Pose de 4 secondes à 2000 ISO. En haut, l'image RAW. Les pixels de la matrices CFA sallument en fonction de la couleur qui se projette sur eux. Dans la partie rouge du spectre  seul 1 pixel sur 4 est actif, ainsi que dans le bleu. Dans le  vert il est question de 2 pixels sur 4. La boitier A7s est standard, avec une coupure rapide dans le rouge. La raie Halpha est en émission dans cette étoile (de type Be) ce qui permet de repérer aisément ce détail du spectre.. Au centre, le résultat du développement de l'image RAW précédente.  En bas, l’image JPEG issue du firmware l’appareil version JPEG.  Par rapport au résultat calculé à partir du RAW, l’image JPEG affiche une perte de résolution spatiale et une distorsion de l’échelle dynamique - le format JPEG est absolument à éviter pour un travail sérieux et technique sur les images. Cliquer ici pour des exemples d’exploitation du A7s dans sa version « infrarouge » et quelques évaluations supplémentaires.