Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

La Bible face à la critique historique

"Ecce homo" (l'expression est de Ponce Pilate) d'Antonio Ciseri réalisée entre 1860-80 et présentée à la Galerie d'Art moderne de Florence.

La condamnation à mort de Jésus (I)

Dans le Nouveau Testament, les quatre Évangélistes relatent la condamnation à mort de Jésus par Ponce Pilate (Matthieu 27:11-14; Marc 15:2-5; Luc 23:2-25; Jean 18-19). Luc fait même référence à la participation d'Hérode (Luc 23:6-12) mais son authenticité n'est pas attestée dans la mesure où Pilate n'avait aucune obligation d'envoyer Jésus à Hérode, la loi romaine stipulant simplement que le criminel devait être jugé là où il avait commis les crimes qu'on lui reprochait. De plus, rappelons que Luc est un rédacteur non-juif de la deuxième génération qui n'a pas connu Jésus et tient ses informations de sources indirectes.

En réalité, craignant probablement de subir le même sort que leur Maître, aucun des apôtres n'assista au procès de Jésus, ce qui explique que le texte des Évangiles reste confus sur le sujet. On y reviendra.

L'authenticité historique

Première question : a-t-on des preuves historiques de l'arrestation, du procès, de la condamnation à mort et de la crucifixion de Jésus de Nazareth ? Et sinon, a-t-on au moins des indices en dehors de la Bible qui viendraient appuyer l'authenticité des faits ?

En dehors des récits apostoliques, il n'existe aucune annale historique attestant du procès, de la condamnation et la crucifixion de Jésus. Parmi les artefacts et documents évoquant cet épisode, comme on le voit ci-dessous les archéologues ont juste découvert à Césarée une pierre portant l'inscription "Ponce Pilate, Préfet de Judée" qui atteste son existence et sa fonction. En recoupant les données des historiens antiques, on estime que Ponce Pilate fut procurateur de Judée entre 26 et 36 puis fut destitué et disgracié comme nous l'avons expliqué à propos des révoltes juives. Il serait mort entre 38 et 41.

Nous disposons également de trois textes profanes et pas un de plus, dont deux écrits par des historiens relatant l'exécution de Jésus et apportant donc des indices confirmant que Jésus a bien existé. Le premier texte est le livre les "Antiquités Judaïques" de l'historien juif romanisé Flavius Josèphe rédigé vers l'an 93 qui précise bien à propos de Jésus que "Pilate l'eut condamné à la crucifixion" (Livre XVIII, 64), confirmant le témoignage de Tacite avec ce détail supplémentaire que Josèphe précise non seulement que Jésus est le "Christ" mais qu'il fut crucifié. C'est un témoignage important sachant que Josèphe était à l'origine un Pharisien mais qui se détourna du judaïsme pour épouer la culture romaine. Il n'avait donc aucun intérêt à appuyer l'histoire du Messie crucifié.

Ensuite, dans ses "Annales" rédigées entre 115 et 117, l'historien romain Tacite écrit dans un parfait latin : "Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate".

Enfin, il y a la "Lettre de Mara" écrite en syriaque qui évoque le meurtre par les juifs du "roi sage" qui l'ont "privé de leur royaume".

A gauche, une pierre taillée en grès fut découverte en 1961 près de Césarée par une équipe d'archéologues italiens dirigée par le Dr. Frova. Cette pierre contient une inscription confirmant la fonction de Ponce Pilate : "TIBERIEVM... [PO]NTIVS PILATVS [...PRAEF]ECTUS IUDA[EA]E", c'est-à-dire "Ponce Pilate, Préfet de Judée". A droite, la vue générale.

Il existe évidemment d'autres textes en grec, latin, syriaque ou même en arabe qui évoquent "un roi sage" mis à mort, un "Messie", "Yesus", "Iesvs", "Christus" ou "Christos" mais toutes ces sources documentaires sont imprécises ou tardives et donc sans valeur car soit l'auteur n'a qu'une idée vague de ce qu'il écrit soit le texte fut modifié ultérieurement par divers auteurs chrétiens et n'apporte aucune nouvelle donnée historique.

Les trois textes fiables que nous possédons et dont il existe des copies plus ou moins identiques et même des traductions, se recoupent pour d'abord confirmer que le Nouveau Testament raconte bien l'histoire d'un homme appelé Jésus qui vécut réellement à l'époque indiquée. Ils appuyent également l'idée que Jésus fut condamné à mort par les Romains (les juifs n'avaient pas ce pouvoir), peu importe que le motif soit religieux (la comparution devant le Sanhédrin fut justifée par l'atteinte à l'autorité sacerdotale, à l'incident dans le Temple, etc.) ou profane (comparution en tant que civil devant Pilate pour atteinte à l'ordre public). On reviendra en détails sur ces documents dans l'article "Jésus a-t-il existé ?"

A lire : Jésus a-t-il existé ?

A gauche, un fragment du manuscrit de l'Évangile selon Jean (versets 18:36-40, Jésus devant Pilate) découvert à Oxyrhynque. C'est une copie en grec du IIe.s. Manuscrit (réf. 3523r) du Musée Ashmoléen d'Oxford. Une partie de la collection est disponible en ligne (CSAD, CSNTM et Archive). A droite, mosaïque de Jésus face à son juge Ponce Pilate qui s'en lave les mains après l'avoir condamné. Fresque de la Basilique Saint-Apollinaire-Le-Neuf à Ravenne (I), de style byzantin, achevée en 526.

Le lieu du procès

Ponce Pilate n'est pas revenu à Jérusalem spécialement pour le procès de Jésus, mais apparemment en tant que préfet il voulait vérifier en personne qu'à l'occasion de la Pâque juive, le maintien de l'ordre serait assuré et qu'il n'y aurait pas de débordements ou d'émeutes pendant les festivités. Etant sur place, le Sanhédrin en profita pour lui expédier l'affaire brûlante qu'il avait entre les mains et qui devait être jugée avec le sabbat, une manière espérait-il d'éteindre la menace que représentait Jésus et avec lui toute tentative de rébellion, notamment des Zélotes contre les Romains.

Panorama de la partie ouest de la vieille ville de Jérusalem au coucher du Soleil vue depuis le haut de la "Citadelle de David" construite au IIe siècle avant notre ère avec la cour de la citadelle à l'avant-plan et la tour de David un peu plus loin. C'est peut-être à cet endroit que Jésus fut jugé par Ponce Pilate puis flagellé.

Selon les Évangiles, Jésus rencontra Ponce Pilate dans le Prétoire. Aux premiers temps de l'Empire romain, il s'agit de l'endroit où les légions avaient leur quartier général et où le consul, le commandant de l'armée, avait sa tente qui fut rapidement transformée en fortification ou castellum. En province, c'était également la résidence du procurateur romain et l'endroit où il rendait la justice. Notons que ce n'est qu'à partir de la fin du Ier siècle que le Prétoire donna son nom aux luxueuses villas romaines où les grandes familles séjournaient temporairement, l'équivalent des résidences secondaires.

Sans identification précise de la localisation du Prétoire, les archéologues ont proposé deux endroits de Jérusalem connus pour avoir été des forteresses romaines et dans lesquelles ils ont découvert des artefacts datant apparemment du Ier siècle :

- la forteresse d'Antonia reconnaissable à ses quatre tours, située à l'est du Temple, juste derrière le mur du Parvis des Gentils (cf. cette photo de la maquette).

- le palais d'Hérode Antipas appelé la "Citadelle de David" (Arx David) par Flavius Josèphe (cf. "Antiquités Judaïques", Livre XII) ou la Citadelle de Jérusalem (à ne pas confondre avec le palais d'Hérode le Grand à Hérodion) reconnaissable à sa Tour Phasaël situé à 600 m au nord-ouest de la forteresse d'Antonia, près de la porte de Jaffa, accolé à la muraille qui encercle Jérusalem.

La forteresse d'Antonia fut écartée au XXe siècle car des analyses ont montré que les dalles pavant le forum situé sous la chapelle de la Condamnation et dans la basilique de l'Ecce Homo datent du IIe siècle. Elle remontent au projet de construction de la nouvelle ville d'Aeia Capitolina (la Jérusalem romaine) par l'empereur Hadrien vers 130 de notre ère, c'est-à-dire juste avant la révolte de Bar Kokhba (132-135), la seconde guerre des Juifs contre Rome.

De plus, Jean précise que le lieu où Jésus fut présenté au public par Pilate s'appelait "le Pavé", de son nom hébraïque "Gabbatha" c'est-à-dire le "lieu surélevé" (Jean 19:13); selon les archéologues il ne correspond pas à cet endroit mais plutôt à la Citadelle de David.

Selon l'archéologue Amit Re'em de l'Université Hébraïque de Jérusalem, le Prétoire serait situé dans la Citadelle. Selon plusieurs historiens, ce serait également dans une résidence adjacente à la Citadelle que Ponce Pilate résidait quand il était à Jérusalem. Ce serait également dans une des cours de la Citadelle que Jésus fut flagellé et où on lui posa une couronne d'épines.

On peut aussi estimer que Pilate préféra juger les victimes dans son palais plutôt que dans une garnison remplie de soldat et au confort tout spartiate.

A gauche, un mur hérodien dans la zone de la Citadelle où Ponce Pilate prononçait probablement les jugements dont celui de Jésus. Au centre, le pavement où Jésus aurait pu se trouver lors de son jugement par Ponce Pilate. A droite, les deux marches sur le mur ouest aujourd'hui aveugle de la vieille ville de Jérusalem sont probablement les vestiges derrière lesquels se trouvait le palais d'Hérode, en particulier le Prétoire romain où Jésus fut flagellé (aujourd'hui il y a un parking arménien derrière ce mur). Devant la pelouse (hors champ) se trouve une cour de 30 m x 11 m pouvant accueillir la population. Il est possible que Jésus fut présenté au public sur ces marches situées à l'extérieur du Prétoire. Documents James Tabor et Victoria Brogdon.

Aujourd'hui, comme on le voit ci-dessus à droite, le long de la muraille ouest de la vieille ville de Jérusalem, sur un mur aveugle de la Citadelle de David dont la porte fut obstruée il y a plusieurs siècles, se trouve deux marches blanches en bon état datant de l'époque de Jésus. Selon Shimon Gibson et James Tabor, ces marches donnaient probablement sur le Prétoire où Jésus fut présenté à la foule face à Barabbas (et non depuis un balcon comme les illustrations et les films le représentent mais que n'évoquent pas les Évangélistes). Au bas de ces marches se trouve une pelouse donnant sur une cour de 30 m x 11 m où peut se rassembler la population. C'est l'un des rares lieux saints oublié par la Grande Église qui est resté dans son état initial et n'a pas été transformé en église et dont la plupart des pèlerins ignorent jusqu'à l'existence.

La condamnation à mort de Jésus

Malgré ce que sous-entendent les Évangélistes, étant donné qu'ils n'ont pas assisté au procès de Jésus devant Ponce Pilate, nous n'allons pas décrire les conditions du procès de Jésus que le lecteur pourra de toute façon consulter directement dans le Nouveau Testament (Matthieu 27:1-31, Marc 15:1-20, Luc 23:1-25 et Jean 18:28-40; 19:1-16) ou dans les critiques des exégètes. Nous allons seulement relever trois faits significatifs.

Une page enluminée de la "Guerre des Juifs" de Flavius Josèphe en salvon datant du X-XIIIe.s.

D'abord un fait qui n'est mentionné que dans la version en slavon de la "Guerre des Juifs" de Flavius Josèphe : Jésus aurait été arrêté à deux reprises. Josèphe écrit à propos de Jésus qu'il considère comme un thaumaturge mais qu'il préfère appeler "un homme, s’il est permis de l’appeler homme [...] Il avait coutume de se tenir de préférence devant la cité, sur le mont des Oliviers. C'était là qu'il dispensait les guérisons au peuple. Et auprès de lui se rassemblèrent cent cinquante serviteurs, et d'entre le peuple un grand nombre. Observant sa puissance, et voyant qu'il accomplissait tout ce qu'il voulait par la parole, ils lui demandaient d'entrer dans la ville, de massacrer les troupes romaines et Pilate, et de régner sur eux. Mais il n'en eut cure. Plus tard, les chefs des Juifs en eurent connaissance, ils se réunirent avec le grand prêtre et dirent : “Nous sommes impuissants et faibles pour résister aux Romains, (qui sont) comme un arc tendu Allons annoncer à Pilate ce que nous avons entendu, et nous n'aurons pas d'ennuis: si jamais il l'apprend par d'autres, nous serons privés de nos biens, nous serons taillés en pièces nous-mêmes et nos enfants dispersés en exil.” Ils allèrent le dire à Pilate. Celui-ci envoya des hommes, en tua beaucoup parmi le peuple et ramena ce thaumaturge. Il enquêta sur lui, et il connut qu'il faisait le bien et non le mal, qu'il n'était ni un révolté, ni un aspirant à la royauté et le relâcha, car il avait guéri sa femme qui se mourait. Et, venu au lieu accoutumé, il faisait les oeuvres accoutumées. Et de nouveau, comme un plus grand nombre de gens se rassemblaient autour de lui, il était renommé pour ses oeuvres par-dessus tous. Les docteurs de la Loi furent blessés d'envie, et ils donnèrent trente talents à Pilate pour qu'il le tuât. Celui-ci les prit et leur donna licence d'exécuter eux-mêmes leur désir . Ils le saisirent et le crucifièrent en dépit de la loi des ancêtres" (Flavius Jopsèphe, "Guerre des Juifs", 2, 174, slavon).

Ce passage fut contesté dans les années 1920-30 par les historiens Robert Eisler (également bibliste) et Théodore Reinach (également épigraphiste et archéologue notamment) qui estiment que ce texte fut rédigé par un faussaire au Moyen-Âge (X-XIIIe.s.) au moment de sa traduction en slavon. En revanche, le frère dominicain Étienne Nodet qui est un spécialiste des oeuvres de Flavius Josèphe soutient que ce passage est authentique et le référence (sans le citer) dans son livre "La porte du ciel" (2016, p192-193). Justin Taylor qui est son collègue de travail partage son avis. Pour une critique de ce passage contesté de Josèphe lire en français les articles sur les sites 1000 questions et Freyr1978.

Que la première arrestation soit réelle ou pas, Jésus n'a pas voulu assouplir sa stratégie ni négocier quoi que ce soit avec Caïphe ou les Romains ou trouver des alliés haut placés qui le défendraient s'il était arrêté. Comme nous l'avons expliqué, Jésus s'était radicalisé au point d'être fanatisé par l'idée d'être le messager du Dieu sauveur. En effet, on constate que Jésus s'est littéralement sacrifié en s'offrant comme prisonnier volontaire à l'autorité religieuse, qu'il ne s'est pas défendu devant Pilate et au contraire qu'il accepta de plein gré sa condamnation à mort et son martyr. On en déduit que Jésus avait l'espoir d'être libéré de sa servitude terrestre à travers sa résurrection qui prouverait l'existence du royaume de Dieu et la vérité de ses paroles, du moins en théorie.

Pilate n'a pas condamné Jésus sur base des accusations avancées par Caïphe mais parce que Jésus répondit à sa question "Es-tu le roi des Juifs ?" : "Tu le dis" (Marc 15:2; Matthieu 27:11) ou "Je le suis" (Luc 22:7) ou encore ": Tu le dis, je suis roi" (Jean 18:37). Mais l'expression "Tu le dis" n'a pas le même sens que "Je le suis". Dans le premier cas, Jésus ne s'attribue pas le titre de "roi des Juifs" et sous-entend qu'il est colporté par d'autres, que ce sont les juifs qui le nomment ainsi. En revanche, Jean combine les deux sens pour insister sur le rôle de souverain qu'il voyait en Jésus : "Tu le dis, je suis roi".

Mais qu'a réellement dit Jésus ? Personne ne peut le dire mais a priori le texte le plus ancien, celui de la source "Q" qu'ont repris Matthieu et Luc est probablement le moins altéré et le plus proche de la réalité tout en étant moins incomplet que les Évangiles. D'ailleurs, à aucune occasion Jésus n'a déclaré en public qu'il était roi. En revanche, on peut imaginer que dans l'intimité des Douze, Jésus leur expliqua ce qu'il entendait par le royaume de Dieu et pourquoi il choisit douze apôtres. A ce moment là, il était bien obligé de leur déclarer que lui-même, le Messie, siégerait sur un trône, et la seule personne pouvant l'occuper est un monarche. Conclusion, même si Jésus n'a pas voulu se déclarer roi face à Pilate sachant que ce serait interprété comme un crime, il le pensait et était prêt à assumer ce rôle, d'où l'interprétation de Jean.

Quoi qu'il en soit, alors que Jésus a toujours exprimé des idées messianiques et apocalyptiques souvent dans un sens futur, cette fois-ci Jésus parla très concrètement et au présent. Pilate a donc interprété sa réponse puis son silence comme une confirmation au sens politique et au temps présent. Bien que la première fois Pilate ne trouva en Jésus "aucun crime" (Jean 18:38), cette fois c'est pour ce même motif qu'il décida de le condamner à mort tout en acceptant de le gracier pour la Pâque si tel était le choix de la foule amassée devant le Prétoire. Malheureusement, selon la tradition c'était sans compter sur l'effet de foule favorable à la libération de Barabbas

Barabbas

Que savons-nous sur Barabbas, soit-disant jugé par Ponce Pilate et libéré ensuite à la demande des juifs comme le voulait la coutume pascale ? Les Évangiles ainsi que des manuscrits apocryphes montrent que Barabbas était également le prénom de Jésus (Matthieu 27:16-17) mais comme l'explique Jean-Paul Michaud, il fut écarté lors des copies ultérieures par les scribes pour éviter qu'il n'y ait deux Jésus, un saint homme et un voleur.

Dans son célèbre livre encyclopédique "La mort du Messie" (2005), le père Raymond E. Brown[1] analysa les 36 dernières heures de la vie de Jésus du point de vue d'un enquêteur n'a trouvé aucune annale historique attestant que la coutume juive exigeait de libérer un prisonnier. De plus, les historiens sont unanimes pour dire qu'aucun gouverneur romain n'a jamais gracié un prisonnier dans l'Empire. Ce récit et ce personnage seraient donc fictifs.

Mais pour recouper le récit de Matthieu, Brown proposa l'hypothèse que suite à une émeute qui se solda par plusieurs morts, un certain Barabbas aurait été arrêté lors d'une rafle et relâché lors d'une fête qui amena le procurateur à Jérusalem, fête qui se déroula à peu près en même temps que la crucifixion de Jésus. Mais quelle que soit la construction des historiens (ou des scénaristes de films), on ne sait rien de Barabbas et tout indique qu'il s'agit d'un personnage imaginaire utilisé pour construire l'hagiographie de Jésus, mettant ironiquement en rapport la libération d'un criminel et la condamnation d'un innocent.

A lire : New Testament Political Figures Evidence Chart, BAS

Liste des personnages authentiques du Nouveau Testament

Ponce Pilate, un homme sans scrupules

Comme nous l'avons expliqué à propos de la constitution du canon du Nouveau Testament, Luc n'étant pas juif et même pro-romain, il fut le seul à décrire Ponce Pilate comme un homme de raison et juste qui fit tout son possible pour libérer Jésus. Ainsi, Luc omit de préciser que Pilate ordonna la flagellation de Jésus et omit sciemment de mentionner les moqueries et les abus dont fut victime Jésus lorsqu'il fut entre les mains des gardes prétoriens de Pilate; tout cet épisode est résumé en un seul verset (Luc 23:25). Mais à sa décharge bien que cela ne l'excuse pas, disons que vers l'an 80, les premiers chrétiens avaient déjà oublié les origines juives de Jésus et du christianisme et imaginaient surtout cette religion d'un point de vue théologique et symbolique.

Selon Matthieu : "Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, mais que le tumulte augmentait, prit de l'eau, se lava les mains en présence de la foule, et dit: Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde" (Matthieu 27:24). Dans les faits, Pilate n'avait aucun scrupule à condamner un Juif ni même un Romain; il le faisait couramment depuis déjà six ans et c'était légal.

Mais à force de crucifier les Juifs et parfois des personnes très en vue comme lors de la révolte des Samaritains en 36, rappelons que suite à une plainte de ces derniers, Pilate fut destitué par Lucius Vitellius, légat de Syrie, et dut s'expliquer à Rome au cours d'un procès devant l'empereur Tibère et fut disgrâcié. Il serait mort entre 38 et 41. Vitellius nomma ensuite Marcellus comme préfet de Judée puis l'empereur Caligula nomma Marullus qui assura la fonction d'hipparque de Judée entre 37 et 41.

Des Évangélistes prudents

On peut s'étonner que le texte des Évangiles relatant le procès de Jésus de Nazareth ne porte finalement aucun jugement de valeur sur la responsabilité des autorités juive et romaine dans la condamnation et la mort de Jésus. Alors que leur guide auquel ils vouaient un véritable culte fut condamné à mort, aucun Évangéliste ne porte d'accusation contre les autorités; aucun écrit ne discute de l'injustice de la condamnation à mort de Jésus, acceptant pour ainsi dire le verdict sans se révolter[2].

En fait, les Évangélistes ont écrit leur récit à une époque où la Palestine faisait partie de l'Empire romain et où les Juifs sortaient d'une révolte (entre 66 et 73) où ils furent vaincus par les Romains. En cette période politiquement très instable - elle conduira à la deuxième Guerre des Juifs (132-135), il n'aurait pas été très prudent qu'une minorité et d'autant plus d'une religion non officielle publie des récits dans lesquels ils affirmeraient que les Romains seraient responsables de la mort de Jésus de Nazareth. De même, pour les rédacteurs vivant en Palestine, il n'aurait pas non plus été prudent d'affirmer que le clergé juif était responsable de la mort d'un guide spirituel d'obédience juive. Les auteurs ont donc sciemment lissé toute animosité ciblée pour ne choquer aucune des autorités de l'époque, l'auto-censure et un discours complaisant assurant d'avoir la vie sauve.

Intéressons-nous à présent aux deux actes consécutifs au prononcé de la condamnation à mort de Jésus, la flagellation et la crucifixion.

La flagellation

En soi, les historiens évoquent peu la flagellation de Jésus. La raison est que les Évangiles ne la décrivent pas et se limitent chacun à un mot dans un seul verset. Selon Marc : "Pilate, voulant donner satisfaction à la foule, leur relâcha Barabbas; et après avoir fait flageller Jésus, il le remit (aux soldats) pour être crucifié" (Marc 15:15). Matthieu n'est pas plus loquace : "Pilate leur relâcha Barabbas; et, après avoir fait battre de verges Jésus, il le livra pour être crucifié" (Matthieu 27:26). Quant à Luc, il l'évoque en passant : "... après l'avoir fait battre de verges" (Luc 23:22). Et Jean ou la communauté johannique se contente d'écrire : "Alors Pilate prit Jésus, et le fit battre de verges" (Jean 19:1).

De toute évidence, l'évènement leur parut banal et sans conséquence. On en déduit que les apôtres n'ont pas été témoins du supplice, soit non admis soit sans doute cachés et craignant à leur tour pour leur vie, ce qui explique le reniement de Pierre et leur absence dans les textes. Mais même si les Évangélistes eurent certainement écho de la flagellation, ils ne relatent rien du supplice. On en conclut qu'effectivement il n'y a pas eu de débordements ou d'abus comme une flagellation anormalement violente, sadique ou sanguinaire comme le présentent certains réalisateurs de films. Ce n'est qu'une hypothèse mais on peut tenter de la vérifier.

La flagellation du Christ dans un vitrail de l'église Notre-Dame à Alsemberg, située à Beersel, près de Bruxelles.

Que sait-on aujourd'hui de la flagellation ? La culture et les médias occidentaux qui abhorrent toute forme de supplice ont développé le sujet jusqu'à l'exagération, notamment le réalisateur Mel Gibson dans son film "La Passion du Christ" (2004) où il insiste durant plusieurs dizaines de minutes sur la flagellation qu'il présente de manière exagérément barbare et sanglante pour montrer toute la cruauté humaine. Pour cette raison, le film reçut une critique négative du public (cote de 2.9/5 pour 6000 votants). Il fut néanmoins un succès du box office et classé parmi les films les plus rentables de son époque, représentant le plus grand succès d'un film indépendant avec une recette globale de 612 millions de dollars. Une preuve de plus que l'avis des critiques et surtout négatives est rarement représentatif et n'influence pas les cinéphiles.

En Occident, faute d'information, on oublie souvent que la flagellation reste un supplice qui tout bien considéré peut être plus douloureux que la crucifixion (voir page suivante) quoiqu'à ce niveau de douleur cela soit relatif. En effet, si les clous enfoncés dans les chairs et les os génèrent une douleur insupportable et lancinante (imaginez la douleur de plusieurs fractures ouvertes), elle ne tue par le condamné (qui meurt par asphyxie ou anémie). En revanche, par les douleurs et les traumatismes qu'elle inflige de manière répétée, continue et leurs conséquences, la flagellation est équivalente à une agonie aiguë si ce terme a encore un sens à ce niveau de souffrance qui peut provoquer la mort en quelques minutes si la personne est fluette, sensible du coeur ou très émotive. On y reviendra.

En quoi consiste la flagellation et quels sont ses effets ? Si le supplice n'est plus pratiqué de nos jours à la mode romaine, l'Histoire nous a légué quelques indices à travers le compte-rendu des supplices réservés à des soldats ou des condamnés (en Allermagne durant Seconde guerre mondiale, le colon Isidore Bakanja flagellé au Congo Belge, l'usage du knout ou fouet des Tartares et par la coutume juive antique) et si vous voulez bien on oublie les traces sur le Saint Suaire de Turin qui est un faux fabriqué au Moyen-Âge (cf. les faux portraits de Jésus).

Plus proche de nous, on peut également décrire ce supplice du fait que la flagellation est toujours d'usage dans les pays musulmans appliquant la charia ou loi coranique à la lettre (Irak, Afghanistan, Mali et Arabie Saoudite) où les condamnés peuvent recevoir entre 100 et 1000 coups de fouet, une pratique moyenâgeuse et aux conditions d'application devenues caduques de l'aveu même des chefs religieux musulmans (imam) et qui va sans dire est en violation avec les Droits de l'homme.

Enfin, on peut également se baser sur les effets du martinet qu'encore de nos jours certaines personnes utilisent et qui comme jadis sert à flageller le dos ou la région lombaire à diverses fins. Si à faible dose, les anciens auteurs (cf. Jean-Henri Meibomius, 1795) y voyaient un "remède à l'épuisement", il va sans dire que son abus peut aussi provoquer de sérieux traumatismes.

Le fouet romain ou flagrum

Etant donné que trois des Évangélistes parlent de verges (des baguettes flexibles) et non de fouet, on ne peut pas affirmer que Jésus fut flagellé avec un fouet. Toutefois, en vertu des lois de l'époque, qu'elles soient juives ou romaines, l'outil contondant utilisé était bien le fouet et nous savons que dans le langage courant, qu'on utilise un fouet ou des verges, comme le dit Marc on parle de flagellation.

Dans quelles conditions le condamné était-il flagellé ? Le supplice a peu varié en deux mille ans et on peut donc imaginer que le supplice que subissent certains condamnés musulmans aujourd'hui est sembable à celui de l'époque romaine. Mais nous avons une source qui, bien que datant de l'époque moderne, est éclairante sur la manière dont les Romains procédaient.

Dans l"Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers" de Diderot et d'Alembert de 1751, au chapitre des "Supplices des Hébreux", on peut lire en vieux français à propos de l'usage du fouet : "on faisoit étendre le criminel par terre, & on le frappoit à coups de bâtons, quelquefois jusqu'à lui ôter la vie. A l'égard du fouet, lorsqu'un homme y étoit condamné les exécuteurs de la justice le saisissoient, le dépouilloient depuis les épaules jusqu'à la ceinture, & déchiroient même sa tunique depuis le col jusqu'aux reins. Ils frappoient sur son dos avec un fouet de cuir de boeuf composé de quatre lanieres & assez long pour atteindre jusqu'à sa poitrine; il y en a même qui veulent qu'on ait frappé six coups sur le dos, puis trois coups sur la poitrine, à l'alternatif. Le patient étoit attaché fortement par les bras à une colonne assez basse, afin qu'il fût panché, & celui qui frappoit, étoit derriere lui monté sur une pierre" (p15:362, 4°).

Document adapté de Dave Kooyers.

Pour accomplir la flagellation, comme illustré à droite, le bourreau car on ne peut pas l'appeler autrement, utilisait un flagrum, un fouet à manche court équipé de deux à quatre lanières épaisses en cuir sur lesquelles étaient placées soit sur la partie terminale soit à l'extrémité, des osselets de moutons ou de petits éléments blessants comme des tessons, des épines et des billes en plomb. Frappant violemment le condamné sur le thorax, les épaules ou le dos, les lanières lacéraient la peau jusqu'au derme tandis que les tessons et les masses provoquaient de profondes plaies et d'importantes contusions suivies généralement d'hémorragies internes. On reviendra sur les traumatismes.

Légalement, la Loi juive condamnait le supplicié à 40 coups de fouet ou de verges mais en pratique pour ne pas risquer d'enfreindre la Loi ou de risquer de tuer le condamné, les juges du Temple limitaient les flagellations à 39 coups de fouet maximum dont 13 sur la poitrine et 13 sur chaque épaule. En revanche, si la peine était prononcée par les Romains, il n'y avait pas de limite autre que celle que le condamné puisse ensuite porter sa croix ou uniquement le patibulum (la poutre horizontale) pesant plusieurs dizaines de kilos (voir page suivante). On estime que la flagellation pouvait comporter entre 50 et 100 coups de fouet.

Après tout ce qu'il avait déjà enduré, à la fin du supplice Jésus était donc probablement dans un état d'épuisement avancé. On y reviendra mais voyons d'abord les conséquences médicales de la flagellation qui vous nous confirmer que le supplice était loin d'être anodin comme le sous-entendent les Évangélistes en ayant quasiment évité le sujet.

Effets médicaux de la flagellation d'un supplicié

En résumé car on pourrait décrire le sujet dans un traité médical, suite à la flagellation, le supplicié présente de multiples traumatismes aigus dont la gravité et les conséquences vont dépendre de l'endroit où sont portés les coups, de leur intensité et de la durée du supplice.

Lorsque les coups sont portés sur le thorax, les conséquences affectent directement le coeur et rapidement l'état de conscience. Parmi les signes cardio-vasculaires citons la péricardite (inflamation du péricarde qui enveloppe le coeur) suivie d'une hydropéricardie (épanchement abondant de liquide dans l'enveloppe du coeur). Ensuite, la victime ressent des douleurs thoraciques (précordialgie) dans la région antérieure gauche du thorax, devant le coeur, identique à celle qu'on peut ressentir lors d'une frayeur ou d'un effort trop intense. Suite à l'un ou aux deux traumatismes, la victime à l'impression que son coeur est serré dans un étau, ce qui entrave fortement la respiration et déclenche une tachycardie (accélération du rythme cardiaque bien au-dessus de 150 battements par minute) suivie d'une respiration de plus en plus difficile, d'une angoisse, des troubles de la conscience et d'éventuelles convulsions (contractions musculaires).

Arrivé à ce stade, si la victime présente par exemple un souffle au coeur qui permet notamment à l'influx nerveux de prendre des raccourcis, la tachychardie peut s'emballer, la fréquence cardiaque atteindre 300 ou 400 battements par minute et provoquer la mort du sujet. En corrigeant le souffle au coeur par chirurgie, on évite cette éventuelle tachychardie et le risque associé d'arrêt cardiaque. Notons que vers 30 ans, la fréquence cardiaque maximale est d'environ 180-190 battements par minute et diminue avec l'âge pour atteindre 140-155 battements par minute vers 75 ans. C'est l'une des raisons qui explique que les personnes âgées sont plus "sensibles du coeur" que les jeunes et doivent éviter les chocs émotionnels trop intenses, source de tachychardie.

L'insuffisance cardiaque.

Lors d'une flagellation, ces signes cliniques sont suivis d'un collapsus. C'est un trouble complexe qui consiste en une chute de la pression des liquides corporels qui provoque l'effondrement d'un organe creux ou mou et notamment des viscères et des muscles. La victime perd rapidement ses forces physiques rendant tout mouvement pénible et tremblant avec un état de conscience proche de la syncope et l’adynamie (abattement physiologique généralisé avec une faiblesse extrême). La tension artérielle chute, le pouls devient faible et rapide, les sueurs sont abondantes et parfois sanguines (hématidrose, cf. le fameux "sang de Gethsémani" évoqué peu avant l'arrestation de Jésus), la voix devient faible et on observe une cyanose (la peau devient bleue en raison d'un sang désoxygéné) avec un refroidissement des extrémités, puis une insuffisance cardiaque droite (le ventricule droit se contracte moins fort entraînant un déficit du débit sanguin, le sang s’accumulant dans tous les vaisseaux de l’organisme) suivie d'un oedème (gonflement des tissus par accumulation de sang) en particulier dans les chevilles et les pieds. Cet afflux sanguin dans les membres inférieurs ainsi que les lacérations et les entailles dans les chairs rendent aussi la peau ultrasensible, accentuant la douleur au moindre choc.

Concernant les signes respiratoires, la flagellation thoracique entraîne un oedème de la plève qui entoure les poumons qui vient s'ajouter à l'insuffisance cardiaque. Le supplicié présente une oppression thoracique avec une difficulté pour respirer qui se manifeste par une respiration rapide et superficielle (dyspnée intense de type polypnée) devenant haletante pouvant conduire à une détresse respiratoire aiguë suite à la perturbation des échanges gazeux entre l'air et le sang. En effet, à l'état physiologique normal, grâce à la respiration, le sang qui transite par les alvéoles pulmonaires y pénètre pauvre en oxygène et riche en gaz carbonique et en ressort riche en oxygène et pauvre en gaz carbonique. Or, lors d'une insuffisance respiratoire, le sang ressort des alvéoles pulmonaires pauvre en oxygène et riche en gaz carbonique. La victime passe alors en état d'hypoxie (manque d'oygène) avec un excès de gaz carbonique dans le sang qui va accentuer la fatigue musculaire et la pénibilité de la moindre action. Enfin, l'augmentation de la concentration du gaz carbonique va augmenter la quantité de potassium dans l'organisme dont l'excédant est normalement évacué par les reins. Ce déséquilibre produit une hyperkaliémie (surplus d'ions potassium) qui va déclencher des crampes abdominales et des sensations de brûlures et de piqûres (paresthésies) qui peuvent causer la mort par fibrillation du coeur (des contractions irrégulières et désynchronisées des différentes cavités du coeur).

Ce sont ces signes pathologiques et en particulier les insuffisances cardiaques et respiratoires aiguës dont l'hyperkaliémie qui peuvent rapidement entraîner la mort si la victime n'est pas d'urgence prise médicalement en charge.

Dans le cas de Jésus, c'est sans compter qu'il venait de passer une nuit blanche durant laquelle il resta probablement plus de 20 heures éveillé en état d'anxiété sinon pire, suivie par une dizaine d'heures en prison, sans doute à jeun au cours desquelles il dut assister à deux procès en règle et parfois brutal de la part du Sanhédrin qui ont dû l'affecter nerveusement, autant de signes combinés qui ont accentué ses douleurs et sa souffrance durant la flagellation.

La couronne d'épines

La couronne d'épines que portait Jésus après son jugement (Matthieu 17:29, Marc 15:17, Jean 19:2-5 mais que n'évoque pas Luc) a probablement existé et son authenticité fait consensus. Bien que les preuves ont disparu, il existe encore aujourd'hui un indice.

Une plante épineuse trouvée en 2016 près des pierres des murs hérodiens où Jésus fut probablement jugé. Document James Tabor.

On trouve à Jérusalem différentes plantes épineuses qui poussent près des pierres de la vieille ville dont la Paliurus spina-christi qui vit dans une zone qui s'étend du Mahreb et du sud de l'Europe à l'Asie centrale et depuis peu aux États-Unis (Texas). A ne pas confondre avec la Parkinsonia aculeata surnommée "l'Épine de Jérusalem" originaire d'Amérique mais qu'on trouve de nos jours en Afrique tropicale et dans les îles du Pacifique où elle constitue une plante envahissante.

Les épines défensives de la Palirius contiennent des substances toxiques. Au contact de la peau, les épines peuvent facilement s'enfoncer jusqu'au derme et provoquer une inflammation qui se manifeste par une éruption cutanée irritante.

En 2016, James Tabor trouva la plante épineuse présentée à droite près du mur d'Hérode où Ponce Pilate prononçait probablement ses jugements. Lorsque la plante meurt, elle se déssèche, la substance toxique disparaît et la tige de la plante se courbe naturellement.

On peut alors se demander si les soldats romains ont utilisé ce type de plante pour fabriquer la couronne d'épines de Jésus ? La réponse n'est pas dans les Évangiles mais la coïncidence est tout de même surprenante.

Après son supplice, Jésus fut traumatisé au point d'éprouver une terrible agonie difficilement imaginable. Il est probablement sorti de cet enfer la tête irritée, le haut du corps lacéré, avec des plaies ouvertes, des contusions, perdant son sang, avec une chute de tension et très affaibli, peut-être même à moitié inconscient si la flagellation fut violente, sachant à peine parler et tenir debout. Mais d'autres souffrances l'attendaient. On y reviendra.

Les reliques de la couronne d'épines

Il existe plus de 700 reliques de la couronne d'épines ! L'une est prétendûment de première classe, c'est-à-dire la couronne d'épines originale portée par Jésus. Selon la tradition, elle fut ramenée d'une croisade en Terre Sainte par le roi Louis IX (Saint Louis) et est aujourd'hui conservée dans la cathédrale Notre-Dame à Paris. Vérification faite, comme on le voit ci-dessous à gauche, c'est une couronne de 21 cm de diamètre constituée de faisceaux de joncs retenus par des fils d'or sur lesquels étaient fixées des épines.

Ses épines surnommées chacune la "Sainte Épine" furent distribuées à certains membres des familles royales européennes puis furent offertes à des églises. L'une est dans le reliquaire "Holy Thorn" au British Museum datant de ~1400, une autre au Stonyhurst College dans le Lancashire, une troisième dans la basilique Sainte-Croix-de-Jérusalem à Rome, deux autres dans la Basilique Saint-Pierre de Rome.

Mais il existe d'autres Saintes Couronnes : dans l'église Saint-Michel de Dijon en Bourgogne, en la basilique San Domenico de Bologne, en la cathédrale de Pise, en la cathédrale de Trêves, des fragments sont conservés au Palais électoral de Munich et une autre était encore en 1908 dans l'église Saint-Michel de Gand en Belgique.

A gauche, la Sainte Couronne ou couronne d'épines conservée dans l'église Notre-Dame de Paris. Certains objets de valeurs dont cette relique fut préservée de l'incendie survenu en 2019. A droite, la Sainte Couronne conservée dans l'église Saint-Michel de Dijon en Bourgogne. Documents P.Deliss/Getty Images et Arnaud25 CC by 3.0

Bref, si toutes ces couronnes d'épines sont authentiques, il y a de fortes chances que toutes soient donc des contrefaçons. Aucune n'est la couronne d'épines originale mais toutes présentent une valeur symbolique. Jadis, ces Saintes Couronnes constituaient un outil servant la tradition chrétienne et notamment pour encourager les pèlerinages.

Les reliques de la tunique de Jésus

Pendant toute la passion, de son procès devant Pilate à la crucifixion, Jésus portait une tunique que les soldats ont récupérée : "quand les soldats eurent crucidié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c'était une tunique sans couture, tissée tout d'une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l'aura. » Ainsi s'accomplissait la parole de l’Écriture : Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement. C'est bien ce que firent les soldats" (Jean 19:23-24; Psaumes 21:19).

Aujourd'hui, l'Eglise prétend que cette relique a été conservée en la Basilique de Saint-Denys d'Argenteuil, en France. La Tunique est pliée et enroulée dans une petite chasse et présentée au public tous les 50 ans (la dernière fois en 1984). Exceptionnellement, la Tunique fut sortie de sa chasse et présentée au public du 25 mars au 10 avril 2016 à l'occasion de la Pâque orthodoxe.

Sans qu'on sache comment, la Sainte Tunique quitta Jérusalem et finit par revenir à l'impératrice Irène de Constantinople au début du IXe siècle. En prévision d'un éventuel mariage avec Charlemagne, elle lui offrit la relique. Charlemagne la confia ensuite au monastère d'Agenteuil où sa fille Théodrade était prieure. Longtemps oubliée dans un mur du monastère suite aux invasions Vikings, la Sainte Tunique fut redécouverte au Moyen-Âge et fit l'objet de vénération.

Puis durant la Révolution française, elle fut en partie brûlée. Le curé d’Argenteuil, craignant que la relique soit détruite, il la découpa en plusieurs morceaux et la cacha. Plusieurs années plus tard, il ne retrouva qu'une partie de la Sainte Tunique.

La Sainte Tunique sans couture est de couleur brun foncé, droite, ras du cou et à manches courtes et est trouée de toute part comme on le voit ci-dessous. Pour la préserver, elle fut fixée sur un support en soie beige.

La Sainte Tunique de Jésus conservée en la Basilique de Saint-Denys d'Argenteuil et présentée tous les 50 ans au public. A droite, on distingue le support en soie et les racommodages. Cette tunique est une contrefaçon de l'époque mérovingienne. Documents D.R.

Une analyse du tissu réalisée en 2003 par des experts français montre qu'elle fut fabriquée par la technique du serge, c'est-à-dire que le tissu contient trois armatures de tissage. Le tissu est serré et d'excellente qualité. C'est du très bel ouvrage. Selon un expert, "Si c'était un faux on ne se serait pas donné autant de mal".

Du sang fut trouvé sur la Sainte Tunique. Selon une analyse réalisée en 2005 par le généticien Gérard Lucotte, le sang est celui d'un homme du groupe AB, le même que celui du linceul de Turin et celui de la tunique de Jésus conservée dans la sacristie de la cathédrale d'Oviédo, en Espagne.

Le sang est surtout concentré sur les épaules, comme si la personne portait une lourde charge (qui serait le patibulum de la croix que porta Jésus). L'analyse microscopique du sang montre également que les hématies sont stressées, témoignant que l'homme était en grande souffrance. Lucotte découvrit également des traces minérales et de pollens typiques du Moyen-Orient. Enfin, la teinture est de la garance, qu'on retrouve notamment en Palestine.

Mais la nature du tissage remit en question son authenticité. En effet, selon des experts des tisssus, le sens du tissage va de gauche à droite (sens Zen) alors que les tissus fabriqués au Moyen-Orient et notamment en Palestine sont tissés de droite à gauche (sens S).

En 2004, une datation au radiocarbone révéla que le tissu date entre 530 et 650 soit de l'époque mérovingienne. Bien que certains fervents défenseurs de la thèse biblique ont réfuté cette datation, c'est donc une contrefaçon.

Une autre soi-disant tunique que porta Jésus avant sa crucifixion, appelée la Sainte Robe, est conservée en la cathédrale de Trèves, en Allemagne, qui conserve également la couronne d'épines qu'aurait portée Jésus.

A gauche, la Sainte Robe conservée dans la cathédrale de Trèves, en Allemagne. A droite, présentation de la Sainte Robe au public en 2012. La robe qui n'a jamais été expertisée est vraisemblablement une contrefaçon médiévale. Documents DW.

Cette Sainte Robe droite et sans couture est de couleur beige. Son existence n'est attestée qu'à partir du XIIe siècle et les experts estiment qu'il s'agit également d'une contrefaçon médiévale. En effet, les diverses tentatives de préservation et de restauration à travers les siècles ont rendu difficile la détermination de la part éventuellement authentique de la relique. A ce jour, aucun examen scientifique n'a été effectué sur la Robe. Seule la mystique catholique allemande Thérèse Neumann de Konnersreuth (1898-1962) affirma que la Sainte Robe de Trèves était authentique.

Le Chemin de Croix

Comme il était de coutume pour tous les condamnés à mourir crucifiés, Jésus fut ensuite contraint de porter la poutre transversale de sa croix (le patibulum) dans les rues de Jérusalem jusqu'au lieu du supplice, dans ce cas ci le mont Calvaire ou Golgotha sur lequel nous reviendrons.

On associe traditionnellement ce parcours à la Via Dolorosa (la Voie Douloureuse) de Jérusalem qui commence à la forteresse Antonia située près de la Porte des Lions qui constitue la Iere station ou halte de la Passion du Christ et se termine à la XIVe station sur le seuil de l'Église du Saint-Sépulcre qui abrite le sanctuaire du Golgotha. Mais comme nous l'avons expliqué, sur le plan historique l'emplacement de la première station n'est pas correct puisque cette forteresse ne date pas de l'époque de Jésus et ne correspond pas au lieu décrit par Jean qui correspond plutôt à la Citadelle de David située de l'autre côté de la ville. Par conséquent, le fameux arc-boutant en pierre appelé "Ecce Homo" de la Via Dolorosa où traditionnellement Ponce Pilate aurait dit "Ecce Homo" (voici l'Homme, Jean 19:5) en présentant Jésus au Sanhédrin et à la foule, est tout sauf un lieu histoire, au grand dam des chrétiens.

Jésus portant une couronne d'épines et le patibulum de sa croix. Documents T.Lombry.

Rappelons que selon certaines traditions, Jésus fit une première chute à la IIIe station et il vit Marie sa mère à la IVe station. Ces deux faits ne sont pas mentionnés dans les Évangiles. Ensuite, selon les Synoptiques, Jésus ne pouvait plus porter sa croix à la Ve station et un passant, Simon de Cyrène, fut réquisionné par les soldats pour l'aider à porter sa croix jusqu'au Golgotha (Matthieu 27:32, Marc 15:21, Luc 23:26). Notons que ce travail qui se déroula un vendredi, sabbat, était interdit par la Loi juive, ce qui n'a pas dérangé les Romains, un exemple de plus de leur mépris des traditions juives. Or il faut rappeler que Jésus a dit vouloir "porter sa croix" (Matthieu 10:38 et 16:24), qu'on traduit aujourd'hui par la volonté de Jésus de porter "tous les péchés du monde". Cette contradiction a toujours embarrassé l'Église au point que Jean n'évoque pas l'intervention de Cyrène et prétend que Jésus porta seul sa croix (Jean 19:17). On en déduit que deux ou trois des Évangélistes synoptiques ont puisé leur récit à la même source, vraisemblablement la source "Q" (qui représente entre 41-76% de leur Évangile).

Mais la Via Dolorosa dont on voit l'une des ruelles ci-dessous photographiée à plus d'un siècle d'intervalle n'est pas la voie originale qu'emprunta Jésus dont le trajet réel est inconnu. En effet, Jérusalem ayant pratiquement été rasée à deuxs reprises (durant la Guerre des Juifs en 66-70 et durant la Révolte de Bar Kokhba en 132-135), à part le mur de soutènement du Second temple, tous les repères historiques du passage de Jésus de Nazareth furent effacés. C'est donc à partir de ce que le clergé s'est souvenu et de la mémoire collective que le parcours de Jésus jusqu'au Golgotha fut tracé au IVe siècle. Depuis cette époque, un pèlerinage s'y déroule durant la semaine Sainte qui précède les fêtes de Pâques mais pendant plusieurs siècles les Musulmans interdirent son accès aux pèlerins chrétiens et ce n'est qu'en 1879 que le pacha d'Istanbul autorisa la procession du Chemin de Croix.

A voir : Les quatorze stations de la Voie Douloureuse

The Stations of the Cross or Via Dolorosa

A gauche, une photo de la Via Dolorosa prise par Eric Matson au milieu du XXe siècle reconnaissable à ses arcs-boutants et ses oriels (bow-window) ou façades avancées à l'étage. On trouve encore cet agencement dans quelques rues de la vieille ville. A sa droite, un photochrome de la Via Dolorosa pris dans l'autre sens vers 1890-1900. Au centre, une photo contemporaine. A droite du centre et à droite, les deux côtés du fameux arc romain "Ecce Homo" dans la Via Dolorosa photographié de nos jours. Cette rue empruntée aujourd'hui par les pèlerins lors du pèlerinage de la semaine Sainte et durant la procession du vendredi (chaque semaine à 15h) n'est pas la voie qu'emprunta Jésus portant la croix. Document de la Librairie du Congrès (ref. matpc.11915), AKG Images, Sonia Halliday, Terra Sancta Museum et Ian & Wendy.

Entre-temps, pour des raisons pratiques, au XIVe siècle les Franciscains ont modifié le parcours supposé et l'ont déplacé de plusieurs centaines de mètres et comportait seulement 8 stations. Ensuite, influencé par les Chemins de Croix européens, au XVIIIe siècle on porta le nombre de stations à 14 puis on fixa définitivement le parcours au XIXe siècle pour devenir la Via Dolorosa actuelle qui du point de vue de l'urbanisme s'étend sur 100 m et est limitée à quelques pâtés de maisons le long de l'Hospice Autrichien de la Sainte Famille (cf. Google Maps) qui est une auberge (guest house) accueillant des petits groupes de pèlerins.

En réalité, on estime que Jésus prit une voie allant du Prétoire du palais d'Hérode au Golgotha qui passe par l'actuel quartier arménien, une rue qui de nos jours est très peu fréquentée et méconnue des touristes. Mais que les pèlerins se rassurent, comme on le voit sur la carte ci-dessous à droite, l'ancienne voie supposée et la voie actuelle se rejoignent toutes les deux à la XIVe station.

Aujourd'hui le Chemin de Croix rassemble chaque année jusqu'à 1 million de personnes soit pratiquement la moitié des touristes visitant Israël annuellement. Une procession s'y déroule également chaque vendredi à 15h.

Via Dolorosa, Google Maps

Cartes de Jérusalem du temps de Jésus de Nazareth et le tracé du Chemin de Croix original hypothétique depuis le Prétoire du palais d'Hérode et de l'actuel depuis la forteresse d'Antona qui se rejoignent à la XIVe station.

En résumé, comme en d'autres endroits de Jérusalem ou de Galilée, les pèlerins ne marchent donc plus dans les pas de Jésus. Et d'ailleurs, dans la Via Dolorosa originale qui est peu fréquentée, le soubassement du Ier siècle se trouve entre 2 et 4 mètres en dessous du niveau actuel. Les seuls lieux authentiques sont donc méconnus du grand public et souvent soit en ruine et protégés soit inaccessibles, ce qui n'a pas empêché l'Église de maintenir la tradition depuis pratiquement son origine.

Deuxième partie

La crucifixion

Page 1 - 2 -


[1] Raymond E. Brown, "The Death of the Messiah" (2 volumes), G.Chapman, 1994, pp.814-820 (aussi en VF "La mort du Messie", Bayard jeunesse, 2005). Cet ouvrage relate en 1664 pages (1696 en français) les 36 dernières heures de la vie de Jésus du point de vue d'un enquêteur.

[2] Il n'existait par de procédure d'appel à l'époque de Jésus; la condamnation au civil ou au pénal était ferme et définitive. Dans la République romaine (entre 509 et 44 avant notre ère), il existait une procédure d'appel pour les citoyens romains condamnés mais elle fut ensuite abolie. Pour les Juifs de l'époque (en encore en bonne partie de nos jours) la Loi juive (Torah et Halakha) s'appliquait autant à la sphère politico-religieuse qu'à ce que nous appelons aujourd'hui le droit pénal dont celui relatif aux crimes. Mais à l'époque la peine capitale ne pouvait être prononcée que par l'autorité romaine en charge de la province où résidait le condamné. La procédure d'appel ne sera mise en place en Europe qu'à partir de la Révolution française (1789) dans le cadre des tribunaux de la Cour d'assises.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ