Mercredi 5 février : Ascension de l'Ojos del Salado => retour à la lagune Verde - 

Je me réveille à 3h15 du matin, un quart d'heure avant le groupe. A travers la toile de tente, j'entrevois une lueur et je me dis que c'est la Lune. Cela voudrait dire que je n'ai quasiment pas dormi puisqu'elle était visible hier soir !? Après vérification en passant la tête par la l'ouverture de la tente, je constate que ce n'est pas la Lune mais Jupiter qui est sur le point de se coucher. Donc on est bien le matin... Et Jupiter est brillante comme jamais ! (en même temps à 5800m d'altitude, le ciel est supra-transparent).

Je m'extrait donc du sac de couchage, motivé par ce ciel étoilé comme jamais qui m'attend là dehors. Ni le froid ni la fatigue ne me feront rester dans la chaleur de mon duvet. Dans la tente, il fait +2°C, dehors -5°C avec un peu de vent. J'enfile un pull, des grosses chaussettes, les chaussures de montagnes, le bonnet, les gants et je file chercher l'appareil photo resté dehors sur son trépied depuis hier soir, près des pénitents. La batterie de l'appareil est totalement déchargée mais je constate en mettant une batterie neuve que l'appareil a pris plus de 200 photos cette nuit.... Un beau time lapse en perspective ! Je profite du paysage nocturne pour faire une photo belle panoramique 360° du ciel et des montagnes. Mais je n'ai pas tout mon temps...


Panorama 360° réalisé à 4h du matin à proximité du refuge Tejos. L'image du haut regarde vers le Sud et montre l'arche laiteuse de la Voie Lactée et le Grand nuage de Magellan au-dessus de l'Ojos del Salado. L'image du bas, prise dans la direction opposée, montre la lumière zodiacale et l'airglow orange qui occupe tout l'horizon Nord. Le sol, composé de fines poussières de pierre ponce, est éclairé par la seule lumière des étoiles. A l'oeil nu, la lueur orangée (airglow = luminescence de la haute atmosphère, vers 80 km d'altitude) est totalement invisible.


A gauche, le ciel du matin ! A droite, à partir des photos panoramiques précédentes, j'ai créé une "mini planète" montrant le sol, l'Ojos del Salado et le ciel étoilé au-dessus de lui...



Voici quelques photos réalisées au cours de la nuit. Le soir, le paysage est tout d'abord éclairé par la Lune. On se croirait presque en plein jour, à ceci près que les étoiles sont visibles dans le ciel bleu ! Plus le temps avance et plus la Lune se rapproche de l'horizon, plon,geant très progressivement la paysage dans l'ombre : tout d'abord les pénitents au premier plan, puis le refuge situé à 500m de là, et enfin l'Ojos del Salado lui-même. Les deux dernières images sont des filés d'étoiles, ce sont des cumuls de plusieurs dizaines de poses et le résultat met en évidence la rotation de la sphère céleste autour de l'axe de la Terre (qui se matérialise par le pôle céleste austral au Chili)

A peine revenu au refuge avec mon trépied et le boîtier reflex, je m'aperçois que les autres sont également levés et déjà en train de préparer le petit déjeuner. Un petit-déjeuner pris au lance pierre, comme d'habitude avant une expédition, tout ce que je déteste. Cette nuit, Simon a mal dormi et s'est réveillé avec un léger mal de crane. En ce qui me concerne, j'ai très bien dormi, durant 5 heures avec une chaufferette chimique sur le ventre. Mmhhh c'était agréable !

Une fois le petit déj consommé, on termine de s'habiller pour la montagne. Il ne fait pas très froid mais il y a du vent. Je suis le dernier à enfiler mes chaussures et à être prêt.

Et c'est le départ, il est 4h10. Nous commençons à monter tout doucement le long du chemin, en file indienne. Chacun éclaire le sol avec sa lampe frontale, moi j'ai mis la filtre rouge sur la mienne car la lumière blanche me fait mal aux yeux. Déjà hier avec l'apparition de la tache floue scintillante dans mon œil droit, je n'étais pas très rassuré, et ce matin j'ai comme une hypersensibilité à la lumière...

La marche progresse lentement, nous passons devant le campement d'un groupe arrivé la veille au soir avec un véhicule 4x4 de compétition. Ils ne sont pas encore prêts lorsque nous passons à leur niveau. Nous marchons, marchons, marchons, le groupe est cohérent mais je trouve la vitesse un peu rapide. Est-ce vraiment nécessaire d'aller si vite ? Il fait toujours nuit, les étoiles resplendissent au-dessus de nos têtes. Vers l'Est, Vénus se lève derrière une cime et brille de tous ses feux. Le froid s'accentue avec l'altitude et le vent se lève un peu, fouettant le visage et la tête à travers le bonnet et la cagoule. Je mets la capuche de ma doudoune sur la tête pour rajouter une couche de protection. Au fur et à mesure de la montée, nous arrivons maintenant à des plaques de neige, le terrain étant jusque là constitué de sable et de petites pierres (pierre ponce issue des coulées de lave). Le groupe s'étire de plus en plus. La partie en amont s'éloigne tandis que moi, je ralentis le rythme. Passé 6000 m d'altitude, la difficulté à respirer devient sensible. Ce n'est pas exactement ce que j'ai ressenti au Licancabur car aujourd'hui mon acclimatation est meilleure et je peux faire des efforts prolongés sans ressentir cette sensation d'étouffement digne d'une noyade.

Maintenant la pente s'incurve insensiblement et les plaques de neige deviennent de plus en plus présentes. Derrière moi, Felipe, notre accompagnateur chilien, avance à mon rythme et ferme la marche. Au bout d'une heure, le groupe de tête marque une petite pause et lorsque les derniers les rejoignent (en l'occurrence moi), ils repartent aussi sec, sans me laisser le temps de souffler ! Du coup, je m'offre une pause de 3 à 4 minutes quand même, pour reprendre ma respiration et mes esprits.

La suite de l'avancée se complique. Je commence à me sentir nauséeux par moments et j'évite de trop penser à mon petit déjeuner, de crainte de tout rendre. J'ai l'impression d'avoir le ventre encore plein de tout ce que j'ai bu ce matin (j'ai absorbé beaucoup de liquide pour prévenir la déshydratation, peut-être un peu trop... Difficile de savoir quelle quantité boire pour arriver au juste équilibre). C'est comme si je n'arrivais pas à digérer ce que j'ai dans l'estomac. La pente devient un peu raide et marcher demande de plus en plus de souffle. Je suis contraint de faire des pauses plus nombreuses pour reprendre ma respiration. Ma tête tourne, j'ai la nausée (mais pas de migraine) et mon rythme cardiaque accélère dangereusement. Alors que je marche à 1 km/h, je dépasse les 170 pulsations/minute de plus en plus souvent, un peu comme si je faisais un jogging à fond la caisse. Au delà de ce rythme, mon cœur s'emballe et ses battements deviennent irréguliers. Je n'ai pas besoin de prendre mon pouls pour m'en rendre compte car mon palpitant résonne avec force dans ma poitrine et je le sens comme ça.

 
Dans la fraîcheur du matin, l'aube se lève à 6300m d'altitude sur les pentes de l'Ojos del Salado. A droite, vue plongeante vers mes chaussures !

Le groupe marque une pause après 1h45 de marche. On est alors à 6325 mètres d'altitude. Le moment est venu de fixer les crampons aux chaussures de marche. Je souffle un peu puis je retire les gants pour tenter de mettre mes crampons. Un peu en aval, j'aperçois Benoît qui décide d'abandonner et de faire demi-tour car il se sent mal (maux de tête, nausées, fatigue car il n'a quasi pas dormi depuis plusieurs nuit -au dessus de 4000m d'altitude !). Je m'aperçois que je n'ai plus la force de mettre mes crampons, pourtant essayés la veille ! Sont-ce mes doigts trop froids, ou n'ai je plus de force à ce point ? Toujours est-il que je me rends compte en me relevant que j'ai extrêmement mal au dos !

Mes lombaires me font mal, malgré les cachets anti-douleur et anti-inflamatoire que j'ai pris hier soir avant de me coucher. Je me suis fait mal au dos en portant le sac trop lourd hier dans la montée du refuge Atacama à Tejos. Le groupe commence déjà à repartir alors que moi je suis toujours accroupi en train de lutter pour mettre mes crampons.

Manu, notre guide étant déjà loin avec le groupe de tête, il reste Felipe qui commence à avancer sans me porter secours. Là, j'aurai bien aimé avoir un peu d'aide et je trouve que ce qui s'est passé est totalement injuste : Felipe a fait plusieurs fois l'ascension de l'Ojos del Salado (et la semaine dernière il a fait sa cinquantième ascension du Licancabur !) sans pour autant arriver jusqu'en haut (il était chargé de raccompagner au refuge les participants qui déclaraient forfait en cours d'ascension). Aujourd'hui, il a l'air plus motivé que jamais pour arriver au sommet. Et je l'ai bien compris car il part devant moi et me laisse derrière, à me débrouiller tout seul avec mes crampons et mes doigts gelés. Simon m'a dit plus tard qu'il est passé devant les autres en arrivant près du sommet alors qu'il aurait dû fermer la marche. Arhh ! Enfin, ça n'aurait pas changé grand chose. Je me rends compte que ce n'est pas la peine de continuer pour ensuite constater que ça ne va pas le faire et devoir redescendre de plus haut. La descente va être difficile et fatigante, et je ne veux pas tout donner dans la montée ; je dois garder des forces pour la descente aussi.


Au moment où j'abandonne le groupe, j'aperçois Felipe qui me salue de la main. Les autres continuent inoxérablement leur ascension vers le sommet.
Je réalise ce selfie à 6325 mètres d'altitude, où l'expression de mon visage traduit un mélange de panique et d'épuisement : je suis à bout !

Mentalement, je visualise un cadran avec plusieurs 'voyants' allumés dans le rouge : le cœur qui bat trop vite, la nausée qui est un signe du mal de l'altitude, le mal de dos, tout cela ajouté au rythme qui est trop rapide pour moi – je me demande à plusieurs reprises si les autres sont en train de faire une course ? - je décide donc de renoncer au sommet et de rebrousser chemin. Je vais rattraper Benoît et notre second accompagnateur Carlos qui le raccompagne. Enfin presque car je ne les rattraperai ; en fait, j'en profite un peu pour observer et photographier le paysage environnant durant ma descente. Je suis peut-être exténué mais j'ai encore la présence d'esprit de faire quelques photos...


Avant de redescendre, je me retourne une dernière fois vers la montagne : les copains sont déjà loins ! En aval, l'horizon est parfaitement dégagé. Le Soleil éclaire déjà les plus hautes cîmes alors que les vallées sont encore plongées dans la nuit. Avez-vous remarqué la courbure de l'horizon à cette altitude ?

Figurez-vous cher lecteur que toute cette aventure s'est déroulée de nuit. Au moment où je redescend, le soleil se lève tout juste et peint en rouge les cimes de montagnes voisines. Là où je suis, je ne vois pas encore l'astre du jour. Ma vision doit être perturbée car je vois un mélange saturé de couleurs rouge et orange sur les cimes éclairées, alors que la vraie couleur est plutôt ocre cendrée. Je prends mon temps pour descendre, je suis tout seul et je coupe par les plaques de neige, en ligne droite ; cela permet d'aller plus vite qu'à l'aller, c'est indéniable, et sans se fatiguer. Parfois je cours dans la neige en évitant les glissades dans la descente. Je passe à côté de quelques pénitents de glace que je n'avais pas vus à l'aller. Les pénitents de glace sont rares et sont spécifiques aux montagnes tropicales.



Le paysage pendant la descente

Je ne peux pas me perdre car tout au long de la descente, je vois le refuge Tejos, cette petite boîte de couleur rouge au milieu du décor monochrome. Je finis par arriver au refuge où je retrouve Benoît qui me propose une tisane. Carlos est dans sa tente et Neda, notre accompagnatrice stagiaire, n'est pas sortie de sa tente depuis hier car elle est malade à cause de l'altitude. Comme ma tente est toujours montée, je me glisse à l'intérieur pour profiter de la chaleur apportée par le soleil. Je rentre tout habillé dans le sac de couchage et je dors deux heures ! Carlos propose de repartir pour le campement Atacama lorsque je me réveille (il est autour de 9h). Je laisse le soin aux autres de replier la tente car j'ai trop mal au dos. Je fais mon sac à dos et après un nouveau bol de tisane bien chaude, nous voilà repartis à pied, Benoît et moi. En chemin nous croisons Philippe qui était resté au camp Atacama, à 5300m, suite à ses désagréments de la veille. Il a l'air lui aussi plus motivé que jamais et va monter partiellement sur les pentes de l'Ojos à son rythme, pour battre son record personnel d'altitude. Nous parcourons les 4 km qui nous séparent du refuge Atacama en une heure, où Claudio notre chauffeur nous attend patiemment, imperturbable sous le soleil. Carlos et Neda arriveront plus tard, Neda s'étant perdue dans la descente – on voit bien qu'elle ne va pas bien car sa démarche oscille autour du chemin !


La suite de la descente du camp Tejos vers la camp Atacama. En chemon nous croisons Philippe qui, remis de ses désagréments dus à l'altitude, monte à l'Ojos pour battre son record personnel d'altitude

Une fois à Atacama, nous prenons le 4x4 qui contient tous nos bagages et nous faisons la route jusqu'à la Laguna Verde où nous monterons une dernière fois le camp ce soir (1h de route / 30km).


Le 4X4 est plein de nos bagages ! Nous allons partir vers la Laguna Verde

Là nous prenons nos tentes, nos sacs et nous installons en attendant les autres. En effet, Claudio, repart avec le 4x4 au refuge Atacama pour attendre les valeureux vainqueurs de l'Ojos.
A ce propos, voici les images de Simon qui a réussi l'ascension :


Les images du sommet de l'Ojos del Salado. La vue est splendide de là-haut. En contrebas, on aperçoit la trace dans la neige. La marche se fait à 0,5 km/h. En bas, la photo montre le passage difficile où il faut s'encorder... à presque 7000m d'altitude !!! Photos (C) Simon Fabre



D'un côté le Chili, de l'autre l'Argentine ! Photo panoramique géante réalisée depuis le sommet de l'Ojos del Salado. Le panorama découpé en deux morceaux plus petits montre davantage de détails. En bas, le refuge Atacama que l'on devine à peine, des lagunes colorées, des coulées de lave très anciennes, etc. Photos (C) Simon Fabre

Benoît et moi sommes les seuls au campement de la laguna Verde jusqu'à 18h. Nous en profitons pour préparer nos sacs de voyage pour demain et prendre un bain dans la source chaude de la lagune.

Nous retrouvons la belle Laguna Verde et ses piscines d'eau chaude


Je retrouve la tente et mon matériel astgro : trépied, panneau solaire, monture Ioptron...

Les autres finissent par arriver, fourbus mais heureux, ils sont tous réussis à atteindre le sommet. Félicitations à eux ! Salis par l'effort et la poussière, ils prennent à leur tour un bain dans la source chaude et descendent trois bouteilles de Pisco Sour (Eh bien, ils veulent noyer ça dans l'alcool !!). Ce soir, je fais le trombinoscope du groupe au moment de l'apéro, juste avant le bain : les visages fatigués, sales et ridés... Quel souvenir !



Les gars, vous avez l'air fourbus !


Et maintenant un bain bien mérité après une dure journée en montagne ! Manu tu es un chef !


Je ne sais plus qui a fait cette photo du groupe mais je la publie, elle a été prise peu après le retour de l'Ojos del Salado ! De gauche à droite : Manu notre guide, Frédéric, Pascal n°1, Jeff, Philippe, Simon, Pascal n°2, Jean-Marc, André, Benoît, Pascal n°3 et Christian



Repas sous tente puis observation (pour moi) des nuages d'orage qui occupent toute la partie Est du ciel. Depuis l'ouverture de la tente, je fais quelques photos des éclairs illuminant les nuages.
La Lune, presque au premier quartier, se reflète dans l'eau de la Laguna Verde.


Durant la soirée, un énorme nuage d'orage se forme non-loin de notre campement


Le nuage d'orage est éclairé par la lumière de la Lune. Quelques éclairs sont visibles mais nous n'entendons pas le tonnerre

Page précédente - Page suivante