Essai du boitier photographique Sony Alpha 7s


Le boîtier photographique Sony Alpha 7s est très particulier dans le monde de photographie. Il joue en effet à contre-courant en proposant un capteur type 24x36 équipé de "gros" pixels, de 8,4 microns de coté.

Avec une image ne comportant que 12 millions de pixels environ, Sony avec ce produit est bel et bien à rebours de la tendance actuelle. Par exemple, en comparaison, le nombre de pixels présents dans le capteur du boîtier Canon 6D est de 20 millions, pour une taille pixel de 6,5 microns. La surface de captation de photons du Alpha 7s par pixel est 1,7 fois plus forte. Ceci aiguise bien sur la curiosité lorsqu'on s'intéresse à la photographie faible flux, comme c'est le cas en astronomie.

En revanche, il faut oublier l'argument publicitaire des 400 000 ISO de gain (et non pas de sensibilité) dont ce prévaut le fabricant, dès lors que nous travaillons en RAW (la règle en astronomie). Ce gain ne fait qu'amplifier le bruit et ce au détriment de la dynamique. Je recommande de sélectionner avec ce boîtier un gain compris entre 2000 et 8000 ISO, qui constitue un bon compromis avec les caractéristiques de bruit, qui sont minimales dans cette plage (voir plus loin).

Le format RAW de l'image du capteur CMOS Exmor fait 4256 x 2848 pixels, pour une taille de 35,7 mm x 23,9 mm.

Les observations astronomiques présentées dans cette page on été réalisées depuis mon observatoire suburbain (Castanet-Tolosan), assez sévèrement pollué par l'éclairage urbain. La date d'observation est le 6 octobre 2014.

Le boîtier utilisé lors de ce test a été prêté par Sébastien Vauclair (La Clefs des Etoiles), que je remercie.

L'appareil est installé au foyer d'un lunette apochromatique de haute qualité, l'astrographe Takahashi FSQ-106ED (diamètre de 106 mm, f/d = 5,0), comme le montre la photographie ci-après.

setup

Le boîtier Sony Alpha 7s au foyer d'un astrographe Takahashi FSQ106ED.

Entrons dans le vif du sujet en présentant un exemple typique d'image du ciel profond réalisée avec cet équipement. Il s'agit du double amas de Persée (NGC 869 et NGC 884). Le boîtier est réglé sur le gain de 8000 ISO, sachant qu'au delà de 2000 ISO, le bruit intrinsèque de lecture est approximativement constant (voir le tableau à la fin de cette page). Compte tenu de la brillance du fond de ciel, le temps de pose total de 36 secondes est fragmenté en 9 poses de 4 secondes. Entre chaque cliché élémentaire, l'objet visé est légèrement dépointé de quelques pixels, ce qui va avoir une grande importance pour la suite...

Les images RAW sont développées avec le logiciel IRIS (en utilisant le mode dit "Median" d'interpollation, ce qui préserve correctement la finesse des images brutes). L'ensemble du traitement est par ailleurs réalisé toujours en utilisant ISIS (retrait du signal d'obscurité, uniformisation du gradient de fond de ciel, compositage, ...). Les coefficients de la balance du blanc utilisés sont 2,25 pour le canal rouge, 1,00 pour le canal vert et 1,35 pour le canal bleu.

Voici un extrait de l'image obtenue :

Persee_1

Les amas de Persée. Extrait d'une image provenant du Sony 7s affichée à l'échelle native.
Somme de 9 cichés élémentaires exposés chacun 4 secondes. Le boîtier est réglé sur le gain 8000 ISO. Lunette FSQ-106ED F/5.6. Le développement du RAW et le traitement sont fait avec le logiciel IRIS.

L'image apparaît très propre d'aspect. Le bruit est homogènes, les pixels chauds rares (mais ici le temps de pose est court). Aucun effet de compression n'est perceptible à l'oeil.

Les étoiles très fines (des quasi Dirac) produites par la FSQ-106ED consituent un test sévère pour le boitier photographique. Ideal pour détecter un bruit de compression par exemple.

Les intensités dans le RAW natif sont codées sur 12 bits (4096 niveaux de gris). Le signal d'offset semble systématiquement remonté par le firmware au niveau de 128 pas codeur (ADU), ceci afin de ne pas pas perdre de l'information dans le bruit (perte si la moyenne du signal en obscurité était centré autour de zéro). C'est très bien, Sony connait son métier !

Les images stellaires dans le RAW (et bien sur dans l'image développée) sont naturelles.

Clairement une compression est réalisée pour produire des RAW ne pesant que 12 Mo (pour la sensibilité utilisée). Compte tenu du format d'image natif, normalement le poids d'une image codée sur 2 octets en 16 bits devrait être de 24 Mo. L'écart d'un facteur 2 peut parfaitement s'expliquer si on considère que le Alpha 7s code sur 12 bits et non pas 16 bits, et par l'ajout d'un compresseur sans perte (gain de 0,67 pour l'algorithme, ce qui est dans le domaine du possible). En tout cas, s'il y a perte de données par compression, le résultat est vraiment très discret lorsqu'il est question d'un fond stellaire. Je ne détecte rien de bien particulier pour ma part (voir les clichés reproduits dans ce papier pour ce faire une opinion).

Cependant, la compression semble adaptative. Dès que la texture de l'image devient complexe (scène de paysage par exemple), le volume du RAW passe à 5 ou 6 Mo, comme si l'algorithme interne comprenait que dans cette situation, l'exigence de qualité était moins grande - ou différente (alors quant très faible lumière l'algorithme semble coder le bruit). Ce sont des hypothèses et la situation n'est pas claire. On est loin en tout cas du statut des boitiers Canon par exemple, qui fournissent un "vrai" RAW, point.

Il existe un revers à la grosse taille de pixels, qui nécessite une très grande attention. La lunette FSQ-106ED est capable de produite des images stellaires aussi fines que 4 à 5 microns à mi-hauteur dans le plan du capteur. C'est significativement plus fin que la taille des pixels natifs du Sony Alpha 7s. Autrement dit, une large part du flux stellaire peut se retrouver dans un seul pixel. Or, la structure microscopique est celle d'une matrice de Bayer, avec des pixels recouverts successivement de filtres rouge, vert et bleu. Cet ensemble forme une sorte de damier coloré qui permet en fin de compte de restituer une image en couleur (structure CFA, pour Color Filter Array).

Sans trop de surprise, on peut s'attendre à quelques artefacts colorés avec une telle instrumentation. C'est ce que je vais montrer à présent.

Dans le document ci-après on entre dans l'intimité de l'image RAW (ou brute).

On y voit une même portion de 3 clichés du champ des amas de Persée, exposés chacun 4 secondes. Dans cet agrandissement, la structure en damier CFA est bien visible. L'instrument est volontairement légèrement dépointé entre chaque prise. Les images stellaires sont fortement "pixelisées" à cause du sous-échantillonnage massif. Suivant les cas, un même étoile est soit projetée sur un pixel rouge, un pixel vert ou un pixel bleu (avec tous les intermédiares).

raw

Affichage très agrandi (6x) du contenu du fichier RAW dans des images successives du même champ stellaire (pose de 4 seconde), mais avec un léger dépointage en chaque prise de cliché.

Le résultat du sous-échantillonnage est une vraie guirlande de Noël. La couleur des étoiles change au grès de leur position dans l'image.

couleur1 image2 couleur3

Le résultat du développement des images RAW en régime de sous-échantillonnage.

La seule parade consiste à additionner un nombre de clichés acquis en décalant le télescope (c'est la technique du "diphering", ou "tremblement" en quelque sorte). Bien sur avant addition des clichés, les images sont soigneusement recentrées à une fraction de pixel près par rapport à une référence commune. On compte ici sur effet de moyenne des défauts pour trouver une image finale qui représente raisonnablement la réalité. Avec 9 images, on commence à disposer d'un échantillon signicatif, ce qui donne le résultat suivant :

image2

Vue agrandie du champ des amas de Persée (facteur 2) après compositage des 9 clichés
et avec le bénéfice statistique du "diphering".

Donc avec le Alpha 7s attention si le focale de votre télescope est courte et les images délivrées très piqués (la FSQ-106ED pique bien plus que la plupart des optiques photo). On notera au passage que Sony à utilisé un filtre anti-aliasing (production d'un léger fou au voisinage du plan du détecteur) extrêmement discret. On peut même ce demander si celui-ci est présent ? L'avantage est que la qualité intrinsèque de votre optique est respectée et restituée par le détecteur, mais à condition de bien gérer la situation (diphering).

Ci-après quelques autres images réalisées avec cet équipement (on le rappelle, sous un ciel pollué, avec une magnitude limite à l'oeil de 3 environ). D'abord l'amas des Pléiades (M45) :

m45_1

Messier 45. Compositage de 4 clichés posés chacun 30 secondes (temps de pose total de 2 minutes).
La boîtier Sony Alpha 7s est réglé au gain de 2000 ISO. Seule une portion du cliché final est affichée, ici avec un facteur de réduction de l'échelle d'un facteur 0,5.

m45_2

Un extrait de l'image précédente à l'échelle 1. Noter l'absence d'artefact.

La galaxie Messier 33 :

m33

Messier 33. Pose de 5 x 30 secondes = 150 secondes. 2000 ISO.

Et bien sur, il est possible de pratiquer la spectrographie ! Toujours au foyer de la lunette FSQ-106ED, mais en ajoutant un réseau Star Anlyser 100 et un prisme à petite angle d'apex (montage GRISM pour réduire les aberrations optiques) :

m45_spc

Vous pouvez reconnaître dans ce cliché l'amas des Pléiades (M45). A chaque étoile brillante de l'amas (à gauche) est associé un spectre (à droite). 3 poses de 30 secondes à 2000 ISO.

L'écran orientable dont est équipé de Sony Alpha 7s est très pratique lors d'une utilisation sur télescop. Le fort gain de l'afficheur trouve ici un intérêt certain : l'écran offre une vision des objets faible du ciel en direct très utile pour les centrages et réglages.

screen

Aspect de l'écran de contrôle du Sony Alpha 7s durant l'observation du spectre de l'amas stellaires de Pléiades.

Mais malheureusement, comme dans tous les appareils photographiques numériques standard, la partie rouge du spectre est très sévèrement coupée par un filtre coloré qui bloque le rouge profond et l'infrarouge. La 7s n'échappe donc pas à la règle, comme en témoigne le document suivant :

gCas

Le spectre de l'étoile gamma Cassiopée pris avec le montage GRISM. Pose de 4 secondes à 2000 ISO. En haut, l'image RAW. Les pixels de la matrices CFA s"allument en fonction de la couleur qui se projette sur eux. Le résultat dans le rouge est très clair : seul 1 pixel sur 4 est actif, avec la perte de détectabilité que l'on devine. En outre, le flitre de blocage de l'infrarouge agit vite et atténue déjà très significativement la raie Halpha (en émission dans cette étoile). Au centre, le résultat du développement de l'image RAW précédente. Il parle certes à l'oeil, mais la perte de rendement dans le rouge n'en demeure pas moins présente. En bas, la version JPEG calculée par le firmware de l'appareil pour ce même cliché. Tout y est : perte de dynamique (noter la saturation de la raie Halpha), perte de netteté, perte de la photométrie (rehaussement logiciel du rouge et du bleu), non linéarité de réponse... Bien sur, le JPEG est a proscrire pour un usage technique des images.

On le sait, l'inefficacité de détection dans le rouge des boitiers non déflitrés ce paye très cher lorsqu'on souhaite réaliser des images dans la couleur de la raie de l'hydrogène, à 653 nm. L'expérience ci-après est édifiante. On vise un objet faible émettant essentiellement dans cette raie Halpha, la nébuleuse NGC 1499 (California Nebula). Le télescope est le même (une lunette FSQ-106ED) ainsi que le temps de pose de 7 x 30 secondes = 210 secondes. Un filtre passe-bande Halpha Astrodon de 6 nm de large est disposé en avant des capteurs pour isoler spectralement la raie rouge de l'hydrogène. A gauche, le résultat avec un Sony Alpha 7s, à droite le résultat avec une caméra Atik460EX exploitée en binning 2x2 (pixels de 9,08 microns de largeur équivalente).

n1499_1 n1499_2

Images de la nébuleuse gazeuse NGC 1499 (constellation de Persée). A gauche, prise avec le Sony Alpha 7s (bien sur non défiltré), à droite avec une caméra spécialement conçue pour l'astronomie, une Atik460EX. Le temps de pose est le même dans les deux cas (7 x 30 s).

Il n'est pas démontré aujourd'hui à ma connaissance que le retrait du filtre de blocage IR du Sony Alpha 7s est une opération réalisable.

Pour rester sur une note moins négative, il faut relever qu'un boîtier photographique est bien sur d'un usage plus polyvalent et plus immédiat que celui d'une caméra spécialisée :

atik460ex

Une caméra Atik 460EX au foyer de la lunetteFSQ-106ED.

En imagerie panchromatique (en dehors de Halpha pour faire simple), le résultat délivré par le Sony Alpha 7s (et par la plupart des appareils reflex) n'est pas déshonorant. L'image ci-après de Messier 33, réalisée avec une caméra Atik460EX et la lunette FSQ-106ED en 60 secondes de pose, est certes plus profonde que celle présentée précédemment et prise avec le boîtier Sony. Mais il y a un peu de triche. La caméra astronomique prend une partie des photons dans la région infrarouge et elle ne fait pas ici directement une image en couleur.

m33_sony

Pose de 2 x 30 secondes avec une caméra Atik 460EX utilisée en binning 2x2 et montée sur une lunette FSQ-106ED.

La résolution angulaire effective délivrée est un paramètre important. Un appareil photo donc le capteur est équipé d'une matrice de Bayer souffre toujours du fait qu'il est obligatoire d'effectuer une interpollation numérique entre pixels voisins. C'est l'opération de "dématricage" ou développement du RAW. La science algorithmique dans ce domaine est très active, pour justement préserver au mieux la finesse des images, mais en même temps sans produire de défauts strucurels dans l'image. Un travail difficile et sujet à compromis. Quoiqu'on fasse, il y a une perte de netteté. Après traitement, la taille équivalente des pixels du capteur Sony n'est plus de 8,5 microns, mais plutot de 10 à 11 microns (suivant l'algorithme de développement utlisé).

Dans l'exemple ci-après, on montre un détail de l'image des Pleiades, à gauche, prise avec le Sony Apha 7s et à droite, prise avec une caméra Atik 460EX (cette dernière équipé d'un capteur CCD Sony N&B exploité en binning 2x2 pour une taille de pixel de 9,08 microns). L'image prise avec une caméra CCD N&B est sensiblement plus piquée.Le bruit plus faible renforce aussi cette impression.

m45a m45b

A gauche, une image de M45 prise avec le Sony Alpha 7s. A droite, la même zone prise avec une caméra CCD Atik460EX. Le télescope est le même (FSQ-106ED) ainsi que le temps de pose (4 x 30 secondes). Les tailles de pixels sont équivalentes (8,5 et 9.1 microns respectivement).

En terme de magnitude limite (détectabilité) pour un temps de pose identique, c'est encore la caméra CCD qui possède la meilleure performance grace à un rendement quantifique supérieur par pixel et aussi un réponse spectrale homogène (pas de filtres colorés passe-bande qui découpent le domaine spectral) et étendu dans le rouge profond. Au final, la réponse (électrons vs photons) du Sony Alpha 7s est environ 10 fois inférieure à celle de la caméra Atik 460EX, avec un écart en détectivité d'environ 1,2 magnitude pour les mêmes conditions d'observation, ce que l'on constate dans le document ci-après :

m45d m45c

A gauche, vue en négatif de l'image de M45 prise avec le Sony Alpha 7s (somme des canaux R, V et B). A droite, la même zone prise avec une caméra CCD Atik460EX. Le temps de pose est identique.

Les capteurs CMOS modernes affichent un bruit de lecture très faible. Celui du Sony Alpha 7s est remarquablement bas. Voici le résultat de mes mesures :

  Gain-1 (e-/ADU) Bruit (e-)
1000 ISO 3.81 4.41
2000 ISO 1.74 1.31
8000 ISO 0.397 0.98
200000 ISO 0.033 0.94

On note un comportement très différent entre 1000 ISO et 2000 ISO, comme l'a déjà souligné sur sa page Thierry Legault.

Avec un bruit de lecture de 1 électron, on regrette toujours autant la présence du filtre de Bayer et du filtre de coupure infrarouge. Sans ces éléments, le Sony Alpha 7s concurrencerait clairement les caméras CCD (au problème près de la compression du RAW, dont le mécanisme n'est pas documenté). Peut-être qu'un jour un constructeur le comprendra et fera une série spéciale !?

En l'état, on ne peut demander plus au boîtier Sony Alpha 7s, qui demeure un équipement grand public généraliste. Les gros pixels sont un atout pour l'astronomie, mais nécessitent de déployer une technique d'observation particulière dès lors que le distance focale fait moins de 1 mètre de focale (le dithering). A des degrés divers, tous les boîtiers, sauf ceux qui discriminent la couleur dans le volume (les capteurs FOVEON, par exemple), demande une opération de ce type en toute rigueur. Le Sony Alpha 7s est plus à l'aise avec les longues focales, mais j'ai montré ici qu'il peut se tirer d'affaire avec une lunette courte particulièrement exigeante.

Le bruit de lecture affiche un niveau extraordinairement bas, et on comprend que c'est appareil puisse faire par exemple merveille dans le domaine de la vidéo faible flux.

Le Sony ne code que 12 bits alors que les boîtiers Canon sont sur 14 bits. Mais vers le gain de 2000 à 4000 ISO, le bruit de lecture n'est de l'orde que de 1 pas codeur. Le Sony Alpha 7s offre alors une dynamique de 4000 pas codeur effectifs.

Un point noir potentiel est le comportement de l'algorithme de compression du RAW. Il est a géométrie variable apparemment (et donc, l'appellation RAW est totalement usurpée par Sony). Je n'ai rien noté de significatif lors de ce test. Par exemple, la soustraction du signal d'obscurité, y compris les points chauds, c'est avérée efficace. Mais ce comportement flottant peu devenir génant si on souhaite faire un usage scientifique de ce boitier. Ceci mériterait quelques investigations supplémentaires.

On apprécie bien sur la présence d'un si très grand capteur (24x36) dans un boîtier si compact.

Je ne juge pas ici l'ergonomie (mais soulignons l'écran orientable, bien pratique).

Bref, un très bon boîtier pour l'astronomie, au minimum pour l'initiation, mais s'en doute aussi pour la belle image dès qu'il est mis dans de bonnes mains.


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