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La Bible face à la critique historique

Pièce de monnaie juive à l'effigie du Second Temple datant c.135 de notre ère.

De la naissance du Livre sacré à la naissance du judaïsme (II)

Retour en terre d'Israël

Que sont devenus les Israélites après les trois déportations à Babylone ? En 539 avant notre ère, soit 58 ans après l'Exil, le roi Cyrus le Grand (Cyrus II de Perse) envahit la Babylonie, mettant fin à l'exil du peuple d'Israël. Comme le relate le livre d'Esdras (Ezra), le roi Cyrus le Grand publia un édit autorisant les juifs à regagner la terre d'Israël. Peu après, Artaxerxès transmit un document au prête-scribe Esdras autorisant "quiconque en mon royaume fait partie du peuple d'Israël, de ses prêtres ou de ses lévites et est volontaire pour aller à Jérusalem, peut partir avec toi" (Esdras 7:13). Sans se faire prier, la Diaspora choisit de retourner au pays de Canaan. Esdras rapatria ainsi à deux reprises des groupes d'exilés jusqu'en Terre Promise.

Lors de son second voyage, Esdras reçut d'Artaxerxès une subvention importante pour le culte de Jérusalem selon la Loi de Dieu et lui ordonna d'établir des juges et d'imposer la Loi aux Israélites de son royaume; elle sera la loi du roi (Esdras 7:12-26). Autrement dit la Judée fut dorénavant une entité autonome du royaume Perse.

D'après Esdras et Néhémie, "toute la congrégation réunie était de quarante-deux mille trois cent soixante personnes, sans compter leurs serviteurs et leurs servantes; ceux-ci étaient au nombre de sept mille trois cent trente-sept" (Esdras 2:64-65, Néhémie 7). Selon le bibliste Charles E. Carter[3] de l'Université de Seton Hall, ce nombre d'exilés revenu en terre de Canaan est totalement irréaliste car lors de la première déportation, la population de Judée (Yehoud) était beaucoup moins nombreuse et ne devait pas dépasser 20000 à 30000 personnes. L'archéologue bibliste Oded Lipschits[4] précitée qui évalua les changements démographiques en Judée au cours de la période allant du VIIe au Ve siècle avant notre ère, estime qu'entre 200 personnes minimum et vraisemblablement environ 1000 personnes seulement seraient revenues en Judée. Pour les historiens, cela signifie que la grande majorité des exilés et en particulier les enfants devenus adultes et leur descendance qui n'avaient jamais connu Jérusalem sont restés à Babylone durant la période perse.

Cyrus le Grand, le premier Messie biblique

A travers les siècles l'image du roi Cyrus le Grand est restée dans les mémoires sous un jour remarquablement favorable par rapport à d'autres grands conquérants. Des historiens grecs comme Hérodote (Les Histoires) et Xénophon (L'Éducation de Cyrus) le présentent comme un dirigeant idéal et un parangon de vertu morale, sans oublier la Bible hébraïque.

Dans les premières pages du livre d'Esdras, Cyrus le Grand aurait déclaré : "le Dieu des cieux m'a donné tous les royaumes de la terre et il m'a commandé de lui bâtir une maison à Jérusalem en Juda" (Esdras 1:2). Certains biblistes, à la suite d'Esdras, pensent que Cyrus, ses délégués et ses successeurs ont parrainé la reconstruction du second Temple ainsi que l'assemblée de la Torah. Du point de vue des Perses, leur objectif était de soutenir un gouvernement local théocratique qui resterait fidèle aux monarques persans soutenus par un être divin. C'était un système qui fonctionnait avec les prêtres de Marduk à Babylone, alors pourquoi pas avec les prêtres du Dieu d'Abraham ? Si cette théorie est correcte, cela signifierait que Cyrus n'était pas seulement le Messie proclamé par Second-Isaïe (un prophète qui vécut au VIe siècle avant notre ère) mais, en termes pratiques, une figure centrale de la reconstruction du Temple.

A  gauche, portrait de Daniel et Cyrus le Grand (Cyrus II de Perse) devant le temple de Baal peint par Rembrandt en 1633. Huile sur bois de 23.4x30.1 cm de la Collection Paul Getty Trust exposée à Los Angeles. A droite, la tombe monumentale du roi Cyrus le Grand érigée à Pasargades, la première capitale de l'Empire Perse située à 40 km de Persépolis, dans l'actuelle province du Fars située au sud-ouest de l'Iran.

Soulignons également que dans le livre d'Isaïe, l'auteur déclare explicitement que Cyrus est l'oint de Dieu : "Ainsi parle l'Eternel à son oint, à Cyrus, qu'il tient par la main pour terrasser les nations devant lui..." (Isaïe 45:1). Fait remarquable, c'est le seul personnage de la Bible hébraïque qui soit déclaré "le messie de YHWH" sans être un roi oint de Juda.

Nous verrons qu'à l'époque de Jésus de Nazareth et par la suite de nombreux autres personnages juifs mais également non-juifs se proclameront également être le Messie.

Le cylindre de Cyrus

Parmi les documents historiques datant de l'époque du retour des juifs en Judée, il y a le cylindre de Cyrus présenté ci-dessous à gauche. Il s'agit de l'un des textes les plus connus datant de l'Empire perse achéménide (c. 550-442 avant notre ère) gravé dans un rouleau d'argile cuite en 539 avant notre ère.

Découvert lors de fouilles à Babylone en 1879, le cylindre en forme de tonneau mesure 21 à 23 cm de longueur pour un diamètre variant entre 7.8 et 10 cm. Il est légèrement abimé et contient 45 lignes incomplètes de texte cunéiforme écrit dans le dialecte babylonien de l'akkadien.

Par un heureux hasard, l'une des pièces manquantes du cylindre (réf. NBC 2504) mesurant 8.6 x 5.6 cm, fut retrouvée parmi les fragments archéologiques mésopotamiens de la collection de Nies à l'Université de Yale. James Buchanan Nies, un ecclésiastique de Brooklyn, avait acquis le fragment auprès d'un marchand d'antiquités. En 1920, Nies et Clarence E. Keizer publièrent leur découverte dans leur ouvrage commun "Historical, Religious and Economic Texts and Antiquities". À la mort de Nies en 1922, le fragment fut légué dans le cadre de sa collection de tablettes et d'antiquités à la collection babylonienne de l'Université de Yale.

Le cylindre de Cyrus exposé au British Museum.

Le cylindre de Cyrus fut vraisemblablement commandé par Cyrus le Grand lors de sa reconstruction de Babylone, suite à sa conquête de la région. Le texte commence par un prologue historique, racontant les maux du précédent roi babylonien, Nabonide (c.556-539 avant notre ère). Selon le texte, en réponse aux actions impies de Nabonide, le dieu babylonien Marduk convoqua Cyrus pour renverser Nabonide et rétablir l'ordre à Babylone en reconstruisant des temples et en renvoyant les images culturelles et les exilés dans leurs foyers.

Dès le début, ce texte présente des similitudes remarquables avec le récit biblique décrit dans Esdras (1:1-4), où c'est le dieu hébreu YHWH, et non Marduk, qui éveille le cœur de Cyrus pour reconstruire le Temple de Jérusalem et renvoyez les exilés au Royaume de Juda. Toutefois, les specialistes reconnaissent que le lien entre le cylindre de Cyrus et l'histoire biblique n'est pas aussi simple ni aussi certain que la première lecture le suggère. En effet, de nombreux chercheurs se sont opposés à tout lien direct entre le cylindre et le récit biblique.

Si le cylindre évoque bien la reconstruction des centres culturels et le retour des exilés, il ne cite jamais Jérusalem ni les Judéens mais se concentre uniquement sur la Babylonie. Selon le texte, les centres de culte babyloniens et les déportations babyloniennes seraient restaurées. Si cette inscription reflète étroitement l'histoire d'Esdras, elle ne rapporte pas les mêmes évènements (cf. A.Kuhrt, pp. 83-97, 1983). Mais même si le cylindre de Cyrus et le texte d'Esdras ne font pas référence aux mêmes évènements, est-il possible qu'ils reflètent une politique persane plus large conduisant aux deux évènements ? Autrement dit, le cylindre de Cyrus pourrait-il être la version babylonienne de l'édit du roi ?

En résumé, les spécialistes peuvent difficlement établir ce lien. Tout d'abord, bien que l'inscription soit un bel objet culturel, elle n'a jamais été destinée à être lue. En effet, le cylindre est une inscription de fondation - un texte enterré lors de la construction ou de la rénovation d'un bâtiment. En tant que tel, il était destiné à être lu par les dieux seuls. C'était une pratique courante dans l'ancien Moyen-Orient et cela soulève la deuxième difficulté. Le contenu du cylindre de Cyrus n'est pas très différent des inscriptions de fondation similaires écrites par les premiers rois babyloniens et assyriens. Pour Cyrus, il semble plutôt vouloir simplement poursuivre une tradition de revendications ambitieuses qui peuvent ou non se concrétiser (cf. A.Kuhrt, pp. 83-97, 1983). On retrouve un exemple similaire dans les inscriptions d'Assarhaddon (c.681-669 avant notre ère) concernant sa reconstruction de Babylone un siècle plus tôt qu'il ne concrétisa jamais.

En raison de ces difficultés, plusieurs chercheurs considèrent que le cylindre de Cyrus n'a que peu, voire pas, de pertinence vis-à-vis de la politique perse. Cependant, de nouvelles découvertes pourraient suggérer le contraire.

Un fragment de tablette contenant une copie du texte du cylindre de Cyrus conservé au British Museum.

Premier argument, on croyait que le cylindre de Cyrus était une inscription unique. Or, le 31 décembre 2009, en examinant quelques unes des 130000 tablettes mésopotamiennes non documentées archivées au British Museum, Wilfred Lambert, un professeur retraité de l'Université de Birmingham découvrit deux petits fragments sur lesquels était gravé une copie du cylindre. Ces fragments ne provenaient pas d'un cylindre mais d'une grande tablette cunéiforme qui devait porter le même texte que le cylindre de Cyrus.

Dans son livre "The Cyprus Cylinder" (2012), Irving Finkel, assyriologue et conservateur du British Museum, explique que la tablette provient probablement d'un bureau de scribe officiel où de nombreuses copies furent réalisées et envoyées dans les différentes régions de l'empire : "Même un coup d'œil rapide sur le texte du Cylindre montre que l'inscription se divise en sections discrètes, et il n'est pas difficile d'imaginer qu'il aurait pu y avoir un récit central de la conquête de Babylone et de la prise de pouvoir qui pourrait avoir des passages supplémentaires ajoutés ou adaptés selon l'intérêt local pour la création d'autres récits de ce type." Dans ce contexte, les spécialistes considèrent qu'il est certainement possible que le cylindre de Cyrus et le récit d'Esdras reflètent tous deux les proclamations officielles de l'administration perse peu après sa conquête d'une région.

Autre argument, il ne serait pas surprenant que l'Empire perse ait suivi une politique, partagée par d'autres empires antiques, consistant à donner des positions privilégiées aux villes dans des endroits stratégiquement importants ou à les exempter de certaines taxes, pour s'assurer que ces villes restent fidèles à l'empire (cf. A.Kuhrt, pp. 83-97, 1983).  A cette époque, le Royaume de Juda se trouvait probablement dans une telle situation, étant donné sa proximité avec l'Egypte et de tribus arabes gênantes, qui constituaient toutes deux une menace pour le contrôle persan dans la région. Il existe une telle éventuelle référence à cette politique dans Esdras (4:13), où il est mentionné que "si cette ville est rebâtie et si ses murs sont relevés, ils ne paieront ni tribut, ni impôt."

Bien que le cylindre de Cyrus ne puisse pas être directement lié au récit biblique, il est certainement possible - sinon probable - qu'il reflète la même situation que la Bible : une tentative de propagande cohérente et pointue de l'Empire perse pour s'établir comme un pays conquérant. sauveur, opérant sous le commandement et l'onction du panthéon local.

La construction du second Temple

Revenus sur leur terre sacrée, bien que restant sous la domination des Perses, suite à la destruction du Temple de Salomon par Nabuchodonosor II en 586 avant notre ère (voire page précédente), les juifs entreprirent la construction du second Temple à Jérusalem. Ils le firent d'abord sans demander l'autorisation au roi de Perse puis lors d'une visite impromptue, ils reçurent son accord, le souverain y voyant une manière douce et diplomatique de mieux contrôler ces peuples éloignés.

Le projet de construction du second Temple fut proposé par la Diaspora juive de Babylone qui exprima son désir de financer le projet. Selon Esdras, cela débuta en 538 avant notre ère sous la gouvernance de Sheshabazzar (Sassabasar ou Sheshbatsar), prince de Judée (Esdras 1:8; 5:14). Les juifs exilés récupérèrent les objets du culte dans le temple de Babylone que Sheshabazzar plaça dans l'autel du Tabernacle, un sanctuaire portable et provisoire (comme les juifs en utilisèrent durant leur exode dans le désert, cf. cette reconstitution dans le désert de Timna) symbolisant le futur temple de Jérusalem (Esdras 1:8-11; 5:15) mais des conflits politiques empêchèrent la poursuite du projet.

Le gouverneur Zorobabel présentant à l'empereur Cyrus le Grand le plan du second temple de Jérusalem. Peinture de Jacob Van Loo réalisée vers 1640-1670.

Dans la deuxième année du règne de Darius Hystaspès (Hystaspisen) soit en 520 avant notre ère, les Perses nommèrent le commissaire juif Zorobabel (Zerubbabel), neveu de Sheshabazzar, gouverneur de Judée (Aggée 1:1-14; 2:2). Il gouverna la Judée aux côtés du grand prêtre Josué (Jeshua ou Yeshoua). On y reviendra.

La construction du second Temple commença modestement en 536 avant notre ère. Selon Esdras, au septième mois du retour, Zorobabel et Josué érigèrent un autel temporaire pour les offrandes puis offrirent des sacrifices à Yahvé matin et soir et assurèrent finalement la totalité du cycle sacrificiel dont la "Soukkot" ou fête des Tabernacles (fête des Tentes[5]) "alors que les fondations du temple de Yahvé n'étaient pas encore posées" (Esdras 3:1-6). Ensuite, au deuxième mois de la deuxième année du retour, ils posèrent les fondations du Temple (Esdras 5:2).

Toutefois les travaux furent interrompus suite à l'opposition des juifs non exilés probablement proche de l'aristocratie de Samarie qui avaient pris le contrôle de la Judée et qui étaient hostiles au retour d'exil des membres des tribus de Juda et de Benjamin (Esdras 4:1-6). Ce conflit provoqua un retard de 17 ans dans la reconstruction du Temple.

Selon la tradition, grâce à la persuasion et les encouragements des prophètes Aggée et Zacharie (Aggée 1 et 2; Zacharie 1:1-17) mais en réalité sur l'ordre de Darius Ier dit le Grand[6] qui fit également un don pour le Temple, le travail reprit au cours de la deuxième année de son règne mais continua de faire l'objet de plaintes et de harcèlements de la part de leurs voisins.

Le second Temple fut consacré en 515 avant notre ère, soit 4 ans après avoir posé la première pierre et un peu plus de 20 ans après l'installation de l'autel initial. Zorobabel eut la chance d'y assister.

Nous ne possédons aucun plan ni représentation de l'édifice original mais comme nous l'avons évoqué à propos du temple de Salomon, le second Temple obéissait également aux mêmes règles d'aménagement que les autres sanctuaires judéens. Selon différentes sources, le second Temple fut construit en pierre taillée, avec des poutres en bois renforçant les murs intérieurs. Le Temple lui-même mesurait 60 coudées soit ~27 mètres de haut. Le sanctuaire ou Saint des Saints était vide, il n'y avait ni Arche d'alliance ni chérubin en or comme l'exigeait la Torah (Exode 25:18-22).

L'Esplanade ou cour intérieure du second Temple devait mesurer 500 x 100 coudées soit environ 230 x 45 mètres. Il y avait au moins quatre portes percées dans les murs extérieurs dont une faisait face à la rue principale. Il y avait au moins deux portes dans la cour intérieure. Plusieurs chambres entouraient le Temple. La plupart d'entre elles se trouvaient dans la cour extérieure et servaient au stockage des dîmes et de divers matériels et ustentils. Certains hauts fonctionnaires disposaient apparemment de chambres privées dans l'enceinte du Temple. Nous reviendrons sur le second Temple dont voici la représentation au premier siècle de notre ère quand nous détaillerons le ministère de Jésus.

En résumé, Zorobabel fut un personnage important pour les juifs non seulement pour son rôle majeur dans l'édification du second Temple mais étant le fils de Schaltiel (Salathiel) et petit-fils de Jébonias, c'était un descendant éloigné de la lignée de David et avait donc les attributs du Messie annoncé par les prophètes. En effet, selon l'oracle et les visions de Zacharie (cf. Zacharie 1), un Messie et rédempteur devait prochainement délivrer Israël. La promesse de la rédemption devait se produire du temps de Zorobabel et "non par le pouvoir, ni par la puissance, mais par l'Esprit de Yahvé-Sabaot" (Zacharie 4:6). Comme par hasard, un héritier de la lignée de David associé à un grand prêtre, autrement dit les deux "Messies", le Roi ou gouverneur et le Prêtre étaient justement au pouvoir en Judée.

Malheureusement, face à l'empire Perse, le peuple d'Israël n'a jamais obtenu son indépendance (le pays était géopolitiquement trop bien placé entre l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient) et les prophètes reportèrent la venue du Messie à des temps ultérieurs. On y reviendra à  propos de Jésus. Zorobabel resta néanmoins un personnage vénéré dont l'Ecclésiastique fit l'éloge dans son livre homonyme (ou Siracide ou encore le livre de Sirach) écrit vers 200 avant notre ère.

Esdras et l'invention du judaïsme

Portait du prêtre Esdras qui vécut au Ve.s. avant notre ère. Dessin extrait de l'ouvrage iconographique "Promptuarii Iconum Insigniorum" de Guillaume Rouillé publié à Lyon en 1553. Document Google Books.

Ensuite Esdras raconte dans son livre qu'il fut scandalisé par l'infidélité de son peuple, y compris des prêtres qui avaient épousé des païennes : "Le peuple d'Israël, les prêtres et les Lévites n'ont point rompu avec les peuples des pays plongés dans leurs abominarions - Cananéens, Hittites, Perizzites, Jébuséens, Ammonites, Moabites, Égyptiens et Amorites! - mais pour eux et pour leurs fils, ils ont pris femmes parmi leurs filles : la race sainte s'est mêlée aux peuples des pays : chefs et magistrats, les premiers, ont participé à cette infidélité!" (Esdras 9:1-2). Bien qu'il n'est plus question d'anéantir ces occupants de la Palestine comme du temps de Josué, Esdras considère que la séparation des juifs des païens doit être tenue avec rigueur. Il interdit de mêler le peuple élu aux étrangers et que les juifs éprouvent le moindre sentiment à leur égard : "Ne vous souciez jamais de leur paix ni de leur bonheur, afin que vous deveniez forts, que vous mangiez les meilleurs fruits du pays et le laissiez en patrimoine à vos fils pour toujours" (Esdras 9:12).

Ayant ordonné le rassemblement tous les exilés de Juda et de Jérusalem dans les trois jours sous peine d'être exclu de la communauté des exilés, Esdras exigea qu'ils respectent la Loi de Moïse : " "Mais à présent rendez grâce à Yahvé, le Dieu de vos pères, et accomplissez sa volonté en vous séparant des peuples du pays et des femmes étrangères". Toute l'assemblée répondit à forte voix : "Oui, notre devoir est d'agir suivant tes consignes !" " (Esdras 10:11-12).

Il dressa ensuite la liste des "coupables" dont la Bible cite les noms et dont les fautes furent examinées au cas par cas. "Ceux-là avaient tous pris des femmes étrangères : ils les renvoyèrent, femmes et enfants" (Esdras 10:44). A présent l'ordre voulu par Yahvé (ou plutôt par Esdras) était rétabli, sous-entendant que le peuple juif n'avait plus à craindre la colère de Yahvé.

C'est au cours du Ve siècle avant notre ère que les auteurs sacerdotaux juifs ont codifié les rites religieux hébraïques (les rituels de purification, les lois alimentaires, la Pâque, la circoncision) dans ce qui deviendra le Lévitique, nom donné par référence aux membres de la tribu des Lévites qui le rédigèrent du fait qu'ils étaient traditionnellement responsables du culte officiel. C'est donc à l'époque perse et grâce à Esdras qu'est véritablement né le judaïsme.

Après la (courte) unification du peuple juif sous le roi Josias et la "redécouverte" de la Loi de Moïse, celle-ci deviendra la loi de l'État vers 440 avant notre ère sous le gouverneur Néhémie, lorsque Esdras devenu sacrificateur lut solennellement "le livre de la Loi de Moïse que Yahvé avait prescrite à Israël" (Néhémie 8:1, Esdras 7:10). Dorénavant, les cinq Livres de Moïse ou Pentateuque à l'origine de la Torah auront force de loi et dicteront toute la vie de la société juive jusqu'à aujourd'hui.

L'occupation perse dura de 538 à 332 avant notre ère. Durant toute cette période, la Judée connut une période de paix et de propérité au détriment de l'Égypte qui lutta contre les Perses (et qui fit probablement appel à Alexandre le Grand, voir plus bas).

Seul écho de cette guerre, vers 410 avant notre ère suite à une révolte des prêtres égyptiens de Khnoum dirigée par des officiers perses, un sanctuaire judéen érigé à Éléphantine en Égypte fut détruit. Dans la "supplique à Bagôthi" par référence au gouverneur de Judée, l'auteur décrit les dégâts au sanctuaire : "Ils entrèrent dans ce sanctuaire, ils le détruisirent jusqu'au ras du sol; quant aux colonnes qu'il y avait, ils les brisèrent. En outre, il y avait cinq grands portiques construits en pierre de taille qui étaient dans ce sanctuaire; ils les détruisirent. Leurs vantaux en bon état, et les gonds de ces vantaux en bronze, ainsi que la toiture de ce sanctuaire, le tout en planches de cèdre avec le reste du matériel et les choses qu'il y avait là, ils les brûlèrent par le feu. Quant aux bassins d'or et d'argent et aux affaires qui étaient dans ce sanctuaire, ils les prirent et se les approprièrent". On imagine que ce sanctuaire était inscrit dans un périmètre sacré, clos par un mur, muni de portiques et contenait quelques bâtiments pour entreposer le matériel destiné au culte. A part l'échelle de grandeur, cette description est similaire à celle du second temple de Jérusalem.

Bien que la Bible précise que le second Temple fut plus monumental et plus majestueux que celui de Salomon (voir plus bas), malheureusement après avoir subit autant de bouleversements, le nouveau royaume d'Israël ne retrouva plus le prestige légendaire des royaumes d'antan de David et Salomon. En effet, les invasions hellénistiques et romaines allaient freiner les envies d'expansion et de splendeur des juifs.

Le développement du monothéisme judaïque

Comme de coutume, les rédacteurs de la bible hébraïque et notamment les sacerdotaux et les prophètes n'ont pas considéré les derniers épisodes que nous venons de décrire (du schisme du royaume de Salomon à la déportation à Babylone) comme le ferait un historien qui n'y verrait que le cycle perpétuel de la géopolitique avec ses invasions, ses guerres et les migrations de populations qui s'en suivent comme on en connaît encore de nos jours. Après tout, la Bible est un livre sacré, pas un livre d'histoire !, diront leurs auteurs.

La Bible de Jérusalem ouverte sur le livre d'Esdras. Document T.Lombry

En réponse à la deuxième Shoah (la déportation à Babylone et le prétendu esclavage en Égypte), comme nous l'avons évoqué, le haut clergé juif chercha à tout prix le moyen de rassembler son peuple autour d'une idée nationaliste. La méthode qui s'avéra la plus efficace est ce qu'il faut bien appeler l'endocrinement. En effet, le clergé juif voulut prouver théologiquement la raison divine de l'existence du peuple d'Israël, l'exception du "peuple élu" sur toutes les autres nations (un concept soi dit en passant que Jésus-Christ n'a pas repris) et le pouvoir absolu de Yahvé sur toutes les autres divinités. Pour y parvenir, le haut clergé de Jérusalem fit appel à des théologiens juifs ayant connu le schisme, l'exil à Babylone et le retour en pays de Canaan comme le prêtre et scribe Esdras qui aida les exilés de Babylone à rejoindre Jérusalem.

Le prophète Daniel décrivit également le refus de l'assimilation au début de l'exil, épaulé par les commentaires d'Esdras, deux auteurs dont les livres sacrés sont plus rigoureux que les propos d'Esther qui rédiga son livre un peu plus tard, lorsque le judaïsme était déjà bien établi.

Esdras et les autres auteurs ont justifié la chute du royaume d'Israël non pas objectivement comme un succès militaire des forces étrangères ni même sur le plan ésotérique comme l'oeuvre de la puissance du dieu des Assyriens, des Babyloniens ou des Perses mais plus subtilement comme le signe de la colère de Yahvé pour avoir été trahi par son propre peuple qui se serait détourné de lui pour adorer d'autres dieux. En même temps, puisqu'une grande partie de la population croyait plus ou moins en des dieux païens, l'idée imaginée par le roi Josias et reprise par le clergé était de tenter d'unifier tous ces dieux en un seul et unique Dieu. La manoeuvre était habile car elle renforça indirectement le pouvoir du clergé.

Pour les juifs, Yahvé avait fait une alliance avec son peuple et cet attachement ne souffrait et ne soufre encore aujourd'hui aucune exception. Comme à l'époque d'Abraham (cf. le péché de Sodome décrit dans la Genèse), de Jacob (cf. l'exode en Égypte décrit dans l'Exode), de Moïse (cf. le veau d'or décrit dans l'Exode), après le règne de Salomon (cf. les Omrides et l'invasion du royaume du Nord par les Assyriens) ou des descendants de Josias (les déportés à Babylone), en cas d'égarement spirituel (idolâtrie) ou charnel (libertinage), la sentence de Dieu envers les juifs infidèles est sévère, tombant comme un couperet et sans appel : c'est soit la mort soit l'exil ! Soit dit en passant, Jésus a rejeté cette philosophie de la violence alliant le bâton à la récompense pour une vision plus optimiste et vertueuse. On y reviendra.

La résistance des autorités au messianisme

La publication du proto-Pentateuque à l'époque d'Esdras montre clairement que le courant judaïque majoritaire s'article autour de deux axes, les deutéronomistes (laïques) et le clergé (sacerdotaux) au détriment du courant messianique qui fait plus peur que donne de l'espoir aux juifs. Si nous consultons le Pentateuque, seuls trois livres évoquent le message messianique (Genèse 49:10, Nombres 24:17 et Deutéronome 33:13-17) et encore, timidement car le mot "Messie" n'est cité que trois fois et est réservé au prêtre (sacrificateur) comme le prescrit la Loi (Lévitique 4:3-5; 4:16 et 6:15).

Document Natbg wallpapers.

Selon la tradition, le rôle de médiateur entre Dieu et les hommes est d'abord assuré par Moïse qui conduit son peuple jusqu'au pays de Canaan où, même sans entrer dans le pays, il impose la promesse de Dieu à son peuple et la victoire contre ses ennemis. Ensuite, le roi David et sa dynastie en assurent la fonction. On retrouve avec le couple Moïse-Aaron qui est au centre de la Torah (Exode, Lévitique, Nombres), les prémices d'un gouvernement à deux têtes (dyarchie) reposant sur la double autorité  laïque et sacerdotale, un rôle comme nous l'avons évoqué qui fut attesté par le prophète Zacharie.

C'est justement ce caractère dyarchique que prône la Loi, la Torah, qui explique la résistance d'une grande partie des juifs au message messianique qui envisageait l'indépendance politique du peuple.

Après les souffrances qu'endura le peuple juif, il fallut du temps pour que l'idée messianique se transforme en concept théocratique. En effet, après le retour de captivité mais vivant toujours sous l'occupation Perse, en 520 avant notre ère le triomphe des juifs est bien modeste et l'avenir en Judée paraît sombre aux yeux des prophètes. C'est pourquoi Zacharie évoque l'idée qu'un jour tous les habitants de Jérusalem seront protégés par le bouclier de Yahvé-Sabaot (Yahvé des armées) : "En ce jour-là, Yahvé sera un bouclier pour les habitants de Jérusalem, [...] et la maison de David sera comme Dieu, comme l'ange de Yahvé devant eux" (Zacharie 12:8). Zacharie évoque également "celui qu'il ont transpercé" (Zacharie 12:10) que les biblistes ont associé au "serviteur souffrant" évoqué par Isaïe (vv.53:5).

Selon le bibliste André Lacocque[7], professeur émérite au Séminaire Théologique de Chicago, cette vision d'un "Messie collectif" assurant la fonction de médiateur était en contradiction avec les idées religieuses des autorités de Jérusalem hostiles à toute forme de doctrine eschatologique (évoquant le sort de l'homme après sa mort). En effet, elle conduisait vers une doctrine théocratique dans laquelle le roi davidique n'avait plus le privilège d'être le médiateur divin.

Toutefois, comme l'a démontré le bibliste Philippe Abadie[8], de l'Université Catholique de Lyon, dans le livre des Chroniques, le roi David n'était pas l'idéalisation d'un espoir messianique ni même associé au rétablissement d'une éventuelle dynastie en Judée. Cette espérance se trouve dans le Lévitique et dont l'origine est bien antérieure au règne du roi David. Si l'auteur des Chroniques termine son récit en citant l'édit du roi Cyrus de Perse évoquant la restauration, c'est du Temple dont il s'agit et non de la dynastie royale. Autrement dit, c'est dans le culte et son administration par la tribu de Lévi que s'exprime l'identité du peuple d'Israël. Puisque la liberté de culte est garantie, il n'est plus nécessaire d'inventer un Messie.

En résumé, durant l'époque perse, le concept messianique juif n'est pas encore construit et présente de multiples facettes qui trouvent leurs origines dans les idéologies du Proche et du Moyen-Orient. Toutefois, les auteurs de la bible hébraïque critiquent encore ce messianisme qui reste un mouvement suspect à leur yeux voire même dangereux pour la nouvelle royauté laïco-sacerdotale. Il faudra attendre la révolte des Maccabées au IIe siècle avant notre ère (voir plus bas) pour que naisse véritablement une doctrine messianique apocalyptique et eschatologique, inaugurant un nouveau monde de Salut.

Nous verrons dans un autre article que c'est également à l'époque perse qu'on inventa le concept de satan avant qu'il ne personnifie le Mal à travers l'ange déchu qui donnera plus tard le diable et autres démons.

Les campagnes d'Alexandre le Grand

L'empire perse devenant trop vaste à gérer (Darius et Xerxes l'étendirent de l'actuelle Bulgarie et d'une partie de la Grèce jusqu'à l'Inde et l'Égypte), il se démantela progressivement à ses frontières. Pendant la période hellénistique qui s'étendit de 333 à 134 avant notre ère, Alexandre le Grand de Macédoine en profita pour conquérir la Samarie, la Judée et l'Égypte en 332 avant notre ère où il se proclama même pharaon à Memphis en 331 avant notre ère et honora les dieux égyptiens tout comme il honorait déjà le Panthéon des dieux grecs.

A gauche, la ligne du temps (en anglais) des rois et prophètes d'Israël et de Juda entre la fin du royaume unifié de Salomon (940 avant notre ère) au retour de la déportation à Babylone (460 avant notre ère). A droite, la situation géopolitique au Moyen-Orient vers 280 avant notre ère.

Continuant sa campagne de guerre vers l'ouest, Alexandre le Grand décida ensuite de bâtir la future Alexandrie dont il confia l'achèvement à son ami d'enfance Ptolémée (il naquit en Macédoine) qui devint roi d'Égypte en 305 avant notre ère sous le titre de Ptolémée Ier. Il donna naissance à la dynastie des pharaons ptolémaïques de la XXXIIe dynastie ou dynastie des Lagides.

C'est Séleucos Ier, ancien général d'Alexandre le Grand qui envahit la Judée en 305 avant notre ère et devint roi de Syrie jusqu'en 281 avant notre ère.

Comment le hébreu biblique devint une langue sacrée ou presque

Sachant qu'une bonne partie des sacerdotaux juifs étaient des exilés qui vécurent des décennies voire toute leur vie en Babylonie, après le retour d'Exil, dans quelle langue fut écrite la Torah ? Bien que certains des derniers livres de la Torah furent écrits en araméen, la plupart furent écrits en hébreu. Précisons que si vers 700 avant notre ère les caractères de l'araméen ou paléo-judaïque étaient pratiquement tous différents de ceux du hébreu carré archaïque, vers 400 avant notre ère au moins un tiers des caractères araméens se retrouvaient dans l'alphabet hébraïque (cf. ce tableau). Toutefois, ce hébreu est distinct de celui des textes bibliques plus anciens. Selon Joosten précité, "dans les derniers livres de la Bible, Les Chroniques, Esdras-Néhémie, et Esther, les auteurs utilisent une forme archaïque du hébreu arrangé d'une manière qui indique qu'il a été retravaillé à partir du texte original et pour être revivifié sur la base de l'exégèse."

Les auteurs bibliques de cette période ont étudié le hébreu des anciens livres et l'ont intentionnellement incorporé dans leurs écrits. Dans ce processus, certains mots ont pris des significations différentes. Par exemple, dans les textes bibliques antérieurs, le mot hébreu "torah" a le sens de "écriture" ou "direction", mais dans les textes ultérieurs ce mot signifie généralement "le livre dans lequel La loi juive est écrite". Selon Joosen, "Le choix consciencieux des auteurs de continuer à écrire en hébreu le distingue presque comme une langue sacrée."

Bien sûr, les exilés de Babylone ne représentaient pas la seule communauté juive survivante à cette époque. Il y avait un exil occidental et une Diaspora avec en tête de file le prophète Jérémie (VIe siècle avant notre ère) qui avait fui en Égypte avec un groupe d'exilés (cf. Jérémie 43-44). Comme l'élite de Jérusalem était dirigée par les Babyloniens de l'est, d'autres Israélites (les Judéens ou Judahites) ont fui vers l'ouest. Une colonie considérable de juifs s'est installée à Éléphantine, une île situé sur le Nil en Haute-Égypte, aux Ve et IVe siècles.

Le nom ou tétragramme "YHWH" écrit en hébreu dans un texte an araméen.

Les deux groupes exilés juifs respectaient la Bible hébraïque et s'engageaient à la préserver et à la transmettre fidèlement. Cependant, ils l'ont fait de manières très différentes. Alors que les juifs de Babylone - et plus tard de Palestine - étudiaient et continuaient d'utiliser le hébreu biblique, les juifs d'Égypte décidèrent de traduire la Bible hébraïque dans la langue vernaculaire, qui au IVe siècle était le grec, car entre-temps Alexandre le Grand était passé par là et imposa le grec dans son empire.

Après la disparition de l'Empire perse vers 330 avant notre ère, sous Alexandre le Grand la Judée devient hellénistique, tout d’abord sous les Lagides puis sous les Séleucides après la bataille de Panion (l'actuel Banyas) en l'an 200 avant notre ère.

Voyons cette époque à travers le peu d'informations que nous possédons car les annales sont presques muettes jusqu’à la révolte des Maccabées en 167 avant notre ère, où les Juifs réapparaissent sur la scène de l’Histoire.

Ptolémée II et la Septante

À l'époque hellénistique, ce changement culturel conduisit la Diaspora juive d'Alexandrie à traduire la Torah (Pentateuque) en grec, donnant la fameuse Bible des Septante. Elle fut traduite par 72 "maîtres dans les lettres judaïques, mais aussi adonnés à la culture hellénique", six par tribu, venus de Jérusalem à Alexandrie à la demande du roi Ptolémée II Philadelphe (285 à 246 avant notre ère) et de son bibliothécaire, Démétrios de Phalère (mort vers -280), l'un des fondateurs de la Bibliothèque d’Alexandrie.

Le choc des cultures

La traduction de la Torah en grec s'oppose au texte original hébreu, comme la modernité de la culture égyptienne s'oppose au classicisme oriental. Cette opposition aura des effets concrets et malheureux pendant plusieurs siècles.

Face à une Torah écrite dans un langage ancestrale sur le point de devenir obsolète, les érudits élevés dans la culture grecque d'Alexandrie ont choisi d'adapter sa traduction en transférant le sens du texte dans leur propre monde, comme en Occident. Mais cette "modernisation" des textes sacrés traditionnels ainsi que les moeurs grecques qu'adoptaient de plus en plus de juifs (la philosophie grecque, les tenues vestimentaires grecques, la pratique du gymnase, etc) ainsi que la construction d'une agora à Jérusalem déplurent aux grands Sages israéliens qui voyaient dans ces pratiques une désobéissance à l'injonction de Yahvé de vivre séparé des autres cultures (kadosh en hébreu). Ils envisagèrent une autre option pour le peuple juif : se tourner vers leur propre monde avec un retour aux sources et à la culture juive ancestrale en se replongeant dans les textes anciens. Finalement, c'est cette seconde option que choisirent les Israélites de retour d'Exil qui sera bientôt appliquée en Palestine dans toutes les nuances du Judaïsme.

Ptolémée III et la grande sécheresse

Après Ptolémée II, c'est son fils Ptolémée III qui régna sur l'Égypte des Lagides entre 246 et 222 avant notre ère. Il entra en guerre contre le royaume de Némésis de l'empire Séleucide, principalement sur les champs de bataille de l'actuelle Syrie et en Irak. Puis soudainement, en 245 avant notre ère, il décida de rentrer en Égypte. Les historiens se sont toujours demandés pourquoi Ptolémée III prit cette décision.

En 2016, l'historien Francis Ludlow de l'Université de Yale et ses collègues annoncèrent dans la revue "Nature Communications" avoir probablement découvert la raison pour laquelle le roi fut contraint de revenir dans son pays. Selon les chercheurs, des éruptions volcaniques massives auraient perturbé le cours normal du Nil, empêchant les inondations d'été et provoquant un refroidissement du climat. Ce bouleversement aurait créé des tensions au sein du peuple, provoquant des conflits interétatiques dans une grande partie de l'Afrique du Nord-Est et du Moyen-Orient.

Un fragment du papyrus d'Edfu daté du milieu du IIIe siècle avant notre ère décrit l'absence de crue du Nil et la famine sévissant en Égypte. Document du  Department de Papyrologie/U. de Varsovie.

Pour appuyer cette thèse, un extrait du papyrus d'Edfu présenté à gauche datant de la moitié du IIIe siècle avant notre ère décrit une période de famine qui toucha l'Égypte lorsqu'il n'y eu plus de crue du Nil pendant quelques années et qui toucha également les Judéens : "Depuis les 3 dernières années le fleuve n'a pas débordé, la sécheresse provoquera une famine [...] on n'a pas distribué de rations de céréales aux Judéens pendant la famine". Les traces géologiques témoignent qu'il y eut effectivement des sécheresses et une absence de crue du Nil entre 247-244 avant notre ère, en 46-44 avant notre ère puis et vers 89 et 169 de notre ère.

Reste à comprendre comment une éruption volcanique peut diminuer la crue d'un fleuve. Selon les simulations réalisées par les chercheurs jusqu'à l'an 622 de notre ère, les années de faibles crues du Nil correspondent à plusieurs reprises avec des éruptions volcaniques majeures survenues aux quatre coins du monde comme le confirma Joe R. McConnell et ses collègues dans un article sur la chronologie des éruptions volcaniques survenues au cours de 2500 dernières années publié en 2015 dans la revue "Nature". Autrement dit, lors d'éruptions volcaniques majeures dans le monde, le Nil a tendance à ne pas déborder et à rester calme.

Les chercheurs ont également confirmé que ce phénomène a pu avoir un impact sur la société égyptienne ptolémaïque. Ainsi, dans la Pierre de Rosette datant à peu près de la même époque (~196 avant notre ère) qui est exposée au British Museum, les éruptions volcaniques précèdent des évènement politiques majeurs qui affectèrent l'Égypte, et notamment le retour du roi au pays en 247 avant notre ère. Les chercheurs soulignent toutefois que ce ne sont pas les éruptions volcaniques qui ont provoqué ces évènements, mais elles ont alimenté les tensions économiques, politiques et ethniques existantes.

Ensuite, la Judée passa sous la domination égyptienne qui étendit son territoire sur toute la partie orientale de la Méditerranée (du nord-est de la Lybie actuelle à la Judée en englobant la partie sud de la Turquie actuelle) de 323 à 30 avant notre ère.

C'est peu après que vécut l'auteur du livre de l'Ecclésiastique (ou Siracide) qui écrivit son ouvrage vers 180 avant notre ère, sous la domination des Séleucides. L'auteur s'appelle Jésus fils de Sira, c'est un bourgeois cultivé qui voyagea beaucoup et semble avoir occupé une haute fonction publique. Il a l'esprit ouvert et sa règle d'or se base sur l'expérience acquise. Dans son livre il explique comment le Seigneur l'aida dans les moments difficiles. Il décrit ses préoccupations concernant l'individu, ses relations et ses comportements en insistant sur les règles morales juives qu'il expose dans un cadre très spirituel. Ce livre servit également au début du christianisme pour instruire les nouveaux baptisés.

Émergence de l'idéologie messianique et eschatologique

Un beka remontant à 3000 ans (période du Premier Temple) découvert par l'archéologue Eli Shukron dans les décombres près du mur Ouest du temple de Jérusalem en 2018. Cet exemplaire extrêment rare mesure ~1 cm de diamètre et se lit de gauche à droite (une erreur du graveur). C'est un poids équivalent à un demi-shekel (ou demi-sicle) que les pèlerins utilisaient pour payer la taxe avant de monter au Temple (cf. Exode 38:26). Document The Times of Israel.

Vers 200 avant notre ère l'idéologie messianique et eschatologique se reflèta finalement dans la Torah avec une division en deux parties : la Loi (le Pentateuque) et les Prophètes dont le dernier livre (et qui l'est toujours), celui de Malachie, annonce le retour d'"Élie le prophète avant que n'arrive le jour de Yahvé, grand et redoutable" (Malachie 3:23-24).

Mais visiblement, soit le prophète s'est trompé soit Yahvé oublia sa promesse car ensuite nous assistons à la première persécution des juifs. En effet, Antiochos IV (ou Antiochus Epiphane, 175-164 avant notre ère), gouverneur de l'empire Séleucide syo-iranien d'Alexandre le Grand, interdit la religion juive en Judée et tout signe extérieur du culte. Il désacralisa le second Temple et fit installer un autel sur lequel on pratiqua des sacrifices au dieu païen Baal Shamin, le dieu du ciel, et on sacrifia du porc au dieu Zeus. Face à une telle situation, tous les juifs aspiraient à un changement de régime et la restauration de leur culte.

Notons que le fait que les commerçants apportaient au Temple de la monnaie à l'effigie de dieux païens ne posa jamais de problème contrairement à ce qu'ont écrits certains auteurs. Rappelons que cet argent servait à payer les rites sacrificiels, une taxe toujours très onéreuse (du temps de Jésus, le sacrifice de deux colombes coûtait 5 shekels ou sicles d'argent). En effet, les seules pièces acceptées au Temple étaient justement les shekels et demi-shekels en argent frappés à Tyr présentant un portrait d'Hercule côté face et un aigle posé ou non sur la proue d'un navire côté pile comme on le voit ci-dessous (cette pièce frappée en 92 avant notre ère vaut 3300$ aux enchères mais certaines sont trois fois plus chères). Cette monnaie présentant une valeur constante et sa teneur en argent étant de 95%, les Sadducéens ne voyaient aucun inconvénient à ce qu'elle constitue la monnaie des offrandes. De plus durant les fêtes juives qui attiraient toujours beaucoup de pèlerins, cela leur procurait des commissions très confortables.

Rénovation du Temple et fortification de Jérusalem

C'est à cette époque que dans la seconde partie de son livre, le prophète Daniel évoque ses fameuses "visions" en réalité fondées sur la profanation du Temple en 167 et la purification du Temple par Judas Maccabée en 164 qui exprimaient ainsi sa conviction de l'imminence de la fin du monde païen. Mais avant le Jugement Dernier, selon Daniel, il fallait qu'un fils d'homme soit envoyé du ciel et qui disposerait d'une souveraineté et d'un royaume éternel (Daniel 7).

Le changement politique se concrétisa par la révolte des Maccabées contre les Séleucides (cf. le livre des Maccabées) qui permit à la dynastie théocratique - il s'agit de grands-prêtes juifs - des Hasmonéens (ou Asmonéens) d'accéder au pouvoir et de permettre au peuple juif de se libérer de l'emprise égyptienne entre 142 et 37 avant notre ère. Toutefois, à partir de 63 avant notre ère, le pouvoir politique réel appartenait aux Romains (cf. le procès de Jésus).

C'est pendant cette dernière période à nouveau calme que le Temple fut rénové et la ville fut fortifiée pour mieux résister aux envahisseurs Lagides et leurs successeurs.

Le royaume (païen) Séleucide

Au IIe siècle avant notre ère la Palestine connut de fortes tensions à la fois internes et externes. Le royaume Séleucide doit régler une dette de guerre colossale auprès de Rome (cf. la paix d'Apamée en -188) et la pression militaire de ce nouvel envahisseur à ses frontières déplait aux juifs. Le royaume Séleucide qui est décentré à Antioche voit le roi Antiochos IV prendre le pouvoir en 175 avant notre ère.

En 168-167 avant notre ère Antiochos IV pilla Jérusalem et son Temple, massacra les juifs et emmena les femmes en captivité (cf. 1 Maccabées 1:22-25 et 1:32-34).

A cette époque à Jérusalem, différentes grandes familles essaient de prendre le contrôle du titre et du pouvoir de grand-prêtre. La corruption et la violence règnent à Jérusalem. La charge de grand-prêtre est normalement héréditaire chez les Tsadokites (la classe sacerdotale fondée sous le règne de David), mais pour des raisons financières, à cette époque le roi séleucide la vendit parfois au plus offrant !

Le grand-prêtre est un homme envié et riche. Il avait notamment la mainmise sur le Trésor du Temple, une fortune convoitée par le souverain séleucide en raison de la dette chronique du pays. Conséquence naturelle, l'élite politique et religieuse est aux mains de parvenus sans scrupule.

C'est à cette époque, sous le règne d'Antiochos IV que tout bascule aux yeux des juifs. Antiochos IV abroge toutes les mesures favorables aux juifs que son père avait accordées. Il va jusqu'à émettre un édit anti-juif, qualifié à juste titre d'édit de persécution. Dorénavant, le Temple est consacré à Zeus, le grand dieu grec, et on y place un autel pour célébrer les cultes païens (avec des animaux impurs au regard de la Loi juive). Le shabbat et la circoncision sont interdits, les rouleaux de la Torah sont déchirés et le culte juif est interdit. Pour couronner le tout, les réfractaires et les opposants sont arrêtés et exécutés.

Les historiens modernes ne comprennent pourquoi Antiochos IV s'en prit avec un tel acharnement aux juifs alors que le Moyen-Orient était réputé tolérant et ouvert, mais de toute évidence pas à un culte monothéiste. Certains se demandent si le roi Antiochos IV était fou ou s'il voyait dans les juifs une menace pour la civilisation grecque ? La réponse n'est pas dans les livres.

Ensuite, les annales sont presques muettes jusqu'à la révolte des Maccabées en 167 avant notre ère, où les Juifs réapparaissent sur la scène de l’Histoire.

Sous le règne des rois Hasmonéens

Un homme osa se lever contre cette barbarie en 167 avant notre ère. Il s'appelle Mattathias et est issu d'une des familles sacerdotales juives, celle des Hasmonéens, originaire de la petite ville de Modiin où il s'est réfugié après les persécutions à Jérusalem. Il était issu de la première des 24 classes de prêtres recensées dans la Torah (cf. 1 Chroniques 24).

Mattathias eut cinq fils dont Eléazar qui mourut au combat contre les Séleucides en -162. Trois autres fils se succédèrent dans le commandement militaire et l'exercice du pouvoir, Juda (166-160), Yonathan (152-142) et Simon (142-134).

Selon les textes, Mattathias s'opposa à la collaboration de nombreux juifs aux nouveaux décrets anti-juifs. Il exécuta publiquement un juif prêt à obéir à l'ordre royal qui était de sacrifier selon les rites païens. Il s'enfuit dans les montagnes, entouré de partisans et mourut peu de temps après le déclenchement de la révolte. Son fils Juda surnommé Maccabée (Martel), le troisième de la fratrie, lui succéda.

Aujourd'hui on considère cette révolte de Mattathias contre l'hellénisation comme la première guerre de religion de l'Histoire, malheureusement la première également d'une longue série contre le judaïsme.

Les Maccabées

L'histoire de Juda (Maccabée) occupe plus de cinq chapitres dans le premier livre des Maccabées. On en conclut que son rôle fut important dans l'histoire juive. C'est le chef de guerre de la famille, celui qui est à l'origine d'une révolte contre l'hellénisation de son pays et finit par se retrouver à la tête de plusieurs milliers de combattants qui se battirent contre le roi grec de Syrie Antiochos IV Epiphane et les armées Séleucides (batailles de Betoron, Emmaüs, Betsour…). Finalement, Juda s'empara de Jérusalem.

Au-delà de la lutte pour la liberté de culte et la reconquête du Temple de Jérusalem, l'indépendance recouvrée eut d'importantes conséquences dans tout l'Orient méditerranéen.

Juda rétablit le culte juif au Temple en 164 avant notre ère. Cette victoire fut l'occasion de célèbrer la fête juive de Hanoukkah, symbole de la libération du Temple de Jérusalem qui avait été désacralisé. Elle se fête encore de nos jours. Notons que la tradition juive tardive (au IIIe siècle de notre ère) insista surtout sur la purification du Temple, sur la fiole d’huile miraculeusement retrouvée qui brûla huit jours, temps nécessaire pour fabriquer la nouvelle huile sainte. Cette huile permit d’allumer la menorah, dont la lumière symbolise la Torah.

Les successeurs de Juda prirent rapidement leurs distances par rapport aux buts originaux du mouvement et créèrent un État d'influence hellénistique. Les frères de Juda, Yonathan et Simon reconnurent le souverain séleucide et acceptèrent de gouverner comme son représentant.

Profitant des faiblesses structurelles de l'Empire séleucide, comme ses aïeux Yonathan (le frère de Simon) fut un chef de guerre et convertit les Iduméen vivants au sud d'Israël, par la force. Simon (142-134 avant notre ère) construisit un mausolée familial à Modiin sur un modèle grec. Mais Yonathan et Simon terminèrent leur vie assassinés.

La prise de pouvoir par les Maccabées fut un nouveau choc culturel pour les juifs qui n'étaient pas préparés à retrouver leur indépendance politique et dont la dynastie au pouvoir ne valait pas mieux que celles de ses prédécesseurs grecs. Toutefois, les auteurs des livres des Maccabées ont déclaré que les Hasmonéens étaient les seuls prêtres et rois légitimes et conclurent présomptueusement que la royauté "fit la paix dans le pays et grande fut la joie d'Israël [...] Tout agresseur disparut de leur terre et les rois furent écrasés en ces jours" (1 Maccabées 14:8-13). Mais cette "revendication" messianique fut critiquée par les Pharisiens qui estimaient que cette dynastie ne respectait pas la Torah. Bien que durant cette période régna une certaine liberté religieuse, elle fut rejetée par les Pharisiens et les Esséniens qui refusèrent de reconnaître la légitimité de la nouvelle dynastie sacerdotale.

En 133 avant notre ère, le roi de Syrie Antiochos VIII fit le siège de Jérusalem. Le roi juif Jean Hyrcan Ier (134-103 avant notre ère) est forcé de lui donner des otages parmi lesquels son propre frère et de lui payer une rançon de 3000 talents en argent dont 500 talents payés cash (cf. Jewish Encyclopedia) alors que le roi Hasmonéen avait frappé sa propre monnaie (cf. ce talent de cuivre). Il s'agit d'un troc. Il aurait pris cette somme sur le trésor du sépulcre du roi David. Que représente cette rançon de nos jours ?

A l'époque grecque et sous l'Empire romain (entre -27 et 476 de notre ère) 1 talent (peu importe le métal) vaut 60 mines, chacun étant divisé en 60 shekels. 1 talent représente 2626.9 shekels. 1 talent vaut aussi 50 statères ou 100 drachmes. 1 talent d'argent est équivalent à 25.95 kg d'argent. Au cours actuel (~700 € par kilo d'argent), 3000 talents représentent 54495000 €. Au total, la fortune de la royauté juive était plantureuse pour l'époque. Même comparée à celle des monarques actuels, elle était par exemple largement supérieure à celle du roi Philippe de Belgique estimée à ~12.5 millions d'euros (mais qui atteint 2 milliards d'euros pour le roi Charles III).

En 130 avant notre ère Jean Hyrcan Ier devint vassal du roi de Syrie. Par la suite, Jean Hyrcan Ier se rapprocha de Rome pour bénéficier de sa protection. Selon Flavius Josèphe, il signa un pacte d'amitié entre du peuple juif et Rome. Cette alliance permit au Premier Sénateur-Consul romain d'exiger l'évacuation des villes prises par Antiochos VII.

Un shekel d'argent découvert à Tyr datant de 92 avant notre ère. Il servait

probablement à payer la taxe de un demi-shekel au Temple.

C'est Jean Hyrcan Ier qui stabilisa le pouvoir hasmonéen. Il étendit le territoire juif en s'emparant d'une partie de la Transjordanie, de l'Idumée et de la Samarie. Il parvint également à rallier à sa cause des courants hostiles au pouvoir hasmonéen, comme les Pharisiens.

A cette époque la dynastie s'hellénisa encore un peu plus. Hyrcan est un nom grec et ses enfants portèrent un double nom : Aristobule/Juda (104-103) et Alexandre Jannée/Yonathan (103-76). Si Yonathan eut le règne le plus long de toute la dynastie hasmonéenne après celui d'Hyrcan, son père, il fut cependant en opposition avec les mêmes mouvements religieux qui avaient contesté le pouvoir de son père, à savoir les Pharisiens et les Esséniens. On le présente comme un tyran sanguinaire, impulsif et dépravé.

À la mort de Yonathan en 76 avant notre ère, sa veuve, Salomé Alexandra (76-67 avant notre ère) prit temporairement le pouvoir, au nom de ses deux fils mineurs, Hyrcan II qui devint grand-prêtre (chef de la police religieuse du Temple) et Aristobule II qui commanda l'armée. Suite à une lutte fratricide pour le pouvoir, Pompée, homme d'Etat et militaire romain est appelé comme arbitre de leur querelle. Le chef militaire romain soutint Hyrcan II et une nouvelle histoire va s'écrire pour les juifs.

Nous verrons à propos des prophètes et de la venue du Messie que malgré leur grand pouvoir politique et militaire, les Hasmonéens n'ont pas vraiment réussi à s'imposer car le peuple juif attendait autre chose des dirigeants de cette dynastie que de simples "messies" chefs de guerre.

La Judée, une province romaine

En 63 avant notre ère, sous le règne de l'empereur romain Pompée, suite à la troisième guerre de Mithridate, la Syrie devint une province romaine. Hérode Ier le Grand fut chargé de gouverner la Judée (Iudea) et décida immédiatement de retirer le pouvoir politique aux grands prêtres hasmonéens qui dirigaient le pays depuis l'époque du second Temple. Comme le relate Flavius Josèphe, cette année là, après trois mois de siège, Pompée conquit Jérusalem et profana le Temple. A sa grande surprise, il constata que le Temple était vide; il contenait bien des objets sacrés (candélabre, vases à libations, encensoirs, etc., pour une valeur estimée à 2000 talents) mais aucune statue du dieu des juifs ce qui était inconcevable pour un païen. Très impressionné, il se retira du Temple et "il ordonna aux gardiens de purifier l'enceinte sacrée et de recommencer les sacrifices accoutumés" ("La Guerre des Juifs", Livre I, VII, 6.152).

Pour la première fois le Temple tomba entre les mains des Romains. Pompée retira le titre de roi à Hyrcan II et le nomma ethnarque.

A voir : Farmer Builds Model of Biblical Temple

(La maquette du second Temple construite par Alec Garrad)

A gauche, une peinture réalisée par Vincent Henin de Jérusalem et du second Temple au début de notre ère vus depuis l'est. A droite, la ligne de démarcation dans le mur oriental du temple de Jérusalem se trouve à 32 m au nord du coin sud-est. On distingue la maçonnerie Hérodienne à gauche (sud) et Hasmonéenne à droite (nord). Document Leen Ritmeyer.

Pour réduire le risque de rébellion, Pompée doubla le pouvoir juif en nommant un conseiller étranger, Antipater qui était Iduméen. Son fils, Hérode Ier le Grand  reçut de son père le gouvernement de la Galilée avec le titre de Stratège à seulement 25 ans. A la mort de son père en 43 avant notre ère, il accéda au poste de Procurateur de Judée. Puis il obtint le titre de Tétrarque de Galilée de 41 à 40. Il finit par se faire reconnaître "roi de Judée", autrement dit "roi de Juifs" par le Sénat romain en 40 avant notre ère puis "roi d'Israël" de 37 à sa mort en 4 avant notre ère. Entre-temps, avec l'aide des Romains, Hérode parvint à reconquérir le pays jusqu'en 37 avant avant notre ère qui marque la fin de la dynastie hasmonéenne.

Plusieurs rois hérodiens règneront ensuite sur la Judée, imposant la culture et les dieux romains. Il est utile de rappeler le nom de ces rois (cf. le lien) non seulement parce qu'ils vécurent soit à la limite soit à la même époque que Jésus mais surtout parce que la Bible ne cite pas les noms complets des monarques ni leur titre exact. Aussi, le lecteur ne sait jamais très bien de quel monarche on parle s'il ne connaît pas le contexte politique et les dates exactes des différents faits évoqués dans les récits bibliques.

Puis, un nouvel évènement alla marquer l'Histoire du monde comme aucun autre qui commença humblement par la naissance à Bethléem de Jésus de Narareth.

La Judée fut intégrée à l'Empire romain sous Auguste (Jules César) en 27 avant notre ère et renommée la Palestine. La Judée devint officiellement une province romaine en l'an 6 de notre ère. Elle deviendra une Terre Sainte mais cette fois chrétienne quelques dizaines d'années après la mort de Jésus de Nazareth mais dut bientôt partager son titre avec les Musulmans et d'autres confessions. On y reviendra.

L'avènement du Messie, Jésus de Nazareth

Mettons-nous un instant à la place d'observateurs indépendants décrivant la situation en Palestine à l'époque de Jésus avant de revenir en détails sur le sujet dans d'autres articles de ce dossier.

Vers la fin du règne du roi Hérode le Grand, vers l'an 4 avant notre ère, selon la tradition naquit à Bethléem en Galilée un certain Jésus de Nazareth, fils adoptif de l'artisan charpentier et architecte Joseph originaire de Bethléem qui épousa Marie de la tribu de Lévi et originaire de Nazareth. Selon les grand-prêtres, Jésus naquit de l'union de Joseph et Marie mais certaines rumeurs prétendent que Marie était enceinte avant de s'unir à Joseph. En revanche, selon une croyance chrétienne, Marie aurait été enceinte des oeuvres du Saint-Esprit car elle était vierge quand elle enfanta Jésus. Mais cette version apparut tardivement et ressemble à une construction ad hoc pour appuyer leur doctrine. On y reviendra

Jésus enseignant les Béatitudes au cours des fameux sermons sur la montagne et dans la plaine évoqués par Matthieu et Luc.

Remarqué notamment à l'âge de 12 ans pour sa lecture de la Torah dans le Temple de David, vers 30 ans Jésus quitta son métier d'ouvrier journalier et influencé par l'enseignement des Esséniens et les prêches de son cousin Jean le Baptiste, il devint un prêcheur messianique charismatique qui attira les foules jusqu'en Décapole et en Syrie. Il était accompagné par 12 apôtres la plupart Galiléens et par 72 disciples, hommes et femmes chargés d'enseigner sa doctrine à travers le pays. On estime que la communauté de Jésus rassembla finalement plusieurs milliers de personnes, y compris quelques Romains, des Pharisiens et des membres du Sanhédrin mais dont le rôle a toujours été discret.

Entre 30 et 33 de notre ère mais les dates sont imprécises, Jésus s'entoura d'une communauté d'apôtres qui prêchait l'Apocalypse et la venue prochaine du royaume de Dieu. A la fin de son bref ministère, Jésus prétendit être le Messie annoncé par les prophètes et le Fils de Dieu.

Son discours le plus emblématique fut le sermon sur la montagne (Matthieu) ou dans la plaine (Luc) au cours duquel il prêcha les Béatitudes et notamment que les pauvres, les affligés et les persécutés seront les premiers élus dans le royaume de Dieu tout en annonçant que des malédictions affligeront les infidèles, des paroles étrangères à la mentalité juive qui expliquent en partie leur rejet de sa doctrine. D'ailleurs les juifs orthodoxes appellent toujours Jésus péjorativement "Notsri" (l'homme de Nazareth) et ses disciples les "Notsrim", terme que les juifs utilisent encore de nos jours pour nommer les chrétiens.

En raison de son interprétation de la Loi de Moïse différente de celle des Pharisiens et des Sadducéens, de ses blasphèmes et des miracles qu'il réalisa dont apparemment plusieurs résurrections, Jésus fut considéré comme un faux prophète, un imposteur et sa doctrine comme une menace par le Sanhédrin qui le fit prisonnier après la tombée de la nuit, juste avant la Pâque de l'an 33. En l'espace de quelques heures d'un procès arrangé d'avance, le Sanhédrin condamna Jésus à mort et s'empressa de valider l'accusation par l'autorité romaine.

Bien que sans avis sur la question qui portait sur une affaire religieuse juive, à la demande du grand-prêtre sacrificateur Joseph Caïphe, c'est le procurateur Ponce Pilate qui prononça le jugement et condamna Jésus à mort par crucifixion, sa sentence habituelle mais aussi la plus cruelle.

Jésus que les Romains surnommèrent le "Roi des Juifs" puisque ses adeptes le considéraient comme tel mourut sur la croix au Golgatha puis exceptionnellement, en raison de la Pâque et de l'afflux de pèlerins, pour éviter tout risque d'émeute, on autorisa la famille à ensevelir son cadavre dans une tombe. Pour éviter toute instrumentalisation de sa mort par ses fidèles, à la demande du Sanhédrin, les Romains acceptèrent de placer des gardes devant le tombeau durant quelques jours.

De la résurrection à la fondation du christianisme

C'est ensuite qu'eut lieu un évènement inattendu mais apparemment prédit par Jésus dont l'impact s'amplifie encore tous les jours. Fait ou légende, il fait aujourd'hui partie des cultures juive et chrétienne. En effet, après le sabbat et la Pâque de l'an 33, les membres de la famille de Jésus ont témoigné qu'ils ont trouvé le sépulcre ouvert et que le corps de Jésus avait disparu. Les femmes ont prétendu avoir vu un homme qui s'avéra rétrospectivement être Jésus leur annoncer qu'il était ressucité, ce qu'elles appellent la "Bonne Nouvelle" selon les préceptes de leur doctrine. Jésus serait ensuite apparu aux apôtres et à des centaines de disciples, non seulement en chair et en os en présentant les stigmates de son calvaire mais également transfiguré selon les termes des témoins oculaires.

Depuis ce jour, la communauté de Jésus dirigée par son frère Jacques le Juste n'a cessé de rassembler des fidèles qui se font appelés les chrétiens en hommage au Christ ("Christos" en grec, traduit de "Mashia'h" en hébreu signifiant Messie).

Entre-temps, comme nous le verrons à propos des révoltes juives, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la condamnation de Jésus mais tout de même avec son manque de diplomatie, Ponce Pilate fut destitué et remplacé par le procurateur Marcellus de même que le grand-prêtre Caïphe qui fut remplacé par Yonathas ben Anna (Jonathan ben Hanna), le second fils du grand-prêtre Anna (Anano ben Seth), celui-là même qui participa comme membre du Grand Sanhédrin au procès qui condamna Jésus à mort.

L'Ichtus (ΙΧΘΥΣ) ou le poisson symbole des premiers chrétiens durant les premiers siècle. Celui-ci figure sur le sol de l'église de la Multiplication des pains et des poissons à Tabgha sur la rive nord-ouest du lac de Galilée qui fut érigée à l'emplacement de ruines d'églises du IV et Ve siècle.

Moins d'une quinzaine d'années après la mort de Jésus soit vers l'an 46 et jusqu'au tournant du siècle, d'autres disciples comme Saul de Tarse dit Paul et des communautés de croyants érudits se revendiquant de Marc, Matthieu, Luc et Jean perpétuèrent l'oeuvre de Jésus et enseignèrent la Bonne Nouvelle à travers le monde. Ils ont notamment rédigé en grec ce qui deviendront les Évangiles qui reprennent les paroles et les actes de Jésus. Luc rédigea également les Actes des Apôtres tandis que Paul et quelques disciples chrétiens rédigèrent des lettres apostoliques à connotation théologique destinées aux diverses communautés des premières Églises installées en Syrie, en Turquie (Galatie), en Grèce et à Rome.

Mais entre-temps, dès les premières années qui suivirent la mort de Jésus, la communauté chrétienne fut persécutée par les Romains polythéistes qui interdirent les rassemblements de cette secte et exigeaient des chrétiens qu'ils renient leur foi au risque d'être condamnés à mort et martyrisés dans les arènes. En effet, Rome ne toléra pas qu'on évoque cette histoire messianique de dieu unique et de résurrection qui de l'avis des nobles romains étaient totalement absurbes pour ne pas dire abjectes et risquaient de soulever le peuple. Même Pline le jeune (61-113), ami de Tacite qui interrogea de nombreux chrétiens était de cet avis.

C'est le prédacteur juif Étienne qui fut le premier martyr chrétien en l'an 34 et pendant plus de trois siècles, des milliers de chrétiens dont les premiers disciples, sans distinction de genre ni d'âge furent victimes de l'intolérance romaine et martyrisés.

Précisons que dans les décennies et siècles qui suivirent, même des Romains et de hauts dignitaires sont se ralliés à la communauté chrétienne qui dès le IIIe siècle organisa en secret des cérémonies religieuses dans les catacombes de Rome. Les persécutions ont visiblement renforcé la foi des chrétiens comme l'avait annoncé Jésus car leur communauté attira tous les jours de nouveaux fidèles qui finalement se réunirent au sein de la Grande Église jusqu'à ce que l'empereur Constantin au IVe siècle décrète sur son lit de mort le christianisme religion d'État. A partir de cette époque, les Évangélistes avaient déjà porté la Bonne Nouvelle à travers tout l'Empire d'Occident jusqu'en Europe du Nord, le christianisme devenant de fait la première religion du monde. On y reviendra.

La réaction des juifs orthodoxes

Mais ce n'est pas ainsi que les juifs orthodoxes respectueux de la Loi de Moïse ont interprété l'enseignement de Jésus car ils se sont toujours fondés sur la Torah et les paroles des Prophètes. Ils n'ont donc pas reconnu en Jésus le Messie annoncé, ni accepté sa doctrine et encore moins qu'il se prenne pour le Fils de Dieu. En effet, d'abord pour les Israélites il n'y a qu'un seul Dieu et selon les Prophètes, le Messie est un roi d'ascendance divine et donc un être invincible à la tête d'une armée protégée par Yahvé, tout le contraire de ce pauvre galiléen désarmé monté sur un âne qui finit par mourir sur la croix pour ses convictions. Mais c'est justement pour cette raison que Paul et les chrétiens après lui en ont voulu aux juifs d'avoir pour ainsi dire tué Jésus, le Messie et Dieu vivant.

A défaut d'avoir reconnu le vrai messie en Jésus, plusieurs décennies après sa mort, les juifs ont continué à resserrer les rangs autour de la Torah et de nouveaux prédicateurs ont de nouveau annoncé l'Apocalypse et la Fin des temps à défaut de pouvoir prétendre au trône de David, à présent entre les mains des païens Romains. En parallèle, des groupes dissidents ont décidé pour de bon de se révolter contre l'occupant, et notamment les Zélotes. Ainsi pendant plus d'une génération, le pays de Canaan fut littéralement le pays des révoltes où régna le chaos sous l'oppression implacable des Romains.

Nous verrons dans le prochain article cette période de fortes instabilités jusqu'au coup fatal porté par Rome qui conduisit pour ainsi à la destruction de la Palestine.

A lire : Des révoltes juives à la destruction du second Temple

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[3] Charles E. Carter, "The Emergence of Yehud in the Persian Period", Sheffield Academic Press, 1999, pp.246-248.

[4] Oded Lipschits, op.cit., pp.323-376.

[5] La Soukkot ou fête des Tentes est l'une des trois grandes fêtes du calendrier de la Torah célébrée le 15 tishrei (en septembre ou octobre) qui commémore l'assistance de Yahvé aux Israélites durant l'Exode.

[6] Darius Ier dit le Grand fut l'un des plus grands rois de l'empire Perse et également un roi bâtisseur. On lui doit notamment des constructions à Suse et la ville de Persépolis (Parsa) dans l'actuelle Iran, un palais à Babylone ainsi que la remise en état du canal des pharaons en Égypte, reliant le delta à la mer Rouge.

[7] André Lacocque, "Aggée, Zacharie, Malachie", Labor & Fides, 1981, pp.181-193.

[8] Philippe Abadie, "La figure de David dans les livres des Chroniques, ICT, 1989, p161.


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