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La Bible face à la critique historique

Portrait de Moïse pendant son errance de 40 ans dans le désert avec le peuple hébreu. Document T.Lombry

Moïse, de la sortie d'Égypte au mont Nébo (II)

Selon la Bible, pendant son séjour dans le désert du Sinaï, Moïse monta sur le mont Horeb (1 Rois 8:9) où il eut la vision de L'Éternel au Buisson Ardent (Exode 3) et reçut le Décalogue, les Dix Commandements, les fameuses tables de la Loi (Exode 20:1-17) gravées de la main de Dieu. Dieu lui expliqua ensuite comment protéger les tables de la Loi en les plaçant dans l'Arche d'alliance (Exode 25:18-22; 40:20) et de la protéger sous un Tabernacle, c'est-à-dire la tente sacrée placée d'abord hors du camp de Moïse afin de témoigner de la révélation de Dieu à Moïse (Exode 33:7, Deutéronome 31:26), Arche qui sera ensuite placée dans le Temple.

Moïse resta 40 jours sur le mont Sinaï avant de redescendre et de constater avec effroi qu'entre-temps son peuple avait rompit l'alliance avec Yahvé et était en train d'idolâtrer le fameux Veau d'or (Exode 32) et de se vautrer dans la débauche. Pris de colère, Moïse jetta les deux tables de la Loi qui se brisèrent (Exode 32:19).

Pour ne pas alourdir cet article et nous dissiper, on reviendra en détails sur l'Arche d'alliance dans l'article suivant.

L'Arche d'alliance : des traditions au mythe

Le chemin du désert à travers le Sinaï

Comme nous l'avons évoqué, selon l'Exode, un groupe de 600000 hommes soit environ 2 millions de personnes aurait vécut dans le Sinaï pendant plus de 40 ans sous le motif que Dieu les punit de l'avoir méprisé et pour leur manque de foi (Nombres 14:1-45). Même en admettant qu'ils étaient dix fois moins nombreux, les activités de cette population auraient forcément laissé des traces archéologiques à tous les endroits cités par la Bible. Or à part les vestiges des forteresses égyptiennes le long du littoral, il n'existe aucune trace archéologique dans le désert du Sinaï, pas plus que dans les montagnes ou près du monastère Sainte-Catherine, remontant à l'époque de Ramsès II soit au XIIIe siècle avant notre ère.

Concernant le séjour de 38 ans à Qadèsh-Barnéa (Nombres 33-34), la Bible donne suffisamment d'indices pour localiser l'endroit. Les archéologues l'ont identifié comme étant la grande oasis d'Ein el-Qudeirat située dans la partie orientale du Sinaï, près de la frontière actuelle entre Israël et l'Égypte. Malheureusement, aucune fouille archéologique effectuée dans la région n'a découvert la moindre trace d'occupation datant de l'Âge du Bronze récent (1550-1150 avant notre ère). En revanche, et cela confirme les dates de rédaction précédentes, la forteresse de Qadèsh-Barnéa a bien existé à la fin du VIIe siècle mais on ignore si elle fut construite par des Cananéens du royaume de Juda ou par les Assyriens.

Même conclusion à propos du site de Etsion-Guéber (Eçyôn-Gébèr) où les enfants d'Israël auraient campé. Localisé au nord du Golfe d'Aqaba, sur un tertre entre Eilat et Aqaba, les fouilles entreprises enre 1938 et 1940 ont bien révélé d'importants vestiges portuaires remontant à l'Âge du fer récent (après 900 avant notre ère) mais aucun vestige ne date de l'époque du Bronze récent.

A lire  : Ten Insights about the Ten Commandments, Prof. Marc Zvi Brettler/The Torah

A gauche, deux versions de Moïse portant selon la tradition les tables de la Loi gravées par Yahvé sur le mont Sinaï (Exode 20 et 31:18). A gauche, une peinture de Philippe de Champaigne (1602-1674) exposée au musée de L'Hermitage à Moscou (réf. ГЭ-625). Au centre, un portrait réalisé par l'auteur. A droite du centre, une copie des 10 Commandements figurant sur une plaque exposée à l'entrée du tombeau du roi David à Jérusalem. Document 123rf. Le sommet arrondi des deux tables de la Loi est une tradition chrétienne tardive basée sur le diptyque roman qui fut intégrée au judaïsme. Comme on le voit à droite, à l'époque du Moïse de Michel-Ange (1513-1515), les tables étaient encore rectangulaires. Cette sculpture monumentale est placée dans le tombeau du pape Jules II dans la basilique Saint-Pierre-aux-Liens (San Pietro in Vincoli) à Rome.

Idem enfin à Tel Arad situé à l'est de Beersheba où selon le livre des Nombres (versets 21:1-3), le roi Arad habitant au Néguev aurait attaqué les Israélites et fait quelques prisonniers. Pour se venger, les Israélites auraient fait appel à la puissance de Yahvé et détruit les cités cananéennes. Les fouilles effectuées sur le site et dans toute la région de Beersheba pendant près de vingt ans ont bien révélé des vestiges datant des premiers âges du Bronze ainsi qu'une forteresse datant de l'Âge du fer, mais aucun vestige datant du Bronze récent durant lequel le site aurait apparemment été déserté. En fait selon les archéologues, Arad n'existait tout simplement pas à l'époque du Bronze récent.

En résumé, en ces trois lieux comme dans beaucoup d'autres y compris situés plus vers l'est, des cités ont bien existé mais soit avant soit après le présumé Exode. Autrement dit, à l'époque où ces évènements se sont prétendûment déroulés, ces cités étaient soit inhabitées soient encore inexistantes et n'ont dès lors joué aucun rôle dans la longue marche du peuple hébreu. On en déduit qu'à l'époque indiquée dans l'Exode ou le livre des Nombres il n'existe aucune trace du passage des Hébreux dans le Sinaï ou même plus à l'est.

Certains ont évoqué le fait que les Hébreux ont fuit l'Égypte pauvres et déguenillés et n'ont de ce fait laissé aucune trace tangible de leur passage dans le désert. Mais c'est mal connaître les techniques archéologiques qui permettent d'exhumer les moindres traces d'occupations humaines jusqu'à l'époque des premiers chasseurs-cueilleurs et des tribus nomades vivant il y a plus de 10000 ans dans des régions aujourd'hui désertiques notamment en Turquie mais c'est valable pour toutes les missions archéologiques à travers le monde. Donc s'il existait des preuves d'occupations humaines dans le Sinaï comme des ossements, des tombes, des vestiges d'infrastructures, de feux, des débris de poteries, d'os, des ornements, des fragments de tissus, des traces gravées ou écrites datant du Bronze récent, les nombreuses missions archéologiques ayant exploré la région pendant des décennies les aurait découverts. Or les tamis des archéologues sont vides.

Plus précisément, les traces d'occupation pastorale du Sinaï remontent à 3000 ans avant notre ère puis durant les périodes hellénistiques (~300 avant notre ère) et byzantines (durant l'Empire romain d'Orient). Entre les deux, il n'y a pas eu d'occupations dans le Sinaï au XIIIe siècle comme prétendu dans l'Exode.

A voir : Mount-Sinai Monastry (Sainte-Catherine)

A gauche, le parcours biblique traditionnel des Israélites à travers le Sinaï vers le pays de Canaan. Toutefois aucun vestige archéologique n'atteste leur séjour dans le Sinaï et par conséquent cette route est probablement légendaire. Au centre, la région du Sinaï photographiée depuis la navette spatiale Columbia au cours de la mission STS-109 en 2002. A droite, après trois heures de marche, voici le paysage qu'on aperçoit au sommet du mont Sinaï (2285 m) également appelé Djebel Moussa par les Bédouins. Selon la Bible, c'est sur le mont Sinaï que Moïse vit le Buisson ardent et reçut les tables de la Loi, les Dix Commandements précrits par Dieu en personne. Sur le plan historique, on ignore si cet évènement a réellement eu lieu et de ce fait on ne connaît pas son emplacement exact. Ceci dit, les chrétiens orthodoxes n'ont pas attendu l'avis des experts et ont construit le monastère Sainte-Catherine au pied du mont Sinaï en 584. Classé au patrimoine mondial par l'UNESCO, c'est le plus ancien monastère du monde. Documents T.Lombry, NASA et Stefan Perneborg.

Enfin, il y a également une incohérence dans le récit de l'Exode à propos de la monnaie. Selon la Bible, lors de la traversée du désert, par la voix de Moïse, Yahvé ordonna aux Fils d'Israël de faire un don pécunière au Tabernacle, la tente qui abritait l'Arche d'alliance : "Quiconque est soumis au recensement donnera un demi-sicle sur la base du sicle du sanctuaire : vingt géras par sicle. Ce demi-sicle sera un prélèvement pour Yahvé" (Exode 30:13). Comme nous l'avons expliqué, le sicle ne fut inventé que vers 650 avant notre ère en Lydie. Ce passage a donc été rédigé plus de 1200 ans après l'époque biblique présumée et vraisemblablement à l'époque où les Israélites étaient déjà établis au pays de Canaan.

Vers le pays de Canaan

Selon la Bible, les Hébreux approchèrent du pays de Canaan par ce qu'on appelle la "route du Roi" (Nombres 20:17). Où se situe-t-elle ? Comme on le voit ci-dessous à gauche, il s'agissait d'une piste commerciale reliant les royaumes d'Edom, de Moab et d'Ammon, c'est-à-dire le sud de l'actuel Israël à hauteur du Néguev au nord-ouest de la Jordanie. Elle fut pavée au IIe siècle de notre ère sous l'empereur Trajan et dénommée la Via Nova Traiana. Cette route transversale rejoignait la transjordanienne qui traversait le pays d'Edom et de Moab du nord au sud.

A gauche, la carte de la région d'Edom au VIIe siècle avant notre ère occupant le sud du pays de Canaan et de l'actuel Etat d'Israël (en pointillés). Selon la Bible, les Hébreux n'ont pas pu la traverser en raison de leur querelle ancestrale avec le roi d'Edom et l'ont contourné par le sud-est et le côté oriental du Grand Rift Jordanien, par le Wadu Rum et les Steppes de Moab. Au centre, le majestueux désert du Wadi Rum situé sur la frontière entre la Jordanie et l'Arabie Saoudite par lequel serait passé le peuple hébreu après ses 40 années d'errance dans le désert du Sinaï. A droite, Moïse à la fin de sa vie observant le coucher du Soleil au sommet du mont Nébo. Documents T.Lombry et Travel Corner.

Moïse délégua un émissaire auprès du roi d'Edom afin de lui demander la permission de traverser son territoire pour se rendre au pays de Canaan. Le souverain ayant refusé, Moïse et son peuple durent contourner son territoire par l'est, un détour d'environ 250 km par les Steppes de Moab, dans l'actuelle Jordanie.

Rappelons que selon les droits territoriaux traditionnels, Yahvé donna le domaine entourant le mont Séïr aux descendants d'Edom (qui définit autant le peuple que la région). L'Edom, l'Idumie romaine, couvre toute la zone actuelle qui s'étend entre le sud-est de la vallée du Jourdain (Transjordanie) et de la Judée et la vallée de l'Arabah située près du grand rift situé au sud de la mer Morte et qui s'étendra plus tard jusqu'au Néguev (la pointe sud qui rejoint le Golfe d'Aqaba). Les Edomites sont les descendants d'Esaü, fils d'Isaac et frère de Jacob, et les éternels frères ennemis des Israélites. Ceci explique le refus des Edomites.

Etant donné que la Bible évoque le royaume Edom, ici non plus ces évènements ne se sont pas déroulés à la date prétendue. Les recherches archéologiques ont montré qu'Edom n'est parvenue à la dimension d'un Etat que sous l'influence assyrienne au VIIe siècle avant notre ère. Auparavant, la région était occupée par des nomades et Edom n'apparaît au plus tôt qu'au VIIIe siècle avant notre ère. On peut également préciser la date la plus tardive de rédaction de ce passage car en 553 avant notre ère Edom fut détruite par les Babyloniens et ne connut une nouvelle prospérité qu'à l'époque hellénistique, soit près de deux siècles plus tard.

Moïse âgé contemplatif au sommet du mont Nébo qui sera aussi sa dernière demeure selon la tradition. Documents T.Lombry.

En conclusion, près de mille ans séparent le récit biblique de la réalité géopolitique. En fait, nous verrons plus loin qu'aucune des dates bibliques ne correspond à des faits historiques car tous sont bien plus tardifs. Par conséquent, pour comprendre l'Histoire du peuple juif, il faut uniquement se baser sur les découvertes archéologiques.

Ensuite, Moïse étant responsable pour son peuple qui n'a pas suivi à la lettre les Dix Commandements (cf. le Veau d'or), Yahvé lui annonça qu'il verrait le pays de Canaan mais ne lui permettrait pas de marcher sur ces terres, ce qui l'attrista fortement. Selon le livre des Nombres, il apparaît que tous les patriarches et chefs de tribus qui sont sortis d'Égypte, y compris Moïse, sont morts à l'exception de Josué et Caleb qui furent épargnés en punition de leur infidélité (Nombre 14:30). Juste avant de mourir, Moïse eut donc l'occasion de voir le pays de Canaan en montant "des plaines de Moab sur le mont Nébo, au sommet du Pisga en face de Jéricho" (Deutéronome 34:1) en Jordanie d'où il eut la satisfaction de voir le pays de sa descendance. Aujourd'hui, un mémorial a été érigée en ce lieu sacré mais d'origine légendaire.

A gauche, panorama depuis le mont Nébo en direction de l'ouest et d'Israël. Le site se situe près de l'actuelle ville de Madaba en Jordanie. A droite, la stèle commémorant le passage de Moïse et du peuple juif érigée au sommet du Pisga. Histoire authentique ou légendaire, peu importe, l'endroit est devenu un lieu de pèlerinage qui après plusieurs années de restauration fut réouvert au public en 2016. Le pape Jean-Paul II le visita en 2000 et le pape Benoît XVI en 2009. Documents T.Lombry et Google/Panoramio.

Selon la Torah, "Moïse était âgé de 120 ans lorsqu'il mourut" (Deutéronome 34:7). Selon la tradition talmudique et les calculs réalisés par Jose ben Halafta vers 160 de notre ère, sachant que Yahvé créa le Monde en sept jours en l'an 3761 avant notre ère du calendrier Julien (la date fut convertie à partir du calendrier hébraïque), Moïse est mort en 2488 du calendrier hébraïque. Si on calcule la différence, Moïse est mort en l'an 1273 avant notre ère du calendrier Julien et donc au XIIIe siècle avant notre ère. Évidemment cette date est fictive car elle ne correspond a aucun fait historique. Elle fixe cependant la chronologie officieuse de l'histoire biblique sur laquelle se fondent les juifs et les chrétiens. On y reviendra à propos de la paternité de la Torah.

Selon l'Exode, Josué poursuivit l'oeuvre de Moïse et conduisit son peuple vers le pays de Canaan ainsi que Yahvé lui avait ordonné comme de son temps à Abraham. On y reviendra.

A gauche, Moïse au mont Nébo attristé de ne pas pouvoir fouler le pays de Canaan. Au centre, Josué, le successeur de Moïse qui conduisit les Hébreux sorti d'Egypte au pays de Canaan. A droite, localisation du pays de Canaan par rapport au mont Nébo et Jéricho et les directions prises par le peuple hébreu. Documents T.Lombry et T.Lombry/Google Maps.

La légende des patriarches

Pourquoi les auteurs de la Bible hébraïque ont-ils inventé l'histoire des patriarches, des querelles fratricides et la longue errance dans le désert ? Sachant que la Bible hébraïque est avant tout un récit sacré, c'est-à-dire à vocation théologique, les histoires de familles et les alliances familiales décrites dans la Genèse ont pour but de relier les différentes tribus d'Israël par un lien ancestral afin d'expliquer l'unité du pays, ou plutôt le rêve d'unité des souverains et des grands prêtres car il faudra attendre des siècles pour que ce rêve se concrétise et souvent temporairement.

Les auteurs décrivent ensuite les soi-disant alliances et les guerres qui unirent ou déchirèrent ces peuples de manière parfois concrète parfois allégorique (à travers des songes ou des luttes avec un ange par exemple) afin d'expliquer symboliquement la naissance de la nation d'Israël et l'émergence du culte du dieu unique. Les épisodes épiques comme l'Exode en Égypte, le combat contre l'armée de Pharaon et plus tard la bataille de Jéricho parmi d'autres hauts faits légendaires ont pour but de démontrer aux Hébreux puis aux Israélites qui douteraient encore, la toute-puissance et la détermination de Yahvé ainsi que la confiance qu'il a mise en son "peuple élu". A lui à présent de lui rendre les honneurs et de le respecter au risque de subir son courroux.

Ainsi qu'on le constate, les auteurs de la Genèse et de l'Exode comme des autres livres de la Bible hébraïque ont fait preuve d'une grande liberté d'interprétation vis-à-vis de l'Histoire rendant ces récits plus proches de l'épopée sacrée que du compte-rendu historique. Cette confusion des genres et ces altérations des faits éloignent toute objectivité et rapprochent la Bible hébraïque du conte merveilleux capable de séduire un large public de fidèles. Ce public juif est finalement très peu critique et crédule mais pour sa décharge, on peut facilement comprendre qu'il accepta plus facilement cette vision sacrée du monde qui correspondait mieux à ses aspirations que la triste réalité des conflits géopolitiques, des guerres, des déportations et de la liberté des moeurs pour certains.

Nous verrons dans le prochain article comment les Israélites se sont établis au pays de Canaan, le développement des cités-États et les raisons pour lesquelles soudainement ces cités ont disparu et pourquoi les premiers Israélites se sont réfugiés dans les Hautes Terres. C'est une période très importante qui verra l'émergence de la dynastie davidique et de la future nation d'Israël.

A lire : Le pays de Canaan et les Hautes Terres

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