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La belle aurore !

L'activité du champ géomagnétique (III)

D'où proviennent les aurores ? Nous savons que physiquement une aurore est la manifestation des fluctuations du champ magnétique terrestre. Elle est produite par une décharge électrique dans un milieu de très faible densité, proche des phénomènes d'électroluminescences que nous connaissons bien par les tubes au néon.

Mais nous allons devoir introduire des notions plus techniques pour comprendre comment ces décharges électriques se produisent. Car la structure à chaque fois différente des aurores n'est pas seulement liée au fait que des particules énergiques interagissent avec le champ géomagnétique. Leur apparition dépend avant tout du niveau d'énergie potentielle des particules et de l'interaction de celles-ci avec l'ionosphère. Les CME par exemple, doivent contenir plusieurs milliards de tonnes de gaz et de plasma pour espérer produire un effet sur Terre; le vent solaire doit atteindre une vitesse de plus de 500 km/s et le champ magnétique terrestre doit être porté à une intensité bien déterminée.

A gauche, le champ géomagnétique est incliné de 11.6° par rapport au nord géographique, ce qui explique que les aurores sont centrées autour du pôle magnétique et non pas autour du pôle géographique. Les particules chargées sont attirées par ce dipôle magnétique qui les piègent dans son champ de force et les conduisent jusqu'au terminateur situé aux pôles. Ce système constitue un générateur magnétohydrodynamique (MHD). A droite, la structure de la géomagnétosphère : 0 - La Terre; 1 - L'ionosphère qui encercle la Terre (non montré); 2 - La sphère de plasma; 3 - Les Ceintures de Van Allen; 4 - Le feuillet de plasma (magnétosphère interne); 5 - La magnétopause; 6 - La queue magnétique; 7 - Les cornets polaires; 8 - La magnétopause; 9 - Le vent solaire. Documents NASA et BAS adaptés par l'auteur.

La magnétosphère est une région très raréfiée, on y dénombre de 1 à 1000 particules par cm3 presque exclusivement composée d'électrons, protons et de noyaux atomiques (tel l'oxygène qui est transporté depuis la basse atmosphère). Ce milieu constitue un plasma qui est capturé par les lignes de force du champ magnétique. Une grande partie de ce plasma provient du vent solaire, le champ magnétique interplanétaire, tandis qu'une petite partie provient de l'ionosphère terrestre.

La Terre agit comme un dipôle magnétique, attirant les particules chargées issues du Soleil. Les charges positives (protons) sont attirées vers la partie éclairée de la Terre, plus exactement sur le point du terminateur où le Soleil se lève, tandis que les particules chargées négativement (électrons) se retrouvent dans la partie crépusculaire. Ce processus transforme la Terre en un véritable générateur magnétohydrodynamique.

A voir : Space Weather and Earth's Aurora

Comment se forment les aurores (activez la traduction)

Inrteraction entre le champ magnétique solaire et le champ géomagnétique. Les particules chargées émises par le Soleil sont piégés dans la magnétosphère près des pôles où elles interagissent avec les atomes présents dans l'ionosphère produisant la lumière des aurores. Consultez la vidéo ci-dessus pour plus de détails. Documents NASA.

En période calme d'activité, le champ magnétique solaire réside en général dans le plan de l’écliptique (horizontal). Mais lorsque des boucles magnétiques se forment dans les éjections coronales, elles présentent de fortes composantes nord-sud.

En 1979, Goetz Paschmann de l'Institut Max Planck de Physique Extraterrestre découvrit que lorsque la composante du champ magnétique contenue dans le vent solaire était orientée dans une direction opposée à la composante géomagnétique terrestre (composante Bz orientée vers le sud, donc anti-parallèle à l'orientation du champ magnétique terrestre et donc de signe opposé), les deux champs magnétiques pouvaient se combiner par un processus connu sous le nom de reconnexion magnétique, déconnectant temporairement le champ de force géomagnétique au profit du vent solaire.

A voir : Magnetic reconnexion

Magnetic Reconnection Throughout the Solar System, NASA, 2020

Geospace magnetosphere movies, NOAA

Vitesse, densité et pression actuelles dans la magnétosphère

A gauche, variation de la vitesse du vent solaire (courbe supérieure) et de l'orientation de sa composante nord-sud (courbe inférieure) pour les mois d'avril-mai 1998. Le 6 avril est le 125e jour. A droite, une reconnexion électromagnétique (entre le vent solaire en jaune pâle et le champ géomagnétique en rouge) appellée un "crack", une fissure dans le bouclier protecteur de la Terre par laquelle le flux solaire peut pénétrer dans l'ionosphère et produire des aurores polaires. Cliquez ici pour lancer une animation expliquant ce phénomène (fichier .MPEG de 1.7 MB préparé par la NASA). Documents AGU et NASA/GSFC.

Cela se manifeste par une sorte de fissure (que les Anglo-saxons appellent un "crack") dans le bouclier géomagnétique par lequel les particules électriquement chargées du vent solaire peuvent s'écouler. Le vent solaire pénètre dans la géomagnétosphère à une vitesse proportionnelle à la vitesse de ces reconnexions et interagit avec l'ionosphère. Plus les champs seront intenses plus ils se déplaceront rapidement, et plus le taux de reconnexions électromagnétiques sera élevé et les points de contacts nombreux. Sans ces reconnexions, le champ magnétique terrestre agit comme un bouclier face au vent solaire; c’est la magnétopause dont la magnétosheat matérialise la limite turbulente entre le vent solaire et le champ géomagnétique. Cette limite se situe à ~10 rayons terrestres au-dessus de la face éclairée, la distance exacte et le profil de l'arc de choc variant sous l'effet de la pression du vent solaire (cf. cette animation du profil actuel de l'arc de choc et de la magnétopause ainsi que la page dédiée au statut du temps spatial).

Notons que grâce aux satellites MMS de la NASA, les chercheurs ont découvert en 2018 que ces reconnexions magnétiques se produisent non seulement dans des conditions calmes mais également dans le milieu très turbulent de la magnétosheat où elles ne durent que 45 ms. On y reviendra lorsque nous décrirons le champ magnétique terrestre.

En décembre 2003, Harald Frey et son équipe de l'Université de Californie à Berkeley ont découvert que les "cracks" restaient ouverts plusieurs heures durant, beaucoup plus longtemps que prévu, et ne constituaient pas de simples ouvertures sporadiques et de courtes durées dans le bouclier géomagnétique. Ce phénomène est dorénavant incorporé dans les modèles géomagnétiques afin d'améliorer la précision des prévisions de tempêtes sévères (indice X).

Tamitha Mulligan de l'IGPP nous précise qu'en temps normal - en dehors des "crack" -, la perturbation sera d'autant plus active que la densité du plasma du vent solaire sera élevée durant l'intervalle de temps où il pointera vers le sud. Au passage d'une CME comme on en connut le 6 avril 2000 - et de nombreuses autres depuis lors -, l'augmentation de densité engendra une pression dynamique accrue du vent solaire sur la magnétosphère terrestre. Cette pression (de l'énergie) fut convertie en énergie magnétique et thermique qui fut ensuite partiellement dissipée à travers les aurores. Cette augmentation de la force du champ magnétique est donc source de tempête géomagnétique. On y reviendra à propos de la tempête de Carrington de 1859.

A lire : Les aurores sous l'emprise de boucles magnétiques (sur le blog)

Evolution d'un flux de matière coronale (CME) dans l'environnement terrestre. Notez la compression du champ géomagnétique sur la 3e image. Lorsque les particules solaires arrivent aux pôles de la Terre, le champ géomagnétique interagit avec les particules. Les réactions chimiques qui en découlent entre 100 et 200 km d'altitude donnent naissance aux aurores. Cliquez ici pour lancer l'animation (.MOV de 784 KB). Document NASA/MSFC/Digital Radiance Inc.

Cette activité géomagnétique est en fait beaucoup plus complexe que la simple précipitation de particules dans l'atmosphère. Comme le schéma ci-dessous tente de le montrer, il existe plusieurs systèmes de courants qui s'étendent les uns dans la queue magnétique, les autres dans l'anneau ou encore dans la magnétopause. Ces courants forment des circuits électriques complets dont la plupart se referment dans l'ionosphère.

A travers une succession de processus magnétosphériques, le plasma va se stocker du côté nocturne de la Terre, dans la queue magnétique. Pendant ce processus le champ magnétique de la queue s'accentue produisant une augmentation de l'énergie et du flux de plasma, un peu comme un élastique que l'on étire et qui s'échauffe.

Au bout d'un certain temps qui s'exprime en heures, il y a soit trop de plasma soit un évènement extérieur provoque un retrait de cet élastique (le champ magnétique) vers la Terre, transportant tout le plasma dans son mouvement de retour. C'est à ce moment là qu'une bonne partie du plasma est littéralement catapultée dans la queue magnétique, remontant le feuillet de plasma, suivant le courant de l'anneau jusqu'à rejoindre l'ionosphère par les pôles, y dissipant de la chaleur et provoquant des aurores. Ce processus est dénommé une tempête secondaire ou sous-tempête. On y reviendra.

Le générateur MHD forme un circuit électrique complexe autour de la Terre qui énergétise l'ionosphère en provoquant des réactions secondaires de fluorescence dont les aurores (en vert pâle) sont la manifestation. Document PFRR.

C'est la raison pour laquelle certaines régions de l'ionosphère voient des protons et électrons précipiter et des flots d'ions remonter en altitude. Dans d'autres régions s'est la situation inverse qui se produit. Ces courants changent rapidement au cours du temps ainsi que la pression du vent solaire, spécialement lors du passage d'une CME. Il n'est donc pas étonnant qu'au cours de la rotation de la Terre et des observatoires magnétiques on observe à la fois une décroissance et une augmentation de la magnitude du champ magnétique.

Les aurores déchargent leur énergie comme le ferait un générateur d'électricité à travers le courant de décharge. Document PFRR.

Les caractéristiques de la magnétosphère terrestre jouent donc un rôle très important dans l'intensité des aurores. La magnétosphère canalise toutefois ce plasma vers les régions polaires des deux hémisphères qui ne sont pas protégés par le champ de force magnétosphérique. Ces deux points d'entrée sont appelés les "cornets polaires".

Dans des conditions normales, la tension de ce générateur naturel oscille entre 15000 et 50000 volts. Durant les tempêtes géomagnétiques et autre rafales de vent solaire cette tension peut s'élever à 200 kV ! A l'image d'un générateur d'électricité, cette énergie produit jusqu'à un million d'ampères qui sont transportés à travers l'ionosphère jusque dans la région des aurores entre 100 et 300 km d'altitude où la densité électronique avoisine 2 millions d'électrons/cm3. Ce courant est dénommé électrojet et peut-être mesuré au moyen de magnétomètres au sol.

Le potentiel électrique associé à ce "générateur" peut atteindre une puissance du million de mégawatts, plus encore que la consommation mondiale d'électricité en une année ! L'électricité fournie par ce générateur naturel se décharge au-dessus des deux cornets polaires, en partie le long des lignes de force du pôle magnétique et le reste à travers l'ionosphère. Elle est aussi transportée par le plasma à travers la magnétosphère. Le flux ainsi formé par ce générateur de courant s'appelle le courant de décharge. Parvenu sur Terre, ce plasma forme une région circulaire autour du pôle géomagnétique où les aurores seront visibles, en même temps qu'elles provoqueront les orages géomagnétiques. Il est donc normal d'observer les aurores dans la direction du pôle magnétique, au nord-nord-ouest. C'est en traversant ensuite les draperies de l'ionosphère dans un mouvement en spirales que ces particules retourneront à l'espace, non sans ayant créé quelques perturbations.

A gauche, une image composite d'une très belle aurore boréale d'une puissance de plusieurs GW observée dans la partie visible et ultraviolette du spectre par le satellite Polar. A droite, l'ovale représentant la distribution d'énergie d'une aurore de 13.5 GW avec ses extensions jusqu'à 45° de latitude Nord (G5, Kp=9). Doc U.Iowa/NASA et Spacewarn adapté par l'auteur.

Le champ magnétique terrestre peut aussi accumuler l'énergie accumulée dans l'ionosphère et se consolider. Il réattire alors les électrons en haute altitude, suivant les lignes de force de l'ionosphère jusqu'à 10000 km de la surface environ. Le potentiel électrique atteint ici quelques milliers de volts. A nouveau accélérés vers la Terre, ces électrons ont tendance à retourner dans la magnétosphère en formant une spirale. Les particules s'entrechoquent avec les atomes d'oxygène et d'azote du milieu ambiant et retournent à leur état stable en émettant un spectre lumineux caractéristique. C'est ce processus de décharge que nous observons dans un chatoiement de couleurs à l'oeil nu, aux latitudes moyennes et polaires, et que l'on peut entendre sur ondes-courtes, en VHF.

A acheter : Récepteurs ELF/VLF, Stephen McGreevy, N6NKS

Le son étonnant des aurores

(plus de détails sur cette page)

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Violente perturbation des bandes VHF provoqué par une aurore. Source et conditions inconnues mais celle-ci a certainement provoqué un blackout radio !

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"Soucoupe" magnétosphérique enregistrée le 27 mars 1996 à 2005z (côté soleil en temps local) par Don Gurnett, spécialiste du satellite Polar auprès de l'U.Iowa. Ces émissions caractéristiques ressemblent à des sifflements et ne durent que quelques secondes. Elles se manifestent pendant les aurores aux latitudes les plus éloignées du pôle. On distingue ce qu'on appelle "la forme en V de la soucoupe", centrée à 20:05:42 TU et qui s'étend jusqu'à 5 kHz. La "soucoupe en forme de disque" est plus spectaculaire et apparaît à 20:05:47 TU et s'étend en fréquence jusqu'à 2.5 kHz.

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Sifflement ou souffle magnétosphérique enregistré le 28 mai 1996 à 2148z du côté de la Terre plongé dans l'obscurité par Don Gurnett de l'U.Iowa. Ce genre d'émission se propage dans une étroite bande de latitude comprise entre 5-10°, centrées sur la zone où se manifeste l'aurore. Aux latitudes moyennes les plus fortes émissions se situent sous 3 kHz où les électrons présentent une énergie oscillant entre 50 eV (électrons situés à plus de 10000 km d'altitude et se propageant vers le haut) et 1 keV (sous 1000 km d'altitude où les électrons se propagent vers le sol).

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Radiation Aurorale Kilométrique (AKR) se propageant dans la magnétosphère et enregistrée le 10 mai 1996 à 1638z dans l'hémisphère sud, du côté de la Terre plongé dans l'obscurité par Don Gurnett de l'U.Iowa. La gamme de fréquence oscille entre 270 et  340 kHz.

L'émission AKR est un rayonnement radio intense s'échappant de la Terre à partir des régions où se manifestent les aurores à des fréquences qui se situent au-dessus de celles du plasma électronique local.

Asymétrie des aurores dans les deux hémisphères : un mystère résolu

Des études scandinaves et américaines ont montré que les aurores se formaient simultanément dans les deux hémisphères et présentaient pratiquement les mêmes formes. Les rares fois où on en aperçoit aux latitudes moyennes en Europe (classe I en général au lieu de IV, voir classification p9), vous pouvez être certain qu'on en observe également en Afrique du Sud.

On a longtemps cru que les aurores apparaissaient simultanément aux mêmes endroits au-dessus des deux pôles, mais de nouvelles études ont montré que ce n'est pas toujours le cas. Ce n'est qu'en 2019 que des chercheurs norvégiens ont compris l'origine de cette différence.

Si la théorie de l'aimant, du dipôle magnétique généré par la rotation du métal en fusion dans le noyau externe de la Terre, explique la formation des aurores, elle ne tient pas compte d'une composante, le vent solaire, ce flux de particules chargées que le champ géomagnétique repousse et canalise vers les pôles.

Selon une étude publiée par des chercheurs norvégiens de l'AGU dans le "Journal of Geophysical Research: Space Physics" en 2019, le vent solaire ne frappe pas toujours la Terre directement. En raison de la rotation du Soleil et de la Terre, le flux de particules chargées entre parfois sous un angle et tord les lignes de champ géomagnétique lorsqu'elles se brisent à l'avant et se recombinent à l'arrière (cf. la vidéo ci-dessous).

Lorsque cela se produit, nous nous retrouvons avec un champ géomagnétique incliné. De ce fait, l'emplacement des aurores les unes par rapport aux autres est excentré et les déforme. Il faut plusieurs heures pour que les lignes de force se réalignent.

A voir : Why the northern and southern lights are different, AGU, 2020

Notons qu'on peut aussi observer des aurores sur la face diurne de la Terre. Contrairement aux aurore nocturnes qui sont principalement contrôlées par les reconnexions dans la queue géomagnétique, les aurores diurnes sont étroitement associées aux reconnexions du champ géomagnétique au niveau de la magnétopause diurne. On peut donc également observer en plein jour une asymétrie hémisphérique mais cette fois liée à une insolation solaire déséquilibrée.

Le phénomène étant peu connu du public, voici plusieurs études sur les aurores diurnes (cf. UNIS; P.Sandholt et al., 2004; H.U. Frey et al., 2019; K.Liou et E.J. Mitchell, 2020).

Nous verrons page suivante qu'il existe également une relation directe entre les reconnexions dans la queue magnétique et la forme ainsi que la brillance des aurores.

Prochain chapitre

Les perturbations et autres défaillances

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