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La Bible face à la critique historique

La mosaïque de style byzantine du Christ Pantocrator (omnipotent) avec la main de la miséricorde et le livre des Saintes Ecritures visible dans la Cathédrale de Cefalù en Sicile.

Les sous-entendus : qui est Jésus ? (III)

L'origine divine de Jésus

Les chrétiens et plus précisément les pratiquants prétendent que Jésus est le Fils de Dieu et les plus exaltés prétendent même qu'il est la personnification de Dieu. Malgré toute la porte métaphysique de telles affirmations, aucun de ces croyants ne met l'une ou l'autre affirmation au conditionnel comme s'il disposait de preuves de ce qu'il affirme. En fait pour toute "preuve", les croyants se reportent au dogme de l'Église et au Crédo. Cependant, dans un cadre rationnel, ces idées sont évidemment discutables. Comme nous l'avons expliqué à propos des miracles ou de la résurrection, une preuve dogmatique n'a pas le même sens qu'une preuve scientifique, d'où les doutes qui envahissent les esprits critiques. À défaut de preuves formelles, les chrétiens invoquent les Écritures, c'est-à-dire les paroles a priori attribuées à Jésus ou, à défaut, celles de certains prophètes apocalyptiques pour ceux qui affirment que le christianisme trouve ses racines dans le judaïsme.

Si nous voulons comprendre comment les chrétiens sont parvenus à cette étonnante conclusion, c'est donc naturellement dans la Bible et pas seulement dans le Nouveau Testament voire même dans les textes apocryphes que nous devrions trouver les expressions ayant influencées Jésus ou celles affirmant ou évoquant sa divinité. Ce sont les résultats de ce long travail d'analyse que nous allons résumer ci-dessous.

Quand Jésus prétend être d'origine divine

La question qui se pose est de savoir pourquoi et comment Jésus, qui a apparemment passé la plus grande partie de sa vie comme un homme juif ordinaire est devenu en l'espace de quelques années le Fils de Dieu ou la personnification de Dieu pour ses disciples, une croyance qui s'est affirmée avec sa résurrection. La question est particulièrement importante et sensible dans le contexte du judaïsme. En effet, contrairement aux Romains et aux autres communautés païennes polythéistes ou animistes, Jésus et les disciples étaient juifs et le judaïsme a toujours exigé de ses fidèles la stricte observance du monothéisme dont l'idée est qu'il n'existe qu'un seul Dieu, YHWY. Autrement dit, selon ce principe il est incensé et même blasphématoire de prétendre qu'il existerait un "Fils de Dieu", la "mère de Dieu", que le "Père et le Fils ne font qu'un" ou toute autre affirmation de l'existence d'une autre divinité que Dieu lui-même. Or, dès ses premiers prêches, Jésus s'est démarqué de cette Loi et proclama sa divinité. Pourquoi et comment en est-il arrivé là ?

Si nous ouvrons les Évangiles et lisons le texte chronologiquement, l'un des premiers passages évoquant la nature ou le rôle particulier de Jésus est celui dans lequel Jean le Baptiste alors emprisonné demande à Jésus s'il est "Celui qui doit venir". Jésus répond : "Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres" (Matthieu 11:4-5, Luc 7-18-23). La plupart des spécialistes du Nouveau Testament estiment que ce passage est authentique et donc historique.[3]

Ce passage évoque plusieurs concepts qui renforcent (l'apparente) particularité de Jésus. Premièrement, la question elle-même de Jean le Baptiste implique qu'il considère Jésus comme le "prochain", ce qui a des implications messianiques et eschatologiques évidentes. Dans son esprit, "Celui qui doit venir" n'est pas un simple roi oint chef d'armée capable de bouter les Romains hors du royaume d'Israël, mais le Messie, c'est-à-dire l'envoyé ou le représentant de Dieu. En fait, dans la vision des prophètes d'Israël (cf. Isaïe), c'est Yahvé-Sabaot, c'est-à-dire Dieu lui-même qui "vient" délivrer son peuple de l'oppresseur.[4]

C'est exactement ce que signifie la réponse de Jésus à son cousin emprisonné. Quand il évoque les aveugles recouvrant la vue, les boiteux marchant et les sourds recouvrant l'ouïe, Jésus ne cite pas des miracles en espérant qu'ils se produiront si Jean y croit mais il fait sciemment allusion à Isaïe qui dit justement : "Voici, votre Dieu viendra avec la vengeance, avec la récompense de Dieu. Il viendra et vous sauvera. Alors les yeux des aveugles s'ouvriront, et les oreilles des sourds seront ouvertes; alors le boiteux bondira comme un cerf, et la langue du muet chantera de joie." (Isaïe 35:4-6). Selon Isaïe, c'est donc Dieu qui viendra et sauvera son peuple. Donc, pour Jean le Baptiste, quand Jésus lui répète les paroles du prophète, le fait que Jésus soit venu signifie que la prophétie est en train de s'accomplir. Pour Jésus, Dieu est venu et il le représente.[5]

Portrait de Jésus par Greg Olsen.

La réponse de Jésus à Jean le Baptiste fait également allusion à plusieurs autres passages de la Bible : "Que tes morts revivent ! Que mes cadavres se relèvent" (Isaïe 26:19) et "l'Éternel m'a oint pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux [...] et aux prisonniers la délivrance" (Isaïe 61:1-2).

Un psaume est particulièrement intéressant : "Heureux celui qui a pour secours le Dieu de Jacob, Qui met son espoir en l'Eternel, son Dieu! Il a fait les cieux et la terre, La mer et tout ce qui s'y trouve. Il garde la fidélité à toujours. Il fait droit aux opprimés; Il donne du pain aux affamés; L'Eternel délivre les captifs; L'Eternel ouvre les yeux des aveugles; L'Eternel redresse ceux qui sont courbés; L'Eternel aime les justes" (Psaume 146:5-8). L'auteur évoque l'action rédemptrice et le rôle salvateur de Dieu capable notamment de libérer les prisonniers. On pourra néanmoins discuter du sens de la "libération" de Jean le Baptiste. On y reviendra.

En juif fidèle adepte de la doctrine de Jésus, Matthieu prépare ses lecteurs pour cet échange d'idées entre Jean le Baptiste et Jésus en introduisant ce passage de manière particulière : "Jean, ayant entendu parler dans sa prison des oeuvres du Christ..." (Matthieu 11: 2). En revanche, le passage équivalent de Luc ne fait aucune mention du Messie : "Jean fut informé de toutes ces choses par ses disciples" (Luc 8:18). Pourquoi cette différence entre les deux auteurs ? On trouve la réponse dans les convictions intimes des deux Évangélistes. Selon les dernières études, Luc appartient à la deuxième génération de chrétiens, c'est probablement un Syrien qui fut élevé dans la tradition grecque païenne et donc un Gentil qui adopta la doctrine de Jésus sans pour autant adhérer aux prophéties du judaïsme et notamment celle concernant la venue du Messie ni à certaines règles de la Torah[6].

Matthieu évoque le Messie parce que selon sa culture juive c'est ainsi qu'il devait interpréter le message messianique de Jésus. On retrouve cette interprétation de pure style hébraïque répandue à l'époque du second Temple dans un manuscrit apocalyptique fragmentaire découvert dans l'une des grottes de Qumrân écrit en hébreu datant du Ier siècle avant notre ère (avec les citations ou allusions aux Écritures placées entre crochets) : "Car les cieux et la terre obéiront à son Messie [Dieu] et tout ce qui est en eux ne se détournera pas des commandements des saints .... Car il honorera les pieux sur le trône de son royaume éternel, libérant les prisonniers, ouvrir les yeux des aveugles, élever ceux qui s'inclinent [Psaume 146:7-8] ... et le Seigneur fera des choses glorieuses qui n'ont pas été faites, comme il a dit. Car il guérira les blessés critiques, il ressuscitera les morts, il annoncera la bonne nouvelle aux pauvres" (4Q521, Frag. 2, Col. ii, lignes 1-12 [et Isaïe 61:1)[7].

Dans l'esprit de Matthieu, puisque Jésus prétend être le Messie envoyé par Dieu et que la prophétie s'est donc déjà partiellement accomplie, toute une série d'actions prophétiques doivent en découler comme rendre la vue aux aveugles, guérir les blessés, ressusciter les morts et proclamer la bonne nouvelle aux pauvres. C'est précisément ces "preuves" que Jésus offrit aux messagers de Jean le Baptiste : "Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et ce que vous voyez" (Mattieu 11: 4). Jésus accomplissait les actes mêmes que les juifs attendaient du Messie, les actes de l'élu.

Ce qui est particulièrement remarquable dans la description du Messie dans le manuscrit 4Q521, ce sont les allusions au Psaume 146. Pour rappel, ce psaume fut écrit comme beaucoup d'autres par un ecclésiastiques juif ou un Lévite en charge du culte dans le sanctuaire, probablement au VIIe siècle ou au début du VIe siècle avant notre ère, avant la déportation à Babylone, ce qui démontre que le concept de Dieu salvateur (on ne parle pas encore de Messie) est très ancien.

Selon le Psaume 146, c'est Dieu lui-même qui rend la vue aux aveugles. En effet, dans le manuscrit 4Q521, les cieux et la terre - qui, selon le Psaume 146, ont été créés par Dieu - obéiront au Messie envoyé par Dieu. L'application de ces éléments au Messie est étonnante. Le Messie évoqué dans le manuscrit de Qumrân n'est pas un simple mortel, un prophète charismatique ou un prédicateur messianique. Dans un certain sens, ce messager de Dieu incarne Dieu lui-même et agit comme Dieu. Le fait que Jésus se réfère à ces traditions en réponse à la question de son cousin suggère que les deux prêcheurs ont une compréhension similaire sinon identique des prophéties. Matthieu comprend évidemment de la même façon la signification de la réponse de Jésus à Jean et prend l'initiative d'introduire ce passage en référence aux "oeuvres du Christ", sous-entendant du Messie puisque le texte fut écrit en grec.

Ceci est l'interprétation juive qui prévalut finalement peu de temps et certainement pas plus tard que le jour où le Messie fut crucifié et mourut, mettant un terme en l'espoir que certains juifs mettaient encore au pouvoir divin de Jésus. Mais selon la tradition, suite à sa résurrection, il ne fut considéré comme le Messie que par la communauté de Jésus et les premiers chrétiens, la plupart des juifs attendant toujours sa venue.

La Révélation

Vitrail de Jésus marchant sur l'eau dont voici la vue générale présenté dans l'église des Coeurs Sacrés de Jésus et Marie de Sun Prairie, dans le Wisconsin.

Un second passage extrait de la tradition synoptique se trouve également dans l'Évangile selon Matthieu, où Jésus prononce une prière étonnante : "Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. Oui, Père, je te loue de ce que tu l'as voulu ainsi. Toutes choses m'ont été données par mon Père, et personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père; personne non plus ne connaît le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler" (Matthieu 11:25-27).

Ici, l'auteur assure que Jésus eut une révélation privilégiée avec Dieu : "Toutes choses" dit Jésus, "m'ont été données par mon Père."En tant que "Fils" (qui ne peut-être que l'abréviation de "Fils de Dieu"), Jésus a l'autorité de révéler Dieu le Père à qui il souhaite. La révélation est remarquable. En effet, la présence de la même prière dans l'Évangile selon Luc (vv.10:21-22) prouve que ce n'est pas une création de Matthieu, mais plutôt une tradition antérieure, de la source "Q" (logion Q 10:21) qui remonte probablement aux paroles que prononça Jésus. En effet quel prophète aurait pu prononcer de telles paroles ? Aucun personnage messianique populaire du temps de Jésus ni même antérieur n'a osé tutoyer Dieu ou être intime avec le Père et n'a jamais parlé de cette façon.

A cette prière, Matthieu ajoute la fameuse invitation émouvante de Jésus : "Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions, car je suis doux et humble de coeur; et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est doux, et mon fardeau léger" (Matthieu 11:28-30).

Dans cet énoncé extraordinaire, Jésus parle comme s'il était dépositaire de la sagesse de Dieu, ce qui à de profondes implications sur le plan spirituel. En effet, dans l'ancienne tradition d'Israël, la Sagesse était parfois interprétée comme une personnification de Dieu lui-même. Agissant en tant que Dieu, la Sagesse invite le peuple à venir l'écouter, apprendre et trouver du repos (Proverbes 8:1-21; 32-36, Sagesse 9: 9-11). Ailleurs, elle dit : "Approchez-vous de moi, ignorants, [...] puisque vous manquez de sagesse, [...] pliez votre cou sous le joug, et que votre âme reçoive l'instruction; [...] Voyez de vos yeux que j'ai peu travaillé, et que j'ai trouvé un grand repos" (Siracide 51:23-27). Selon la tradition, la Sagesse a beaucoup à offrir. Après tout, elle était présente auprès de Dieu lors de la Création du Monde (Proverbes 8:23; 27, Siracide 1:1; 24: 9, Sagesse 9:9) et elle connaît l'esprit même de Dieu (Sagesse 7:21-22; 25, 1 Corinthiens 2:10). Les disciples (littéralement les "apprenants") de Jésus auraient été familiers avec ces idées sur la sagesse de Dieu; ils auraient donc saisi les implications surprenantes des paroles de Jésus.

Réalisation des espoirs messianiques

Un troisième et dernier passage des Évangiles provient de la source "Q" sur laquelle se sont appuyés Matthieu et Luc. Luc écrit : "Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car je vous dis que beaucoup de prophètes et de rois ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l'ont pas entendu" (Q 10:23-34 et Luc 10:23-24, Matthieu 13:16-17). Cette béatitude rappelle les espoirs messianiques juifs exprimés peu de temps avant que Jésus ne le dise : "Heureux ceux qui vivront en ces jours-là pour contempler le bonheur d'Israël dans la réunion des tribus. Que Dieu le fasse ! [...] Le Seigneur est notre roi pour toujours et toujours ! [...] Heureux ceux qui vivront en ces jours-là, Pour contempler les bienfaits du Seigneur qu'il procurera à la génération à venir" (Septante, Psaumes de Salomon 17:44; 17:46 et 18:6-8)[8].

Vitrail de l'Ascension du Christ présenté dans la basilique Saint Fidelis au Kansas.

Il convient de noter que même dans le contexte des chapitres consacrés au Messie, l'auteur des Psaumes de Salomon confesse que c'est le Seigneur lui-même qui est le roi d'Israël.

Les paroles de Jésus sont très importantes car le fait d'être en présence de Jésus, de l'entendre et de voir ses actes, privilégie les disciples d'une manière à laquelle les prophètes et les rois d'autrefois auraient aimé assister. Ces "prophètes et rois" incluraient les grands prophètes d'Israël (par ex. Isaïe et Jérémie) et les grands rois d'Israël (David et Salomon). Mais qu'est-ce que ces prophètes et ces rois auraient aimé voir ? Ils aspiraient à voir le travail salvateur de Dieu ou la présence même de Dieu parmi le peuple élu. À présent que Jésus est venu, ses disciples et les fidèles peuvent être témoins de ses actes.

Derrière toutes ces déclarations, il y a également un sens eschatologique où Dieu intervient de manière décisive dans les affaires humaines. Cela implique qu'à ce moment là Jésus joue un rôle clé car sa présence signifie que la prophétie annonçant la venue de Dieu s'est accomplie.

Selon le bibliste Dale Allison, expert du Nouveau Testament au Séminaire Théologique de Princeton, il existe deux douzaines de passages dans les Evangiles synoptiques dans lesquels Jésus parle comme s'il était lui-même le centre de l'œuvre rédemptrice de Dieu. Passage après passage dans toutes les couches de la tradition synoptique (Marc, Matthieu, Luc, source "Q"), Jésus parle de lui-même et de sa mission comme s'il s'agissait de la plus importante action de sa vie, au centre même de l'œuvre rédemptrice de Dieu. Allison conclut que les chrétiens ont dit "des choses stupéfiantes au sujet de Jésus, et cela depuis le début". En raison de ces paroles, "nous devrions célébrer un enterrement pour avoir imaginé que Jésus n'eut aucune pensée exaltée à son propos"[9]. Le bibliste Craig Evans partage son opinion : "Dire que Jésus ne parlait pas de lui-même ou ne disait rien qui impliquait son identité et sa mission divines, c'est balayer un grand nombre de preuves et s'engager dans des plaidoiries particulières"[10], une manière de dire sans le cacher que les conclusions de Bart Ehrman sont fausses car fondées sur des a priori et un manque de connaissance du sujet.

Le royaume de Dieu

Selon le dogme chrétien, le royaume de Dieu est "au ciel" et inaccessible aux mortels. Mais qu'a réellement dit Jésus ? Plus d'une fois et notamment lors de son fameux sermon sur les Béatitudes, Jésus a clairement dit qu'il fallait mériter ce royaume; c'est une promesse conditionnelle faite par le Père à la portée des pauvres et des persécutés notamment, c'est-à-dire les fidèles capables de délaisser leurs biens, leurs relations et tout jugement de valeur qu'ils doivent remplacer par la prière, la miséricorde et l'amour. On retrouve cette démarche dans l'Évangile des Ébionistes ou Évangile des pauvres.

On en déduit que ce royaume est une allégorie d'un style de vie dévoué à Dieu, un moyen d'existence peut-être idéal ou utopique pour certains permettant de dévoiler la manière dont Dieu se révèle à celui qui veut bien se donner la peine de suivre l'enseignement de Jésus.

Notons que ce royaume de Dieu est décrit de la même manière dans l'Évangile de Thomas qui dit que "le royaume, il est à l'intérieur de vous et à l'extérieur de vous" (E.Thomas 3:3).

C'est donc un concept théologique reliant l'homme (et non son âme) à Dieu dès lors qu'il est "guéri de la maladie", c'est-à-dire des tentations matérielles de ce monde et s'est tourné vers Dieu.

Le royaume de Dieu est-il sur terre ou ailleurs, accessible de notre vivant ou après la mort ? Apparemment ce royaume est sur terre caché en chacun de nous mais étant donné qu'il s'agit d'une promesse assortie de conditions, son accomplissement appelle un jugement. Etant donné que Dieu n'a jamais jugé des hommes de leur vivant (bien que l'Ancien Testament le laisse croire quand Yahvé jugea les enfants d'Israël et même Moïse), cette promesse est donc valable pour le futur. Quand ? Impossible de le savoir. On en déduit que cela surviendra après notre mort, peut-être même le jour du Jugement Dernier en même temps que l'accès à la vie éternelle pour les croyants les plus fidèles. Par conséquent, ce royaume ne serait pas accessible de notre vivant. Zut !, dirons les opportunistes...

Jésus est très explicite sur le sujet quand il dit dans la source "Q" que même si à l'occasion ce royaume est caché et inaccessible, en tous cas il se prépare ici bas comme on prépare la moisson ou une farine fermentée. Mais il prévient que "les premiers seront les derniers" (Q 13:30) et que la plupart des fidèles seront "chassés dans les ténèbres du dehors" (Q 13:28). Ceci explique pourquoi il s'agit d'une promesse; même si elle émane du Père, elle n'est donc pas synonyme d'une garantie de certitude d'accéder au royaume de Dieu.

Ceci dit, il faut reconnaître que le concept a toujours été difficile à cerner car Jésus n'a jamais été très explicite sur le sujet et se contredit, rendant le concept très paradoxal. Mais en résumé chacun peut accéder au royaume de Dieu s'il met en pratique l'enseignement de Jésus.

A propos de l'ossuaire de Jésus de Nazareth

Des archéologues biblistes dont James Tabor de l'Université de Caroline du Nord déjà cité, ont prétendu que nous avions des "preuves significatives" soutenant les récits des Évangélistes à propos de la tombe vide de Jésus. Certains auteurs, y compris des biblistes soutiennent que tombeau vide = résurrection et en déduisent que Jésus était de nature divine, ce que proclame également Marc (cf. Marc 16) parmi d'autres auteurs apostoliques.

Rappelons que cette équation "tombe vide = résurrection" est fausse. En effet, quel expert peut prétendre qu'il a fait une expérience - utiliser la méthode scientifique dans laquelle l'expérience peut être mesurée et reproduite, etc. - d'une résurrection ou simplement comprendre ce que cela signifie réellement ? Personne.

Certains auteurs prétendent a priori que parce qu'il n'y a pas de squelette il y a donc eu résurrection. Mais si ont relit la Bible, on constate qu'il existe apparemment deux types de résurrections, celle du corps et en esprit, la seconde ne demandant pas que le squelette disparaisse. Ainsi, l'ossuaire vide allégué de Jésus bar Yoseph découvert dans la tombe de Talpiot n'est pas une preuve de la résurrection de Jésus, juste la preuve que l'ossuaire portant son nom est vide, la question de la résurrection de Jésus restant ouverte et entière.

Dieu des juifs ou Dieu universel ?

Dieu serait-il venu parmi les hommes, personnifié en Jésus comme le prétend l'Église ? Jésus ne s'est jamais "pris pour Dieu le Père" et ne l'a jamais dit en ces termes. En revanche, il a bien évoqué le "Fils du Père" et fait allusion à sa divinité soit directement soit en évoquant des passages de la bible hébraïque (Isaïe, Psaumes) qui eux-mêmes faisaient parfois référence à d'autre textes (Proverbes, Sagesse, Siracide). Ce Père est-il Dieu ? Jésus le laisse entendre mais il ne l'affirme pas. A supposer qu'il le soit, est-ce le Dieu du peuple d'Israël, c'est-à-dire du "peuple élu" auquel s'adresse habituellement ses paroles jusqu'à la résurrection ou s'agit-il du Dieu universel omniscient et omnipotent, Créateur de l'Univers et de toutes choses (s'il existe) ? Pour les chrétiens la distinction est essentielle. Mais pour les juifs c'est sans intérêt puisque Jésus n'est pas la personnification de Dieu. Du reste, les paroles de Jésus sont souvent évasives sur le sujet ou ses paroles se contredisent.

D'abord, puisque Jésus dit lui-même qu'il est redevable à son Père, dans ce cas il n'est pas Dieu : "Tout m'a été donné par mon Père" (Matthieu 11:25; Luc 10:21). De même que sur la croix, vers la neuvième heure il évoque son Père : "Elie, Elie, pourquoi m'as-tu abandonné ?" (Matthieu 27:46), Elie étant synonyme de Yahvé ou de Dieu. Ce qu'a bien compris Paul quand il écrit : "Le Fils lui-même se soumettra à Celui qui a tout soumis" (1 Corinthiens 15:28). Mais paradoxalement, plus haut nous venons d'expliquer que Jésus précise bien que celui qui a vu le Fils a vu le Père. Décidemment, l'explication ne nous suffit pas, du moins pour les lecteurs de "peu de foi".

Vitrail de Dieu de l'église Saint Bonnet à Gerzat (F, dépt. 63).

Mais alors, le Sanhédrin a-t-il eut raison de dire que Jésus avait blasphémé en se faisant passer pour Dieu ou son intercesseur privilégié ? Selon la Loi juive, c'était bien le cas. Et Jésus le savait puisqu'il était juif pratiquant. Mais si Jésus est réellement le Fils de Dieu, alors leur décision n'est plus du tout justifiée et même sacrilège.

Si on cherche une réponse dans les autres Livres, l'Évangile selon Judas découvert en 1978 est un texte apocryphe et gnostique probablement Cnaïtes remontant au IIe siècle (après 140) écrit en dialecte copte. Il relate une discussion entre Jésus et Judas l'Iscariote où Jésus lui demande d'offrir en sacrifice l'enveloppe humaine qui l'entoure : "tu sacrifieras l'homme qui me sert d'enveloppe charnelle", en d'autres mots de le trahir pour que la prophétie s'accomplisse. Intégré au Codex Tchacos, une partie de ces documents sont aujourd'hui archivés à la Fondation Martin Bodmer à Genève, en Suisse. On en déduit que les gnostiques considéraient Jésus comme un esprit divin immortel dans une enveloppe humaine. On retrouve l'idée exprimée dans le Crédo et qui fit en son temps l'objet d'intenses dissensions au sein des Églises.

Si Dieu existe et que Jésus le personnifie, cela dépasse l'entendement et dans ce cas le Sanhédrin comme tous les hommes de peu de foi se sont lourdement trompés et risquent de le payer cher si Dieu est aussi rancunier qu'il est écrit. Nous seulement, ils ont condamné un innocent mais si le Fils et le Père sont la même personne, alors ils ont condamné à mort Dieu en personne ! On comprend pourquoi Judas "alla se pendre" (Matthieu 27:5).

Reste une question. Si Dieu ou son Fils est descendu du ciel pour guider l'humanité (et pas uniquement le peuple juif) comme le prétend l'Église, contre quoi ou qui nous protège-t-il ? Jésus voulait libérer tous les hommes mais il ne s'est jamais expliqué clairement sur le sujet. Les seules occasions où Jésus fait allusion à des forces négatives c'est lorsqu'il doutait lui-même de pouvoir résister à la tentation, sous-entendant vraisemblablement qu'il risquait de s'éloigner de l'amour de Dieu et de faillir comme les hommes.

Maintenant, dans l'absolu, si comme les chrétiens conservateurs et notamment les fidèles des Églises américaines on admet ou plutôt on croit mordicus que le Fils de Dieu ou Dieu en personne est venu partager la Bonne Nouvelle et sa divinité, le rêve est encore plus merveilleux et la dignité du Christ laisse songeur devant la médiocrité et la cupidité de la majorité des êtres humains. Dieu vivant dans le Christ a-t-il réellement cru en l'Homme ? Et dans quel but ? Malheureusement, comme l'évoque la Bible la réponse appartient aux élus. Malheureusement, cela fait 2000 ans qu'ils attendent le retour du Christ, en vain. Les apôtres auraient-ils mal interprété son message ou Jésus nous a-t-il dit toute la vérité ?

Il y a en effet de quoi s'interroger. Comme saint Thomas, il manque toujours cette preuve indubitable de la divinité de Jésus sur laquelle d'ailleurs lui-même laisse planer un certain flou. Car s'il est réellement ce qu'il prétend, Dieu condamnerait-il ses "mauvais fils" pour leur manque de foi, un sentiment légitime qui relève plus du sens critique rationnel que d'une foi aveugle et dogmatique ? Dieu ou plutôt Jésus qui semble avoir délibérément choisi Judas pour le trahir peut-il ensuite lui en vouloir et le condamner à l'enfer plutôt qu'à la vie éternelle pour une action qu'il a lui-même planifiée ? Dieu est-il un accusateur et un juge si peu rationnel et sans coeur qu'il doit punir les infidèles qui ne pensent pas comme lui ? Certes, ce Dieu est amour, il a de la bonté et de la compassion, il réhabilite et recompense l'innocent injustement condamné mais Dieu excerce seul ce pouvoir propre aux souverains, même s'il s'entoure de Douze apôtres. Cela ressemble plus aux règles sacrées imposées par un dictateur théocratique à des fidèles endocrinés qu'aux paroles d'un sage ouvert à tous et au monde extérieur. Or nous avons vu que justement la communauté essénienne était une des nombreuses sectes très actives près de Jérusalem qui voulait se démarquer par sa doctrine messianique apocalyptique. C'est l'une des rares qui annonçait la venue du "Fils de Dieu". Comme par hasard, on retrouve l'expression chez les apôtres.

Dans l'Histoire de l'humanité aucun sage ou pacifiste n'a fait preuve d'égoïsme, de favoritisme et de violence pour élever les coeurs et les esprits et aucun n'a jugé ses semblables comme semble le faire volontiers Jésus et Yahvé. Si Jésus a résolu la question de son humanité et de son amour universel en envoyant ses disciples prêcher toutes les nations, la question de sa déité reste ouverte et sous caution. Bien sûr les chrétiens conservateurs pourront toujours faire valoir l'argument du Christ qui après sa résurrection disait à Thomas qui n'en croyait pas ses yeux : "Heureux ceux qui croient sans avoir vu" (Jean 20:29). Mais Jean fut le seul à affirmer cette foi aveugle.

Disons que de nos jours, tout le monde n'est pas aussi crédule ou naïf surtout sur un sujet aussi complexe. L'histoire du Christ a de toute évidence un fond de vérité mais sur lequel se sont malheureusement greffées des rumeurs et des hagiographies qui sont aujourd'hui presque indissociables du récit.

En guise de conclusion

Compte tenu de la complexité du sujet et de cette diversité d'opinions, ce que l'on pourrait dire en appelant Jésus le "Fils de Dieu" ou sur sa prétendue déité peut aller d'une affirmation de Jésus en tant que favori de Dieu choisi comme roi oint d'Israël, aux idées d'un être divin préexistant né d'une femme vierge et devenant ainsi "chair" (incarné), avec toutes les variations et interprétations possibles entre les deux. Mais pour ne pas échapper à la question de départ, le lecteur ayant l'esprit critique et donc sceptique de nature pourra se retrancher derrière l'affirmation du célèbre Albert Schweitzer, médecin, pasteur et théologien protestant, qui écrivait en 1910 dans son livre "The Quest of the Historical Jesus" : "Je comprends Jésus dans son contexte et son époque, dans le cadre du mouvement messianique du judaïsme tardif du second Temple proclamé par Jean-Baptiste. En tant que tel, il était un proclamateur apocalyptique du Royaume de Dieu qui est mort de chagrin sur la croix en croyant en la promesse de Dieu de racheter Israël et le Monde." La plupart des chercheurs spécialisés dans l'étude de la Bible ainsi que les archéologues biblistes et les historiens passionnés par la vie de Jésus se reconnaîtront probablement dans cette conclusion.

Nous aborderons dans le prochain article le discours politique de Jésus et ce qu'il faut penser du "royaume de Dieu".

A lire : Le discours politique de Jésus

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[3] Le passage est largement considéré comme historique du fait qu'il est difficile d'expliquer pourquoi une tradition imaginaire, dans laquelle Jean le Baptiste exprime ses doutes sur la nature de Jésus, aurait été incluse dans le canon si elle n'avait pas été présente antérieurement dans la source "Q" à laquelle ont puisé Matthieu et Luc.

[4] Comme le dit Isaïe : "Voici, le Seigneur Dieu vient avec force, et son bras le gouverne" (Isaïe 40:10, voir Psaume 50:3: "Notre Dieu vient, il ne garde pas le silence"). Notons que la prophétie d'Isaïe concernant la venue du Messie suit immédiatement l'annonce de la "bonne nouvelle" (Isaïe. 40:9). De même que la "bonne nouvelle" que Jésus proclame à propos de la venue prochaine du royaume de Dieu (Marc 1:14-15) requiert également la présence de Dieu.

[5] Pour une analyse de l'interprétation du passage d'Isaïe 35:4-6, lire George R. Beasley-Murray, "Jesus and the Kingdom of God", Eerdmans, 1986; "Send The Light", 2006, pp.80-83.

[6] Luc était de culture syrienne et d'éducation greco-romaine. La culture juive dont le concept de Messie ou de Christ ne fait donc pas partie de ses croyances, bien que comme tous les membres de la communauté chrétienne des Craignant-Dieu, il adhérait à certaines coutumes et règles de la Torah tant qu'elles étaient compatibles avec sa culture. Rappelons que parmi les différences entre Juifs et Gentils, il y avait notamment la question de la circoncision et le fait que s'il n'était pas juif ou était juif mais non purifié, il n'avait pas accès au coeur du Temple et devaient rester sur l'esplanade, derrière le soreg (cf. ce plan du Temple). De plus, on imagine mal des Gentils respecter certains commandements de la Torah comme de lapider les enfants indisciplinés ou les femmes adultères.

[7] Lire à ce sujet l'analyse des manuscrits 4QA dans le livre de Arstein Justnes intitulé "The time of salvation: an analysis of 4QApocryphon of Daniel ar (4Q246), 4QMessianic Apocalypse (4Q521 2), and 4QTime of Righteousness (4Q215a)" publié en 2009.

[8] Compte tenu des faits évoqués, la plupart des spécialistes datent des psaumes de Salomon pseudépigraphiques entre 63 et 48 avant notre ère.

[9] Dale C. Allison, "Constructing Jesus: Memory, Imagination, and History", SPCK Publishing, 2010, p304. Concernant l'hypothèse selon laquelle Jésus avait une très haute estimation de lui-même et donc de compréhension de soi, lire pp.225-232.

[10] Michael F. Bird et al., "How God Became Jesus: The Real Origins of Belief in Jesus’ Divine Nature - A Response to Bart D. Ehrman", Zondervan, 2014. Cet ouvrage comprend des contributions de Craig A. Evans, Simon Gathercole, Charles E. Hill et Chris Tilling. Ce livre très argumenté par des experts en leur domaine répond aux propos de Bart Ehrman, ancien évangéliste et professeur d'études religieuses qui exprima son agnostisme dans son livre "How Jesus Became God: The Exaltation of a Jewish Preacher from Galilee" (2014) dans lequel il tente de démontrer sur base des textes de la Bible que Jésus n'avait jamais déclaré sa divinité et qu'il s'agit d'une interprétation chrétienne. Le livre de Bird et ses collègues confirme preuves à l'appui qu'Ehrman se trompe et ferait mieux de ne pas s'écarter de son domaine d'expertise.


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