TEST DES JUMELLES CANON 15*50 STAB

par Fabrice Morat

 

 

N'ayant plus de jumelles dignes de ce nom et toujours dans l'attente d'une grosse "bino" du Soleil Levant, j'en viens à m'intéresser de plus près à une paire de jumelles relativement compacte et d'excellente qualité optique. Vous savez, celle qui vous suit toute une vie ! Si vous êtes de ceux qui ont bu littéralement les écrits de Van Der Elst dans ses fameux tests instrumentaux (Cf. rubriques d'Astro-ciel), la suite à venir ne devrait pas vous surprendre mais peut-être réveillera en vous l'envie de franchir le pas …

 

 Réflexions et démarches de pré-achat

Tout était clair dans ma tête. Je désirais une paire de jumelles de faible encombrement pouvant être utilisable des deux mains, à la limite du recours au trépied, d'excellente qualité optique, avec un pas de vis existant (pour fixation éventuelle sur trépied) et une pupille de sortie entre 4 et 5mm. Les principales utilisations seront: terrestre, ornithologie, comètes, éclipses et surtout ciel profond (dessin). Sur le papier, les contraintes énumérées ci-dessus me conduisirent à des modèles genre 10x42 d'excellente facture: SWAROVSKI, ZEISS et LEICA se disputant l'essentiel de ce marché. Parallèlement à ça, je ne pouvais exclure de jeter un œil -ou plutôt les 2- dans des J15x45 CANON stab. D'autant plus que j'en entendais de plus en plus de bien dans la confrérie Deep-sky. En outre, un récent article dans la revue internationale "Deep sky observer" me permit de découvrir les caractéristiques optiques de cet instrument exotique. Déjà, en 1998, Sky & Telescope avait testé ce modèle, Dennis di Cicco avouant sa parfaite adaptation à l'observation du ciel profond.

 Premières surprises sur le terrain

En toute franchise, avant de passer le seuil du magasin d'optique, j'étais quasiment convaincu que mon choix allait se porter sur l'une des 3 marques illustres de l'Est européen. Et pourtant …   

Une mire (réseau de barres noires plus ou moins serrées sur fond blanc) fort bien faite était installée à une vingtaine de mètres au fond du magasin. Elle allait s'avérer très utile pour juger la qualité des optiques (transmission de lumière, distorsion, courbure de champ et aberration chromatique sur les bords). Que ce soient la ZEISS Victory T* FL10x42, la SWAROVSKI EL10x42 ou bien la LEICA  Trinovid BN10x42, quelle ne fut pas ma déception de voir nettement, dans chacune d'entres elles, de la courbure de champ évidente en zone périphérique: nette partout sauf sur un bon 5ème du champ inutilisable. Dépité, je testais à présent les CANON  IS Stab15x50, les J15x45 n'étant plus commercialisées. Utilisées telles quelles, la vue était inconfortable et le champ minuscule. En tant qu'observateur avisé et informé par la lecture des articles précités, je repliai aussitôt les bonnettes caoutchoutées, sources de mes ennuis, et là, la surprise fut de taille: image lumineuse malgré les 15x, résolution flagrante des barres de la mire et surtout, l'image était parfaite sur tout le champ jusqu'à l'extrême bord. Aussi je ne vous dis pas lorsque le stabilisateur fut enclenché, toutes les caractéristiques optiques de la "bino" sont alors utilisées à plein rendement. En ressortant de la boutique spécialisée, tout rempli d'interrogations, il était clair que je devais revoir ma copie …

Performances réelles des modèles de jumelles  haut de gamme

Le graphe ci-contre permet d'évaluer rapidement les performances de votre paire de jumelles. Il est basé sur le facteur de visibilité (Fv = G x D) qui attache autant d'importance au grossissement commercial G qu'au diamètre des objectifs D. Je l'ai choisi comme indice parce qu'il est pratique à calculer mentalement et qu'il reste assez proche du facteur d'atténuation ou indice crépusculaire Ic = Ö(GxD). Certains auteurs Deep sky vont encore plus loin et accordent encore plus de poids à G. A ce stade, quelques remarques s'imposent. Sur le graphique, j'ai essayé de représenter les facteurs de visibilité en tenant compte du contraste réel des instruments. Seul le doute subsiste pour la FUJINON que je n'ai pas testée avec un Fv probable de 1000. Si l'on obtient bien Fv = 420 pour la LEICA Trinovid 10x42, qu'en est-il d'une paire de jumelles plus courante comme par exemple la TASCO Futura 10x42 ? Si une bonne transmission lumineuse et la diminution des reflets parasites ne sont pas au rendez-vous, une paire de 10x42 moyenne gamme aura un facteur de visibilité plus proche des 300 que des 400 soit pas mieux que la LEICA Trinovid 10x32 !

En effet, pour des modèles courants, il n'est pas rare de rencontrer une transmission lumineuse totale d'environ 30% inférieure à celle des "haut de gamme". En étudiant le graphique ci-dessus, après report des points qui nous intéressent ici, la supériorité de la J15x50 est écrasante par rapport aux J10x42: elle permettra de reconnaître plus facilement les détails d'objets du ciel profond et les faibles contrastes en lumière défavorable. Notez qu'il en aurait été de même contre d'excellentes J10x50 !

Malgré un poids certain, mon choix est validé, ce sera la J15x50 CANON…

 

Test de la J15x50 CANON Stab.

Le principal a été dit dans l'article d'Alain Gérard et de Philippe JARGUEL (cf. ASTROSURF n°8 page 20) dont voici un résumé sous forme de fiche technique.

 

Æobj = 50mm                       Contraste et luminosité apparente comme dans une 7x50.

G = 15x                                 Et en plus, elle résout…

p = 3,3mm                             Nullement un handicap en ciel profond

Relief d'œil = 15mm

Ch. réel = 4,5°                       Entièrement exploitable grâce au doublet aplanisseur de champ

Ch. app. = 67°

Long. = 19,3cm                     Bonne préhension du corps

Larg. = 15,2cm

Poids = 1,2kg                        Un peu lourde pour une utilisation prolongée à la main

Prismes: porro(1)                   Verres à faible indice de dispersion

Mise au point mini: 6m          Gros plan sur la faune et la flore

Visée: droite

q° de fonctionnement

pour le stabilisateur:                -10°C<q°<45°C

Bonnettes caoutchoutées:      Retournées obligatoirement

Effets du stabilisateur:             Très positif malgré la légère turbulence fluctuante dans l'image. Il s'avère       

                                             surprenant pour tous les objets mouvants: quel plaisir de détailler les  

                                             oiseaux en plein vol.

 

(1)   Porro d'après la notice d'utilisation. Pourtant, un schéma de la configuration optique des jumelles à stabilisation d'image (document Sky Publishing Corp. de 1998) laisse clairement apparaître 2 paires de prismes en toit! Et l'ancienne J15x45 n'était pas si foncièrement différente de la J15x50.

 

J'ai attendu un peu avant de vous présenter cet article car je voulais être sûr que la qualité des CANON soit fiable dans le temps. Car figurez-vous qu'après quelques mois d'intense utilisation et surtout après un changement de piles, la J15x50 était pour ainsi dire "déstabilisée"! Que le stabilisateur soit en route ou non, l'instrument était complètement décollimaté procurant une double image que même le cerveau n'arrivait pas à fusionner. Peut-être un défaut de série puisque d'autres clients ont souffert d'un problème similaire toujours après un changement des batteries. Le SAV a bien fonctionné et la firme CANON a carrément  réexpédié un nouveau modèle "pour client exigeant" selon leurs dires. Depuis, je n'ai plus eu de problèmes.

 

La J15x50 est intéressante en terme de transmission de lumière. En terrestre, le rendu des couleurs est excellent. On s'approche vraiment de la qualité des jumelles haut de gamme. Au pire, efficacement parlant, les CANON seraient l'équivalent de J15x49 ! Si mes anciennes J11x80 étaient plus proches de parfaites J11x70 (au regard de la pupille de sortie exploitable en vision scotopique et des pertes de lumière dans les optiques de la CELESTRON), vous remarquez que les facteurs de visibilité deviennent presque identiques pour les deux. De plus, avec un même champ de 4,5°, la comparaison est tentante. Qu'en est-il véritablement en ciel profond? Sur les Pléïades, avec la J11x80, j'atteignais Magvlim = 10,8 sous un ciel à MvlonUMi = 6,7. Sous un ciel un peu moins bon, j'atteins la même Magv avec la J15x50. Voici d'autres exemples avec la CANON tenue à mains levées et stabilisateur en fonctionnement:

· Rosette sans filtre (plus particulièrement sa partie N) par ciel moyen (Fort seeing S5/5 et transparence T1; MvlonUMi = 6)

· M65 + M66 + NGC3628 en VI par bon ciel (MvlonUMi = 6,7)

· NGC772, galaxie spirale dans Aries; Mv = 10,3;SB = 13,9 par MvlonUMi = 5,6(Brouillard, lune gibbeuse !)

· NGC3190, galaxie dans le cou du Lion; Mv = 11,2;SB = 13 par MvlonUMi = 6,7

· NGC6207 en VI, le compagnon galactique lumineux de M13 à h=30° ! Mv = 11,6;SB = 13 par MvlonUMi = 6,7

· NGC 6229, le 3ème amas globulaire d' Hercule, évident dans les mêmes conditions.

· Etoiles doubles, les records d'Alain Gérard confirmés:

   S79 (And) et 5g (Ari), sép.= 7,8" vues comme un tiret bien orienté (confirmation par l'angle de position) è phénomène de strangulation des 2 composantes.

· Voir aussi le dessin de la difficile nébuleuse du cône (jumelles sur trépied sans stab.)

 

En fait, la J15x50 est si parfaite que l'on finit par juger les propres défauts de sa vision. Il est bon ici de dire un mot sur la difficulté pour nous de quantifier certains défauts optiques d'une paire de jumelles. Pourquoi? Parce que l'on travaille avec des pupilles de sortie assez importantes (3 £ p £ 7; disons 5mm en moyenne). Pour de telles valeurs, les aberrations de l'œil commencent à se dévoiler à l'observateur averti. On rencontre ainsi des défauts de coma, d'astigmatisme, d'aberration sphérique ou chromatique plus ou moins prononcés suivant l'individu qui viennent se mélanger à ceux de l'instrument. Sur la plupart du matériel commercialisé, ce sont souvent les défauts optiques instrumentaux qui prédominent. Mais pour les optiques de grande qualité, la plus grande prudence est de mise, à fortiori si elles sont utilisées de nuit à faible G. Ainsi, sur la J15x50, j'ai pu m'apercevoir que mon œil directeur ne souffrait heureusement d'aucun défaut majeur mais que mon œil gauche présentait une pointe d'astigmatisme et de l'aberration chromatique notable. Mon cerveau reportant en partie ces défauts sur l'image finale. Pour les puristes, disons que la vision binoculaire optimale n'est peut-être pas donnée à tout le monde. Il est vrai qu'avec nos télescopes et réfracteurs "monoculaires", nous observons naturellement avec notre œil directeur, généralement le plus sain des deux. Pour terminer, je rajouterai volontiers une utilisation particulière de la CANON; en tout cas, c'est une idée à creuser: la J15x50 s'avère être un assez bon estimateur de la turbulence. Lorsque la Lune est présente dans votre ciel local, avec un peu d'habitude, vous serez capable de juger le niveau des remous atmosphériques en contemplant l'état du limbe lunaire ou du terminateur (stabilisateur coupé de préférence). Cela pourrait peut-être vous éviter de sortir en vain votre grosse instrumentation !

 

Test sommaire de jumelles de rêve

Janvier 2005. Les tous derniers modèles "haut de gamme" étaient disposés devant moi, il y en avait là pour une petite fortune. Et la mire me narguait au fond du magasin. Voici mes impressions sur la SWAROVSKI  EL 8,5x42, la LEICA Trinovid BN 10x42, la ZEISS Victory T* FL 10x42, la CANON IS Stab. 15x50 (cf. ci-dessus), l'OPTICRON  DBA 10x42 et la surprenante BRUNTON Epoch 8,5x43.

Il n'y a pas que MEADE et CELESTRON à se copier les idées dans l'optique industrielle. Les 3 marques de prestige citées en premier proposent des jumelles à la conception très proche et les différences de qualité sont fort minimes. Voici ce qu'elles ont toutes en commun:

      · une transmission lumineuse et un contraste exceptionnels: j'ai un faible pour la Trinovid qui 

         semble  exceller dans ce domaine.                                                                                                        

      · une qualité mécanique impressionnante (molette centrale antidérapante à double fonction -mise

         au point centrale + réglage dioptrique-, bonnettes caoutchoutées coulissantes). La SWARO est

         d'un confort exceptionnel avec son système unique de préhension: lorsque vous l'avez en main,

         vous ne pouvez plus vous en défaire !

      · un poids plume, environ 800g. Et 765g pour la ZEISS 10x42.

 

Mais aussi …

      · de l'aberration chromatique sur les bords: la ZEISS est celle qui s'en sort le mieux.

      · de la courbure de champ: les 4 cinquièmes sont exempts de ce défaut.

 

Avec un prix bien moindre, l'OPTICRON 10x42 ne pèse que 695g avec une transmission lumineuse en retrait, de l'aberration chromatique sur les bords et de la courbure de champ bien évidemment. Essayez plutôt la "marque au bison" qui fait un retour audacieux avec la BRUNTON 8,5x43. Certains diront qu'elle a toute d'une grande: hormis la J15x50, elle s'avère la meilleure en correction sur les bords: le champ est un peu plus faible mais exploitable dans sa totalité. On notera son excellente fabrication mécanique, son poids très léger et son prix inférieur à celui du trio de tête. Elle procure une bonne image un peu plus chaude (transmission lumineuse en léger retrait). La 8,5x43 ne vous suffit pas, optez pour la BRUNTON Epoch 10,5x43. Je vous laisse calculer son facteur de visibilité théorique !

Plus récemment, j'ai également lorgné sur une autre marque autrichienne de prestige, la KAHLES 10x42 qui offre une image remarquable du moment que l'on accorde peu d'importance à la couronne périphérique (résidu bleu de chromasie très marqué et étalé). Toutefois, son prix est moitié moindre que celui de la "marque ailée" SWAROVSKI. Vous voyez, le panel des jumelles de qualité est assez large. Cela restera toujours un choix très personnel en fonction de nombreux paramètres comme le prix, le poids, la préhension, les diverses utilisations, votre tolérance aux aberrations de bord de champ. N'hésitez pas à essayer sereinement avant d'acheter.

 

MVLONUMi : Magnitude Visuelle Limite à l'Oeil Nu obtenue dans la Petite Ourse.

 

Référence : SKY & TELESCOPE, Mai 1998, "Revolutionary New Binoculars", Dennis di Cicco

                  ASTROSURF MAG. , Mars/avril 2004, "Face à face: Canon IS 15x50…", Gérard & Jarguel