JUMELLES GEANTES

- Etude & choix -

par Fabrice Morat

 

 

 

Depuis quelques années, on ne compte plus le nombre de binoculaires de 100mm de diamètre tant elles ont envahi le marché mondial. Leurs prix bien placés y sont certainement pour quelque chose. Ainsi, vous pouvez acquérir des J25x100 (caractéristiques très communes) à moins de 400! Pourtant, ce n'est pas de celles-là qui nous intéressent ici, non pas que le diamètre soit "léger" mais la rareté des modèles supérieurs (>100mm) a quelque chose d'attirant en soi et représente certainement une prouesse technologique au niveau de l'optique!

 

1 - Présentation de quelques modèles de course :

Voici une sélection de jumelles géantes que l'on retrouve chaque année sur les catalogues et ne sont donc pas un effet de mode. Remarquez l'absence de quelques grandes pointures de l'optique : Zeiss, Swarovski, Leica, Kowa, Canon. De quoi tirer un coup de chapeau aux quelques fabricants qui ont su oser la course à l'ouverture.

Certaines jumelles géantes prennent l'aspect de 2 lunettes accolées avec les renvois coudés à prismes bien en évidence (cf. BINO BORG 125ED et HUTECH IIBORG). Ces marques sont toutes d'origine américaine. Cet été, à un rassemblement, j'ai pu lorgné dans une BINO BORG avec son système particulier de réglage dioptrique au niveau des prismes. J'ai pu faire la mise au point correctement, c'est déjà quelque chose, et la qualité d'image m'a paru convenable. En France, leur disponibilité n'est pas évidente, reste la négociation directe et "en ligne" avec le fabricant.

Et que dire de la rare NIKON J20x120, un modèle lourd et robuste! Elle a le look des jumelles d'observation touristique montées sur statif avec monnayeur. Avec sa visée droite et sa pupille de sortie un peu élevée, elle reste peu pratique pour un usage astronomique. Son prix paraît  relativement élevé (cf. tab.) malgré ses prestations.

Chez nous, la J30x125 PERL VIXEN est certainement le modèle le plus répandu dans la classe des grands diamètres. Disponible depuis de nombreuses années chez Médas, elle est bien pensée pour le ciel profond. Voyez plutôt: enfin un modèle avec un bon chercheur (cf. tab.), une visée confortable à 45°, une poignée de transport, des pare-buée généreux. La pupille de sortie de 4,2mm finit par nous convaincre. Pourtant, elle n'est ouverte qu'à 5 tout en possédant de simples objectifs achromatiques. Le spectre secondaire ne doit pas être absent et les versions zoom 27-75x doivent être écartées.

Qui ne connaît pas le modèle préféré des chercheurs de comètes fortunés! FUJINON ne fait pas dans la demi-mesure: si vous voulez plus gros que les J16x70, vous passez directement aux J25x150! Je ne me rappelle plus de la vision d'un objet terrestre dans l'une de ces grosses binoculaires. Mais le souvenir de son poids et de sa taille imposante reste bien présent. Aussi lourde qu'un gros tube SCT -plus près du C14 que du C11-; mais où est donc passée la poignée de transport ?! Il n'y a pas non plus de chercheur FUJINON. Ainsi, vous verrez souvent les J25x150 armées d'un simple pointeur TELRAD horizontal ou RIGEL vertical. Le mariage plastique-métal est discutable sur des instruments aussi prestigieux. La firme japonaise possède une gamme assez élaborée. Pourtant, si l'on s'en tient à des critères purement astronomiques (observation Deep-sky), seule la J40x150 ED-SX semble intéressante. Hélas, la version coudée à 45° n'existe pas encore! André Van Der Elst écrit à propos de ces modèles: "comptez le prix d'une voiture". A plus de 17000 pour le haut de gamme, je préfère renchérir et dire: "comptez le prix d'une bonne voiture!" Pour des domaines spécialisés comme la recherche cométaire, on pourra se contenter  d'une J25x150 comme Hyakutaké et sa belle comète imprévue de 1996.

La petite fabrique nipponne MIYAUCHI s'est imposée depuis des années avec ses fluorites J20x100 de belle facture. Elle a osé franchir le pas et proposer à la communauté astronomique des fluorites APO J25-45x141 très compactes. Mais qu'en est-il de la qualité réelle des optiques? J'aurai le plaisir de vous la présenter plus longuement dans un second volet (LA J25-45X141, LES PREMIERS TESTS…). Sachez déjà qu'elle est munie d'une vraie poignée de transport, de pare-buée coulissants, de 3 jeux d'oculaires interchangeables et d'un chercheur optionnel  luxueux. La visée est bien entendu à 45° et la pupille de sortie intéressante à 45x. Si vous optez pour ce modèle, il sera plus que recommandé d'acheter en sus la fourche et les réglages fins en Az et h; ce qui vient alourdir l'addition. Dans son guide (cf. réf. Biblio.), mon camarade André parle d'un modèle "au prix dissuasif". Attendons les prochains tests pour pouvoir juger! Hormis l'extrême rareté de ce modèle, je ne pense pas me tromper en affirmant que, dans ce panorama non exhaustif, cette MIYAUCHI géante est certainement la bino la plus osée en matière d'optique de pointe. Jugez plutôt: ouverte seulement à 4,4, il faudra bien toute la force du triplet apochromatique et des lentilles réductrices pour pallier au problème d'aberration chromatique et d'aberration de sphéricité! A suivre…

 

Et le double Newton RB66 de chez JMI?


Murièle Damevin et ses RB66

Peut-on l'apparenter à une véritable J38x152 ?

A 3 reprises, j'ai eu l'occasion d'observer dans cet instrument insolite et à chaque fois, ce fut un échec au SNAP TEST (mise au point délicate); la convergence des images des 2 tubes n'étant pas idéale. Sur le "tableau de bord", pas moins de 7 boutons contrôlent la netteté de l'image binoculaire: 4 pour la mise au point, 2 pour la convergence et 1 pour l'espace inter-oculaires. Et ceci par le truchement d'un processus itératif et récurrent: focus puis convergence puis équipupillarité  puis re-focus, re-équipupillarité, etc.!! Je pense que c'est le problème n°1 d'avantage que celui de la turbulence interne générée par la tête et le haut du corps de l'observateur (négligeable à 38x dans un T152). Ainsi, je reste, pour le RB-66, sur une impression d'usine à gaz avec ses multi-réglages tous motorisés. D'autres inconvénients viennent se greffer comme l'encombrement, le poids important (33kg avec la caisse) et l'obligation de rester cantonné dans des grossissements de basse résolution. Les principaux avantages sont: confort d'utilisation avec le guidon plaisant, champ réel de 1,4° avec des PL20mm, position idéale de l'observateur et prix de 6200 (2 fois moindre malgré tout que les principales binos présentées ci-contre).

NOTA: les problèmes optiques en tout genre risquent d'être plus nombreux dans les modèles supérieurs de 10 et 16" proposés par la même firme du Colorado.

NOTA 2 (par Christophe Bourreau) :

Ayant observé un grand nombre de fois dans les RB 66 de Murièle Damevin (cf photo) , je me permet de faire quelques remarques sur les propos de Fabrice :

    - L'usage des RB 66 malgré la présence de 7 boutons, ne nécessite pas un bac + 4 pour savoir s'en servir (...) Le réglage est juste
       un peu plus "compliqué" que des jumelles classiques, en particulier pour les observateurs occasionnels (...)

    - Les principaux défauts de ces jumelles sont le poids (vraiment lourd pour une personne) et surtout un déréglage des
      portes - oculaires dans le temps ainsi qu'une contrôle qualité de jmi qui laisse à désirer (nous avons dû renvoyer le
      1er modèle en SAV)

    - Concernant "l'obligation de rester cantonné dans des grossissements de basse résolution" je ne suis absolument pas d'accord avec
      Fabrice, on utilise les RB 66  avec un grossissement standard de 57x, la Myauchi 140mm est limité à 45 x donc avantage pour les
      RB66 pour la  résolution (grossissement maxi 70x)

    - Les avantages sont  :

        - 1) Les jumelles utilisent des oculaires standards en 31.75,  on peut donc utiliser des  naglers de 13 mm donnant  un
              grossissement de 57 x avec un champ de  82° et de plus on peux mettre des filtres UHC ou OIII sur chaque oculaire
              ce qui n'est pas le cas des jumelles "classiques".  Je peux vous dire que voir les dentelles du Cygne à 2000m d'alt dans
              cette configuration  (avec OIII) donne une image "photographique". Ce n'est pas forcément le cas de jumelles nettement
              plus cher (....)

        - 2) Comme le souligne Fabrice, le confort d'utilisation est très important, en particulier au zénith, c'est hyper confortable...
               L'usage du "guidon" donne l'impression de voyager dans l'espace ...Rien à voir avec des jumelles "classiques".
               Un instrument parfait pour la recherche des comètes ou les amoureux du ciel profond ...

        - 3) Le prix ....

 

 

 III - Etude théorique de ces modèles :

 Les facteurs de visibilité (rappel: Fv = G x D) ci-dessus révèlent la toute puissance de ces instruments. Nous nageons ici dans les hautes sphères. Pour mémoire, j'ai noté les Fv  des 2 "petites jumelles" d'un dossier précédent (cf. ASTRO-SURF n°15 page 16). Analysons le graphe: · La NIKON 20x120 pourra contenter le chercheur de comètes, surtout pour les astres chevelus larges et diffus. De plus, avec la visée droite, cela ne devrait pas trop le gêner puisqu'il balaye principalement l'horizon.

· La VIXEN 30x125, la MIYAUCHI 25x141 et la FUJINON 25x150 procurent la même puissance nocturne. La première offrant la meilleure résolution. La FUJINON fera le même travail que la NIKON mais à des magnitudes plus "profondes". A noter le match serré entre la VIXEN et la MIYAUCHI qui, en théorie, devraient offrir les mêmes images d'objets Deep-sky. J'attends d'ailleurs toute personne  possédant la 30x125 aux RAP2006 à venir se frotter à ma J25x141! Les facteurs de transmission lumineuse auront sûrement le dernier mot dans ce duel. Une achromatique contre une fluorite! Pourquoi pas?

· Encore plus fort! La FUJINON 40x150 flirte avec la ligne des 6000; elle est 3 fois plus puissante qu'une J20x100. Elle possède en tout cas une pupille de sortie idéale pour la plupart des objets Deep-sky. En version ED, l'image devrait être convenable. La résolution et le contraste seront bien meilleurs que dans la J25x150 (en théorie). Mais il faudra se satisfaire de l'unique version droite.

 · En terme de puissance nocturne, la J45x141 remporte la palme. Si les optiques tiennent leurs promesses, la résolution et le contraste devraient être au rendez-vous en assombrissant même des ciels un peu clairs.

 

Gardons bien à l'esprit le but premier d'une binoculaire, celle de pouvoir complémenter efficacement son télescope ou sa lunette en montrant des objets très faibles et étendus qui sont à la limite de détection, voire impossible à discerner dans les instruments "monoculaires". Souvent, ce sont des challenges visuels qui prennent la forme de nébulosités noyées dans la Voie Lactée. Rappelons qu'avec Fv = 750, des objets difficiles comme la nébuleuse du Cône ou le complexe de l'aigle (IC 2177)   commencent à se révéler à l'observateur averti. Alors, avec un Fv>6000, on devrait pouvoir inscrire à son palmarès, des objets typiquement dédiés à la photographie comme par exemple : IC 1318 et IC5068 dans le Cygne ; NGC6820 dans le petit Renard ; IC405 et IC410 dans le Cocher ; VDB14 & 15 dans la Girafe ; Gum2 et IC468 dans le Grand Chien ; NGC281, NGC896, IC1795, IC1805, IC1848 dans Cassiopée ; IC1396 dans Cephée, etc… ainsi que de nombreuses nébuleuses obscures.

 

Références :

Site américain www.Bigbinoculars.com

Guide du matériel d'observation de l'astronomie : André Van Der Elst

"JMi's RB-66 Reverse Binoculars" Sky & Telescope test report : Sky & Telescope (septembre 2005)