Par Denis Bergeron
NOTE: Ce dossier contient plusieurs images et animations. Il peut être de mise d'ajuster le contraste et la luminosité de votre moniteur.
Le 25 mars 1993, la communauté astronomique internationale apprennait la découverte par l'astronome d'origine montréalaise David Lévy et le couple Carolyn et Eugene Shoemaker d'une comète très spéciale de par son apparence visuelle qui portera désormais le nom célèbre de SHOEMAKER-LEVY 9 (1993E). Cette équipe s'occupait à rechercher des astéroïdes et des comètes avec la caméra Schmidt de 0.46 m du Palomar Observatory. L'équipe avait l'habitude de photographier de vastes régions célestes à grand champ à l'aide de plaques photographiques puis Carolyn Shoemaker numérisait les plaques par la suite afin de les comparer avec un stéréocomparateur. Il fallait prendre au moins deux à trois images de la même région du ciel afin de procéder à la comparaison des images et dissiper les doutes en cas de découvertes.
Carolyn s'occupait à comparer les plaques photographiques d'une région céleste près de la planète Jupiter lorsque son regard fut attiré par un étrange objet d'aspect allongé. Cela ressemblait bien à une comète, mais pas à une comète conventionnelle avec un noyau circulaire. Dans ce cas-ci, cela ressemblait plutôt à une ligne floue qu'à un noyau. Sur les images à grand champ, elle voyait un peu plus loin la planète Jupiter. Après comparaison avec les autres plaques photographiques, il lui apparaissait évident que l'objet était réel et se déplaçait dans le ciel.
Vraiment impressionné par cet étrange objet, le groupe contacta James V. Scotti qui observait avec le télescope Spacewatch à l'observatoire de Kitt Peak afin d'avoir une confirmation officielle. Grâce à ce télescope plus puissant, James Scotti rappela l'équipe du Palomar Observatory pour leur annoncer la confirmation de leur découverte mais aussi que l'on pouvait apercevoir onze noyaux s'étendant sur une distance de 17 minutes d'arc sur l'image. Le même soir, la nouvelle fut envoyé au Dr Brian Marsden au «Minor Planet Center» (MPC) qui annoncait officiellement la fameuse découverte à la communauté scientifique mondiale.
Les jours suivant l'annonce de la découverte, plusieurs des plus puissants télescopes du monde ont photographiés cette étrange comète et plusieurs mesures astrométriques ont commencées à donner un profil plus précis de l'orbite de SL-9.
Les analyses et les multiples recherches ont permis d'apprendre que cette comète fut capturée depuis le début des années 1970 par l'imposante attraction de la planète Jupiter et qu'elle s'était mise à tourner en orbite autour de cette planète depuis plusieurs années sur une orbite très instable. Selon les calculs des scientifiques, il semblerait que cette comète soit passé à 43,000km de Jupiter vers le 08 Juillet 1992 à l'intérieur de la limite de Roche. La force d'attraction de Jupiter était tellement forte à cet endroit que le noyau de la comète n'a pu y résister, et a éclaté en une vingtaine de fragments dont le plus gros morceau (fragment G) pouvait atteindre de 3 à 5 km de diamètre.
Ce n'est pas la première fois que la force d'attraction de Jupiter fragmente de la sorte des comètes. En 1886, la comète périodique Brooks 2 s'était brisée en deux fragments en passant près de Jupiter. La comète avait toutefois poursuivi sa route vers le Soleil. D'autre part, le grand nombre de fragments de SL-9 semblait démontrer que cette comète-ci avait dû subir une force beaucoup plus importante et sa proximité de Jupiter faisait de plus en plus penser qu'elle ait été complètement capturée par la très grande force d'attraction et se serait mise à tourner temporairement autour de la planète.
Mais le sort de cette comète allait bouleverser la communauté astronomique du monde entier: chacun des fragments de ce train cométaire s'écraseraient tour à tour sur la planète Jupiter au mois de juillet 1994. Ces écrasements allaient se produire à une vitesse pouvant atteindre 60km/s et créer de colossales explosions thermonucléaires dont les effets pouvaient être aperçus de la Terre. Quel extraordinaire défi pour un astronome amateur!
Je m'étais donc donné comme défi de canaliser mes énergies à repérer cette comète dans le ciel, suivre son évolution au cours des mois à venir et observer leur phase finale de destruction sur Jupiter. Comme équipement, j'utilisais un télescope Meade Schmidt-Cassegrain de 25cm F10 LX-200 muni d'une lentille réductrice de focale de F10 à F6 (1500 mm de longueur focale), d'une caméra CCD SBIG modèle ST-6 et de cartes du ciel URANOMETRIA 2000 dont les étoiles peuvent atteindre la magnitude +9,5. J'avais relevé les positions de la comète dans les revues américaines «Sky and Telescope» et «Astronomy» et je les avais retranscrites sur mes cartes. Mes premiers essais ont débuté au mois de février 1994. Jupiter était visible dans le ciel du matin au sud-est et je devais me lever vers 03h00 pour installer mes instruments et tenter de localiser la comète. J'ai dû affronter des froids polaires avec des températures frisant parfois les -37°C. Souvenez-vous des froids records de l'hiver 1994!
Malgré mes multiples tentatives réparties sur plusieurs journées, je n'avais pas réussi à repérer la comète. Je photographiais avec ma caméra CCD placée au foyer de mon télescope de 25cm mais le champ était très restreint. J'ai décidé d'installer ma caméra au foyer de mon petit télescope guide de 10cm F10 placé en piggyback sur mon télescope principal. J'augmentais ainsi le champ de vision puisque la longueur focale était plus courte mais le rapport F10 était trop élevé. J'ai donc installé ma lentille réductrice de focale; un objectif de jumelle 7 x 35 sur mon petit télescope ce qui me faisait l'équivalent d'un instrument de 10cm F6 (600mm de longueur focale). Mes premiers essais avec ce système m'ont permis de découvrir l'extraordinaire puissance d'une caméra CCD couplée à un petit instrument. Le champ de vision est considérablement augmenté et malgré le fait qu'il s'agisse d'un petit télescope d'à peine 10cm, la très grande sensibilité des caméras CCD permet d'atteindre des limites inespérées. A titre d'exemple, j'atteins en 5 minutes de pose la magnitude +17 avec mon télescope de 10cm: impossible à faire même en 2 heures d'exposition avec la photographie conventionnelle.
Je me suis vite aperçu que mes cartes célestes URANOMETRIA 2000 n'étaient pas à la hauteur des images obtenues avec ma caméra CCD. Il y avait tellement d'étoiles et d'objets célestes comme des galaxies ou nébuleuses qui apparaissaient sur mes images CCD que cela dépassait la précision des cartes de l'atlas. Heureusement, il existe maintenant des logiciels de cartes célestes ultra-précis comme TheSky, Guide, Megastar, etc, qui contiennent le Guide Star Catalog ainsi que des milliers d'objets célestes. La magnitude des étoiles peut atteindre +15 et celle des objets célestes peut atteindre +17. On peut facilement choisir le champ exact de notre région et imprimer une carte céleste ultra précise. De mon côté, je me suis procuré le fameux logiciel «Megastar» que je vous recommande sans hésiter.
J'avais lancé l'invitation par une série d'articles dans les revues québécoises Astronomie Québec et CCD Québec à tous les observateurs de tenter eux aussi de relever le défi. J'ai reçu une seule réponse provenant de l'équipe composée de Denis Martel et Clermont Vallières de Québec. Ceux-ci utilisaient leur télescope de 40cm F5 qu'ils ont construit et qui est équipé également d'une caméra CCD SBIG ST-6. Nous avons travaillé en collaboration pour tenter de repérer la fameuse comète. Le 06 mars 1994, Denis Martel me téléphonait pour m'indiquer qu'ils l'avaient enfin trouvé.
«C'est EXTRAORDINAIRE!» me disait-il sur un ton euphorique.
«C'est comme une LIGNE DANS LE CIEL AVEC DE PETITS POINTS A L'INTÉRIEUR».
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Je m'étais empressé de lui demander la position exacte de la comète et il m'indiqua qu'elle était exactement à l'endroit indiqué par les éphémérides. En examinant mes images CCD prises avec mon petit télescope de 10cm à F6, saisies au même moment que Denis Martel, je m'étais aperçu qu'elle était bien là, mais elle brillait très faiblement. Je manquais simplement de résolution à cause de la courte longueur focale de mon petit télescope 10cm.
J'ai réinstallé ma caméra sur mon télescope principal et le 11 mars 1994, j'obtenais enfin ma première image de la comète. La magnitude de celle-ci devait avoisiner +16 et celles des noyaux +17 à +18. Comme prévu, sa position était exactement là où les éphémérides l'indiquaient. Quel spectacle d'apercevoir à l'écran de l'ordinateur une comète ayant l'apparence d'une LIGNE DE POINTS DANS LE CIEL.
Tout au cours des mois qui ont suivi, je m'efforçais de suivre, photographier la comète et de tenter de déceler le moindre changement. Les comparaisons d'images me laissaient voir que le train de fragments se déplacait sur le côté et non de l'avant comme je me l'imaginais au départ.
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Le télescope spatial Hubble montrait que chacun des fragments étaient une
petite comète individuelle avec un noyau et une queue bien distincts.
Chacun des fragments a été identifié selon sa position dans le train cométaire. Les astronomes ont noté que plusieurs des plus gros fragments s'étaient eux-mêmes fragmentés au cours des mois et s'éloignaient légèrement les uns des autres.
Ce qu'il y avait aussi de très spécial, c'était que ce train de fragments suivait parallèlement Jupiter dans le ciel durant tout l'hiver et le printemps, qu'il la dépassait au mois de juin-juillet puis se dirigeait droit sur elle vers le 16 juillet pour s'y écraser définitivement.
A mesure que la date fatidique s'approchait, les prédictions sur ce qui allait se passer allaient bon train. Certains astronomes prédisaient que l'on ne verrait rien: les fragments entreraient directement dans l'atmosphère de Jupiter. D'autres disaient le contraire. La grande énergie des fragments (90% de l'énergie cinétique relâchée en une fraction de seconde) provoqueraient de spectaculaires explosions thermonucléaires en haute atmosphère. Certains s'attendaient même à observer des flash de lumière sur les satellites voisins. La grande majorité des scientifiques étaient cependant très pessimistes face au spectacle anticipé. Les fragments de SL-9 devaient frapper dans la partie nuit de Jupiter non visible de la Terre sous un angle d'environ 45°. Comme la rotation de Jupiter est très rapide (09h50mn comparativement à 24 hrs pour la Terre), il était possible de noter des perturbations dans les nuages à la latitude sud 44°. Chacun des 23 fragments principaux identifiés A à W devait plonger tour à tour, directement dans l'atmosphère de Jupiter, dans un délai moyen de 7h, entre le 16 juillet et le 22 juillet 1994. Cependant, 21 des fragments étaient suffisamment brillants pour en connaître l'heure exacte d'auto-destruction. Il s'agissait des fragments A, E, F, G (le plus gros), H, K, L, N, P, Q (le plus brillant), R, S et W. La magnitude moyenne des fragments à ce moment variait de +19 à +21.5
La sonde Galileo était placée aux premières loges et pouvait enregistrer avec sa caméra CCD, les explosions directement dans la partie nuit de la planète, malgré sa distance de 230 millions de km de Jupiter.
Pour l'occasion, les plus puissants instruments astronomiques du monde entier étaient mobilisés. Le télescope spatial Hubble, la sonde Galileo, l'avion Kuiper Airborne Observatory, la station spatiale russe MIR, plusieurs des plus grands radios télescopes et bien sûr les plus puissants télescopes optiques terrestres équipés de caméras CCD sensibles à l'infra-rouge, à l'ultra-violet et à d'autres longueurs d'onde étaient en état d'alerte. Les centres de recherche, les universités, les médias électroniques étaient tous reliés par satellites ou par Internet pour être au courant de toutes les nouvelles à l'instant où elles se produiraient. Une équipe américaine nommé SPIREX (South Pole Infrared Explorer) était en position au pôle sud avec un télescope de 60 cm équipé d'une caméra sensible à l'infra-rouge. A cette époque de l'année, il fait nuit toute la journée au pôle sud, il fait constamment beau et Jupiter est très haute dans le ciel. Les astronomes pouvaient donc de cet endroit, enregistrer tous les impacts dans les jours qui suivaient. L'équipe était reliée en direct par satellite et par Internet avec l'université de l'Arizona. Il ne faut pas oublier aussi les milliers d'astronomes amateurs répartis dans tous les coins du globe. Jamais, un événement astronomique n'a connu une telle ampleur. Du jamais vu!
L'important dans tout cela était d'observer Jupiter les semaines précédentes afin de se familiariser avec l'aspect des bandes et dans la semaine qui suivrait les impacts; de noter toutes différences apparentes dans les bandes à la latitude -44° (sud). De mon côté, j'avais bien l'intention de photographier Jupiter à ces moments avec mon autre caméra CCD (SBIG modèle ST-4).
J'avais observé Jupiter les semaines précédentes mais sans rien noter de spécial sur la bande occupant la latitude -44° (sud). Les premiers fragments devaient commencer à frapper Jupiter autour du 16 juillet 1994. Dans les journaux locaux, on mentionnait en gros titre, «Jupiter offrira un spectacle inoubliable». C'était également le Festival d'astronomie du Mont-Mégantic où on attendait des milliers de personnes et un confrère, Denis Pagé s'occupait de recherches sur le terrain pour retrouver des fragments de la météorite de St-Robert qui venait tout juste se s'écraser le 14 juin!. Il y avait beaucoup d'effervescence dans l'air. Pour moi qui avait vécu des aventures tout en suivant la comète pendant plusieurs mois, j'avais un peu le triste sentiment d'être sur le point de perdre une GRANDE AMIE. J'étais très excité de voir ce qu'un amateur pouvait observer de ce merveilleux phénomène unique dans notre vie. Puis, l'instant tant attendu arriva enfin!
Samedi, 16 juillet 1994, le fragment A frappait Jupiter vers 15h55 EDT donc en plein jour. Il était peu probable de voir quelque chose sous nos latitudes. Cependant, il en était tout autrement pour les astronomes professionnels qui venaient de recevoir les premières informations du Space Telescope Science Institute de Baltimore. Le télescope spatial Hubble venait d'enregistrer une énorme explosion s'élevant au dessus du limbe de Jupiter apparaissant vers la Terre quelques minutes après le premier impact. Cela indiquait que l'impact avait dû être gigantesque. C'était un moment historique au point qu'on sablait le champagne. Jamais dans l'histoire humaine, nous n'avions été témoins en direct de l'explosion d'un astéroïde ou d'une comète. Les scientifiques évaluaient que le premier impact avait dû dégager une puissance de plusieurs milliards de tonnes de TNT. Une explosion colossale! On décidait d'orienter le télescope spatial vers le limbe de Jupiter afin de tenter d'enregistrer d'éventuelles colonnes de lumière ou flash des prochains impacts importants. Dès l'arrivée de la nouvelle du premier impact, celle-ci a eu l'effet d'une bombe en soi à travers le monde.
On s'attendait à ce que le fragment Q soit le plus gros au début de la découverte de SL-9 mais le noyau s'est divisé en plusieurs morceaux. Les derniers examens pointaient les fragments G et K comme étant les plus importants au moment des impacts qui suivraient.
Ce qui était étonnant, c'était que le fragment A n'était que de petite dimension. Sa vitesse de 60km/s faisait la différence en libérant en quelques secondes une formidable énergie.
Puis, ce fut l'ÉCRASEMENT DU FRAGMENT B vers 22h 45 EDT! Le ciel était couvert et la planète relativement haute au début de la soirée. J'observais attentivement Jupiter à travers une bonne couche de cirrus sans rien apercevoir d'anormal. Je me disais en moi-même «CA SERAIT TROP BEAU SI ON POUVAIT VOIR QUELQUE CHOSE!».
Dimanche, le 17 juillet 1994, quatre fragments C, D, E et F frappaient Jupiter. Le soir venu, impossible d'observer. Le ciel était encore couvert. De tous ces impacts, seul le fragment E a laissé une trace impressionnante ressemblant à un gros point noir semblable au passage de l'ombre d'un satellite galiléen devant le disque jovien.
Le matin du 18 juillet, j'aperçevais dans le journal en gros titre «EXPLOSION MONSTRE SUR JUPITER». On mentionnait que le fragment A s'était écrasé sur Jupiter en formant une boule de feu dépassant les 1000 km de diamètre et que l'énergie libérée équivalait à plus de 10 millions de mégatonnes de TNT. Le télescope spatial a même pu photographier un ÉNORME CHAMPIGNON s'élevant au-dessus du limbe de Jupiter. Du jamais vu! On mentionnait à la fin de l'article que le meilleur était à venir avec la chute des gros fragments G, H, K et 1.
En cet après-midi du 18 juillet vers 15h28 EDT, le fragment G soit le plus gros des fragments (4km) s'écrasait sur Jupiter suivi en soirée du fragment F. J'espérais donc pouvoir enfin observer ce phénomène unique. Le soir venu, aucune chance, le ciel est encore une fois couvert. Plusieurs astronomes amateurs équipés de gros télescopes prétendent avoir observé une espèce de plume s'élevant au dessus du limbe de Jupiter. Un observateur rapportait qu'en regardant avec son télescope de 30cm sous un grossissement de 385X, il a vu une plume (peu de temps après l'impact du fragment G) qui mesurait 8 secondes d'arc par 5 secondes d'arc s'élever au dessus du limbe de Jupiter et celle-ci est demeurée visible durant 10 minutes.
J'attendais donc avec impatience le bulletin d'information de 23h à la télé. Le moment venu, on annoncait
«EXPLOSION SANS PAREILLE SUR JUPITER» et on montrait des images saisissantes de l'impact du fragment G prises par le télescope spatial Hubble. L'impact fut si puissant qu'il avait libéré une énergie équivalente à
250 millions de mégatonnes de TNT soit plusieurs centaines de fois la puissance nucléaire totale de la Terre réunie. La colonne d'énergie libérée s'est élevée à plus de 3000 km d'altitude. Les instruments de plusieurs télescopes furent totalement éblouis par la brillance de l'impact et plusieurs caméras CCD ont été saturées.
Encore là, un énorme champignon a été aperçu se levant derrière le limbe de Jupiter. L'image du télescope spatial Hubble montrait quelques minutes plus tard, une énorme tache noire de la dimension de la Terre entière entourée d'un halo. De mon côté, la frustration de ne pouvoir observer Jupiter à cause des nuages commençait à me peser lourdement. D'autant plus qu'une vilaine sinusite prenait de plus en plus d'ampleur.
Mardi, le 19 juillet 1994: Il faisait beau et d'autres fragments importants allaient frapper Jupiter. Cette fois-çi, c'était ma chance. Mais ma sinusite me faisait terriblement souffrir au point où j'ai dû voir le médecin d'urgence à l'hopital en soirée. A mon retour, j'avais pris un médicament qui m'avait littéralement abattu. C'était un véritable remède de cheval! Le ciel était de surcroît superbe mais l'astronome était dans les vapeurs, drogué et imaginez... au lit. Puis sonne le fameux téléphone, mes confrères astronomes voulaient m'annoncer qu'ils voyaient tout un spectacle sur Jupiter. Je n'ai rien entendu de ces conversations mais j'ai su le lendemain que Jupiter avait offert son plus beau spectacle aux astronomes amateurs.
Ce téléphone spécial était de mon ami Thomas Collin qui voulait m'annoncer la bonne nouvelle. Il paraissait qu'on voyait très facilement les traces de 2 impacts. C'était comme de gros points noirs très foncés et presque aussi gros que la fameuse tache rouge de Jupiter. Au cours de la même journée, j'ai reçu deux autres appels d'observateurs ayant vu le phénomène à l'aide de petits instruments.
Gilbert St-Onge du Club d'Astronomie de Dorval m'annonçait qu'il avait filmé les impacts sur vidéo et qu'il avait réussi de superbes images CCD prises avec sa caméra SBIG ST-6 munie d'un filtre infra-rouge. Plusieurs personnes du public, des personnalités du monde de l'astronomie professionnelle et bien sûr nos humbles astronomes amateurs étaient réunis à Dorval et un peu partout pour observer ce phénomène fantastique. Il jubilait au téléphone. «ON PEUT MÊME LES VOIR À TRAVERS UN PETIT TÉLESCOPE DE 5cm», me disait-il. Et moi qui équipé comme je le suis, à l'endroit où je suis, j'étais... COUCHÉ et complètement dans les vapeurs. Jamais, je ne me le pardonnerai mais dites-vous bien que j'étais VRAIMENT, mais VRAIMENT malade.
Sachez que je me suis vite repris en main. La planète Jupiter a continué de recevoir d'autres impacts dans les jours qui ont suivi. En cette soirée du mercredi 20 juillet, j'ai eu la chance d'observer Jupiter à travers les nuages. Je distinguais un point noir situé dans une bande très au sud dans la zone des impacts. On aurait dit le passage de l'ombre d'un satellite sur Jupiter. Malheureusement, l'observation fut de courte durée. Le dernier fragment frappa Jupiter le 22 juillet.
Dans les jours qui suivirent, j'ai pu admirer les traces de quelques-uns de ces impacts mais sans être capable de les capter sur CCD à cause de divers problèmes. La soirée du 25 juillet fut particulière en ce sens qu'il y avait un point d'impact relativement foncé. J'avais débuté mes observations très tôt en soirée en localisant Jupiter durant le jour lorsqu'elle était au méridien, vers 18 h. Le Soleil était haut au-dessus de l'horizon ouest. Le disque apparent de Jupiter était pâle mais on voyait très bien le point noir qui apparaissait sur le limbe. Vers 20h, j'avais décidé de filmer avec ma caméra vidéo Sony (1 lux) cet impact qui était au méridien de Jupiter. J'avais installé ma caméra vidéo sur un trépied et je filmais à fort grossissement à travers l'oculaire (méthode afocale). Malgré la turbulence, j'ai réussi à capter le fameux point noir. Malheureusement, je n'ai pas pu utiliser ma caméra CCD puisqu'un violent orage a mis fin au spectacle rapidement.
Le 26 juillet, j'ai eu la chance d'observer à nouveau Jupiter qui m'offrait encore un fantastique spectacle. Je voyais une énorme tache sombre et une autre qui se pointait sur le bord. Ces taches étaient très larges. J'ai installé ma caméra CCD SBIG ST-4 et j'ai réalisé une quarantaine d'images. Je posai avec un temps d'intégration de 0,5sec à F35 avec mon télescope Meade 25cm SCT. Mes meilleures images ont été réalisées au début du mois d'août quand on pouvait apercevoir les impacts qui avaient évolués. Au lieu d'avoir des points nets comme c'était le cas lorsque les fragments venaient de frapper Jupiter vers le 25 juillet voilà que l'on aperçevait des lignes sombres étendues et épaisses comme si les courants nuageux faisaient en sorte de rassembler les points d'impacts. De plus, ce qui était remarquable c'était que ces taches allongées DEMEURAIENT sur la même bande. Plusieurs mois après les impacts, on voyait encore quelques traces dans la bande.
La sonde Galileo a enregistré les explosions directement dans la partie nuit de Jupiter et les caméras infra-rouge des télescopes terrestres ont été saturées par la puissance des explosions. Les traces d'impact dont le diamètre dépassait parfois le diamètre de la Terre furent visibles durant plusieurs semaines après les impacts. Plusieurs observateurs ont vu une augmentation de luminosité du satellite IO durant une dizaine de secondes suite à l'impact du fragment A. La couleur légèrement jaunâtre du satellite est soudainement devenue blanche puis s'est mise a revenir à sa couleur initiale. Ce phénomène a été observé aussi par les astronomes de Las Campanas au Chili qui observaient à l'aide d'un spectrographe attaché à un télescope de 2.5 m. Les astronomes ont observé une augmentation d'intensité du spectre suite à l'impact du fragment A puis un retour à une intensité normale après quelques minutes. Les radios astronomes ont aussi enregistré des sursauts de signaux après chacun des impacts. De tous les impacts, c'est le fragment G qui a été le plus puissant. Il a laissé une trace circulaire dont la dimension approchait le diamètre de notre Terre. On pouvait facilement voir les traces des impacts dans les jours qui suivirent avec un petit instrument de 5cm. Les marchands de télescopes ont fait des affaires d'or suite à toutes ces publicités.
Nous savons maintenant quels effets peuvent produire l'impact d'une comète ou d'un astéroïde même d'un petit diamètre lorsqu'ils s'écrasent sur une planète. Imaginez ce qui se serait produit si la comète était tombée sur la Terre; tout un feu d'artifice! La théorie qui prétend que les dinosaures ont disparu suite à l'impact d'une comète ou d'un astéroïde a sûrement augmenté en crédibilité.
Souvenons-nous que le 30 Juin 1908, un étrange objet brillant s'est écrasé dans un territoire boisé de Sibérie détruisant plus de 2,000 km carrés de forêt. Des témoignages de nomades habitant ces régions font état d'un objet très brillant, illuminant tout le ciel, possédant une queue lumineuse et explosant à une hauteur estimée à environ 6km pulvérisant tout sous son impact. Des perturbations dans le champ magnétique terrestre ont été enregistrées lors de cet événement et le bruit de l'impact a été entendu jusqu'à 800 km autour. L'onde de choc a été enregistrée par les sismographes de St-Petersburg à 4,000km de l'impact. Les expéditions ayant eu lieu à cet endroit plusieurs années plus tard, montrent maintenant les restes d'un impact très important d'un objet céleste, mais sans la moindre trace au sol de la cause de ce phénomène. Selon les analyses de terrain autour de l'impact, la puissance de l'impact serait comparable à 8,000 fois la puissance de la bombe nucléaire qui a anéanti la ville d'Hiroshima. Des perturbations dans le champ magnétique de Jupiter ont aussi été observées lors des impacts sur Jupiter.
L'événement SHOEMAKER-LEVY 9 a montré à la communauté scientifique qu'il faut prendre très au sérieux les menaces qui peuvent nous venir de l'espace. Avant cet événement, les politiciens méprisaient les scientifiques qui voulaient présenter un programme de surveillance du ciel pour la recherche et le repérage d'astéroïdes ou comètes croisant l'orbite terrestre et pouvant représenter une menace. Plusieurs astéroïdes ont frôlé à maintes reprises le voisinage de la Terre. Le 20 mai 1993, les astronomes ont découvert avec stupéfaction un astéroïde (1993 KA2) qui passa à 150,000 km de la Terre soit un peu moins de la moitié de la distance Terre-lune. Le 18 janvier 1991, l'astéroïde 1991 BA passa à 170,000 km de la Terre. Le 15 mars 1994, l'astéroïde 1994 ES1 passa à environ 160,000 km de la Terre. Aujourd'hui, plusieurs programmes de recherche et de détection d'astéroïdes croisant l'orbite terrestre (NEAR pour Near Earth Asteroid Research) ont vu le jour. Plusieurs centaines de nouveaux astéroïdes sont découverts à tous les mois. Plusieurs sont des astéroïdes de petites masses croisant l'orbite terrestre. Ces objets seront suivis de très près. À notre grande stupéfaction, plusieurs de ces astéroïdes ont frôlés de très près l'orbite terrestre et leur découverte n'a été effectuée que quelques jours auparavant. L'hypothèse que nous soyons un jour frappés par une comète ou un astéroïde est très possible. Les traces de cratères météoriques de grandes dimensions que l'on retrouve à certains endroits sur la Terre, la lune et les autres planètes de notre système solaire sont des signes évidents.
Les récentes images prises par les sondes montrant des alignements de cratères sur le satellite Callisto nous font penser que ce n'est peut-être pas la première fois qu'une comète se brise à cause de l'attraction de Jupiter.
Le destin de la comète Shoemaker-Levy 9 et ses effets sur Jupiter constituent pour moi la fin d'une extraordinaire aventure astronomique. Cette merveilleuse expérience m'a fait découvrir énormément de choses au niveau des caméras CCD, des comètes, de Jupiter, etc. Les caméras CCD nous ouvrent maintenant de nouveaux horizons et mettent plein de projets fantastiques à la portée des astronomes amateurs munis de petits instruments.
J'ai déjà observé une autre comète (comète Machholz) dont le noyau s'était brisé en plusieurs fragments. C'est dire que l'observation des comètes nous réserve souvent plein de surprises.
L'année 1994, restera gravée dans nos mémoires comme étant l'année de la fantastique odyssée de la comète Shoemaker-Levy 9 et je suis particulièment très heureux d'avoir été témoin de cet extraordinaire phénomène.
En terminant je vous recommande une visite sur le site de la comète SL-9. Vous y trouverez une multitude de renseignements passionnants sur cet extraordinaire phénomène. Voir: Requiem pour la comète Shoemaker-Levy 9