Comment choisir sa gamme d'oculaires ?

par Fabrice Morat

 

Le sujet semble bien naïf et la réponse peut-être évidente au plus grand nombre d'entre vous. Pourtant, ce qui suit devrait réveiller ceux qui restent par exemple cantonnés aux grossissements faibles en observation du ciel profond. Puis, la deuxième partie de l'article devrait contenter ceux pour qui l'oculaire déchaîne les passions. Mais avant cela, quelques rappels de terminologie s'imposent.

- Gmini : Le grossissement minimum offrira bien souvent le plus grand champ résultant.

Il n'est pas toujours applicable essentiellement pour des raisons mécaniques : incapacité de l'instrument à basculer au coulant 50,8 interdisant du même coup les oculaires de longue focale ; obstruction par le secondaire gênante (cas des SCT, Maksutov, Dall Kirkham). Rappelons qu'en dessous de Gmini, l'image perd en luminosité et dans le cas de télescopes obstrués, ou si G << Gmini, on finit par n'observer plus que l'ombre du secondaire.

- Géquip : Grossissement équipupillaire selon Danjon & Couder. Il assure une pupille de sortie (p) égale à la pupille de notre œil dans le noir du moins pour les plus anciens d'entre nous. En effet, jusqu'à l'age de 40 ans, Gmini s'emploie encore assez fréquemment. Et en toute rigueur, Géquip fixé à D/6 peut être utilisé jusqu'à la cinquantaine si l'on tient compte des caractéristiques physiologiques de l'œil.

-  Grésolv : le grossissement résolvant est un grossissement conventionnel que Danjon & Couder définissent comme suit : "il permet à l'instrument de séparer tout juste deux astres espacés d'une minute d'arc (ce qui correspond à la limite de résolution de l'œil)". On notera qu'une minute d'arc est la valeur de séparation entre deux cônes de la rétine. Pour être plus clair, Grésolv est le grossissement minimum à adopter pour commencer à approcher le pouvoir séparateur instrumental. En pratique, pour pouvoir débusquer tous les détails, il faudra bien souvent utiliser des grossissements supérieurs.

- Gmoy : par convention, le grossissement moyen varie selon les auteurs entre D/2 et D/4. Il permet encore l'observation de la lune en entier. Il est d'un emploi universel en Deep-sky. Reconnaissons tout de même la confusion possible entre Gmoy et Gutil. Il est en effet tentant d'écrire : Gmoy = D et certains grands vulgarisateurs s'y sont laissés prendre.

- Gutil : O,7D <Gutil < 1,4D. Avec le grossissement utile, l'œil travaille dans de bonnes conditions. Il restera à l'observateur à sélectionner le grossissement effectif optimal en fonction de la turbulence du moment.

- Gmax : dans les meilleures conditions, le rapport qualité/grandissement de l'image télescopique semble atteint. Le grossissement maximum est un grossissement illusoire pour les très gros instruments. Dans les optiques de qualité faible à moyenne, l'image sera souvent empâtée, sombre et ne révèlera aucun détail supplémentaire, si ce n'est des artefacts. Les petits instruments contrastés et de qualité (typiquement des L60 à L130) utiliseront Gmax avec insolence, semblant narguer la turbulence.

- Et au-delà de Gmax ? Même un télescope parfait commence à donner des images empâtées. D'une part, la clarté de l'image devient insuffisante pour la perception des demi-tons planétaires (détails joviens et martiens). D'autre part, d'après Suiter, au-delà de G = 2,14D, les aberrations de l'œil prennent le dessus sur les défauts de rugosité des miroirs de l'instrument. Donc, tous ceux qui se vantent de pouvoir pousser leur instrument à G = 3D, voire 4D jugent en fait la qualité plus ou moins bonne de leur propre œil !

· Je vous livre également la formule facilement démontrable qui permet de déterminer mentalement la longueur focale d'un oculaire (f) à partir de la pupille de sortie instrumentale (p) :

f = (F /D).p

Exemple : quel oculaire faut-il pour obtenir une pupille de sortie de 5mm sur un télescope ouvert à F/D = 11 ?

On utilisera un oculaire de focale f = 11.5 = 55mm. Il sera donc obligatoirement au coulant 50,8. Quelle chance ! Télévue propose son 55Pl.

L'étagement idéal des grossissements

Bien sûr, celui qui possède très peu d'oculaires à la base pourra s'aider du graphique pour se constituer sa gamme. Mais bien souvent, les choses se font plus naturellement, au fil du temps: l'astronome voit défiler dans sa vie d'amateur plusieurs tubes optiques, échange ou vend certains oculaires, tout en conservant ses oculaires fétiches. Ainsi, sa gamme est plus ou moins décousue et il faudra parfois boucher les trous. Le véritable astrophotographe ne possède couramment qu'un seul oculaire en toute logique. Le débutant ou l'astronome généraliste opte souvent pour un set de 3 oculaires. A l'extrême, un observateur chevronné aura une panoplie proche de la dizaine. Qu'en pensent les auteurs reconnus ? P. Bourge préconise l'emploi de 4 oculaires bien étagés: cette solution paraît plutôt destinée aux petits instruments. Quant à Texereau, il préfère un étagement de 30 à 40X entre chaque oculaire aux alentours de Gutil pour un instrument dédié à la haute résolution. Ainsi, il propose la gamme suivante pour un T300 spécialisé en planétaire:

…200X / 242X / 273X / 323X / 375X / 429X / 500X / 600X, fin de chargeur !!

Ici, nous sommes déjà à 8 oculaires sans compter les grossissements plus faibles ! Est-ce bien raisonnable ? Avant de trancher, attardons nous, si vous le voulez bien, sur mon propre cas. Si vous lisez les fiches CROA ou le contenu du 2ème volet (ASTRO-SURF n°11 p19), vous commencez à être familiarisé avec ma collection d'oculaires dont les grossissements correspondants sont repris dans le graphique. Commençons par cette anecdote pas si ancienne que cela. Un ami astronome, pourtant rompu aux observations de toute sorte, m'avouait, dubitatif, en contemplant ma valise de rangement: "Mais tu n'as tout de même pas un peu trop d'oculaires ?" Je possédais à l'époque 10 "loupes" sans compter l'oculaire réticulé. Aujourd'hui, j'en possède 12 avec le tout dernier Nagler Zoom 3-6mm. A noter que je n'emploie ni Barlow, ni réducteur de focale, n'étant pas très chaud à l'ajout de lentilles supplémentaires dans le train optique. Et bien, je puis vous assurer, ami lecteur, que j'utilise tous mes oculaires avec le tube C14. Même si, dans les grossissements extrêmes, le Pl55 et le Nagler Zoom 3-6 ne prennent pas souvent l'air. Sur le graphique, notez plutôt l'étalement correct des grossissements de 40 à 60X entre chaque oculaire. En pratique, cette "plage intra-focale", chère à Texereau, s'avère idéale. En effet, si l'on réduit cette plage, on ne sentira plus la différence à l'oculaire. En fait, si l'on s'en tient à ces intervalles de 50X, on pourra se jouer des caprices de la turbulence (un lien peut être fait avec l'article "estimation visuelle de la turbulence et choix du grossissement optimal" paru dans ASTRO-SURF n°8 p.14) et s'approcher au mieux du grossissement effectif surtout si le ciel est stable. Bien entendu, si votre site est très souvent turbulent, disons t>0,6", toute l'année (ce qui est rare), il faudra revoir à la baisse le nombre d'oculaires. Il en va de même si vous possédez un instrument de piètre qualité. Il sera alors inutile d'étaler au-delà de Gutil. A ce propos, la fréquence d'emploi de vos oculaires les plus "courts" est un indice fiable sur la qualité de votre instrument. Voyez sur ces exemples: avec mon ancien tube C11 de qualité optique fort modeste (autour de l/4 sur l'onde en sortie si ce n'est moins), je m'estimais heureux lorsque je sortais mon 14UWA et les oculaires autour de f=10mm restaient sagement dans leur boîte et cela tout au long de l'année. Avec l'arrivée du grand frère (tube C14) de qualité optique double (autour de l/8 sur l'onde en sortie), les choses se sont nettement améliorées: j'emploie indifféremment les oculaires de courte comme de longue focale presque toute l'année. Ainsi, il a fallu que je revoie ma gamme de grossissements forts et tant qu'à faire, utilisez dans ce cas des oculaires à fort contraste sans toutefois trop négliger le champ, deep-sky oblige: les Pentax et Televue Radian semblent être ici un bon choix.

La qualité des oculaires suivant leur type

Loin de moi la prétention d'avoir essayer tous les oculaires du marché, je vais plutôt tenter de noter ceux que j'ai vraiment possédés ou testés à l'occasion par ordre de focale décroissante. Les plus anciens ont une vingtaine d'années. Les remarques ci-dessous sont plus des considérations que de véritables tests. Pour les 25 oculaires suivants, lorsque le coulant n'est pas indiqué, on a affaire au coulant américain (31,7).

- TELEVUE PL55 (coulant 50,8)…Très bien corrigé mais impression bizarre de regarder dans un tunnel !

- TELEVUE PAN35 (50,8)…Excellente transmission lumineuse. Bon contraste. La bête pèse 754g. Mon préféré.

- PERL ROYAL ER32 (pas vissant 36.6)…Bonnette caoutchoutée, un luxe pour l'époque! Curieux par son coulant. Muni d'une bague rallonge.

- CELESTRON ER28…Bague crénelée. Type de construction idéal dans cette focale.

-  TELEVUE PAN27 (50,8)…Même qualité que le PAN35. Taille idéale d'oculaire.

- CELESTRON PL26…Date des années 80 au corps argenté satiné et aux inscriptions gravées en orange. Excellente transmission lumineuse. Très bien corrigé et sans fantômes.

- MEADE SWA 24,5…Version première au corps surdimensionné. Depuis, une version plus compacte a vu le jour. Distorsion épouvantable sur newton ouvert à 5.

- TELEVUE NAG20 typeII (50,8)…Version colossale du Nag20 typeV. Poids supérieur au kilogramme (1060g). Un Nagler pur et dur: c'est-à-dire très bien corrigé mais distorsion en bord de champ et reflets parasites évidents (Cf. tab.). Besoin d'un rééquilibrage de votre instrument ?!

- MEADE SWA 18…Une très bonne acquisition.

- TELEVUE NAG16 typeII (double coulant)…Cf. Nag12 typeII.

- MEADE UWA 14 (Double coulant)…Quelle belle copie du Nag13 typeI ! 84° de champ apparent, 8 lentilles, 677g. Très bonne préhension (bague crénelée). Très confortable. Une petite pointe de chromatisme sur le bord (image un peu chaude sur la Lune). Son plaisir d'utilisation explique sa profusion dans les clubs américains.

- TELEVUE NAG12 typeII (double coulant)…idem en correction que le MEADE UWA14. Images fantômes constituées de reflets nets et de taches plus diffuses.

- CELESTRON PL10…Des années 80. Corps satiné gris. Petite lentille d'œil.

- BAADER PLE10…C'est un Plössl modifié à 5 lentilles. Œillère caoutchoutée. Le gain avec le PL10 n'était pas transcendant.

- PERL VIXEN Lanthanum LV10…Excellente transmission lumineuse. Confortable.

- PENTAX XL10,5…Excellente transmission lumineuse (fait jeu égal avec le LV10). Les traitements multi-couches sont vraiment à la hauteur. Image neutre. Confortable (bonnette vissable). A cause de la largeur de son corps, attention de ne pas le glisser directement dans un renvoi coudé au coulant 50,8! Très bon rapport qualité/prix.

- ZEISS OR Abbe 10…Transmission lumineuse inégalée (testée de jour dans un magasin parisien par rapport au LV10). Excellent rendu des couleurs. Oculaire typiquement planétaire. Pourtant, il ne possède pas de filetage arrière pour filtres. Occasion rare.

- TELEVUE NAG9 typeVI…Nettement plus compact que le Nag9 typeI à double coulant. Reflets parasites discrets sous forme de quelques taches diffuses.

- MEADE UWA 8,8 (double coulant)…Un clone du Nag 9 typeI. 84°, 8 lentilles, 400g. Lentille d'œil impressionnante par rapport aux autres types de construction de l'époque. Confortable. Léger chromatisme en bord de champ. Distorsion visible sur instrument ouvert.

- TELEVUE RAD8…Bonne transmission lumineuse. Un seul reflet fantôme concentré mais peu gênant. Bonnette mobile réglable mais trop souple (système Instadjust à revoir) nuisant à un confort optimal. Mais il n'y avait pas de Pentax 8 !!

-  MEADE OR7…Vétuste. Lentille d'œil très petite. Trop faible relief d'œil. Peu confortable. Sur le marché d'occasion.

- TELEVUE NAG7 typeI…Transmission lumineuse un peu en retrait. Version au corps lisse sans bague crénelée.

- PENTAX XL7…Meilleure transmission lumineuse que le Nag7. Cf. XL10.5. Pentax reste un excellent choix dans les courtes focales. Reflets parasites plus nombreux que dans le cas du XL10,5: constitué d'un reflet fantôme net et de taches plus ou moins étalées et brillantes.

- MEADE UWA 4,7…Notez la subtile différence de focale avec son concurrent de l'époque, le Nag4,8 typeI ! Il n'est dons pas étonnant que l'on retrouve les mêmes avantages et défauts entre les UWA et les NAGLER d'ancienne génération (Cf. tab. entre le Nag16 et l'UWA14).

- TELEVUE NAG. ZOOM 3-6…Enfin un oculaire zoom de qualité. Bonne conception mécanique: système click-stop tous les mm de focale, ferme et fiable. Conservation du champ apparent de 50°. Quatre oculaires en un ! C'est la bonne surprise du tableau ci-contre.

NOTE: les 5 oculaires aux alentours de f =10mm sont listés ci-dessus par ordre de qualité croissante.

Pour conclure, remarquez que la qualité a bien évolué, les prix aussi. Plus personne ne joue avec les Huygens, Ramsden et même Kellner . Pourtant, au milieu de tous les oculaires décrits précédemment, les gains en contraste sont souvent très subtils et bien malin, celui qui peut affirmer haut et fort la supériorité de l'un par rapport à l'autre sur le terrain (sur des détails planétaires par exemple). Pourquoi ? Parce que le test n'est rarement effectué sur des tubes optiques haut de gamme -type réfracteur apo- au rapport de Strehl supérieur à 0,95. Et donc, dans un premier temps, ce sera bien souvent l'instrument principal qui limitera la qualité d'image produite par vos oculaires tous parfaitement corrigés. Dans un second temps, les gains de contraste "inter" oculaires seront vite brouillés par les effets de la turbulence atmosphérique. Fréquemment, cette dernière impose comme limite sage un grossissement de 300X et cela, quelque soit le diamètre instrumental supérieur à 150mm. Sur ces dires, on peut donc espérer faire le test d'oculaires avec de bonnes chances de résultats à travers une L100 apo au rapport F/D si possible assez long puisque cet instrument possède un bon rendement face aux effets de l'agitation atmosphérique. Enfin, il faudra effectuer les tests avec un œil normal ou connaître exactement ses propres défauts visuels pour pouvoir formuler un jugement honnête sur la qualité des oculaires. Quoi qu'il en soit, l'amateur fera ce qu'il peut avec la qualité de son site, de son instrument, de son œil et de ses oculaires. Et c'est plutôt la fréquence des observations sur le terrain qui fera la différence. Mieux vaut sortir cent fois équipé d'un vieux Plössl que dix fois avec le tout dernier Pentax ! Aussi, je finirai par ce maître mot: OBSERVER.

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