La Fin du Monde : C. Flammarion y
avait pensé !
essaim
de moucherons contre une locomotive
C.F.
Il ne s’agit
pas de la toute dernière fin, celle du 21 décembre 2012 prédite elle par les
Mayas et autres autorités eschatologiques. Du sérieux donc ! Le site
internet qui l’annonce1
nous demande de ne pas paniquer... comme CF en 1910. Notre homme faisait-il
partie de ces prophètes d’apocalypses en annonçant les dégâts possibles
qu’occasionnerait le passage d’une comète? Je vais profiter des quelques mois
qui me restent à vivre pour tâcher d’y répondre. Et si vous lisez cet article
après le 21 décembre 2012, ce sera bien la
preuve qu’il y a une vie après la mort : la vôtre.
Il faut dire
qu’il s’était fait la main en publiant un roman philosophique de 387 pages,
« La Fin du Monde », paru
en 1894. Le résumé de l’histoire ? Au XXVe siècle, une comète frappe la
Terre et supprime le quarantième de la population. Cela n’empêche pas le genre
humain d’évoluer tant sur le plan physique qu’intellectuel jusqu’au… deux
centième siècle ! Après l’apogée, le déclin : la vie terrestre
s’éteint après dix millions d’années. Dieu merci, le dernier couple survivant a
le temps de se réfugier sur Jupiter.
Ce n’est pas la comète de Halley qui a fait
trembler la planète dans la nuit du 18 au 19 mai 1910, mais Camille
Flammarion !
Avant le passage de la comète :
Dans le journal
« LE PAYS », sous le titre « Est-ce
la Fin du Monde ? » il déclare à un journaliste :
La comète doit arriver le 20 avril à son plus grand rapprochement du soleil à son périhélie, à la distance de 90 millions de km. Alors sa vitesse à travers l’espace est de 54 km/sec ou 3240 km/min ou 194 400 km/heure. Elle se baigne dans les effluves du rayonnement électrique, calorifique, lumineux du soleil, s’imprègne de ces radiations, subit dans son être tout entier des transformations fantastiques qui l’environnent d’une gloire prodigieuse, la développent en la décuplant, en la centuplant de volume, en la prolongeant jusqu’à des millions et des millions de kilomètres, par une espèce de phosphorescence qui s’étend toujours à l’opposé du soleil et engendre ces queues formidables qui ont semé la terreur sur la tête de nos aïeux.
(…)
Cet immense appendice pourra donc nous atteindre, nous envelopper pendant
plusieurs heures. Quelles conséquences, quels phénomènes mécaniques, physiques,
chimiques, physiologiques pourront se présenter, il serait téméraire
d’affirmer : nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses (hypothèques dans l’article . Ndlr).
L’empoisonnement
de l’humanité par des gaz délétères est possible, quoiqu’improbable. Si
l’oxygène de l’atmosphère venait à se combiner avec l’hydrogène de la queue
cométaire, ce serait l’étouffement général à bref délai.
Si,
au contraire, c’était une diminution de l’azote, une sensation inattendue
d’activité physique par tous les cerveaux, et la race humaine périrait dans un
paroxysme de joie, de délire et de folie universelles, probablement, au fond,
très enchantée de son sort2.
L’oxyde de carbone au contraire, pourrait amener l’intoxication de tous les
poumons.
L’analyse spectrale ne nous indique pas encore quels
éléments domineront dans la queue de la comète. Les combinaisons hydrocarburées
de l’azote sont fréquentes.
D’après les photographies et
analyses faites l’an dernier à l’observatoire de Meudon, et à Juvisy, sur la
comète Morehouse, l’électricité a paru jouer un rôle prépondérant dans les
étranges dislocations observées.
Il
y a là un champ électrostatique formidable, et des forces électromagnétiques
sont venues ajouter leur influence à la force répulsive du soleil.
Ces
pronostics ne doivent pas, toutefois tourmenter les esprits inquiets3.
Les esprits
inquiets n’ont sans doute pas été convaincus par cette dernière phrase, de
plus, ils ignoraient que « les
calculs ne sont pas terminés » au dire de CF, car ils ont manifesté
leurs peurs et angoisses dans le monde entier. En s’adressant au public le 12
mai, l’auteur de « La Fin du Monde »
mentionne une lettre désespérée émanant d’une jeune fille: « Une explication sur la rencontre avec la
comète, je vous en supplie à genoux. N’ayant que 16 ans, je trouve que mourir
le 18 mai, c’est trop tôt. Je n’ai pas fait mon temps, je ne connais rien à la
vie. Ayez pitié d’une fillette qui ne peut surmonter sa peur. »
Un mois plus tard, en juin 1910, il
surenchérit lors d’une conférence publiée dans le bulletin de la SAF :
Qu’il soit démontré que la
comète de Halley, immense fuseau de gaz incomparablement plus vaste que notre
planète, et dans lequel notre globe tout entier peut être perdu, comme un pois
dans un tourbillon de vapeur, enveloppera entièrement notre monde pendant une
traversée de plusieurs heures, que la transformation du mouvement en chaleur, à
cette vitesse de 72 km/sec, élèvera la température de l’air au degré de l’eau
bouillante, que des orages formidables ébranleront l’atmosphère et secoueront
le sol, que des courants intenses électrocuteront les êtres vivants, ou que le
cyanogène empoisonnera nos poumons : aussitôt s’arrêtent, frappés de
paralysie, tous les engrenages de système social. On s’émeut, on s’inquiète, on
s’informe, on se convainc de la réalité du calcul astronomique, et devant cette
certitude funèbre, on cesse déjà de vivre. Certes,
aucune perspective de ce genre ne doit nous émouvoir en ce moment, puisque la
tête de la comète passera loin de nous et que le panache éthéré dont nous
pourrons être touchés est d’une raréfaction tout à fait inoffensive, et pour
ainsi dire immatériel, mais ce seul fait de la possibilité d’une atteinte
quelconque a déjà troublé des millions de têtes, des désespoirs ont conduit au
suicide, des propriétés sont abandonnées ou vendues, des testaments sont faits,
des prières préparent les âmes au suprême voyage, et les moins timorés avouent
qu’ils seraient fort satisfaits de voir passée la fameuse date fatidique du 18
mai. Oui, cet exemple nous montre une fois de plus que toutes les affaires
humaines réunies ne pèsent pas grand-chose devant l’Astronomie, - et il semble
qu’accoutumés à vivre au sein des immensités sidérales, les astronomes ne
devraient connaître aucune des formes de l’ambition ou de la vanité4.
Lorsque nous voyageons en
chemin de fer, nous remarquons çà et là, dans notre perspective, de petits
cimetières blancs avoisinant les villages. Ce sont des champs de repos, que les
rayons du soleil semblent effleurer
comme un souvenir et qui, au clair de lune, paraissent endormis dans un
rêve fantomatique. Si l’humanité entière tombait évanouie au passage de la
comète, le globe terrestre serait transformé en un champ de repos universel,
sans cimetières ni tombes, et nulle pierre mortuaire ne marquerait la date de
la catastrophe ; mais ce globe terrestre continuerait de tourner autour du
Soleil, emportant avec lui la Lune, autre cimetière, d’ailleurs, et recevant
comme si rien ne s’était passé, la succession normale des jours et des nuits,
des printemps et des étés, tandis que l’évolution des choses préparerait
l’avènement futur de nouvelles races
vivantes.
Scènes de panique dans le
monde entier, bien avant la date fatidique : une Parisienne jette ses
meubles par la fenêtre avant de se lancer dans le vide ; une Allemande
jette son bébé de six mois dans un puits, etc.
Il va
jusqu’à affirmer que : « La
densité des queues cométaires est voisine de zéro, il n’y a absolument rien à
redouter. La comète contre la Terre, c’est le combat d’un essaim de moucherons
contre une locomotive ». N’écrit-il pas sous la contrainte ?
Est-il sincère ? A-t-il été abusé par des journalistes en quête de
sensations fortes ? Quoiqu’il en soit, ses assurances viennent bien
tard :
Que s’est-il passé chez cet
homme ? Voulait-il tester le pouvoir de sa notoriété ? Jouir de sa
popularité universelle ? S’imposer au sein des scientifiques, eux-mêmes
incapables de le décrédibiliser ? Nul doute que son autorité médiatique
lui soit montée à la tête, car comment justifier son incontinence
d’informations astronomiques débridées, incontrôlées et souvent contradictoires?
A lire ses déclarations, il fait preuve d’un manque de rigueur scientifique6.
On reste confondu devant une
telle inconscience ! Il n’y a pas qu’Achille qui avait un talon…
Après
le passage de la comète :
Très déçu, Camille Flammarion doit bien
avouer en juillet 1910 que. « On
n’a rien vu de précis, ni en France, ni ailleurs »7
Exprime-t-il des regrets ? Oui, mais pas
envers les victimes de ses prévisions, mais envers la comète elle-même !
Toujours dans le bulletin de la SAF du même mois, il écrit :
Le passage de notre globe à
travers l’appendice cométaire peut s’être produit et être resté invisible,
comme on l’a constaté déjà pour la comète de 1882 en ce qui concerne le passage
de la tête de la comète de cette année-là devant le Soleil. De ce que la queue
n’a pas été observée, on ne pourrait donc pas conclure à son absence. Mais,
sans se montrer à nos yeux, elle aurait
dû se manifester par certaines lueurs insolites et par certains phénomènes
radioélectriques ou magnétiques. (…)
Notre planète a-t-elle
exercé une répulsion sur la comète ?
Orbite de la comète de Halley
en 1910
Ce n’est pas ce sombre épisode qui nous aura
fait aimer Camille Flammarion et son œuvre.
Heureux mariage que celui de la Science et de
l’Imagination, si Prudence et Humilité en sont les témoins.
Joseph
Theubet
1http://www.2012fin.com
2Enfin une bonne nouvelle… de
courte durée à en croire la suite !
3Cet extrait de texte est quasi identique à celui écrit par CF un peu plus tôt, soit le 31 décembre 1909, et qui a paru dans la revue de la Société Astronomique de France sous le titre « Rencontre probable de la comète de Halley avec la Terre » et qui précise :
Les queues cométaires sont immenses, il est vrai, mais si légères, si raréfiées, que l’atmosphère terrestre est du plomb en comparaison. Lors même que notre globe y serait complètement immergé, nous serions sans doute protégés de tout cataclysme par notre blindage atmosphérique. La comète serait comparable à un brouillard traversé par une locomotive à grande vitesse. Peut-être une pluie d’étoiles filantes glisserait-elle silencieusement dans les hautes régions de notre ciel, ou serions-nous gratifiés de l’illumination d’une fausse aurore boréale. D’ailleurs, la Terre a déjà traversé deux fois en cent ans, la queue d’une comète sans en être autrement troublée : en 1819 et en 1861. Espérons qu’il n’en sera pas de même cette fois-ci.
(…) le phénomène sera
intéressant à observer. Mais il n’est pas encore certain qu’il se
produise ; les calculs ne sont pas
terminés. Vivons en paix.
4Si cette dernière phrase ne
reflète pas SA VANITE, alors je n’y comprends plus rien.
5Qu’elle drôle d’idée ! Il
est évident qu’il se met en scène en imaginant toutes SES situations possibles.
6Il ne craint pas
d’ajouter : « L’humanité tout entière pourrait être depuis plusieurs
semaines partagée en deux catégories : 1° le grand public, dont une partie
notable redoute réellement l’arrivée de la comète, et 2° les astronomes et les
personnes instruites, qui sont absolument tranquilles et assurées de
l’innocuité de cette rencontre. Les astronomes l’attendent avec un véritable
plaisir de curiosité. Ce serait une réelle déception pour eux si la queue
n’arrivait pas jusqu’ici… » (Bulletin de la SAF de juin, p. 265)
7Il précise cependant qu’entre 2h 1/2 et trois heures du matin, on
a senti « une légère odeur de brûlé ».
Probablement un voisin qui brûlait les articles du prophète !