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Cosmologie de la Grèce antique

Par Richard Fradette

Extrait du Vividus Lepus n°2 et n°3

D’abord, les Babyloniens, depuis près de dix mille ans, observaient la régularité des cycles célestes. Ceux-ci aidaient à établir le bon moment pour semer et récolter les champs au fil des saisons. Les Babyloniens sont plus savants que les Égyptiens de l’époque. Toutefois, l’astronomie était pratique; elle servait à l’établissement d’un calendrier pour les fêtes religieuses et la mesure du temps en mois de trente jours et en années de 360 jours (12 mois de trente jours donne une année de 360 jours). Le mois marque le cycle des phases de la Lune qui dure environ trente jours (une révolution synodique = 29,5 jours). L’année marque le cycle du retour des saisons qui est environ 360 jours pour les Babyloniens (une année tropique = 365,2422 jours).

 

Babylone, reconstitution vers 1820. Crédit: Scala.

Les observatoires, comme la tour de Babel, sont aussi des temples. Celle-ci, l’une des sept merveilles du monde, permet aussi de se rapprocher des cieux considérés comme le lieu de résidence des divinités. Avec ces 90 m de haut, ce temple s’appelait aussi «Temples du fondement du Ciel et de la Terre». Les prêtres avaient également la capacité de prédire les éclipses. Leur capacité de prédire les phénomènes astronomiques se traduit en la prétention de pouvoir prédire l’avenir d’événements sous la forme de présages à partir de l’interprétation de la position des astres. Ainsi naquit l’astrologie, ou l’art divinatoire, basée sur les configurations des astres parmi les constellations. L’origine des constellations du zodiaque vient d’eux (les douze constellations parmi les quatre-vingt-huit au total où peuvent se retrouver les planètes).

 

Les Babyloniens accumulèrent les observations sur les planètes dans leur configurations respectives : révolutions synodiques des planètes et de la Lune, positions des planètes, du Soleil et de la Lune parmi les constellations du zodiaque, éclipses du Soleil et de la Lune, ...).

 

Brusquement, au VIe siècle avant Jésus-Christ, dans les colonies orientales de la Grèce antique l’esprit scientifique fit son apparition lorsqu’on tenta de savoir de quoi vraiment était fait le cosmos. La représentation du monde sous la forme d’un modèle même s’il comportait des erreurs était jugé meilleur pour la compréhension que les explications empruntées aux mythes et légendes basés sur des récits totalement arbitraires couramment employés à l’époque.

 

Pour la civilisation de la Grèce antique, Zeus avait enfermé les Titans dans le Tartare. La rébellion des Titans contre le ciel donna lieu à une épopée où le Olympiens durent mener une lutte pour leur survie. Héra prédit que les Géants ne pourraient être vaincus par les dieux; seulement un mortel vêtu d’une peau de lion et nourri d’une herbe qui rend invincible pourrait donner la victoire. Zeus ordonna à Éos, Séléné et à Hélios de ne pas donner de lumière pendant un certain temps afin d’aller chercher de cette herbe spéciale qui ne se trouve que dans un lieu secret. Par la suite, le dieu Dionisos vainquit Eurytos, Hécate brûla Clytos, Héphaïstos versa du métal en fusion sur Mimas, Athéna écrasa Pallas, … Les autres Géants s’enfuirent.

 

Les divinités jouaient un rôle dans la régularité des cycles astronomiques. Éos amenait l’aurore lorsqu’il se levait à l’est. Ensuite, Éos se dirige vers l’Olympe en annonçant la venue de son frère Hélios. Hélios se présente alors comme le Soleil et traverse les cieux tous les jours en étant tiré sur son char par quatre chevaux. À la fin de la journée, à l’ouest, il se pose dans la Mer Océane d’où il retourne à son point de départ à l’est en voguant tout le tour de la Terre. 

 

 Carte du monde selon Hécatée de Milet, reconstitution 1842. Crédit: Jean-Loup Charmet.

Pour en finir avec les explications arbitraires de la mythologie, le raisonnement scientifique apparut en un lieu particulièrement favorable à la liberté de penser pour une classe de population aisée : la côte ionienne au VIe siècle avant Jésus-Christ (côte ouest de la Turquie actuelle). Le commerce, la démocratie (parmi les gens riches), les débats publics, … produisaient une dynamique nouvelle en rupture avec les modes.

 

Le titan Atlas supportait la Terre sur son dos. Pour les Indiens, par Terre était portée par des éléphants; pour les Égyptiens, elle était portée par des colonnes.

À la même époque, les autres nations sont dirigées par des souverains autoritaires. Les prêtres conservent entre eux leurs connaissances; les écrits sont réservés pour leurs usages seulement. Au contraire, en Ionie, le destin de la nation est discuté publiquement et les écrits sont publiés pour répandre les connaissances de même que la poésie, la littérature, les textes de lois, …

 

Méditerranée orientale.

Le premier des hommes qui proposera des réponses aux questions sur la nature du cosmos sans faire appel aux mythes va recevoir le titre de philosophe. C’est Thalès de Milet, astronome et géomètre qui conçu un modèle décrivant le monde dans lequel l’eau est l’élément fondamental. Naturellement, pour les Grecs, l’eau fait parti du paysage. Thalès voit la Terre plate flottant sur l’eau avec une bulle d’air de forme hémisphérique au-dessus, puis une quantité infinie d’eau ailleurs dans le cosmos. Il explique avec ce modèle les phénomènes naturels sans le besoin d’intervention divine. Les tremblements de Terre se comprennent mieux si l’on pense qu’elle flotte que si l’on pense à la rébellion des Titans enfermés dans le Tartare sous terre.

 

On doit à Thalès la connaissance de la planète Mercure qui était auparavant vue comme l’étoile du soir (à l’ouest) et l’étoile du matin (à l’est) sans que le lien entre les deux soit établit. Par ailleurs, il découvre l’électricité statique en frottant de l’ambre avec de la soie. Thalès, comme citoyen, recommande que les cités d’Ionie s’unissent avec la Lydie pour repousser les envahisseurs perses. Thalès, comme astronome, connaissait le cycle du Saros qui permet de prédire les éclipses telle que celle de 585 av. J.‑C. ce qui le rendit célèbre. Ceci a été appris auprès des Babyloniens ou des Égyptiens lors de ses voyages. Comme géomètre, le théorème de Thalès : pour deux droites parallèles coupées par deux autres droites, s’appliquent à un éventail de problème de géométrie comme le calcul de la hauteur des falaises. Les Égyptiens étaient de bons géomètres mais avec des méthodes ressemblant plus à des recettes de calcul qu’à une méthode générale. À chaque année, la crue du Nil laissait une couche de boue dans les champs obligeant à reprendre l’arpentage pour délimiter les terres cultivables.

 

Thalès est le premier véritable philosophe. Il affirme que le cosmos peut être compris. Il emploie un modèle et considère un élément fondamental à la base de toute chose : l’eau. Selon lui, l’eau peut se transformer en terre comme lorsque le Nil se retire des terres en laissant de la boue et l’eau peut se transformer en air comme lorsqu’elle est en ébullition. Le cosmos étant un tout, ce tout doit posséder des caractéristiques d’unicité. Pour cela, il faut un élément fondamental. Sa façon de traiter les questions est le propre des philosophes.

 

Modèle de Thalès de Milet.

Dans le modèle de Thalès, la Terre n’avait plus de support solide, elle flotte. Pour Anaximandre, son élève, elle se tient sans aucun support au milieu d’une bulle d’air sphérique. Elle ne bouge pas parce qu’il n’y a aucune direction privilégiée pour le mouvement de chute au centre d’une sphère. De plus, il donne à la Terre la forme d’une colonne trois fois plus large que haute comme les pierres empilées pour faire les colonnes utilisées dans leurs constructions. Pour lui, nous vivons sur l’un des bouts du cylindre et que d’autres habitants peuvent habiter à l’autre bout; ce qui est le bas par rapport à nous est le haut pour les autres vivant de l’autre côté.

 

Autre représentation du modèle de Thalès de Milet: la surface plate de la Terre dans sa bulle d'air noyée dans l'eau.

Le modèle d’Anaximandre permettait de nouvelles explications naturelles. La Terre, isolée dans l’espace, permet aux astres de passer par en dessous après s’être couchés à l’ouest pour réapparaître à l’est pour se lever. Anaximandre inclut dans son modèle de grandes roues enfermant un feu qui nous est caché sauf là où on voit le Soleil, la Lune, les planètes et les étoiles. Les phases de la Lune et les éclipses sont expliquées par le rétrécissement du trou correspondant. Le feu de la Lune est moins vif que celui du Soleil!

 

Proportions d'un élément de colonne qui inspire à Anaximandre la forme de la Terre.

Anaximandre estime que le Soleil est de la taille de la Terre et que la Lune est plus petite. Puisqu’on les voit petits dans le ciel, il faut donc que leur distance soit très grande. Le Soleil étant plus grand que la Lune, d’après le théorème de Thalès, il doit aussi être plus loin qu’elle. C’est la première fois qu’on imagine des astres à des distances différentes.

 

Anaximandre.

Anaximandre imagine que les habitants de la Grèce vivent sur l’une des deux faces à l’extrémité d’un cylindre et que d’autres habitants peuvent vivre à l’autre extrémité. La question qui se pose immédiatement est comment ces habitants peuvent vivrent la tête en bas ! Dans ce cas, Anaximandre répond que ce qui est le haut pour nous est le bas pour eux.

 

Le progrès du modèle d’Anaximandre vient du fait que le Terre est un corps isolé au centre l’espace autour duquel les astres peuvent tourner. Ce progrès, il l’a compris. Pour lui, les astres n’ont plus à voyager dans le fleuve Océan pour expliquer leur disparition à l’ouest et leur réapparition à l’est; ils passent par en dessous. C’est Anaximandre qui conçoit l’idée des grandes roues en rotation autour de la Terre pour expliquer le mouvement du Soleil, la Lune, les planètes et les étoiles. Ces roues sont remplies de feu et un trou laisse passer la lumière. À partir de là, les phases de la Lune et les éclipses s’expliquent par le rétrécissement de l’ouverture. Le feu de la Lune est moins intense que celui du Soleil.

 

La valeur d’un modèle est jugée par le nombre d’explications qu’il peut fournir. Le développement de ce modèle vient aussi de la contribution du talent des grecques en géographie et géométrie. Par ailleurs, Anaximandre fait la première mappemonde de forme ronde avec la Grèce au centre évidemment. En astronomie, il situe les choses les unes par rapport aux autres; il détermine pour la Lune et le Soleil de nouvelle dimension et distance. Pour lui, le Soleil est gros comme la Terre. Puisqu’on voit le Soleil petit dans le ciel, à partir du théorème de Thalès, Anaximandre comprend que le Soleil est très éloigné. Pour la Lune, il croit que la distance est plus petite; ainsi, d’après le théorème de Thalès encore, Anaximandre croit qu’elle est plus petite que la Terre.

 

 La Terre selon Dante. Crédit : Scala

L’étape suivante sera accomplie par Pythagore. Celui-ci a appris l’astronomie par un élève d’Anaximandre. Ensuite, il part en voyage vers Babylone et en Égypte comme bien d’autres pour étendre ses connaissances. Pythagore naît à Milet mais les conquêtes perses le pousse à fonder son école à Crotone où il y a déjà une célèbre école de médecine. Après Milet, Crotone dans le sud de l’Italie actuelle devient le centre de la science grecque. Pour les adaptes de l’école de Pythagore, la Terre est sphérique. On peut bien qualifier d’adaptes les élèves de Pythagore (les pythagoriciens) puisque les règles de vie de cette école s’approchent de celles d’une secte. On ne distingue pas les idées de Pythagore lui-même de celles des pythagoriciens. À part quelques rares exceptions, les pythagoriciens gardaient secret leurs connaissances.

 

Pythagore est célèbre pour son théorème à propos des triangles rectangles :

 

Cette relation était connue par les babyloniens depuis très longtemps. Pythagore en fit la démonstration en appliquant la géométrie. Cette démonstration est suffisamment importante pour que la relation porte son nom.

 

Ils ont découvert les nombres irrationnels, les nombres premiers. Les pythagoriciens sont bons pour trouver des relations entre les nombres. Ils en ont trouvé entre la hauteur d’un son et la longueur d’une corde tendue correspondant aux intervalles musicaux où on retrouve les nombres premiers.

 Tarot de Mantegna. Crédit : Bibliothèque nationale, Paris.

Anaximandre avait déjà choisi de donner au ciel une forme sphérique et mis la Terre au centre car elle n’avait aucune direction privilégiée vers laquelle se dirigée. On peut croire que les pythagoriciens on choisit la forme sphérique pour la Terre afin qu’ainsi il n’y ait pas de direction privilégiée pour le haut et le bas. En plus d’être plus «esthétique», ce nouveau modèle permet d’en expliquer de nouveaux. Depuis 600 av. J.-C., les navigateurs envoyés par le pharaon Néchao ayant contournés l’Afrique par le sud racontaient que le Soleil se trouvait à leur droite pendant qu’ils se dirigeaient vers le sud. Ce phénomène se produit dans l’hémisphère sud qui est la moitié de la sphère terrestre au sud de l’équateur. Pour nous, dans l’hémisphère nord, le Soleil est toujours au sud à midi; c’est-à-dire à notre gauche lorsque nous sommes face à l’ouest.

 

Les pythagoriciens ayant adoptés la sphère pour la Terre et les cieux choisirent l’appliquèrent aussi à la Lune et au Soleil. Parménide, un ancien pythagoricien rompit le silence après son retour à Élée, sa ville natale, où il se joignit à une école rivale de celle de Crotone. Par lui, on connaît les secrets de l’école de Crotone. Parménide exploitera les conséquences du choix de la forme sphérique pour la Lune en expliquant un nouveau phénomène : les phases de la Lune. Lorsqu’une hypothèse est conforme avec les observations et avec les autres théories admises, alors l’explication de nouveaux phénomènes jusque là inexpliqués permet de vérifier que cette hypothèse permet est correcte. Parménide remarqua que les croissants de Lune étaient toujours du coté du Soleil. Le phénomène de phases de la Lune devient compréhensible en sachant qu’un croisant de Lune est la partie éclairée par le Soleil de la face visible de la Lune. La forme du croisant est celle adoptée lorsque qu’une sphère éclairée est vue depuis une autre direction que celle des rayons lumineux.

 

L’idée que la lumière vient du Soleil nous est familière mais à l’époque c’est Parménide qui en eu l’idée et ce fut génial de sa part. Avant lui la lumière du jour et le Soleil n’avaient pas de lien direct. Observations : il fait clair avant le lever du Soleil et après le coucher du Soleil, le Soleil peut être absent plusieurs jours par temps nuageux, il fait clair dans les maisons même si les rayons du Soleil ne s’y rendent pas. Grâce à l’imagination de Parménide, les fantaisies généralement répandues à propos où on imagine la clarté et la noirceur comme des brumes se dissipent !!!

 

Bibliographie:

MAURY, Jean-Pierre, Comment la Terre devint ronde, Éd. broquet, Gallimard, 1995.

 

 
 

 
  Mise à jour : le 08 août 2008.