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Les accidents de la navette spatiale

L'accident de Columbia le 1 février 2003. Photographie prise au-dessus de Tyler au Texas. Document Washington Post.

La désintégration de Columbia le 1 février 2003. Photographie prise au-dessus de Tyler au Texas. Document Washington Post.

Le retour tragique de Columbia (I)

Le 1 février 2003 à 17h58 TU, la NASA annonçait que la navette spatiale Columbia et ses 7 membres d'équipage de la mission STS-107 avaient disparu en vol à quelques dizaines de kilomètres d'altitude, juste avant que les astronautes ne reprennent les commandes manuelles pour atterrir à Cap Canaveral en Floride.

Que s'était-il passé ? Depuis l'accident de Challenger que nous décrirons page suivante, la navette spatiale avait été minuteusement inspectée. Un astronaute israélien faisant partie de l'équipage de Columbia, la sécurité avait même été renforcée au point de faire voler la navette à une altitude supérieure, hors de portée des missiles.

Une seule chose est sûre. Porter un vaisseau habité pesant jusqu'à 2041 tonnes en orbite propulsé à 28000 km/h sera toujours une prouesse technologique et ce genre de mission comportera toujours des risques. Les astronautes le savent et connaissent les risques de leur métier; un métier qui peut être exhaltant et qui continuera à faire rêver bon nombres d'entre nous, mais c'est également un métier où les équipages comptent parmi le plus grand nombre de pilotes d'essais.

Ils n'en gardent pas moins la tête froide et la plupart de ces ingénieurs de haut niveau ont charge de famille et ne risqueraient pas leur vie au dépend de ceux qu'ils aiment. Il a donc fallu un concours de circonstances extraordinaires pour provoquer la chute de Columbia.

Le vol transsonique

Un vol à grande vitesse soumet la navette spatiale comme tout autre avion, fusée ou sonde spatiale à des contraintes aérodynamiques et thermiques très sévères. Ainsi, au cours de son ascension, à mesure que la vitesse de la navette approche de Mach 1 soit ~1235 km/h (qui n'est pas réellement une vitesse au sens propre car elle varie en fonction du carré de la température) le profil de l'onde de choc qui se manifeste suite à la compression de l'air transforme l’écoulement subsonique en écoulement transsonique.

L'onde de choc se déplace vers les bords de fuite et augmente d'intensité. Elle peut également apparaître sur l'intrados et influencer négativement la portance et la traînée. Lorsque l'énergie cinétique du vaisseau par unité de masse d'air est maximale, on atteint ce qu'on appelle le "Max Q". Lors du décollage de la navette spatiale ou d'une fusée, ce point se situe vers 10 ou 12 km d'altitude pour une vitesse d'au moins 1600 km/h. Durant cette période de transition le Cx est supérieur à ce qu'il sera durant la phase de vol supersonique !

Comme on peut le constater sur l'image présentée ci-dessous à gauche, l'onde de choc sur l'extrados accroît considérablement la traînée de la navette et peut faire chuter sa portance. La compression de l'air sur l'aile a également tendance à la chauffer. A Mach 2 l'extrados atteint 120°C mais s'élève déjà à 334°C à Mach 3.

A lire : Space Shuttle Max Q

Ci-dessus à gauche, tout autant que la rentrée atmosphérique, l'ascension et le vol subsonique sont des phases critiques du vol de la navette spatiale. Avec ses 2041 tonnes (maximum) la navette est à la limite du décrochage et de la résistance. A gauche, la navette spatiale Atlantis au maximum de sa charge aérodynamique ou "Max Q". Il s'agit de la mission STS-112 le 7 octobre 2002. Il s'agit d'un document très rare, ce phénomène n'ayant été photographié que deux fois sur la navette, la première fois sur Endeavour au cours de la mission STS-99. A droite, simulation des effets thermodynamiques sur la navette spatiale au moment de l'envol. Ci-dessous à gauche, à titre de comparaison, un autre document rare, la trace transsonique de la fusée Saturn V au cours du décollage de la mission Apollo 11 le 16 juillet 1969 (80 secondes après le décollage, altitude 12.5 km, vitesse 1600 km/h, 5G). A droite, la trace transsonique d'un B-1B. Notez l'extension du profil d'ondes qui entraîne de fortes contraintes sur les ailes qui, rappelons-le, contiennent le carburant des avions. Voici le même effet sur un F-18 et un B2. Enfin à titre de comparaison, un stall sur un chasseur Tornado en pleine ascension. Documents NASA, NASA/AILS, NASA et Gregg Stansbery/Airliners.

En plus du problème aérodynamique vient se greffer un problème de résistance des matériaux qui doivent garder leurs propriétés (résistance, élasticité, etc) jusqu'à des températures atteignant localement 1800°C. L'air dans la cabine de pilotage doit également être refroidi pour le confort des astronautes ce qui engendre une dépense supplémentaire d'énergie. La situation est encore plus sévère lors de la rentrée atmosphérique.

La rentrée atmosphérique

Rappelons brièvement comment se déroule la rentrée atmosphérique. Durant cette phase de la mission, la navette spatiale effectue un vol plané supersonique et aborde l'atmosphère sous un angle d'environ 40° lui présentant son bouclier thermique. Quelques instants plus tard la navette se redresse et adopte une inclinaison précise de 3° au risque de rebondir sur les couches denses de l'atmosphère ou au contraire d'y pénétrer trop rapidement et d'y brûler. Durant cette phase critique, la rentrée s'effectue sous pilote automatique et la structure de la navette se trouve à la limite de ses capacités.

Photo de la partie ventrale du nez de la navette spatiale Discovery prise par l'astronaute Stephen K. Robinson, spécialiste de la mission STS-114, lors de la troisième EVA de la mission le 3 août 2005. Document S.K. Robinson/NASA.

Sur le plan technique, en pénétrant dans les couches denses de l'atmosphère, passer de Mach 25 (30870 km/h) à un vol plané à 350 km/h crée un freinage aérodynamique intense qui provoque une friction très importante sur la navette, portant le nez, les bords d'attaques des ailes à 1650°C et les jointures des ailerons des ailes à 1800°C (cf. ce schéma).

La chaleur est le pire ennemi de la navette. A l'image des avions, pour alléger sa structure celle-ci est principalement constituée d'aluminium qui ne peut tout simplement pas supporter une telle température sans subir de dégâts.

Pour éviter toute déformation, l'aluminium de la navette spatiale doit être maintenu en dessous de 180°C quelle que soit la phase vol. L'aluminium fond à 660°C et peut même s'enflammer.

Il fallait donc trouver un autre moyen pour protéger les astronautes et l'avionique de la navette spatiale. L'idée fut de l'envelopper de matériaux hautement résistants : c'est le rôle du système de protection thermique ou TPS, dont le "bouclier termique" fait partie.

Dans le cas de la navette spatiale, mais également des capsules Apollo, le meilleur moyen d'évacuer la chaleur engendrée par la compression de l'air durant la rentrée atmosphérique supersonique a été d'utiliser un matériau isolant plutôt qu'ablatif.

En effet, un isolant renvoie la chaleur ou plutôt le flux de chaleur (l'énergie d'une surface) par rayonnement tandis qu'un matériau ablatif absorbe la chaleur en se décomposant, entraînant une perte de substance par effet chimique ou mécanique. Son efficacité est donc limitée dans le temps. Autrement dit, en essayant de l'utiliser plus d'une fois, on risque que tout parte en fumée...

Le bouclier thermique ablatif fut utilisé sur les capsules spatiales Apollo et Soyouz ainsi que sur les landers des sondes spatiales visitant Vénus et Mars.

La navette spatiale devant être réutilisable, il était exclu que les ingénieurs utilisent une protection ablative. Il fallait donc trouver une protection thermique isolante réutilisable, c'est-à-dire résistante à la fois à la chaleur et à l'abrasion par frottement, effet cinétique ou mécanique (choc).

Il fallait donc trouver un matériau qui soit à la fois léger, isolant, réfractaire, résistant à la chaleur et capable de résister à l'usure durant des dizaines de missions spatiales et donc autant de rentrées atmosphériques, c'est-à-dire pendant un temps cumulé d'exposition à la chaleur d'une dizaine d'heures sinon davantage. Réutilisable signifiait également qu'il fallait gérer le risque de perdre quelques tuiles mal fixées ou endommagées et de devoir immobiliser la navette pour les remplacer.

Tel était le cahier des charges que demandait la NASA à Lockheed Martin.

A lire : Aerodynamics and Flight Dynamics (PDF), NASA/JSC

A gauche, aspect de la navette lors de la rentrée dans l'atmosphère, environ une demi-heure avant l'atterrissage. Lorsque la navette pénètre dans les couches plus denses, les flammes dépassent le cockpit et le nez ainsi que le bord d'attaque des ailes atteignent une température de 1650°C. Les tuiles placées sur la face inférieure de l'aile sont toutefois capables de résister (en laboratoire) à la température d'un plasma porté à 10000°C. Ce dessin fut réalisé en 1975. A droite, un exemplaire de l'une des 24300 tuiles en céramique qui la protège. Imaginez-la comme de la craie ou de la frigolite couverte d'une couche de verre réfractaire : c'est très léger, très fragile mais thermiquement très résistant. Documents NASA.

Le choix des tuiles du système de protection thermique

Fort de leur longue expérience dans les domaines aéronautique et spatial, du fait que l'Orbiter était habité et réutilisable, les ingénieurs de Lockheed ont imaginé un système de protection thermique (TPS) et non thermique (non TPS) enveloppant toute la navette spatiale et pas seulement un bouclier thermique sur sa face ventrale.

En théorie, le principal critère de sélection de l'un ou l'autre type de tuiles était leur capacité à gérer la chaleur dans une zone donnée. Toutefois, dans certains cas, un type plus lourd fut utilisé si une résistance supplémentaire aux chocs était nécessaire. Soulignons que le revêtement FIB/AFRSI fut principalement adopté pour réduire la mainternance et non pour des raisons thermiques ou de poids.

Le TPS était constitué de plusieurs types de tuiles en fonction de leur localisation sur la surface de l'Orbiter et la quantité de chaleur qu'elles devaient supporter qui variait entre 371°C à hauteur des baies, 1200°C sur la face ventrale et atteignant 1650°C sur le nez, les bords d'attaques des ailes et de l'empennage.

Des tests en laboratoire ont montré que les tuiles les plus résistantes en céramique composite pouvaient supporter la chaleur d'un plasma de 10000°C. Lochkeed avait une solution.

Au total, sept types de tuiles dont deux de remplacement ont été fabriqués. Ces différentes tuiles présentent trois caractéristiques communes : elles sont réutilisables, légères et fragiles.

La majorité des tuiles couvrant la navette sont fabriquées en céramique de silice LI-900 (elle tire son nom de sa masse volumique de 9 lb/ft3 soit 0.144 kg/m3) comprenant 99.9% de fibre de verre pur - c'est du quartz - et 94% d'air par volume. Elle supporte une température de 1204°C et peut être plongée immédiatement dans l'eau froide sans subir de dommages. Ces tuiles ne sont pas vissées ou soudées mais collées sur la structure.

Voici la description des différents types de tuiles utilisées et l'endroit où elles furent appliquées sur la navette spatiale :

1. Tuiles TPS

- Pour la surface autour du nez et toute la face ventrale, on choisit une tuile réfractaire noire résistant à haute température (High-temperature Reusable Surface Insulation ou HRSI). Elle mesure 15x15 cm et, selon l'emplacement, entre 2.5 et 12.7 cm d'épaisseur. Elle offre une protection jusqu'à 1260°C. La tuile HRSI a été principalement conçu pour résister à la transition de température dans les zones extrêmes, passant du vide de l'espace à environ -270°C aux températures élevées de la rentrée atmosphérique où la coque de la navette est localement portée à 1650°C.

- Les tuiles HRSI endommagées furent remplacées par des tuiles FRCI plus résistantes contenant des fibres composites (Fibrous Refractory Composite Insulation) tandis que les tuiles endommagées près des moteurs cryogéniques (SSME) furent remplacées en 1996 par des tuiles TUFI (Toughened Uni-pice Fibrous Insulation) encore plus résistantes;

- Pour une partie de l'habitacle, certaines surfaces de la partie supérieure des ailes et dans les zones restantes peu exposées aux fortes chaleurs on choisit une tuile LRSI réfractaire en céramique blanche presque ordinaire (Low Temperature Reusable Surface Insulation). Elle est fabriquée de la même manière que la tuile HRSI mais elle est plus petite (20x20 cm) et est recouverte d'une protection à base de silice et d'oxyde d'aluminium. Elle offre une protection jusqu'à 649°C. Elle fut remplacée par une tuile moins coûteuse et plus facile à placer, la tuile AFRSI (Advanced Flexible Reusable Surface Insulation).

A lire : Space Shuttle Tile Engineering 45 (PDF), 2014

A gauche, les tuiles HRSI de la navette spatiale Atlantis (mission STS-117 en 2007) sous le fuselage avant, vers l'extrémité avant de l'aile gauche (la porte du train avant est visible en bas à gauche. L'objet blanc correspond à la porte ouverte de la soute). Les tuiles noires sont les nouvelles FRCI qui n'ont pas encore subit la rentrée atmosphérique. Au centre, les tuiles HRSI usagées et superficiellement brûlées de la navette Discovery exposée au Musée National de l'Air et de l'Espace du Smithsonian installé près de l'aéroport international de Dulles à Chantilly, en Virginie. A droite, pendant que la navette Endeavour était dockée à la station ISS, à l'aide du bras robotique et d'un boom de 15 m (OBSS) de la navette, l'équipage de la mission STS-118 photographia ces tuiles endommagées sur la face inférieure de la navette lors d'une inspection du bouclier thermique le 12 août 2007. Documents NASA, Pam et Richard et NASA.

2. Tuiles non TPS

- Pour le bord d'attaque des ailes, pour le nez et afin que les points d'attaches de l'Orbiter au réservoir externe supporte le choc de l'explosion lors de la séparation, on choisit une tuile grise en céramique à base de carbone et de carbone renforcé (Reinforced Carbon-Carbon ou RCC) imprégné de résine phénolique. Après durcissement à haute température dans un autoclave, le support stratifié est pyrolisé afin de transformer la résine en carbone pur. Celui-ci est ensuite été imprégné d'alcool furfural dans une chambre à vide, puis polymérisé et pyrolisé à nouveau pour convertir l'alcool furfural en carbone. Ce processus est répété trois fois jusqu'à ce que les propriétés carbone-carbone souhaitées soient atteintes. Cette tuile supporte une température de 1510°C et peut être plongée immédiatement dans l'eau froide sans subir de dommages;

- Pour les portes des baies et la plus grande partie de la surface supérieure des ailes, on choisit une tuile FRSI blanche et flexible à base de Nomex (Coated Nomex Felt Reusable Surface Insulation). Elle supporte une température de 371°C.

- Enfin, pour les extrémités des ailes, on choisit des tuiles noires en métal ou en verre spécial.

Suivant ce plan de travail, les ingénieurs ont donc recouvert entièrement la navette spatiale d'environ 24300 tuiles réfractaires en céramique ajustées avec précision et toutes différentes les unes des autres, dont la dimension varie entre 10 et 20 cm de côté pour une épaisseur variant entre 1 et 12.7 cm, plus épaisses évidemment aux endroits fortement sollicités.

L'ensemble représente un poids de 8574.7 kg (dans sa version originale) soit une moyenne de 2.8 kg par tuile. Elles sont principalement constituées de silice, une sorte de compromis entre la craie et la frigolite et recouvertes de verre en borosilice, parfois mélangé à des matières isolantes et résistantes comme le Nomex. Ces tuiles sont fragiles et friables mais elles offrent en contrepartie un excellent bouclier thermique qui protège efficacement la navette et ses occupants pendant les quelques minutes que dure la rentrée atmosphérique.

Conçu pour être indestructible, il est évident que le système de protection thermique a été pris en défaut. On y reviendra.

Concernant le coût de cette protection, selon la NASA une surface de tuiles de un pied carré coûte environ 10000 dollars, sachant qu'elles sont réutilisables pour 100 missions au maximum. Par comparaison, le bouclier thermique ablatif utilisé sur les modules de commande Apollo revenus de la Lune coûtait 30000 dollars par pied carré et n'était utilisable qu'une seule fois.

L'accident de Columbia

Durant la phase critique de la rentrée atmosphérique, la température dans l'habitacle monte à 40°C et les astronautes sont obligés de s'hydrater durant la bonne demi-heure que dure la descente.

Le vol se déroula normalement en douceur. Malheureusement, au cours de la descente et pour une raison alors inconnue, à 8h58 locale la NASA perdit toute communication avec l'équipage vers 68 km d'altitude alors que la navette volait à Mach 18.3, soit 22597 km/h ou 6.3 km/s. A cet instant les données télémétriques étaient encore normales.

Que s'est-il passé ensuite ? La navette spatiale n'a pas besoin de "boîte noire" comme les avions car elle envoie en permanence des données télémétriques au sol. Mais alors que la rentrée se déroulait selon le plan de vol, 22 minutes avant l'atterrissage les capteurs situés dans l'aile gauche de la navette ont commencé à envoyer des données inhabituelles, les uns des températures trop élevées, les autres aucune donnée comme s'ils étaient défectueux. Rick Husband, le commandant de bord de Columbia signala le problème à Houston et se fut pratiquement son dernier message.

Image de la désintégration de Columbia le 1er février 2003 prise depuis la caméra de la NASA installée au sol.

La transmission des données télémétriques fut ensuite interrompue. Mais à cet instant, on pensait encore à un incident technique.

Un peu plus tard, le Capcom essaya à nouveau d'entrer en communication avec l'équipage, l'appelant à plusieurs reprises sur le canal VHF, en vain. La ligne restait silencieuse...

Le Centre de contrôle compris rapidement qu'il était arrivé quelque chose à Columbia.

Quand les premières données radars et visuelles arrivèrent sur les écrans de contrôle, il fallut se rendre à l'évidence : Colombia s'était désintégrée en vol et les astronautes avaient péri... Ce fut l'effroi général.

Immédiatement le Capcom ordonna de "fermer toutes les portes". Toutes les informations étaient dorénavant sous scellés, les sessions informatiques sauvegardées dans leur état de mémoire actuel afin de préserver toutes les informations. Dorénavant les données seraient accessibles aux seuls enquêteurs et aux opérateurs qui se mirent aussitôt à la recherche de la défaillance qui aurait pu provoquer l'accident de la navette.

Les appels téléphoniques furent interdits et pendant quelques heures les journalistes et la télévision furent priés de rester en dehors de la salle de contrôle.

Le président Bush fut immédiatement informé de la tragédie.

Dans les heures qui suivirent l'accident, on retrouva un peu partout le long de la trajectoire de Columbia, les débris de la navette prouvant sans ambiguïté qu'elle s'était bien désintégrée corps et biens.

Après celui de Challenger en 1983, la NASA venait de subir un nouvel accident tragique. La question était à présent de savoir qu'elle en fut la cause et surtout si la NASA aurait pu l'éviter et comment ? Viendrait seulement ensuite, mais bien plus tard, quand chacun aura accepté et digéré cette tragédie, la question de l'avenir du programme spatial américain. Mais chaque chose en son temps.

L'enquête qui suivit cette tragédie allait devenir un enjeu national et une question d'honneur.

La première tâche fut de constituer un comité d'enquête puis de réunir toutes les preuves pouvant aider les enquêteurs et retrouver tous les débris de la mission STS-107.

Devoir d'enquête

A l'annonce de la tragédie, le président Bush fit une déclaration urgente au cours de laquelle il chargea officiellement la NASA de conduire l'enquête et la FEMA responsable des opérations et de la récupération des débris.

Pour expliquer cette tragédie, les Etats-Unis allaient faire appel à leurs scientifiques et leurs ingénieurs militaires les plus doués et mettre tout oeuvre pour comprendre l'incompréhensible. De toute évidence, les navettes allaient être clouées au sol tant qu'on n'aurait pas l'explication définitive et une solution rassurante pour l'avenir.

L'Amiral Hal Gehman fut nommé président du CAIB (Columbia Accident Investment Board), le Comité chargé d'enquêter sur l'accident de Columbia. Ancien ingénieur industriel, il commanda cinq navires de guerre, il servit durant la guerre de Viêt-Nam et finit par gagner ses 4 étoiles d'Amiral en 1996. Il devint du même coup responsable de la gestion du budget de 70 milliards de dollars de la Navy et des 375000 marins qui la composait, avant d'être assigné en 1997 au quartier général de l'OTAN. Il était retraité de la Navy depuis octobre 2000.

A voir : Les débris de la navette Columbia (Google)

Assemblage des débris de Columbia dans le hangard RLV du KSC par les membres du Columbia Reconstruction Project Team. Documents NASA et Phys.org.

Avec son équipe de 13 experts comprenant notamment Neil Armstrong, commandant de la mission Apollo 11 et probablement l'un des meilleurs pilotes que la NASA ait jamais eu avec Buzz Aldrin, Gehman avait pour mission de trouver où et comment s'était produit l'accident au cours de la rentrée de la navette spatiale.

Si les ingénieurs pouvaient déterminer l'endroit du profil de l'Orbiter où l'accident s'était produit, ils tiendraient en même temps la clé de l'origine de l'accident et pourraient y remédier à l'avenir.

Plus de 133 agences fédérales, d'état et locales furent impliquée dès le premier jour d'enquête. Au Texas, le gouverneur Rick Perry désigna le Texas Forest Service (TFS) responsable de la récupération des débris. Il travailla notamment en collaboration avec les pompiers et la police locale.

Au total, les membres du CAIB furent épaulés par 120 investigateurs et 400 employés de la NASA sous contract externe, auxquels il faut ajouter environ 25000 personnes chargées de retrouver les débris de Columbia.

Le 10 mai 2003, après 100 jours de recherches ininterrompues, les investigateurs avaient réunis 82500 pièces matérielles pesant au total 38.5 tonnes, l'équivalent du tiers (38%) du poids de la navette.

Le Columbia Reconstruction Project Team fut chargé de rassembler et d'analyser des débris qui furent déposés dans le hangard RLV (Reusable Launch Vehicule) du Centre Spatial Kennedy de la NASA (KSC).

Analyse de l'accident

Pour comprendre ce qui s'est produit, il fallut revenir quelques jours en arrière pour trouver des éléments de réponses. 

La première hypothèse évoquée fut qu'un objet mystérieux aurait endommagé l'intrados des ailes puisque c'est la partie de la navette qui encaisse le plus gros de la chaleur. Beaucoups d'éléments auraient pu y contribuer : une météorite, un phénomène de corrosion, une sorte d'éclair atmosphérique, un incendie électrique, un débris spatial, etc. Il fallait absolument trouver un indice afin de limiter le champ des recherches. Pour cela, il fallait analyser toutes les données de vol recueillies jusqu'au moment de l'accident.

Le Centre spatial de vol de la NASA disposait des 7 derniers jours de données. Il fallait rechercher dans ces enregistrements ce qui était anormal, les signaux inhabituels transmis juste avant l'explosion.

A gauche, une animation radar montrant la rentrée tragique de Columbia le 1 février 2003 entre 1724-1865z. Cliquer sur l'image pour vous connecter au site de la NOAA. Au centre, au décollage de Columbia de la mousse isolante s'est détachée du tank externe et a frappé le bord d'attaque de l'aile gauche au cours de l'ascension, incident jugé mineur le 16 janvier. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation et cliquez ici pour charger un film plus complet et en gros-plan (MPEG de 2.7 MB). A droite, le 5 janvier 2003 la caméra de bord située dans la soute filma une déchirure sur la partie supérieure gauche de la soute (compartiment de l'équipage). Mais selon les conclusions du CAIB, cette déchirure n'était pas à l'origine de l'accident. Après sept mois d'enquête, il conclut que c'est la chute de la mousse isolante sur le bord d'attaque de l'aile gauche qui précipita l'accident de Columbia. Consulter le texte pour les explications. Document NASA, Washington Post et TVI.

Deux problèmes se sont manifestés auxquels ni les autorités ni les astronautes n'ont vraiment prêté attention. D'une part, ainsi que nous l'avons évoqué, le plus insolite fut que les sondes de température de l'aile gauche ont affiché des valeurs trop hautes ou ne fonctionnaient plus. C'était un indice clé. En effet, ces sondes étaient localisées sous l'aile gauche, dans le logement principal des roues. Quant à y voir une relation de cause à effet, c'était trop tôt, il fallait plus d'indices.

Puis il y eut cet incident au décollage en rapport avec le réservoir orange. Un bloc de mousse isolante s'est détaché du réservoir principal 81 secondes après le décollage (voir animations ci-dessus). Il s'agissait d'un fragment grand comme une malette dont le poids fut estimé à environ 1.2 kg. Selon les estimations, ce morceau d'isolant heurta l'Orbiter à environ 800 km/h ! L'effet fut similaire a celui d'une masse de 220 kg percutant une voiture roulant à 120 km/h...

Selon Paul Fishbeck qui avait étudié un cas similaire quelques années auparavant, il avait retrouvé plus de 1000 impacts sur les tuiles noires. Il estime que seule la chance aurait évité de tels accidents par le passé. Il considère en effet qu'on peut perdre une navette suite à un accident de ce genre... Son inquiétude fut partagée par d'autres ingénieurs de la NASA qui avaient déjà évoqué ce risque dans des courriers internes, mais les autorités n'ont jamais considéré sérieusement ce problème.

Certains responsables avaient tout de même envisagé d'orienter un télescope-espion vers la navette mais cette option ne fut pas considérée sérieusement car l'impact de la mousse ne fut pas considéré comme un risque majeur.

En fait, la NASA avait déjà estimé les dégats et les considéra comme peu importants. Depuis 1999, la NASA utilisait un logiciel de simulation appelé CRATER. Selon ses résultats, il était peu vraisemblable qu'un élément aussi léger ait pu endommager l'aile gauche même si les tuiles étaient friables. On envisageait bien que des tuiles puissent être brûlées superficiellement mais rien qui puisse compromettre le retour des astronautes.

En réalité, la fiabilité d'un programme de simulation repose sur les données qu'on lui fournit. Or les enquêteurs découvrirent une énorme faille dans les données qui servirent à concevoir ce logiciel : tous les résultats n'avaient pas été intégrés au programme qui ne pris en compte que les dégats occasionnés par de très petits blocs de mousse. Les gros impacts, provoquant d'énormes dégats ne furent pas intégrés au programme car ils étaient trop importants. Or l'impact survenu en 2003 correspondait à un objet 700 fois plus gros que tout ce qu'ils avaient utilisés lors des simulations. En d'autre terme, le modèle développé sur base des petits débris ne permettait pas de dresser de conclusion pertinente dans ce cas particulier. Les ingénieurs avaient donc sous-estimés l'ampleur de ce risque. La NASA avait commis une faute en s'en remettant uniquement à l'expertise de CRATER pour évaluer les dégats sous l'aile; le logiciel était trop imprécis et ne pouvait jamais donner de réponse fiable.

Lors d'une conférence de presse, la NASA contesta publiquement l'accusation, réfutant le fait qu'un tel bloc, à la fois friable et léger aurait pu causer la perte de la navette... L'explication devait certainement résider dans la conjonction avec un autre évènement.

A gauche, la désintégration de Columbia le 1 février 2003 au-dessus de Dallas. Selon les témoins la descente fut accompagnée d'un bruit assourdissant, similaire au grondement de l'orage, mais le son n'est parvenu aux témoins que 5 minutes après l'image tellement la navette était haute. Columbia venait d'accomplir sa 28e mission. A cet instant l'angle d'entrée était encore prononcé et la vitesse de Columbia était d'environ Mach 7 (2.4 km/s). A droite, un débris de Columbia trouvé à Nacogdoches au Texas. Documents NASA/Jason Hutchison/Texas TV et Kendall Rogers/The Daily Sentinel.

Un nouvel élément déterminant apparut, remettant en cause tout ce qui avait été dit sur la sécurité de la navette. Hal Gehman réexamina l'endroit heurté par la mousse. Grâce à des techniques photographiques sophistiquées, l'impact de l'isolant révéla un évènement hautement improbable. L'isolant semblait ne pas avoir touché les tuiles, blanche ou noire. Il aurait directement percuté le bord d'attaque de l'aile gauche protégé par du carbone très résistant. Le bord d'attaque est dur comme du roc et il est surprenant que la mousse ait pu l'endommager. Ce fait était embarrassant pour la NASA car ce matériau était censé être indestructible...

Les enquêteurs démontèrent le bord d'attaque d'une autre navette et l'installèrent dans un laboratoire proche. Pendant un mois entier, les scientifiques bombardèrent l'aile de débris isolants et enregistrèrent ses effets. Au terme de l'expérience, aucun doute ne subsista. Le bloc isolant avait bel et bien détruit l'aile et on parvint même à déterminer exactement l'endroit où le choc eut lieu, juste sous le panneau de carbone, entre les joints 7, 8 et 9. Il y avait bien une fissure et la navette vola 16 jours avec cette déchirure dans son aile.

Mais cette découverte signifiait également que si l'isolant pouvait endommager des pièces essentielles, il fallait faire des modifications majeures avant de relancer les prochaines navettes. Cela coûterait des millions de dollars, des dépenses que la NASA ne pouvait pas se permettre.

Après 7 mois de travail, les enquêteurs pensaient tenir leur solution. Grâce aux données télémétriques, nous savons qu'un problème thermique est apparu sur le train d'atterrissage et sur l'aile gauche quelques minutes avant l'accident. En fait, la mousse perça le bord d'attaque de l'aile gauche et endommagea sa stucture.

Au cours de la mission en dehors de l'atmosphère, en raison du froid qui règne dans l'espace, cet accident n'eut aucune conséquence. Mais le jour du retour sur Terre, la chaleur liée à la friction atmosphérique et l'onde de choc a lentement élargit la fissure et la chaleur pénétra d'au moins 40 cm dans l'aile.

Les capteurs thermiques localisés à l'intérieur du compartiment du train d'atterrissage ont relevé une augmentation de température de 8 à 15 degrés, soit encore relativement faible, mais qui déclenché l'alarme. Malheureusement, rapidement la chaleur s'est propagée dans la structure et a lentement fait fondre l'aluminium, modifiant la résistance de l'aile. Sous la chaleur et la pression, la fissure s'est étendue, amplifiant le phénomène dans une réaction en chaîne.

 La combinaison de toutes ces anomalies alerta les ordinateurs qui, en essayant de modifier l'assiette de la navette pour réduire la hausse de température ont provoqué la perte totale de contrôle.

La navette se trouvant dans une phase très critique du vol, le funeste résultat était comme programmé. Incapable d'adopter l'assiette voulue et avec une aile à moitié brûlée, la navette se désintégra progressivement à mesure qu'elle plongea dans l'atmosphère. Quand le Centre de vol reçut les alarmes sur ses écrans, il était déjà trop tard.

Les films du crash

Fichier .RA (Internet) et fichier .WMV de 15.6 MB. Ce second fichier est une reconstitution en temps-réel avec bande son du Capcom.

Tout commença au-dessus de la Californie où des témoins filmèrent des objets se détachant dans le sillage de la navette ainsi qu'en témoigne les films présentés ci-dessus. Ensuite tout se déroula très rapidement sous les yeux horrifiés des familles et du public. Il est probable que les ailes et l'empennage se sont détachés et ont été distancés par le corps principal de la navette.

En l'espace de quelques minutes l'habitacle, similaire à une torche vive, plongea en tête des débris comme le montre la photographie de gauche présentée un peu plus haut. Les morceaux incandescants finirent par tomber au sol en milliers de débris calcinés distribués sur une superficie de 280 km2 répartis entre la Louisiane et le Texas. Les corps des astronautes comptaient parmi les décombres.

Malgré les mesures d'urgence mises en place depuis l'accident de Challenger et la reconstruction partielle de la navette Columbia en 1991, l'équipage de cette dernière n'a pas eu le temps de se dégager du fait que le véhicule était hors de contrôle et se situait à une altitude trop élevée pour espérer s'en sortir indemme.

Rappelons qu'en 1986, les corps de plusieurs astronautes de Challenger ont également été retrouvés en mer. L'équipage protégé dans son habitacle s'était désanglé pendant l'accident et avait survécu quelques minutes avant de se fracasser contre les hublots lors de l'impact.

Avec Columbia le problème était double. Non seulement cet accident remit en cause tout le programme des navettes mais au 1 février 2003 il restait 3 astronautes à bord d'ISS. Si on fait le bilan, il ne restait que 3 navettes dans la course, Enterprise, Atlantis et la plus jeune, Endeavour qui volait depuis 1989. Clouées au sol, la NASA refusa de les utiliser avant d'avoir trouvé l'origine et la solution du problème. Restait le petit vaisseau russe Progress qui sert de chaloupe de sauvetage à l'équipage d'ISS. Un vol Soyouz ramena heureusement les astronautes plus tard que prévu, courant mai 2003. Suite à cet accident, les changements d'équipage à bord d'ISS furent plus espacés.

Pour être complet, nous verrons à propos de la faculté d'adaptation que parmi les expériences scientifiques embarquées à bord de Columbia, des vers nématodes ont survécu à l'accident.

Les suites de l'enquête : le rapport

Après 7 longs mois d'enquête, le CAIB remit son rapport final le 26 août 2003. Il s'agissait d'un épais volume de 248 pages organisé en 11 chapitres et contenant 29 recommandations adressées aux responsables de la NASA, parmi lesquelles 15 étaient relatives à des améliorations à réaliser sur les navettes avant d'envisager de nouvelles missions spatiales. Ce rapport est disponible en ligne au format PDF.

Ce rapport plutôt sévère a révélé certaines lacunes à la fois techniques mais également organisationnelles, liées à la culture d'entreprise de la NASA.

A la mi-août 2003, on apprit également que la société Boeing avait déclaré que le licenciement des centaines d'employés qualifiés il y a deux ans aurait pu jouer un rôle dans la catastrophe de Columbia.

En effet, en 2001 Boeing déménagea son bureau d'études de Californie vers le Texas. Mais près de 80% des 500 employés avait alors refusé de suivre l'avionneur, obligeant la société de pointe à recruter de nouveaux employés inexpérimentés.

United Space Alliances, le maître d'oeuvre de la navette spatiale, avait prévu d'embaucher 300 employés pour accélérer les modifications faites sur l'Orbiter Endeavour, la plus récente des navettes construites pour remplacer Challenger. 

Parmi ses recommandations les plus importantes, le CAIB demanda à la NASA de limiter le nombre d'atterrissages de navettes à Cap Canaveral. Une étude a en effet montré que la situation aurait pu être bien pire lors de la catastrophe de Columbia si la navette avait explosé plus tôt. Les débris seraient alors retombés tout près de New Orleans. Peu après, la NASA étudia les autres sites disponibles comme la base d'Edwards en Californie, la base de Vandenberg, ou des sites étrangers non communiqués.

Le CAIB recommanda également à la NASA de prévoir un dispositif permettant de photographier le réservoir central pendant le décollage et les ailes lors de la phase orbitale.

La plupart des recommandations furent suivies et l'ensemble des modifications apportées aux trois navettes restantes coûta plus d'un milliard de dollars !

A consulter:

Le rapport du CAIB

Et si la NASA avait pu éviter l'accident...

Aujourd'hui on estime que l'histoire aurait pu finir autrement. La mort des astronautes n'était pas une fatalité. Malgré les dégâts, on aurait pu les ramener sur Terre en vie. Mais la NASA a scellé leur funeste sort en se remettant uniquement à CRATER et en manquant d'idées clairvoyantes. Avec le recul voici ce que la NASA aurait pu tenter.

Pour commencer, elle aurait pu utiliser les grands télescopes (Palomar, VLT, Hubble, etc) pour obtenir un tableau plus précis des dégâts. Certains astronautes considèrent en effet qu'ils auraient dû utiliser ce genre de photographies pour évaluer l'ampleur des éventuels dommages.

Si les télescopes n'étaient pas disponibles, ils auraient pu demander à un astronaute d'effectuer une sortie extravéhiculaire et d'inspecter la navette dans l'espace. Toutefois, connaissant la raison de l'accident, certains ingénieurs mettent en doute qu'en ouvrant le sas et en se plaçant près du bord d'attaque de l'aile, un astronaute soit capable de diagnostiquer une anomalie à 4 m de distance...

La NASA aurait pu tenter de faire rentrer Columbia en protégant l'aile gauche. En changeant l'angle d'attaque et le profil du nez, cela aurait changé le profil thermique. La navette aurait également pu rentrer de biais, du côté droit. On aurait gagner quelques minutes. Est-ce que cela aurait suffit à sauver l'équipage et la navette ?... Si cette solution était envisageable, dans ce cas nous aurions limité les dégâts et cette méthode aurait permis de faire atterrir la navette en relative securité.

Autre option, l'évacuation : on peut faire descendre la navette assez bas, jusque 40000' ou 12000 m. A cette altitude, les astronautes peuvent ouvrir le sas et descendre le long d'un mât pour éviter l'aile. Les astronautes peuvent alors quitter la navette en parachute. Ils se sont entraînés à faire cet exercice.

Si cette solution était encore écartée, il reste la mission la plus ambitieuse, un sauvetage par la navette Atlantis. L'équipage serait sauvé en quelques semaines. Même si une deuxième navette est déjà sur le pas de tir, elle est rarement programmée pour rejoindre une autre navette, mais en cas d'urgence la NASA aurait pu faire les ajustements nécessaires.

Entre-temps, pour l'équipage de Columbia, le simple fait de respirer serait devenu mortellement dangereux au bout de quelques jours. Le gaz carbonique s'accumulant dans la cabine, son absorption leur aurait été fatale bien avant l'arrivée des secours. Mais le problème est surmontable. Il suffirait de lancer une fusée non habitée (la louer ou l'acheter) et de la lancer sur la même trajectoire que la navette afin de leur apporter des caissons de purification d'air. Cela leur aurait donné le temps d'attendre quelques semaines, le temps de préparer Atlantis.

La navette de secours aurait mis quelque heures pour les rejoindre. Il suffisait ensuite de relier les deux navettes par un câble; les astronautes auraient emprunté ce câble pour rejoindre Atlantis. La NASA aurait pu envisager cette solution. Cette mission aurait été une avancée technologique et un bon coup médiatique. Mais aucune de ces solutions ne fut hélas, envisagée. La NASA resta passive devant les évènements, un comble quand on sait qu'elle compte le plus grand nombre de pilotes d'essais et de héros au monde !

 L'avenir de la conquête spatiale

Au bout du 113e vol de la navette spatiale, cette leçon nous apprend que la conquête spatiale n'est pas sans danger, aussi routinières que soient certaines missions. Aussi morbide que cela soit, la NASA considère que le taux de réussite de son programme est de 96%, taux nominal dit-elle froidement. Faut-il continuer ? Serait-ce rendre hommage aux équipages qui ont péri dans cette aventure que d'abandonner en cours de route ? A vouloir faire de petits pas dans l'espace, ces hommes et ces femmes ont risqué leur vie pour le progrès de l'humanité et à ce titre ces héros méritent de cotoyer les pères de notre civilisation. Bien sûr il faut continuer et aller de l'avant ! Le président Bush en était également convaincu, l'Aventure continue ! Elle continua donc mais la NASA fut contrainte de marquer le pas, le temps de réfléchir et de prendre de nouvelles dispositions.

En 1986, l'accident de Challenger immobilisa les navettes au sol durant deux ans et demi mais le programme ne fut jamais remis en question. Avec Columbia la NASA dut également postposer les lancements durant deux ans et demi, jusqu'au 26 juillet 2005, date à laquelle la mission 114 de Discovery put enfin décoller pour rejoindre la station ISS.

Ce premier décollage fut suivi par de très nombreux observateurs et plus de 2650 reporters, photographes et journalistes comme au bon vieux temps du programme Apollo car de son succès dépendait l'avenir de tout le programme spatial américain.

Grâce aux caméras fixées sur le réservoir externe, on découvrit malheureusement que de nouvelles tuiles étaient tombées du réservoir au cours de la mise sur orbite. Heureusement elles n'ont pas endommagé la navette et cet incident ne remit pas directement en question la mission STS-114.

La NASA reconnut toutefois que les conditions de sécurité n'étaient pas optimales et décida une nouvelle fois de suspendre tous les vols des prochaines navettes jusqu'à ce que ce problème technique soit résolu. Dans l'intervalle, il fallait ramener les astronautes en toute sécurité ce qui préoccupa la NASA et l'équipage durant quelques jours, le temps d'inspecter minutieusement la navette au cours d'une EVA. Dans le pire des scénarii il était convenu que c'était soit la navette Atlantis qui ramènerait les sept astronautes soit un vaisseau russe qui ramènerait l'équipage par groupe de trois mais la mission de secours russe s'étendrait alors sur plusieurs mois. Heureusement l'inspection ne révéla rien d'important et Discovery atterrit sans problème sur la base d'Edwards en Californie deux semaines plus tard.

Malheureusement la mission fut limitée à la réparation des joints de la navette, le ravitaillement des astronautes d'ISS en nourriture et la récupération de leurs poubelles... Ce n'est pas exactement ce qu'on attendait de la navette spatiale dont le rôle de plate-forme scientifique fut cette fois ci totalement ignoré.

Un sondage réalisé en juillet 2005 par la chaîne américaine NBC nous rappelle qu'avant l'accident de Columbia 75% des Américains avaient confiance dans la NASA. En 2005 il n'étaient plus que 59%. Suite à la présentation des nouveaux programmes spatiaux, l'intérêt des Américains a été revitalisé car les derniers sondages du CSE indiquent que 63% des Américains sont en faveur d'un retour des astronautes sur la Lune.

Malgré les millions investis dans sa rénovation, Discovery connut des problèmes de jauge alors qu'elle était encore au sol et de mousse isolante pendant son lancement. Sans parler du changement d'attitude du public, devant cette véritable tuile, jusqu'en 2006 la NASA ne pouvait plus garantir l'avenir du programme spatial américain et son prestige battit à nouveau de l'aile, plus encore qu'à l'époque de l'accident de Columbia ou de Challenger. Il a donc fallu qu'elle développe de toute urgence une nouvelle stratégie pour convaincre le public et le monde politique de ses capacités.

Jusqu'en 2006, la conséquence la plus grave de la suspension des missions des navettes était l'absence de tout propulseur américain. En conséquence de quoi cela signifiait l'arrêt de l'assemblage de la station ISS qui, à cette époque, n'était pas plus grande que l'ancienne station Mir. Et sans le module Columbus, les dix années que l'Europe avait investi dans ce projet étaient perdus. Un module japonais devait également s'y adjoindre.

Redécollage des navettes

Après un an d'arrêt, la navette Discovery redécolla finalement de Cap Kennedy le 4 juillet 2006 pour une mission de 12 jours. Mais la mission baptisée STS-121 se déroula sous des nuages. Le vol préalablement prévu pour le 1er juillet fut retardé suite à la découverte d'une fissure dans la mousse isolante du réservoir externe au cours d'une inspection de routine. Elle fut jugée sans gravité.

Après le décollage et la mise en orbite qui se sont déroulés selon le plan de vol, les astronautes ont remarqué à travers le hublot supérieur la présence d'un objet près de la navette qui ressemblait à un morceau de protection thermique. Durant leur mission à bord d'ISS, les astronautes procéderont à une inspection complète de la protection thermique de la navette. L'enquête finit par conclure que ce débris n'entraînerait aucune conséquences pour le retour de la navette. De fait, le retour sur Terre se déroula heureusement sans aléas. Le programme spatial pouvait se poursuivre.

Toutefois, le 8 août 2007, un incident a de nouveau mis la NASA en alerte, une tuile du bouclé thermique ayant été endommagée lors du décollage de la navette Endeavour (mission STS-118). Heureusement, quelques jours plus tard les experts considéraient à l'unanimité que l'incident était mineur et que la mission pouvait se poursuivre.

A l'époque, on ne savait pas encore si les missions se poursuivraient comme prévu, 12 lancements de la navette spatiale étant encore nécessaires pour terminer l'assemblage d'ISS. Si l'assemblage ne se réalisait pas, ce serait une perte sèche tant pour l'industrie astronautique que pour les scientifiques qui attendaient beaucoup d'ISS, une perte qui pourrait s'élever à un milliard de dollars par an ! Heureusement, l'idée d'abandonner le projet fut définitivement écartée.

Lorsque la stations ISS fut achevée, les trois navettes restantes furent déclassées en 2011 avec le dernier vol d'Atlantis, après 140 vols au lieu des 400 prévus.

Suite à ces évènements funestes, le spationaute Français Patrick Baudry dit publiquement qu'il espérait seulement que "la NASA ne gaspillera plus ses hommes et ses femmes de talents dans des missions à l'intérêt discutable et se retournera plutôt vers sa véritable vocation : la conquête de l'espace." Parlant d'ISS, peut-être était-il égris par la fin prématurée du programme Hermès.

A force de commander ses 2.5 millions de pièces d'assemblage par offre publique, avec un contrôle qualité discutable, l'accident était programmé. Chacun peut avoir une idée sur le sujet polémique mais il est un fait que l'astronautique américaine devait tirer les leçons de ces deux tragédies.

Sa première décision fut donc d'abandonner les navettes et de revenir au concept de la fusée tout en lui ajoutant une capsule frontale plus volumineuse tirant avantage du meilleur de la navette, sa légereté et le propulseur autonome. Cela donna naissance au lanceur Falcon de SpaceX et au véhicule de transport Orion de Lockheed Martin. On y reviendra dans l'article consacré aux vaisseaux spatiaux Falcon, SLS, Dragon et Orion.

Quant à l'Europe, Ariane n'est pas directement concernée par ces évènements et si elle partage le deuil qui touche la petite communauté des astronautes, son avenir est résolument orienté vers l'espace, tout comme celui des autres nations qui disposent de la technologie spatiale et de lanceurs, notamment la Russie, le Japon et la Chine.

Les dernières nouvelles de la NASA : Return to Flight

L'équipage de Columbia

Les sept membres d'équipage de la mission STS-107 prenant un break durant leur entraînement en octobre 2001 pour réaliser ce portrait de famille. Assis au premier plan se trouvent les astronautes Rick D. Husband (gauche), commandant de la mission; Kalpana Chawla, spécialiste de mission et William C. McCool, le pilote. Debout nous avons (depuis la gauche) les astronautes David M. Brown, Laurel B. Clark et Michael P. Anderson, tous trois spécialistes de mission et Ilan Ramon, spécialiste de la charge représentant l'Agence Spatiale Israélienne, l'ISA.

Même si les astronautes ont bien conscience de faire un métier très risqué où leur vie ne tient qu'à la bonne marche d'une machine plus puissante qu'une bombe, personne n'accepte une mort aussi inattendue, bête et brutale. Ces sept hommes et femmes sont partis faire leur travail à quelques centaines de kilomètres d'ici et souriaient encore aux caméras quelques minutes avant l'accident.

Cette réalité fait pourtant partie de la vie et nous devons accepter ce risque ou abandonner toute idée de conquérir l'espace, y compris le tourisme spatial.

Mais cette Avenure ne cessera probablement jamais tant que des hommes auront l'idée un peu folle d'aller voir à quoi ressemble la Terre vue de l'espace et d'assouvir leur curiosité insatiable de découvrir d'autres mondes, comme l'humanité l'a toujours fait depuis l'aube des temps.

En hommage aux héros décédés dans cette aventure nous pouvons donc leur dire haut et fort : Oui, nous irons dans les étoiles !

Pour plus d'informations

Final Report of the Return to Flight Task Force, 2005, NASA

Columbia Accident: The report, 2003, NASA/CAIB

NASA's Handbook for Dynamic Environmental Criteria (PDF de 1.7 MB), JPL

Aerodynamics and Flight Dynamics (PDF), NASA/JSC

Space Shuttle Tile Engineering 45 (PDF), 2014

NASA STS-107 Video Index, NASA Spaceflight

STS-107 Memorial, NASA Spaceflight

STS-107 Condolence Book, NASA Spaceflight

The Search for STS-107, Fireworld

Return to Flight, NASA

Capcom espace

Deuxième partie

L'accident de Challenger

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