MVLON sous les bananiers
par Fabrice Morat

"Est-ce qu'il y a une chose plus fascinante que de voir l'univers avec ses propres yeux ?"

R.TOPLER,15juin2OO4

De toute la Macaronésie(1), l'archipel des Canaries semble attirer d'avantage l'astronome amateur pour la qualité de son site. Des 7 îles principales de l'archipel, mon collègue luxembourgeois Marc CESARINI nous confie que seules Tenerife et La Palma méritent notre attention (Cf. CE n°32 p.8). Sur cette base de confiance, j'organise donc un bref voyage d'agrément en essayant de mêler tourisme, montagne et astronomie visuelle.

Durée = 8 jours
Période = octobre 2004

Peu importe la période où vous partez, les grandes tendances météorologiques semblent s'effacer devant les microclimats canariens et l'on retiendra surtout l'importance des alizés tout au long de l'année qui maintiennent des températures douces et plus particulièrement pour l'astronome, une faible amplitude thermique que ce soit en altitude ou en hiver. La pluviométrie suit ces particularismes climatiques en passant du simple au quintuple sur l'île de Tenerife tout en restant dramatiquement faible : les précipitations annuelles ne dépassent à peine les 100mm dans le sud de île ; soit un climat presque saharien. Etant moi-même observateur climatique pour Météo France, je vous laisse le plaisir de la comparaison avec des moyennes annuelles obtenues à Entremont (climat montagnard continental) : » 1700mm.

Voici maintenant une tentative de description de mes impressions visuelles dans des sites remarquables de l'archipel.

SITE DE LOS ROQUES DE GARCIA
(Caldera de Las Canadas, île de Tenerife, Alt. = 2200m)

Imaginez-vous en plein parc naturel (classé et protégé) au centre d'un ancien cratère effondré (caldera) bordé de remparts d'environ 2500m d'altitude. Nul besoin d'être géologue pour admirer ici la toute puissance de la Nature : un rapide 360° sur nous-mêmes permet de vérifier que Las Canadas est bien l'une des plus gigantesques calderas de la planète Terre (17km de diamètre). Pour me mettre à l'abri d'une brise irrégulière voire gênante par moments, je me suis installé sur une terrasse dallée en léger contrebas des célèbres rochers géants (Roques de Garcia). De plus, cet endroit s'est avéré être un bon pare-lumière aux éventuels phares de voitures et aux quelques lampes de l'hôtel Parador tout proche. Si la turbulence était sensible cette nuit-là, la transparence était bel et bien là : T 1 (T0 pour Bertrand LAVILLE). L'échelle de cotation de CE ne suffisant pas, je me suis penché sur quelques paramètres remarquables définissant celle de Bortle : La Voie Lactée apparaissait très structurée surtout en début de soirée lorsque les parties denses du Sagittaire étaient en dehors du cône de pollution lumineuse engendré par les stations balnéaires du sud de l'île. Ce dôme un peu nuisant était perceptible jusqu'à h = 30° !

Toutefois, il faut relativiser l'aspect spectaculaire de la Voie Lactée dans les contrées méridionales : elle était ici rehaussée naturellement d'environ 18° par rapport à nos latitudes moyennes. Les nuages stellaires densifiés n'en ressortaient que plus contrastés puisque plus dégagés de l'horizon. La Petite Ourse étant basse sur l'horizon, elle m'apparut un peu décevante, effacée par une forte scintillation. Mvlon UMi (h = 30°) = 6,7 tout de même dans les trouées de turbulence, ce qui laissait augurer Mvlon Z = 7,2.

Pourtant, un pointage précis dans la partie supérieure du carré de Pégase (constellation idéalement placée au zénith au moment du test) n'a pas suffit à confirmer une telle valeur. Aurais-je du persister ou choisir une autre région du ciel ? Ou était-ce la fatigue visuelle due aux efforts matinaux de l'ascension du Pic de Teide (Alt. = 3718m) ?

Sous le carré de Pégase, se profilait une étrange bande laiteuse correspondant à l'emplacement du pont zodiacal. Des ombres fugaces se dessinaient sur le sol, mieux vues en VI sur les dalles claires. M33 apparaissait en V3. Je me suis penché sur le cas d'Hélix, non vue à l'œil nu, même avec filtre interférentiel. Je me suis familiarisé avec des constellations australes nouvelles pour moi comme le Phénix, le Sculpteur, le Microscope et la Grue. Pour conclure, jusqu'au 5 octobre 2004, c'était l'un des meilleurs ciels nocturnes que je n'avais jamais vu, égalé peut-être par les nuits hivernales cristallines d'un site haut-savoyard tout proche de mon domicile (cf. CE n°27 p.3 et la "nuit des Pléiades"). Il est incontestablement le meilleur "spot" de l'île de Tenerife. D'autant plus qu'il bénéficie à proximité immédiate d'un hébergement et d'une cuisine de qualité (Hôtel Parador de la Caldera). Les astronomes allemands ne s'y sont pas trompés puisqu'ils laissent en permanence sous abri des instruments dont un Dobson de 24". Le seul bémol que j'apporterais toutefois serait la pérennité de la qualité de ce ciel dans les années futures. En effet, l'île de Tenerife n'est qu'un vaste chantier de construction destinée au tourisme de masse, cernée de toutes parts par les côtes habitées. Et ce n'est pas l'observatoire du Teide tout proche, spécialisé dans le solaire, qui y changera quelque chose.

SITE DU ROQUE DE LOS MUCHACHOS
(Ile de La Palma, L = 17°52'34" W, j = 28°45'34", Alt. = 2400m)

Géologiquement parlant, le site est comparable au précédent puisqu'à proximité d'une autre caldera (Taburiente) d'altitude presque équivalente. Et le site est également classé réserve naturelle. Enfin, les coupoles grises poussent ici comme des champignons. Pour être franc, le ciel s'est brouillé 30mn après mon arrivée. Cela a suffit pour me rendre compte qu'il était en tout point comparable avec celui de la veille situé pourtant à une altitude beaucoup plus basse (environ 700m) dans le sud-est de La Palma. C'est donc plutôt mes impressions sur ce dernier site que je vais retranscrire. Je dois vous avouer que j'ai été tellement subjugué par l'excellence de la transparence que j'en ai oublié de coter la turbulence. Pardonnes-moi Bertrand, mais c'était du T-1 ! Pour un endroit choisi au hasard, en bordure de route, à une altitude modeste, c'était époustouflant. En fait, dès que l'on sort des petites villes ou villages, tous les sites de l'île naviguent entre T0 et T-1 ! Soit le paradis de l'astronome amateur qui tire tout le bénéfice de la loi drastique sur l'éclairage public imposée par la présence de l'observatoire d'astrophysique. Un petit mot sur les lampadaires de l'île : ils renvoient la lumière perpendiculairement au sol et sont tous munis d'ampoules spéciales de couleur orangé-rouge (Sodium basse pression ?). Bref, ils ne sont pas éblouissants lorsqu'on les regarde. La Voie Lactée très structurée ressemblait à un amoncellement de nuages comme sur les photos longues pauses de boîtiers reflex. Un petit truc pour les ciels parfaits : lorsque vous ne discernez pas du premier coup d'œil le triangle d'été, c'est plutôt bon signe. En effet, la croix du Cygne était méconnaissable toute auréolée de nodosités qui finissaient par cachés les astérismes, nos repères habituels. Le chemin de Saint Jacques partageait la voûte céleste en deux d'un bout à l'autre de l'horizon. Aucun cône de pollution lumineuse ne venait ternir le tableau. La Petite Ourse était beaucoup plus nette que dans le cas de l'observation de Tenerife. Je n'ai pas fait de pointage précis de la Mvlon, et je vous prie de m'en excuser. M33 apparaissait également en V3. Et chose nouvelle, Hélix était aperçue à l'œil nu en VI5. Elle formait une belle tache aux J 7x50. La politique de cette île - la plus occidentale de l'archipel - est tout autre, basée actuellement sur le tourisme vert et de faible affluence. Les sites astro devraient pourvoir perdurer. Je pense que l'on approche ici la perfection en terme de transparence. Franchement, il faudrait être un hibou pour différencier ce ciel de La Palma à un ciel chilien ou namibien. Cela reviendrait à comparer la qualité d'image obtenue par un renvoi coudé TELEVUE avec celle d'un renvoi coudé TELEVUE "everbrite" ! A noter l'installation prochaine près de l'observatoire d'une plateforme équipée de prises électriques destinée aux amateurs. De source sure, j'ai également appris que par la suite, un T1000 serait même à notre disposition.

VISITE IMPROMPTUE AU N.O.T. DE L' OBSERVATOIRE D' ASTROPHYSIQUE
DE LA PALMA

Un des challenges que je mettais fixé était d'essayer de mettre le pied dans une des coupoles de ce célèbre institut. Il y a bien quelques visites d'organiser mais elles ont toutes lieu certains jours de l'été avec de belles files d'attente. En passant par la petite porte, c'est-à-dire en prenant contact avec un astronome amateur de la capitale Santa Cruz, celui-ci me recommanda auprès d'un astronome professionnel travaillant dans les bureaux de cette même ville. Ce dernier téléphona à un électronicien responsable du fonctionnement d'un T2560 ! Le parcours du combattant terminé, le rendez-vous était pris pour le lendemain midi. C'était sous une bruine froide que ma compagne et moi rentrâmes dans l'antre du Nordic Telescope Building (NOT), un modeste 2,56m de diamètre. La visite a duré une bonne heure en compagnie de ce technicien indispensable à l'entretien du télescope. La conversation s'est engagée en anglais mais ma femme était là pour les lacunes. Cette coupole a été bâtie en 1988 par le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède. A ce propos, aucun astronome français n'est présent sur le Roque de Los Muchachos. Voici les réponses que j'ai pu glaner : record de seeing = 0,29" et la moyenne se situe entre 0,5 et 0,6". 214 nuits par an sont exploitables. Si la température est inférieure à 1°C il n'y a pas d'observation possible car le télescope est dans l'incapacité de s'équilibrer thermiquement durant la nuit. Lorsque le télescope se déplace c'est tout le bâtiment qui bouge ! L'instrument est ancré très profondément sous le sol pour éviter les piétinements du personnel. La salle de contrôle et la salle informatique étaient séparées par des portes sas. Un bruit de moteur et des odeurs d'huile dominaient dans la salle d'entrée ; ce qui me rappela immédiatement l'atmosphère régnant dans les navires de la Marine Nationale. C'est qu'il en faut de la mécanique pour mouvoir ces mastodontes ! Dans la salle de contrôle, je me suis attardé sur divers ouvrages rangés pêle-mêle dans une armoire. Il y avait là le Sky-atlas 2000 ! A quoi peut bien servir un tel atlas pour ces astronomes professionnels qui ne font pas de visuel ? … à réviser leur ciel et ils en auraient bien besoin ! Plus sérieusement, j'ai pu feuilleter avec émotion les rares Upsala General Catalogue Galaxies (UGC), et cet atlas photographique très encombrant de la NASA qui représentait des galaxies typiques. Il y avait aussi d'autres livres spécialisés comme le IAC Morphological Catalogue of Northern Galactic Planetary Nebulae ou bien le Catalogue of Narrow Band Images of Planetary Nebulae bourrés de photographies de nébuleuses planétaires prises dans des raies spécifiques, de quoi réveiller mon ami Rainer T. Au retour du voyage, je fus tout ému en parcourant la belle couverture couleur du dernier Deep-Sky Observer : Il y avait cette splendide image couleur de la nébuleuse de l' Œil de Chat réalisée par ce même télescope de La Palma…

 (1) La Macaronésie est un ensemble d'îles comprenant aussi Madère, Açores et Cap vert.

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