Stage de spectrographie - Session 2 (4/4)

LA CONSTRUCTION D'UN SPECTROGRAPHE


Je vous donne un dernier exemple avec la lunette de 100 mm, assez special, qui  nécessite l'utilisation d'une fente compte tenu de la relative grande étendue de l'objet. Il s'agit de l'observation de la galaxie active Messier 82. A gauche, la galaxie M82 observée en mode direct et fente large pour réaliser le centrage. A droite, la fente est étroite et l'instrument est en mode spectrographie.

   

Le spectre continu du disque de la galaxie est visible au centre comme un trait horizontal très diffus. Les deux points visibles à l'extrémité droite sont les raies H-alpha de l'hydrogène et de l'azote ionisé émis par le noyau très actif de cette galaxie. Les longues raies verticales correspondent à une émission de notre propre atmosphère qui illumine faiblement le ciel... une sorte de pollution lumineuse naturelle.

A partir du moment où le spectrographe est équipé d'une fente étroite, l'étalonnage spectral traditionnel devient possible. Par exemple, ici je promène une petite veilleuse d'électricien au néon devant l'ouverture du télescope, juste après avoir pris le spectre de M82. Ceci me permet d'acquérir un spectre de référence dans les même conditions que pour la galaxie. Je n'ai même pas modifié l'orientation du télescope pour ne pas être victime de problèmes de flexions différentielles. C'est un peu la débrouille, mais ça marche !

Sur le montage qui suit j'ai mis cote à cote le spectre de M82 et le spectre d'émission du gaz néon. L'étalonnage spectral permet de mesurer avec un specrographe aussi modeste le décalage vers le rouge de la galaxie. La raie H-alpha au lieu d'être mesurée à sa longueur d'onde de repos à 6563 angstroms est ici observée à 6568 ansgtroms, soit une vitesse de récession de 230 km/s environ.

Pour finir, je vais décrire le schéma d'un spectrographe proche de celui que nous venons de discuter, mais avec une modification significative permettant d'optimiser un peu la taille et la masse.  Sur la photographie suivante je vous montre à quoi ressemble ce spectrographe de taille réduite, ayant un pouvoir de résolution de 700 environ, associé à une lunette de 4 pouces sur une monture GP-DX. Je vais vous décrire avec quelques détails cette disposition :

J'exploite ici les angles que nous avons calculés pour l'ordre +1 au début de cette session. L'angle d'incidence et l'angle de diffraction pour la longueur d'onde de 5700 Å sont similaires, environ 10°, et surtout de même signe.

Christian - Ooops, cela veux dire que la direction des rayons lumineux qui partent vers le réseau et ceux qui en reviennent sont les mêmes. Tu ne peux donc pas dégager de la place pour caser à la fois une lentille collimatrice et une lentille objectif, je me rappelle la leçon !

Aude - C'est exact. Mais on s'en sort en utilisant la même lentille à la fois comme collimateur et comme objectif. Voici un schéma de principe :

La fente d'entrée et le CCD sont légèrement décentrés par rapport à l'axe optique. C'est ce qui permet d'utiliser la même optique pour la fonction de collimation et la fonction d'imagerie du spectre sur le CCD. Un petit miroir de renvoi a été ajouté pour que l'on puisse faire coexister simultanément la mécanique d'une fente et la caméra CCD.

Nous l'avons vu, les angles d'incidence et de diffraction sont presque égaux et de petites valeurs. On appelle cette configuration un montage Littrow. Ce type de montage permet d'optimiser la surface utilisée du réseau, et c'est aussi dans cette situation que le blaze du réseau fonctionne au mieux, c'est à dire que le rendement de l'ensemble est le meilleur. On économise un objectif, d'où le gain en masse et en volume.

En pratique, par rapport au schéma de principe que je viens de montrer, le réseau est tourné à 90° de manière à ce que les traits gravés soient parallèles au plan du papier. De même, on tourne à 90° l'axe principal de la fente. Ainsi la dispersion ne se produit plus dans le plan de la feuille, mais suivant un axe perpendiculaire. Cela ne change pas le principe de fonctionnement, mais donne un peu plus de marge pour le passage du faisceau optique.

Alain - Tu peux nous dire un mot sur la manière de régler un tel instrument ?

Aude - Vous n'avez besoin que d'un seul outil : un bon chercheur de télescope avec réticule et réglé avec soin sur l'infini en visant un objet lointain. Vous retirez le réseau et vous visez la fente avec le chercheur comme je vous le montre ici :

Vous devez ajuster la distance entre l'objectif photographique et la fente de telle manière que cette dernière apparaisse bien nette. Cela signifie que la fente est au foyer de l'objectif. Pour faire ce réglage vous pouvez agir sur la bague de mise au point de l'objectif, mais une fois que c'est fait, vous ne devez plus y toucher.

Ensuite vous orientez le chercheur de la manière suivante :

Ce faisant vous aller pouvoir observer la surface du CCD. Ajustez alors la distance entre l'objectif et la caméra CCD en faisant glisser cette dernière le long de l'axe optique pour que les pixels apparaissent net. A son tour, la caméra est alors au foyer de l'objectif.

Mettez en place le réseau dans son support. Attention, c'est un composant optique extrêmement fragile. Si vous mettez une simple trace de doigts sur la surface gravée, considérez que vous pouvez mettre le réseau à la poubelle car il n'est pas possible de le nettoyer. Certains réseaux économiques, réalisés sur l'équivalent de films photographiques, sont protégés par de fines lames de verre qui les prennent en sandwich. Ici, pas de problème de manipulation. Mais je le répète, avec les réseaux gravés sur substrat en verre, les meilleurs, il faut prendre d'infinies précautions. Il est aussi totalement interdit de frotter la surface pour retirer des poussières. Même un pinceau très doux est quasi interdit. Si vous avez des poussières, il vaut mieux les laisser en place. Simplement, évitez d'exposer longtemps le réseau aux courants d'air. Le boîtier du spectrographe une fois fermé bien hermétiquement pour éviter l'entrée de lumières parasites, le problème des poussières est généralement réglé.

Avec un réseau blazé il y a deux orientations possibles des traits, à 180° l'une de l'autre. Une flèche tracée sur un champ du substrat en verre indique souvent la direction du blaze. Mais un petit raisonnement mental en examinant la brillance des différents spectres diffractés permet aussi de rapidement lever l'ambiguïté.

Il reste à régler l'orientation du petit miroir. Vous montez le réseau et vous positionnez à l'endroit de la fente un petit trou fait dans du papier d'aluminium par exemple. Tout en orientant le miroir, éclairez vigoureusement le trou pour que son image se forme au centre de la surface sensible du CCD.

Pour le reste, si vous respectez les cotes que vous avez pu établir en faisant une petite épure optique en coin de table, c'est gagné et vous pouvez pointer le ciel. Voici à titre d'exemple le schéma d'un petit spectrographe que j'exploite en montage Littrow. L'objectif est un Nikon de 50 mm f/1,8 (attention c'est important, il faut utiliser la version non-autofocus, nettement plus compacte que la version autofocus), le réseau est un 600 traits/mm de chez Edmond Optics de référence NT46-075, et enfin la caméra CCD est une Audine.

 

 Voici une photographie de l'ensemble monté :

 

Ce spectrographe peut être utilisé avec un télescope ouvert à F/D=4,5 sans vignettage. En revanche, puisque f1=f2, par définition dans le montage Littrow, la taille de l'étoile ou de la fente au foyer du télescope se retrouve telle quelle sur la surface du CCD. Il faudra donc que le télescope donne des images bien piquées. Un Schmidt-Cassegain de 200 mm à F/D=6 environ convient parfaitement (utiliser un réducteur de focale au besoin). J'aime bien aussi utiliser pour ma part des lunettes apochromatiques qui donnent des images bien sympathiques par leur qualité. Avec une lunette de 100 mm de diamètre ce spectrographe permet d'acquérir sans un effort sur humain des spectres d'étoiles de magnitude 12 (dispersion de 2,9 angstroms par pixel). Pour une description plus détaillée de ce spectrographe, cliquez ici.

Alain - Est-il possible d'adapter ce montage avec un objectif de focale plus longue pour obtenir une meilleure résolution spectrale ?

Aude - Aucun problème bien sur, à partir du moment où le télescope peu supporter le surcroît de poids. Par exemple dans le spectrographe suivant, j'utilise un objectif photographique de135 mm de focale. Notez que le réseau fait ici 50 mm de coté. Remarquez aussi l'usage intensif du bois...

 

Mais rappelez-vous mes propos du début. Ne pensez pas qu'une haute résolution spectrale est la panacée. A vous de choisir ou de fabriquer plusieurs spectrographe en fonction de votre spécialisation.

Aller, j'arrête là, vous en savez déjà pas mal pour commencer à construire votre spectrographe. On se repose un petit peu et on aborde ensuite la seconde partie de ce stage : l'acquisition et le prétraitement des spectres.

Raymond - Ouiii, et je prendrais bien une petite collation en attendant. Tu viens Aude ?

Aude - Mais avec grand plaisir !


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