Stage de spectrographie - Session 3 (2/3)

L'ACQUISITION ET LE PRETRAITEMENT DES SPECTRES


Aude - Revenons à la focalisation. Pour l'affiner, on se place dans la meilleure résolution possible, c'est à dire en binning 1x1, on passe du mode imagerie directe au mode spectro en faisant pivoter le réseau à diffraction et on focalise jusqu'à avoir un spectre bien étroit et des raies spectrales bien fines. Voici la séquence :







 

Raymond - En pratique, tu changes la mise au point, tu fais une image pour voir le résultat, tu refais la mise au point, et ainsi de suite ?

Aude - Exactement Raymond. Il faut de la patience et un peu d'habitude, mais ça vient vite. En spectroscopie, une difficulté provient du chromatisme des optiques. Par exemple, l'objectif photographique ne focalise pas en même temps parfaitement les rayons lumineux rouges, verts ou bleus sur le CCD. Il n'est donc pas facile dans ces conditions de savoir si la focalisation est correcte car on peut tout aussi bien favoriser la partie rouge, verte ou bleu du spectre. Pour limiter les risques, il faut si possible choisir un objectif de qualité réputée.

Christian - J'ai toujours éprouvé de la difficulté pour faire une bonne mise au point. Y a t-il une recette ?

Aude - Par dessus tout il y a la patience et l'exigence de l'opérateur. Ne pas hésiter à reprendre la focalisation si on sent que quelque chose ne va pas, et ceux plusieurs fois dans la nuit. Lors du réglage proprement dit, vous devez toujours dépasser dans les deux sens la position qui vous paraît la plus judicieuse afin de vous assurer que vous ne manquez pas le point de focalisation optimum. La molette de mise au point doit bien entendu être très douce et les mouvements fortement démultipliés. Avec la lunette utilisée, une FSQ-106 de Takahashi, très ouverte, à F/D=5, la tolérance de mise au point est inférieure à 10 microns. Il faut du doigté ! Pour le faciliter la tâche, j'utilise un comparateur de mécanicien qui prend appui sur le corps du spectrographe. A vrai dire, avec une lunette aussi ouverte ce type d'accessoire est pratiquement indispensable, à moins d'utiliser un très bon moteur de focalisation. Voici comment ça se présente...

Christian - Fichtre, c'est tout de même du beau matériel que tu utilise. Il me semble reconnaître une grosse monture NJP-160 Takahashi ? C'est la condition pour faire de la spectroscopie !?

Aude - Fort heureusement non ! Par exemple, Christian, tu nous as dit au début que tu possédais un LX200 de 200 mm, ce qui est déjà un très joli matériel au passage. Ne change rien, c'est parfait. Mon seul vrai conseil est de travailler avec des télescopes ou des lunettes de bonnes qualités optiques ouverts entre F/D=5 et F/D=8. Une très longue focale conduit à des images un peu empattées au foyer, ne serais-ce que par l'effet de la turbulence atmosphérique. Avec ton LX200, je te recommande vivement d'utiliser un réducteur de focale qui amène le rapport d'ouverture vers F/D=6. Les lunettes sont bien sûr utilisables. Tous les modèles apochromatiques conviennent. Un diamètre de 100 mm permet d'étudier des étoiles jusqu'à la magnitude 12 au moins avec le spectrographe que j'utilise pour ce stage. Cela permet d'abattre pas mal de travail.

Christian - Et la monture ? Il faut tout de même qu'elle supporte le télescope ou la lunette, plus le spectrographe !

Aude - Comptez dans les 1,8 kg pour le spectrographe équipé de la caméra. J'ai pu faire des spectres corrects avec une lunette FSQ-106, un engin assez lourd en soit, le tout sur une monture GP-DX très maniable et transportable. Une règle d'or en astronomie CCD : il vaut mieux privilégier la monture que le diamètre de l'instrument. Un télescope de 115 mm porté par une robuste monture, résistant au vent et suivant au poil sera toujours plus rentable et efficace qu'un télescope de 400 mm associé à une monture flexible.

J'ai le sentiment que vous voulez en voir plus sur mon installation. Voilà, je travaille au dernier étage d'un immeuble sur une petite terrasse sans toit (j'ai de la chance mais j'ai mis du temps à trouver, car à Toulouse, les promoteurs sont fous : à cause du soit disant Soleil ils couvrent toutes les terrasses - ils ne pensent absolument pas aux astronomes amateurs ces gros bêtas)...

  

Alain - Le suivi durant la pose doit être irréprochable, sinon on perd en résolution spectrale ?

Aude - La qualité finale en dépend effectivement. Mais vous serez peut-être surpris d'apprendre que l'on est plus tolérant en spectrographie qu'en imagerie du ciel profond. L'astuce est de bien orienter le spectrographe par rapport au mouvement d'ascension droite et de déclinaison. L'axe sensible pour le suivi est l'axe d'ascension droite. C'est suivant le mouvement horaire que les erreurs périodiques se manifestent. Seuls les défauts de mise en station et de flexion sont sensibles en déclinaison. En faisant des poses relativement courtes, deux minutes tout au plus dans mon cas, l'effet des flexions est pratiquement imperceptible. Donc, je vous conseille d'orienter votre spectrographe de manière à ce que l'axe de la dispersion soit perpendiculaire au mouvement en ascension droite, comme je vous le montre sur cette image :

Alain - OK, je vois l'astuce, un défaut de suivi va élargir le spectre verticalement, mais la finesse des raies dans le sens de la dispersion n'est pas modifiée.

Aude - Tout à fait, et nous verrons plus tard que l'étalement dans le sens transverse à la dispersion n'est pas critique car il s'élimine lors du traitement numérique des images. Justement, il est temps de parler traitement car l'heure tourne. Regardez bien l'image... Si je vous dis qu'elle représente une exposition de 120 secondes, ne remarquez-vous pas un trait commun à vos images du ciel profond ?

Alain - Il me semble voir des points chauds...

Aude - C'est bien. Petite révision, c'est quoi un point chaud ?

Christian - Je me lance : c'est un pixel pour lequel le signal d'obscurité est bien plus important que dans ces voisins. Ce signal à une origine thermique et il est d'autant plus important que la température du CCD est élevée. C'est du reste pour cela que le capteur est refroidi, afin de limiter les dégâts du signal d'obscurité.

Aude - Fort bien, je vois que tu as été attentif lors des stages précédents Christian. Tu peux me dire pourquoi cette expression de signal d'obscurité ?

Christian - Parce qu'il s'agit d'un signal que l'on peut observer alors même que le capteur est plongé dans le noir le plus total. C'est un signal parasite dont le seul responsable est le CCD lui-même. Le fait qu'il y ait de la lumière ou pas ne change rien à l'affaire, le signal thermique, que l'on appelle aussi signal thermique je crois, est toujours présent et s'ajoute de manière indépendante au signal produit par les astres.

Aude - Tout le monde est d'accord ?

Alain - Peut pas mieux dire !

Raymond - Ca fait du bien de réviser !!! (grand sourire)

Aude - Je vous propose de continuer dans la révision, on ne sait jamais ! Le mot parasite est important. Un parasite c'est quelque chose qui vit au dépend d'un autre. Dans notre image électronique CCD, on trouve du signal utile, le spectre de l'étoile, mais en plus, c'est le théâtre d'une vie souterraine et nuisible. Le signal d'obscurité en est un exemple. Il prend naissance spontanément au sein même du capteur et il ne dépend pas de la quantité de lumière incidente, tu la fort bien dit Christian. C'est le but du prétraitement d'isoler le seul signal qui provient de l'astre étudié en excluant des intrus, tel que le signal thermique qui s'invite sans rien demander à personne. Pour ce qui est du signal d'obscurité, sa valeur est liée à la température du capteur CCD, mais elle est aussi proportionnelle au temps de pose. D'une image à l'autre, si vous doublez le temps de pose, vous doublez aussi le signal thermique.

Raymond - Le signal d'obscurité est-il le seul signal parasite ?

Aude - Il y en a un autre : le signal d'offset, on dit aussi "bias" en anglais. Celui là il est toujours présent dans vos images, quel que soit le temps de pose. Du reste pour le débusquer, il suffit de jouer avec ce temps de pose. Imaginez votre capteur dans l'obscurité et devinez ce que devient le signal thermique lorsque le temps de pose tend vers zéro...

Christian - (court silence) .... Ben, si le temps de pose est nul il n'y a plus de signal thermique puisqu'il n'a pas eu le temps de se former.

Aude - C'est bien cela, c'est très logique (sourire en coin à Christian). Pourtant malgré un temps d'exposition si bref, on constate que les pixels de l'image ont une intensité non nulle. C'est ce signal résiduel que l'on appelle l'offset. Il prend surtout naissance dans l'électronique intégrée qui se trouve dans la puce CCD et dont le rôle est d'amplifier le signal électrique. L'offset est approximativement le même d'un pixel à l'autre, mais il n'est pas toujours possible de le voir comme une constante pour toute l'image.

Résumons les deux signaux parasites identifiés. Dans toute image CCD vous avez un signal à peu près constant que l'on nomme offset. Il n'a rien à voir avec l'interaction de la lumière puisqu'on l'observe alors que le capteur est dans le noir. Au signal d'offset, s'ajoute un signal d'origine thermique qui est nul si le temps de pose est très bref, mais qui augmente ensuite proportionnellement à la valeur du temps de pose. Il est aussi dépendant de la température du détecteur.

Raymond - L'objectif du prétraitement des images est donc bien de débarrasser notre image CCD à la sortie de la caméra de ces deux signaux parasites.

Aude - Exact... à une petite nuance près. Il se trouve que les pixels du capteur ne répondent pas de la même manière à la lumière. Certains sont plus chanceux que d'autres : ils vont produire un signal électrique plus important que les voisins pour un même éclairement lumineux. On dit qu'ils sont plus sensibles. Pour l'astronome le résultat peut être catastrophique : supposons qu'il observe un champ dans le ciel de brillance parfaitement uniforme, la caméra en retourne une image granuleuse puisque les pixels ne répondent pas de la même manière aux stimuli lumineux. La caméra distord la réalité. Ce sont parfois même des zones entières du capteur qui vont réagir à la lumière complètement différemment, par exemple du fait qu'une poussière sur une surface optique intercepte une partie du flux incident. Le vignettage optique que nous avons évoqué tout à l'heure participe à la fête aussi. Je vous montre dans cette image comment se comporte notre instrument lorsqu'il est être éclairé par une plage de lumière uniforme, en abrégé PLU :

 

Christian - Plage de lumière uniforme ?

Aude - C'est une scène que l'on pointe avec le télescope et que l'on considère comme uniformément brillante sur une étendue correspondant au moins au champ de l'instrument. Ce sera par exemple le ciel au crépuscule ou encore un écran de cinéma placé un peu en avant du télescope.

Raymond - On a le sentiment que le CCD est moins sensible dans les coins et notamment en haut à droite. C'est la bonne interprétation ?

Aude - Oui, c'est une très bonne manière de voir les choses, à ceci près que le responsable n'est pas seulement le capteur lui-même, mais aussi l'ensemble de l'instrument. Analysons les conséquences de cet état de fait. Supposons que la sensibilité, comme tu le dis Raymond, soit deux fois moins bonne sur le bord de l'image qu'au centre. Ca veut dire que pour un éclairement à la base uniforme du champ image on enregistre deux fois moins de signal en bord de capteur qu'au centre. Il est facile lors du prétraitement d'inverser cette tendance : il suffit de multiplier l'intensité des pixel qui se situent sur le bord par deux et de laisser tels quels les pixels du centre. Pour trouver le bon coefficient multiplicatif pour chaque pixels il nous faut la réponse de l'instrument lorsque celui-ci observe une plage de lumière uniforme. C'est exactement ce que montre l'image précédente, que l'on appelle une PLU ou un "flat-field". Flat-field, c'est de l'anglais, que l'on peut traduire mot à mot par "champ plat". Pour corriger notre image spectrale il suffit de la diviser à posteriori par l'image flat-field. En faisant ainsi on inverse le processus d'atténuation multiplicatif du flux optique produit lors de l'acquisition.

Alain - Je suis en terrain connu, c'est exactement ce que je fais pour traiter mes images de galaxies. Y a t -il des spécificités propres au prétraitement des images spectrales.

Aude - Oui, il y en a, nous allons le voir par la suite. Mais le retrait de l'offset, du signal d'obscurité et la division par le flat-field demeure un dénominateur commun.

Christian - Quel logiciel utilises tu pour faire le prétraitement ?

Aude - Pour ce qui est des phases classiques du prétraitement, et que je viens de rappeler à l'instant, il y a un très large choix de logiciels. Tous se valent et je me garderais de porter un jugement de valeur. A vous de choisir en fonction de votre sensibilité, de l'ergonomie proposée, etc. Cependant, vous allez voir que certaines manipulations sont assez spécifiques à la spectrographie, et à cause de cela, j'utilise le logiciel Iris qui possède des fonctions pour cela. Je suis désolé pour ceux qui ne sont pas trop habitués à ce programme, mais je suis sûre que tous les logiciels seront mis à niveau au fur et à mesure que la spectrographie deviendra populaire ! Si vous avez accès à Linux vous pouvez tenter d'utiliser des logiciels professionnels comme IRAF ou MIDAS. Vous y trouverez tout, mais l'apprentissage risque d'être long.

Alain - Va pour Iris, mais donne-nous une décomposition des traitements pour que l'on puisse les reproduire chez nous et comprendre ce que tu fais.

Aude - Je vais essayer. On va commencer par le signal d'offset. J'ai fait 11 images dans l'obscurité juste à la fin de la séance d'observation avec le temps d'intégration le plus bref possible. Bien sûr le facteur de binning est de 1 et la fenêtre dans le CCD est la même que pour les images spectrales. Voici une de ces onze images :

Christian - Pourquoi 11 images ?

Aude - J'aime bien ce nombre, c'est pas une blague ! Mais vous devinez que nous allons moyenner ces 11 images afin de réduire le bruit présent dans chaque images.

Raymond - Le bruit, que veux-tu dire au juste ?

Aude - Si on fait plusieurs images successives d'un même objet, et que l'on relève l'intensité d'un pixel donné dans chacune des images, il apparaît que les valeurs obtenues ne sont jamais rigoureusement identiques. C'est cette fluctuation autour de la valeur moyenne du signal que l'on appelle le bruit. Concrètement, elle signifie qu'une mesure unique est entachée d'une sorte d'erreur que l'on ne peut prédire en raison du caractère aléatoire du bruit. Le seul moyen d'approcher la vrai valeur du signal est de moyenner un grand nombre de mesures. C'est pour cela que je vais acquis 11 images.

Alain - Mais tu aurais pu réaliser 50 images pour diminuer plus encore le bruit par effet de moyenne !

Aude - Certe, mais on montrer qu'au delà d'un certains nombre d'images moyenner, le bruit diminue très lentement. Un nombre d'images entre 9 et 15 est un bon choix ici.

Raymond - D'où vient le bruit ?

Aude - Pour une bonne part, le bruit provient d'imperfections du CCD et de l'électronique de la caméra.

Raymond - L'offset et le signal thermique sont aussi des bruits alors ?

Aude - Attention, tu fais une confusion que j'ai bien souvent entendue. Ce que l'on appelle signal d'offset et signal d'obscurité, ce sont justement, comme leur nom l'indique, des signaux. Ils s'ajoutent simplement au signal utile. On peut prédire la valeur de ces signaux parasites que j'ai énuméré, et c'est pour cela qu'il est possible de les retirer des images du ciel. Ce ne sont donc pas des bruits, puisque cette information est prédictibles, à partir d'images d'étalonnages spécifiques : des poses courtes et longues dans l'obscurité. En revanche, les signaux d'offset et thermique sont affectés d'un bruit. C'est pour cela que pour en trouver la valeur fidèle il est nécessaire de réaliser des moyennes.

Raymond - Que fait-tu au juste avec ces 11 images ? J'ai entendu dire que l'on pouvait les associer en faisant une somme médiane. Ce n'est pas pareil qu'une moyenne je suppose ?

Aude - Le compositage des images, ce que tu appelle "associer", est effectivement ici plus efficace en utilisant une somme médiane en remplacement de la simple moyenne. La grande affaire de la somme médiane est qu'elle est très efficace pour éliminer un point aberrant qui se trouve dans une seule image. La présence de cet artefact, accidentelle et propre à l'instant où est acquise l'image en question, peut être gommée grâce à des traitements statistiques.

Raymond - Peux-tu donner un exemple d'artefact ?

Aude - Ce sera par exemple l'impact fortuit d'un rayon cosmique qui produira une tache brillante dans l'image, pouvant couvrir parfois plusieurs pixels. C'est aussi un parasite électrique au moment où quelqu'un chez vous allume le four micro-onde en produisant une sorte de balafre dans l'image..

Voyons comment je m'y prends pour effectuer le traitement. J'ai l'habitude de nommer mes images d'offset O-1, O-2 et ainsi de suite jusqu'à O-11 par exemple. Par exemple sous Iris vous ferez le compositage médian en tapant la commande :

SMEDIAN   O-   11

Dans tous les programmes spécialisés vous trouverez une fonction équivalente. Pour un même pixel dans les images, le logiciel ordonne par ordre croissant les 11 valeurs disponibles. La médiane, qui sera la valeur affectée au pixel correspondant dans l'image finale, est l'intensité qui se trouve au milieu de la séquence triée.

Nous sauvegardons l'image médiane sous un nom évocateur. Comme c'est une image du signal d'offset, nous appelons OFFSET le fichier image sur le disque dur. Vous aller trouver la fonction de sauvegarde dans le menu fichier de la plupart des logiciels. C'est le cas pour Iris bien sur, mais vous pouvez aussi utiliser une commande entrée au clavier, comme :

SAVE   OFFSET

Alain - Tu confirmes bien que cette image d'offset permettra de traiter toutes les images de la nuit ?

Aude - Tout à fait. Même si les conditions au cours de la nuit changent, par exemple la température, nous allons considérer que cette carte du signal d'offset est une constante de l'instrument et s'applique donc à toutes les images. C'est une approximation très légitime en pratique. En revanche, je recommande d'acquérir une nouvelle séquence d'offset chaque nuit. Ce n'est pas difficile à faire et ça ne peut pas faire de mal. Regardez à présent l'image suivante, telle qu'elle sort de la caméra. Je l'ai faite dans l'obscurité totale, en bouchant l'entrée de la lunette, avec un temps de pose de 120 secondes, c'est-à-dire la même exposition que pour les images du ciel.

Alain - C'est l'image du signal thermique. On voit bien les points chauds !

Aude - C'est presque juste. Attention, ce n'est pas que le signal thermique. Le signal d'offset est aussi présent dans cette image. Si vous voulez isoler le seul signal thermique il est nécessaire de retirer l'offset, mais nous verrons cela dans un instant. J'ai fait onze images de ce type vers la fin de nuit, ce qui m'a pris tout de même 11 x 2 minutes = 22 minutes.

Christian - Pourquoi 11 images... (air malicieux)

Aude - Tu me taquines Christian (rougissement). Même raisons que pour les images d'offset : limiter le bruit et surtout retirer l'effet d'un toujours possible artefact accidentel dans une des images. Je les nomme N-1, N-2, ... Le compositage médian s'écrit :

SMEDIAN   N-    11

A ce stade, vous avez la somme d'une image du signal d'obscurité généré par le CCD en 2 minutes et du signal d'offset. Pour extraire le signal d'obscurité proprement dit il reste à soustraire l'image d'offset précédemment calculée :

SUB   OFFSET    0

Notez au passage que j'ai traité en premier l'offset puis le signal thermique, vous comprenez pourquoi.

Christian - Elle est vraiment très maline Aude...

Aude - (re-rougissement) - Le résultat est sauvegardé sous le nom DARK (noir en français). Ce nom est une tradition, mais vous êtes libre d'utiliser celui qui vous passe par la tête.

SAVE   DARK

Alain - Aude, je suppose que, plus tard, tu vas soustraire aux images spectrales cette image du signal d'obscurité. Mais une chose me turlupine. Tu as dit plusieurs fois que le signal thermique est fonction de la température. Si la température du CCD a changé entre le moment où tu as obtenu les images de noir et les images des spectres, il va y avoir un problème.

Aude - C'est un très vaste débat que tu soulèves. L'idéal est d'avoir une caméra dans laquelle la température du CCD est régulée d'un bout à l'autre de la nuit à une fraction de degré près. Ceci répond complètement à ta question. Dans mon modèle d'Audine, la température du CCD peut fluctuer de plusieurs degrés en cours de nuit et effectivement, cela pose potentiellement un problème. Pour le régler, au moins en partie, j'utilise une procédure automatique dans le logiciel Iris qui ajuste le niveau de l'image du signal d'obscurité pour que la soustraction soit optimale. Par optimale, il faut entendre que le résultat est le meilleur possible vis à vis du bruit dans l'image après le traitement. Ca marche pas trop mal en pratique.

Raymond - Est-il obligatoire que le temps de pose des images de noirs soit égal au temps de pose des images de spectres ?

Aude - La règle importante est que le temps de pose pour les images de noirs ne soit pas inférieur à celui des images à traiter. Par expérience, un temps de pose très supérieur pour l'image du signal d'obscurité n'est pas non plus nécessairement une bonne chose : c'est très long à acquérir, les risques augmentent d'avoir des incidents durant les poses, il n'y a pas obligatoirement une relation strictement linéaire entre le signal thermique et le temps de pose... Avec la caméra Audine, j'ai pris l'habitude de pratiquer le même temps de pose pour les noirs et pour les images du ciel. Normalement, au minimum, il faudrait faire une séquence en début de nuit et une autre en fin de nuit, mais je reconnais que ce n'est pas toujours mon cas et je m'appui assez fortement sur la technique d'optimisation numérique du courant d'obscurité dont je viens de vous parler. Ces contraintes sont les conséquences de la non-régulation thermique du CCD.

Passons à présent au calcul de l'image flat-field, qui je le rappelle est une sorte de carte de sensibilité de votre instrument en fonction de l'endroit où vous vous trouvez dans l'image. Là, il y a une différence par rapport à vos habitudes en ciel profond.

Alain - Le flat-field c'est la bête noire de l'imagerie CCD ! Je souffre vraiment avec affaire.

Aude - Oui, et je vais même en ajouter une couche ! Normalement pour obtenir l'image flat-field, il faut pointer le télescope vers une plage de lumière uniforme, par exemple, le fond de ciel au crépuscule, un écran blanc placé devant le télescope, ou encore un diffuseur que l'on observe en transparence à l'entrée du tube. Dans le cas présent, j'ai visé un écran pas vraiment blanc, le mur de mon appartement, éclairé par une vulgaire lampe de bureau. J'ai un peu honte... Voici comment ça se présente :

 

Christian - Dit donc Aude, tu faiblis ! J'ai entendu parler de boites à lumière sophistiquées que l'on place en avant du télescope. Ta solution est pour le moins rustique en comparaison !

Aude - Rustique oui, mais il ne faut pas trop se fier aux apparences. Il faudrait un stage entier pour discuter de la meilleure manière d'obtenir une image flat-field. Crois-moi par expérience, un large mur éclairé à 3 ou 4 mètres de l'entrée du télescope ce n'est pas si mal que cela. Même si le mur n'est pas parfaitement uni, comme ici, ce n'est pas très grave car son image est tellement défocalisée au foyer du télescope ou de la lunette, que les non-uniformités sont complètement gommées. Là où je suis un peu coupable c'est que le mur n'est pas d'un blanc immaculé et que l'éclairage utilisé est une vulgaire lampe à incandescence, dont la lumière ne ressemble pas à celle parvenant des étoiles ou du fond de ciel. Mais je vais essayer de vous expliquer que tout ceci n'est pas très gave. Voici une image flat-field typique obtenue dans ces conditions :

 

Raymond - Diantre, elle n'est pas vraiment uniforme cette image.

Aude - Exact. Il faut être maintenant bien attentif, car nous entrons de plain-pied dans ce qui fait le sel de l'acquisition spectrale. Lorsque vous faites un flat-field pour corriger des images du ciel profond, chaque pixel réagit à sa manière à la quantité de lumière qu'il reçoit. La couleur de la lumière reçue, souvent une lumière blanche du reste, est identique en tout point du CCD. La carte flat-field obtenue dans ces conditions traduit bien alors la réponse relative de l'instrument dans le champ image. En spectrographie la situation est toute autre du fait que la lumière est dispersée spectralement sur la surface sensible, le signal sortant du CCD sera certes fonction de la sensibilité intrinsèque de chaque pixel ou de la présence de poussières en avant de ceux-ci, mais aussi et surtout, du contenu spectral de la lumière analysée. De plus les pixels d'un capteur CCD ne répondent pas tous de la même manière suivant la couleur de la lumière incidente.

Supposons que l'on observe une lumière riche en rayons rouges et pauvre en rayons bleus. Les pixels qui se situent dans la partie bleue du spectre verrons donc moins de lumière que les pixels qui ont la chance d'intercepter la partie rouge (à gauche dans notre image). Comme en plus le CCD répond mieux en général aux rayons rouges qu'aux rayons bleus, le signal observé dans l'image sera nettement plus important du coté rouge que du coté bleu. Pour ma part j'utilise une lampe à incandescence banale à filament de tungstène pour éclairer le mur. Une telle source de lumière envoie un maximum de rayonnement dans la partie rouge du spectre, voir même dans l'infrarouge. Toutes ces considérations expliquent l'aspect de notre image flat-field. Si j'affiche à nouveau cette image en colorant artificiellement en rouge les parties les plus lumineuses et en bleu les parties les plus faibles, j'ai une sorte de représentation du spectre en vraie fausses couleurs :

Raymond - Tu nous montres dans cette image que la partie rouge du spectre se situe à gauche et que c'est cette partie du spectre qui est la plus intense.

Aude - C'est ça. Le point important à retenir est qu'il n'est pas possible d'utiliser cette image flat-field comme carte de sensibilité du CCD et plus globalement, de l'instrument. En effet, si l'aspect du flat-field dépend de la réponse intrinsèque des pixels, elle dépend aussi du contenu spectral de la source lumineuse utilisée pour l'acquérir, et c'est la que ça coince. Diviser nos images du ciel par ce flat-field, que l'on nomme flat-field moyen, fait plus de mal que de bien. C'est un peu comme si en imagerie CCD traditionnelle vous faisiez le flat-field en observant une plage de lumière qui ne serait pas uniforme : la carte de sensibilité ne dépend plus seulement des caractéristiques de l'instrument car l'homogénéité de la source lumineuse intervient.

Christian - Quelle est alors l'issue pour obtenir un flat-field en spectrographie ? Ca m'inquiète un peu !

Aude - Moi aussi ! Blague à part, c'est une difficulté assez sérieuse, mais il y a au moins deux méthodes pour nous tirer d'affaire.

La première, que je ne ferai qu'évoquer rapidement est liée à la propriété de notre spectrographe qui permet d'envoyer l'image d'ordre zéro du réseau à diffraction directement vers le CCD, sans dispersion. Dans ce cas, le capteur est éclairée par une lumière blanche et on se retrouve dans la situation d'un flat-field classique ciel profond. Il faut être prudent avec cette méthode car le chemin optique suivi par la lumière n'est pas exactement le même que lors de l'acquisition des spectres.

La seconde méthode revient à considérer que le flat-field moyen observé est le produit de deux flat-field élémentaires. Le premier flat-field élémentaire est caractéristiques des variations lentes de lumière dans le champ image. On l'appellera le "flat-field normalisé". Le second flat field élémentaire traduit en revanche les variations rapides de sensibilités à des échelles de la taille de quelques pixels ou quelques dizaines de pixels au plus. Ce dernier flat-field prend en compte les variations de sensibilité de pixel à pixel ou encore les ombres projetés de tailles relativement modestes causées par la présence de poussières dans le trajet optique.

L'idée de fond est d'extraire ces deux flat-fields élémentaires du flat-field moyen, celui obtenu en observant l'écran, puis d'utiliser le flat-field normalisé pour traiter uniquement les variations de sensibilité à petite échelle. Le problème des variations lentes de sensibilité dans le champ, par exemple en raison d'un vignettage optique, ou encore la prise en compte de la réponse des pixels à une lumière colorée, sera traité ultérieurement, lorsque ferons l'étalonnage en flux des spectres lors de la session 3. Nous nous servirons pour cela de la mesure du spectre d'une étoile connue et nous comparerons ce spectre avec le spectre théorique attendu pour cet astre.

Raymond, Christian, Alain - (en coeurs) Oups, ça devient complexe !!!

Aude - Je l'admets. On est ici dans une partie musclée de la spectrographie, je vous avais prévenue. Je vais essayer de vous montrer concrètement ce qui se passe avec des images, ou plus précisément, avec des courbes. Regardez le graphique suivant :

C'est une coupe photométrique dans l'image flat-field moyen réalisée en observant le mur. La coupe passe par l'axe horizontal de l'image. Sur l'axe des abscisses on trouve des numéros de pixels et sur l'axe des ordonnées on trouve l'intensité de ces pixels. Que voit ton ? La pente descendant lentement de gauche à droite correspond au gradient que nous avons déjà mis en évidence dans l'image à deux dimensions. Pour l'essentiel cette variation est due au contenu spectral de la source lumineuse utilisée, qui est une lampe à filament de tungstène banale et qui émet principalement du signal dans la partie rouge du spectre. L'effet est encore accentué du fait que le détecteur CCD est intrinsèquement plus sensible pour la lumière rouge que la lumière bleu. En outre, j'ai ajouté de manière artificielle dans l'image des incidents qui simulent la présence de poussières de plus ou moins grandes dimensions et de plus ou moins grande opacité. Ce sont les échancrures que l'on observe dans le profil photométrique.

Voici à présent l'allure de notre flat-field après un lissage numérique intensif :

Les défauts de petites échelles ont disparut.

Nous calculons à présent le flat-field normalisé en divisant le flat-field de départ par sa version lissée :

Ce flat-field normalisé ne porte la signature que des défauts liés à la présence des poussières ou des variations de sensibilités de pixels à pixels.

Prenons à présent le spectre d'une étoile et affichons son profil photométrique :

La courbe est la distribution du flux de l'étoile en fonction de la longueur d'onde, mais on y voit aussi les défauts de notre instrument. Les échancrures provoquées par les poussières sont bien visibles et pourraient être confondues avec des raies spectrales si elles n'étaient pas éliminées.

Divisons à présent le profil spectral de l'étoile par le flat-field normalisé :

Le flat-field normalisé à fait son travail : les défauts induits par les poussières ont complètement disparu. On note que l'allure générale du spectre reste intacte. Les bosses que l'on voie ne sont pas propres à l'étoile, mais traduisent la manière dont l'instrument dans son ensemble répond à un flux coloré incident. Ce défaut instrumental résiduel sera traité lors de l'étalonnage en flux que nous verrons dans la troisième session de ce stage.

Alain - Mais si je devise le spectre de l'étoile directement par le flat-field réalisé sur le mur que se passe-t-il ?

Aude - Faisons-le. Voici le résultat :

Les ombres projeté des poussières ont complètement disparue. C'est normal car le flat-field contenait leur signature. Apparemment tout va bien... mais regardez l'allure du spectre. Sa physionomie est profondément modifiée et s'écarte à présent du contenu spectral effectivement envoyé par l'étoile. Ce qui est grave ici c'est que si j'avais utilisé une lampe tungstène plus chaude, la pente dans le flat-field moyen aurait changé car cette lampe émet alors plus de radiation dans le bleu. En divisant le spectre de l'étoile par ce dernier flat-field j'obtiendrais un profil spectral encore différent. Ce n'est clairement pas la bonne méthode pour retrouver le spectre vrai de l'étoile.

En résumé, nous allons traiter ici seulement les défauts du type poussières en utilisant le flat-field normalisé. Le problème de la correction de la réponse spectrale de l'instrument sera régler lors de l'opération d'étalonnage en flux que nous verrons ultérieurement.

Alain - D'accord, ça commence à venir !


Retour à la page d'accueil du stage                  Page précédente                   Page suivante