La construction d'un T300



On m’a souvent demandé : « pourquoi veux-tu faire un télescope de 300 mm alors que tu as déjà un 250 ? » Tout simplement pour avoir un instrument encore meilleur que le 250! 300 mm ce n’est pas juste 50 mm de plus que 250 mm, c’est quasiment 50% de surface supplémentaire! Fin février 2009 : l'instrument est enfin terminé! Diamètre de 307 mm, focale de 1436 mm (f/4,67). Plus de 830 pièces, 26 kg. Budget total : 1500 euros répartis sur les 15 mois de la construction.

L’instrument monté,©Bruno Thien.




Le miroir


La puissance d’un instrument dépendant directement de la quantité de lumière collectée, et donc du diamètre du miroir primaire, il faut viser le plus gros possible. Mais plus c’est gros plus les difficultés arrivent : réalisation du miroir et de la mécanique, manutention, mise en température, sensibilité à la turbulence. Aussi, le coût augmente quasi-exponentiellement avec le diamètre. Le 300 mm m'a parut un bon compromis entre les performances et les difficultés de réalisation et d’utilisation. Mais je reconnais que l’opportunité qui s’est présentée à moi n’est pas étrangère à mon choix : un membre du forum Astrosurf me propose un disque en Pyrex de 310 mm de diamètre et 40 mm d’épaisseur à la moitié du prix du neuf !

Le choix du rapport f/d a été fixé au départ à 4,5 environ. La raison impose de choisir le rapport f/d le plus long possible, majoré des limites dues à l’encombrement ou à des contraintes photographiques. J’ai choisi 4,5 pour réaliser un instrument compact de type Strock, ayant déjà à l’époque un lourd télescope de 250 mm. Une focale encore plus faible (rapport f/d de 4) n’aurait pas apporté grand-chose de plus, si ce n’est la nécessité d’un correcteur de coma…qui m’aurait ramené le rapport f/d à 4,5. Le miroir aura donc une forme concave plus marquée que le 250, et sera du coup plus difficile à réaliser. La mécanique devra être particulièrement soignée, les tolérances de centrage des optiques devenant plus serrées. Finalement, le miroir était déjà douci lorsque j’ai décidé de faire un Strock avec le 250, et plutôt un Dobson traditionnel avec le 300. Le rapport f/d obtenu à la fin de la parabolisation est 4,67.

Les travaux commencent en novembre 2007. Contrairement au 250, je ne dispose pas d’outil en verre. Pour l’ébauchage je réalise en outil en bois (2 disques de contreplaqué de 15 mm d’épaisseur, collés, vissés et vernis) recouvert de carrés de céramique (en fait du carrelage). La tâche est particulièrement ardue et a duré plusieurs semaines à raison d’au moins une bonne heure de travail par jour, il faut creuser le Pyrex de plus de 4 mm au centre. Vers la fin de l’ébauchage l’outil est mort : les carreaux périphériques sont totalement usés.

L’outil d’ébauchage,©Bruno Thien. L’outil de doucissage,©Bruno Thien.



Une fois le disque creusé, il faut améliorer la forme sphérique, mais aussi la surface. Le doucissage est bien moins pénible mais assez stressant : au fur et à mesure du travail, on change d’abrasif, on en prend un plus fin. Vers la fin du travail, la moindre contamination d’un abrasif plus grossier que celui utilisé peut provoquer une grosse rayure. Il faut donc être extrêmement maniaque pour le nettoyage. L’outil de doucissage a été réalisé en plâtre synthétique Staturoc, qui a la propriété d’être étanche à l’eau. Mais il durcit très vite, la première fois çà a échoué, 25 euros fichus en l’air! L’outil est moulé sur le miroir ébauché, il est donc convexe. Les carreaux sont découpés dans le même carrelage que pour l’ébauchage. Une fois le doucissage terminé, que faire des outils ? L’outil d’ébauchage faisant un excellent dessous de plat, mais n’ayant pas besoin d’un deuxième, j’ai dépose l’outil de doucissage inutilisé à côté des bassines de récupération de pièces, aux JOA de Communay en mars 2009. Il a apparemment trouvé un acquéreur et j’en suis très heureux !

Le polissage est encore plus délicat à réaliser. Je coule à nouveau un outil en plâtre, les carrés sont en poix. La poix est extrêmement salissante. J’en profite pour dire que j’ai réalisé le miroir de A à Z dans mon appartement de 50 m carrés !

Le poste de polissage lesté de 30 kg de sable, avec l’outil de polissage,©Bruno Thien. L’appareil de Foucault,©Bruno Thien. L’appareil de Foucault,©Bruno Thien.


La forme du miroir se contrôle à l’appareil de Foucault. J’ai réutilisé celui que j’avais construit pour le 250. Les mesures sont délicates car il y a des remous d’air dans la pièce. Lors des mesures finales, j’ai du faire les mesures 4 fois puis en faire la moyenne.

La parabolisation est une étape difficile. Il faut trouver le bon couple température de la pièce/dureté de la poix/humidité de l’abrasif/vitesse de travail. Plusieurs fois j’en suis presque venu à vouloir tout abandonner tellement le désespoir était grand! Finalement j’y arrive, début décembre 2008, je déclare le miroir terminé! La précision est de lambda/12 PTV, soit un écart (bien théorique) de 23 millionièmes de mm par rapport à la parabole de référence! Et oui, un miroir parabolique (ou sphérique) est la pièce la plus précise que l’on puisse réaliser de ses propres mains ! Mais il faut bien çà pour une bonne optique.

Le miroir dans sa boîte de transport, avant la métallisation,©Bruno Thien.


Le miroir a été métallisé à l’Observatoire de Haute Provence. L’aluminure n’est pas protégée par une couche de silice, il faut donc y faire extrêmement attention. Mais lorsqu’il faudra le réaluminer le décapage sera plus facile et plus rapide, sans risques de détériorer la surface…et donc d’entamer un nouveau calvaire de polissage !


La structure


Le tube est entièrement démontable (il mesure près de 1m50 de long), pour que tout puisse rentrer dans le coffre d’une petite voiture. La monture est de type Dobson (du nom de son inventeur), c’est la plus simple et la plus économique à réaliser. Par rapport à une monture équatoriale, elle est plus maniable, plus facile à utiliser et mieux adaptée pour se balader dans le ciel à faible grossissement, mais puisqu’il faut suivre manuellement les astres sur 2 axes, le suivi à fort grossissement est plus ou moins difficile (selon la qualité des mouvements) et la photographie évidemment impossible.

L’instrument démonté,©Bruno Thien.



Le barillet est construit sur le même principe que sur les premières versions du 250. Certaines pièces comme les triangles de flottaison ont même été réutilisées.

Vue arrière du barillet du grand miroir,©Bruno Thien. ©Bruno Thien. ©Bruno Thien.



Après plusieurs essais non satisfaisants, je construis l’araignée à 3 branches en T et le support atypique du miroir secondaire (sans ressort) sur le même principe que sur la dernière version du 250, le Strock.

©Bruno Thien. ©Bruno Thien.


Le porte-oculaire est l’excellent Moonlite récupéré sur la deuxième version du 250 et non réutilisé sur la dernière version puisque remplacé par un porte-oculaire plus simple et ultra-léger. L’oculaire le plus utilisé est un Panoptic 22, qui n’est malheureusement plus fabriqué.

©Bruno Thien.


Observations


Les premières observations ont révélé un problème de bafflage : des lumières parasites lorsque le tube pointe vers le zénith. La cage du secondaire aurait du être plus grande de quelques cm, mais le problème a été partiellement résolu en fixant un diaphragme a l’entrée du tube du porte-oculaire. Une petite instabilité de la structure (nécessité de retoucher la collimation lorsque le tube passe d'une basse à une haute déclinaison) a été constatée mais la cause exacte n'a pas été trouvée.
En ciel profond cet instrument s'avère légèrement plus performant que le T250 puisque sous un bon ciel les bras spiraux de la galaxie M51 ont été vus par plusieurs observateurs. Mais ce genre de détail nécessiterait un télescope encore plus gros pour être vu confortablement. Les amas gobulaires sont bien résolus, la nébuleuse de la Lyre est un enchantement à 299X! Des nébuleuses réputées difficiles commes Hélix ou les Dentelles du Cygne montrent des détails de leur structure (avec un filtre OIII). Au Mont Ventoux j'ai pu voir les galaxies NGC 7385 et NGC 7386, distantes de près de 300 millions d'années lumière! Les possibilités sont énormes et je suis loin de les avoir toutes explorées. Inutile de préciser qu'un bon ciel est indispensable! En planétaire il faut attendre que la turbulence se calme pour avoir les meilleures images. J'ai eu de magnifiques images de Jupiter au Mont Ventoux, montrant 6 bandes. Les bandes ne sont pas uniformes mais constituées de minuscules filaments. La Grande Tâche Rouge montre une couleur très mégèrement rosée. Une légère diffusion est présente mais je sais pas s'il s'agit de micromamelonnage du miroir primaire, ou si c'est du à l'humidité de l'atmosphère. Peut-être un peu des deux. Le petit disque de Neptune est bien défini à 299X.


Remerciements


Je remercie chaleureusement tout ceux qui m’ont aidé et encouragé pour ce long et beau projet, notamment des membres des forums Astrosurf et Webastro, Jérôme Anduze, Philippe Desalle, et la société Le Train Magique pour la fourniture de la micro-visserie. Je remercie également la rédaction d'Astrosurf Magazine de m'avoir donné l'opportunité d'écrire un article sur cette réalisation (n°53).


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