La formule de Tsiolkovsky


Konstantin Tsiolkovsky (1857-1935) était professeur de mathématiques à Kalouga (150 km au sud-ouest de Moscou). Il est le premier à s'intéresser à la conquête de l'espace et va établir les bases de la théorie des fusées dès la fin du 19ème siècle. En 1896, il débute la rédaction de « L'exploration de l'espace cosmique par des engins à réaction » qui ne sera publié qu'en 1903 (un siècle déjà!). Dans cet ouvrage il décrit un vaisseau spatial propulsé par un moteur-fusée (moteur à réaction capable de fonctionner dans le vide) alimenté par de l'oxygène et de l'hydrogène liquides où le pilote prend place à l'avant avec une réserve d'oxygène dans une cabine préssurisée, et établit pour la première fois les lois du mouvement pour un corps de masse variable au moyen d'une formule qui prendra son nom.

Dans une seconde édition publiée en 1914, il apporte des améliorations significatives à son projet de fusée en la dotant d'une centrale gyroscopique et d'un système de stabilisation par déviateur de jet. Il propose l'utilisation de nouveaux ergols comme les hydrocarbures et imagine même l'utilisation d'un moteur atomique fonctionnant par désintégration du radium.


Généralités

La démonstration de la formule de Tsiolkovsky ou formule de la vitesse finale, sans tenir compte ni de la pesanteur ni de la résistance de l'air, est élémentaire. Cette formule est d'une importance capitale car elle permet le dimensionnement préliminaire de tout système de transport spatial.

Sur l'intervalle de temps, on écrit la conservation de la quantité de mouvement qui se traduit par l'égalité entre la quantité de mouvement du gaz éjecté par le moteur-fusée et l'accroissement de la quantité de mouvement du corps de la fusée :

[1]

où de est le débit de gaz exprimé en kg/s, ve la vitesse d'éjection du gaz exprimée en m/s, M la masse de la fusée sur l'intervalle dt exprimée en kg, et dv l'accroissement de vitesse sur l'intervalle dt.

L'équation [1] peut se réécrire sous la forme de la relation fondamentale de la dynamique (2ème loi du mouvement de Newton) :

[2]

où le terme représente la poussée F exprimée en Newtons et l'accélération de la fusée exprimée en m/s².

Si l'on suppose que le débit de gaz de est constant sur la durée totale de combustion Tc, nous pouvons écrire la masse M de la façon suivante :

[3]

La masse finale étant alors égale à :

[4]

Il vient en reportant [3] dans [1] :

[5]

qu'il reste à intégrer entre 0 et Tc pour obtenir l'accroissement de vitesse ΔV :

[6]

Le changement de variable associé à l'équation [4] permet d'écrire immédiatement :

[7]

D'où l'expression de la vitesse finale d'une fusée dans l'espace sans pesanteur ou formule de Tsiolkovsky :

[8]

En pratique, un moteur est caractérisé par son impulsion spécifique Isp qui est la durée, exprimée en secondes, pendant laquelle le moteur fournit un kilogramme de poussée avec un kilogramme de propergol. Plus cette durée est importante et plus le moteur est performant.

L'impulsion spécifique est reliée à la vitesse d'éjection dans le cas d'un moteur-fusée par la formule :

[9]

où g0 est l'accélération de la pesanteur et prend la valeur approchée de 9,81 m/s².

La formule de Tsiolkovsky s'écrit alors :

[10]

Cette formule suppose que l'impulsion spécifique du moteur est constante, ce qui n'est pas le cas puisqu'un moteur-fusée est plus performant dans le vide qu'à la pression atmosphérique. Elle ne tient pas compte non plus du champ de pesanteur terrestre (pertes dues à la gravité) ni de la résistance de l'air (pertes dues à la traînée).

La différence entre la masse initiale et la masse finale représente la quantité d'ergols (carburant plus comburant) utilisée. La technologie disponible limite cette différence : la masse d'une structure (étage propulsif sans charge utile ni propergol ou masse sèche) non réutilisable peut être estimée à 6% au minimum de la masse totale dans le cas du couple RP-LOX (kérosène-oxygène liquide) et à 9% au minimum de la masse totale dans le cas du couple LH2-LOX (hydogène liquide-oxygène liquide) à cause de la faible densité de l'hydrogène ; pour information, la masse de la structure plus la charge utile du Concorde représente 50% de la masse totale au décollage. On appelle le rapport entre la masse sèche et la masse totale avec propergol l'indice de structure.

Le tableau suivant donne l'impulsion spécifique dans le vide pour les principales technologies (carburant–comburant) de moteur-fusée (valeurs correspondant aux meilleurs moteurs actuels) :


Type

Isp (s)

Commentaires

Aluminium-Perchlorate d'ammonium

270 

propergol solide pour propulseurs d'appoint utilisé sur Shuttle, Ariane V

UDMH-Peroxyde d'azote

290 

propergol liquide utilisé sur Ariane I à IV

UDMH -Oxygène liquide
(UDMH-LOX)

310 

propergol liquide utilisé sur Proton

Kérosène-Oxygène liquide
(RP-LOX)

330(1) 

propergol liquide utilisé sur Atlas, Delta, Soyouz , Proton, Zénith

Hydrogène liquide-Oxygène liquide
(LH2-LOX)

450(2) 

propergol liquide utilisé sur Shuttle, Ariane V

  1. réduction de 10% à la pression atmosphérique

  2. réduction de 20% à la pression atmosphérique

Tableau 1 – Performances des moteurs actuels


Pour placer un vaisseau spatial en orbite circulaire terrestre à 200 km d'altitude il faut atteindre la vitesse de 7800 m/s. En pratique, l'accroissement de vitesse effectif ΔV à communiquer au véhicule spatial doit être supérieur à la vitesse de satellisation de 1700 m/s environ pour compenser les pertes liées à la gravité et à la traînée et la capacité du lanceur doit donc être de 9500 m/s environ. La trajectoire de lancement est calculée de façon à minimiser ces pertes et résulte d'un compromis : en effet, un lancement vertical minimise les pertes par trainée mais maximalise les pertes par gravité tandis qu'un lancement horizontal minimise les pertes par gravité mais maximalise les pertes par trainée.


Lanceurs monoétage

A partir de la formule [10] et du tableau précédent, nous obtenons directement pour un accroissement de vitesse ΔV de 9500 m/s les rapports de masse Mfinale/Minitiale suivants dans le cas d'un lancement avec un véhicule à un seul étage (SSTO pour Single Stage To Orbit) pour les couples RP–LOX et LH2-LOX :


Ergols

Indice de structure maximal

RP-LOX

5,30%

LH2-LOX

11,50%

Tableau 2 – Indice de structure maximal pour un lanceur monoétage


Les rapports de masse calculés représentent la masse relative de la structure sèche par rapport à la masse totale. L'utilisation du kérosène et de l'oxygène liquide ne permet donc pas le lancement avec un étage unique puisque la technologie actuelle impose un indice de structure supérieur à 6% avec ces ergols. L'utilisation de l'hydrogène et de l'oxygène liquides permet le lancement avec un étage unique mais la charge utile ne peut dépasser 2% de la masse totale puisque la technologie actuelle impose un indice de structure supérieur à 9% avec ces ergols.

Quant à réaliser un lanceur monoétage récupérable, c'est une autre histoire : il me semble d'ailleurs que tous les projets correspondants ont désormais été abandonnés. La solution à ce problème difficile réside sans doute dans la mise au point d'un moteur-fusée à hydrogène capable d'utiliser l'oxygène de l'air dans la première partie du vol de façon à augmenter considérablement l'impulsion spécifique dans cette première phase du lancement.

Les difficultés soulevées par le lancement avec un véhicule monoétage sont telles que l'utilisation d'un lanceur à plusieurs étages est encore aujourd'hui incontournable. Pour information, le premier Spoutnik a été mis en orbite avec un lanceur biétage.


Lanceurs biétage

La formule de l'accroissement de vitesse dans le cas d'un lanceur biétage peut s'écrire façon immédiate à partir de la formule [10] :

[11]

avec :

[12]

où :

L'analyse effectuée par la suite porte sur 2 paramètres :

Les indices de structures utilisés sont les suivants :

Les accroissements de vitesse effectifs ont été estimés à l'aide de la formule [11] en fonction de la masse relative de la charge utile et de la masse relative du deuxième étage pour les 3 assemblages suivants :





Tout d'abord, nous pouvons remarquer que dans tous les cas la combinaison optimale est un deuxième étage 4 à 5 fois moins massif que le premier étage : ainsi sur la Saturn V à 2 étages utilisée pour le lancement de Skylab, le premier étage présentait une masse de 2286 t tandis que le deuxième étage affichait 491 t.

Deuxièmement, un lanceur à 2 étages RP+LOX peut emporter en orbite basse (ΔV de 9500 m/s) une charge utile approximativement égale à 3% de sa masse totale : le lanceur Zénith de 460 t peut effectivement emporter 13,7 t en orbite basse soit 3% de sa masse totale au décollage.

Troisièmement, un lanceur à premier étage RP+LOX et à deuxième étage LH2+LOX peut emporter en orbite basse une charge utile approximativement égale à 5% de sa masse totale : la Saturn V à 2 étages de 2916 t pouvait emporter 116 t en orbite basse soit 4% de sa masse totale au décollage. L'écart s'explique par la moindre performance (il y a 30 ans!) des moteurs de la Saturn V (Isp de 300 s pour le premier étage et de 425 s pour le deuxième étage) par rapport aux performances annoncées tableau 1 pour les moteurs actuels : dans ce cas le calcul de ΔV montre qu'un lanceur de ce type peut emporter en orbite basse une charge utile approximativement égale à 4% de sa masse totale (cqfd!).

Pour finir, un lanceur à 2 étages LH2+LOX pourrait emporter en orbite basse une charge utile approximativement égale à 6% de sa masse totale. Le gain par rapport au cas précédent est d'autant plus modeste que l'hydrogène est un carburant difficile à mettre en œuvre : cette architecture n'a d'ailleurs à ma connaissance jamais été utilisée.

Évidemment, tous ces calculs relèvent de « l'ingénierie du dimanche », néanmoins les ordres de grandeur tiennent la route et rendent compte correctement de cas réels.



le 01 janvier 2004


Bibliographie :

[R1] L'astronautique soviétique, Christian Lardier, Armand Colin, 1992

[R2] Guide des lanceurs spatiaux, Sergueï Grichkov, Tessier & Ashpool, 1992

[R3] Le Grand Atlas Universalis de L'Espace, 1989