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La Bible face à la critique historique

Le village de Nazareth (II)

La maison d'enfance de Jésus

Serait-il possible que nous ayons découvert la "maison de la Sainte Famille" également appelée la maison d'enfance de Jésus ? C'est du moins l'espoir que fondent les archéologues qui auraient découvert à Nazareth la maison de Joseph où Jésus passa son enfance et aurait grandi. Le lieu est situé à une centaine de mètres de la basilique de l'Annonciation, sous le couvent des Soeurs de Nazareth.

En fait, le site est connu depuis 1884. Cette année là, un ouvrier était venu nettoyer une des citernes du couvent lorsque le sol s'effondra lui faisant découvrir deux mètres plus bas une salle voûtée antique. Les premières fouilles furent réalisées de manière informelle par des nonnes aidées par des ouvriers puis par des membres du clergé pendant plusieurs décennies mais sans beaucoup de rigueur comme le précise l'archéologue Ken Dark qui étudia par la suite le site. Toutefois, les indices relevés indiquaient qu'il pouvait s'agir de "l'église de la Nutrition" évoquée par saint Jérôme dans son traité "De situ et nominibus locorum hebraïcorum" (Localisation et noms des lieux hébreux) qui la visita en 386 et par l'évêque gaulois Arculfe qui la visita en 670. Le site est ensuite resté en l'état jusqu'à ce que des archéologues proposent le projet "Nazareth" en 2006 dont les prospections s'étendirent sur plusieurs années.

A voir : Sisters of Nazareth Convent (photos des ruines au sous-sol)

Situation générale des différents vestiges archéologiques découverts sous ou dans les environs immédiats de la basilique de l'Annonciation et du couvent des Soeurs de Nazareth. A droite, le plan de l'une des maisons de l'époque romaine découverte sous le couvent des Soeurs de Nazareth. Document Ken Dark (2012) et IAA adaptés par l'auteur.

Dans le cadre de ce projet, plusieurs archéologues étudièrent le site dont Ken Dark en 2006, spécialiste du paléochristianisme à l'Université de Reading puis Yardenna Alexandre du Centre International Marie de Nazareth et directeur des excavations qui explora le site en 2009 pour le compte de l'Autorité Israélienne des Antiquités et enfin Mitchell Pollington du Lanpro qui effectua un relevé topographique et dressa un plan complet du site entre 2008 et 2009 qui est présenté ci-dessous.

Selon Dark, "ces analyses ont montré que le site offre une séquence stratifiée complète et importante du vieux Nazareth, avec notamment des vestiges bien préservés des époques romaines et ultérieure". Le site comprend un ensemble de voûtes d'une église byzantine du Ve siècle ainsi que des citernes et des escaliers bénédictins remontant à l'époque médiévale. On reviendra page suivante sur les ruines de ces différentes églises.

Comme on le voit ci-dessous, les bâtiments religieux entourent et protègent une maison de l'époque romaine, un tombeau juif contenant deux loculi vides (et un squelette posé dans l'angle) avec sa pierre roulée et contenait divers artefacts de style byzantin ainsi que des fragments de lampes à huile et des pièces de monnaies. Ces artefacts furent prêtés à des experts il y a plusieurs dizaines d'années qui ne les ont jamais restitués. Dark expliqua dans la revue "Biblical Archaeological Review" (March-April 2015) édité par la Biblical Archaeology Society (BAS) que "de grands efforts ont été faits pour inclure les vestiges de ce bâtiment. A la fois les tombes et la maison ont été décorées de mosaïques à l’époque byzantine, ce qui laisse penser qu’elles étaient d’une importance spéciale, et peut-être vénérées".

A voir : Jesus' House DISCOVERED in Nazareth!

A lire : Early Roman-period Nazareth

and the Sister of Nazareth convent (PDF), Ken Dark, 2012

A gauche, le plan complet du site de la "maison de Jésus" et des annexes plus récentes découvertes sous le couvent des Soeurs de Nazareth dressé par Ken Dark en 2012 sur base d'un relevé de Mitchell Pollington réalisé dans le cadre du projet archéologique Nazareth en 2008-2009. Les photos correspondent à la partie inférieure du plan (vue vers le NO et le N) dont le sol se situe à environ 4 m sous la surface (mais au niveau du sol à l'époque). Selon certaines sources chrétiennes et byzantines, il pourrait s'agir de la maison d'enfance de Jésus, mais sans certitude scientifique. Documents Society of Antiquaries of London et Ken Dark/Reading University (2010, 2012).

La maison datée du Ier siècle est à moitié taillée dans la roche calcaire et à moitié faite de murs en moellon (pierre calcaire) maçonnés avec du mortier (notons qu'à cette époque les romains n'utilisaient le mortier qu'avec les ouvrages de moellons ou en brique et jamais avec les pierres de taille). Cette habitation comprend une cour intérieure dont le sol présente encores des mosaïques. C'est la première habitation construite en surface datant de cette époque qui soit bien préservée. Elle est entourée d'une quinzaine de pièces reliées par des escaliers ou de petites rampes et couvrent un espace rectangulaire d'environ 10x32 m. L'entrée taillée dans la craie, une partie du sol original, de la cour et de la vaisselle ont été retrouvés presque intacts tandis que les portes et les fenêtres sont intactes.

A l'époque le niveau du sol se situait 3 mètres plus bas. Les pièces furent creusées jusqu'à plus de 4 m de profondeur soit le niveau -7 m actuel (et jusqu'au niveau -9 m pour la citerne médiévale).

Un tombeau juif datant du 1er siècle découvert au sous-sol du couvent des Soeurs de Nazareth. Documents Ken Dark/Reading University (2010) et Ministère israélien du Tourisme.

Selon Dark, l'hypothèse qu'il s'agit de la maison de Jésus est renforcée par le récit de l'abbé irlandais Adamnan (Abbot of Iona) qui rédigea le "De Locis Sanctis" (Au sujet des Lieux Saints), un livre en trois volumes retraçant les voyages en Terre Sainte de l'évêque Arculfe en 670. Dans les seules copies que nous possédons datant du VIIIe et IXe siècle, au chapitre XXVI du Livre II intitulé "De Nazareth et ecclesia ejus" (De Nazareth et son église), Alcufe décrit à Adamnan son périple et la maison de Jésus : "Comme Capharnaüm, la ville de Nazareth où Arculfe trouva l’hospitalité est sans mur d’enceinte. Elle est sur une hauteur. Il y a de grands édifices de pierre, et on y a construit deux très grandes églises. L’une est au milieu de la ville et bâtie sur deux voûtes, au lieu où jadis se trouvait la maison où le Seigneur et Sauveur fut nourri. Comme on vient de le dire, cette église s’élève sur deux élévations de terrain et deux voûtes interposées. Elle possède, à l’étage inférieur, et entre ces deux élévations de terrain, une fontaine très claire : tous les habitants viennent y puiser l’eau. De l’église construite au-dessus on peut également prendre de cette eau avec de petits vases attachés à une poulie... nous avons reçu ces informations d’Arculfe, qui y a demeuré deux jours et deux nuits". Dark confirme qu'effectivement la maison de Jésus se trouve entre deux voûtes et sous une église.

Ceci dit, nous n'avons pas la preuve scientifique qu'il s'agit de la maison d'enfance de Jésus. Dark lui-même avoue qu'"il est toujours très difficile de relier des preuves archéologiques à des personnes spécifiques".

Population de Nazareth

Les historiens se sont également penchés sur la question de la démographie et de la taille de Nazareth à l'époque de Jésus : était-ce un village ou une ville ? Les Évangiles ayant été écrits en grec, les auteurs utilisèrent le mot "polis" qui fut traduit par "cité" mais qui est généralement traduit par son synonyme moderne "ville". Notons que la Bible KJV (King James Version, une bible protestante) utilise en anglais le mot "city" qui correspond mieux à la traduction littérale (mais de nouveau le mot "ville" dans sa traduction française).

Pour les théologiens et les biblistes, dans l'esprit de Luc, vers 80-100 de notre ère Nazareth était devenue une ville hellénistique, avec sa synagogue et peut-être une acropole où vers l'an 30 Jésus manqua d'être évincé lorsque la foule se retourna contre lui.

La campagne autour de Nazareth. Comme il y a 2000 ans, on y cultive des oliviers réputés très résistants et toujours verts et les chemins sont toujours en terre battue. A droite, lever de Soleil sur le mont Tabor photographié depuis le mont du Précipice situé au sud de Nazareth. Documents Thomas Fideler, Ian Scott (2011) et Biblewalks.

Mais si on se base sur les données démographiques et la dimension des ruines antiques qui finalement sont les seules preuves concrètes, selon l'historien et bibliste Craig A. Evans de l'Université Baptiste de Houston, auteur de nombreux livres dont "Jesus and his World" (2012), les recherches archéologiques ont montré qu'à l'époque de Jésus, le village de Nazareth s'étendait tout au plus sur 4 hectares. Il n'y avait pas de temple païen ni d'école. Selon, la bibliste Marianne Sawicki, professeur émérite de l'Université Morgan du Maryland à Baltimore, Nazareth ne possédait pas de synagogue durant les deux premières décennies du Ier siècle et sa population devait être inférieure à 300 habitants dont une majorité d'enfants (cf. "Forum", Third Series, 2,1, Sprint 2013, pp.88-89). On en déduit qu'à cette époque, les célibataires non juifs ne vivaient vraisemblablement pas à Nazareth. L'absence de synagogue signifie également que la population était insuffisante pour que les taxes permettent de payer non seulement les fonctionnaires et les activités publiques, mais aussi la copie toujours très onéreuse des nombreux rouleaux du Tanakh indispensables au fonctionnement d'une synagogue.

Selon le bibliste et archéologue James Strange (1938-2018), à l'époque de Jésus la population de Nazareth représentait au maximum 480 personnes. Il s'agissait probablement de familles avec enfants (cf. "Anchor Bible Dictionary", 1992, p1050). Cela représente environ 40 familles nombreuses (10-12 enfants n'étaient pas une exception et représentaient autant de main-d'oeuvre parvenus à l'âge adulte) et autant d'habitations, ce qui rejoint l'évaluation de Stephen Pfann de 1997 (35 habitations). Ces indices suggèrent que nous sommes bien dans les valeurs d'un tout petit village s'étendant le long de quelques chemins de terre à travers les prairies et les champs d'oliviers; Nazareth n'avait pas encore la dimension d'une ville ni ses infrastructures.

Le village n'a jamais compté plus de 500 habitants car au Ier siècle de notre ère, il fut déserté au profit de la ville de Japhia précitée qui fut fortifiée par Josephus en l'an 66 et que Flavius Josèphe décrit comme "le plus grand bourg du pays, le mieux fermé de murailles, et extrêmement peuplé" ("Vita", 230). On y a notamment découvert des colonnes, de l'architecture ornementale et une mosaïque faisant partie d'un zodiaque datant de la fin de l'époque romaine et de l'époque byzantine (IVe siècle). Japhia fut elle-même quelque peu délaissée au profit de la nouvelle cité romaine de Sepphoris (Zippori) située 6 km au nord-ouest en cours de construction à l'époque de Jésus. Rappelons qu'elle fut la capitale de la Galilée entre 66 et 74 de notre ère (cf. la révolte des Juifs).

La vie à Nazareth et en basse Galilée

Les excavations dans et aux alentours de Nazareth suggèrent qu'à l'époque de Jésus le village n'était pas un lieu isolé et endormi comme beaucoup l'imaginent. L'idée selon laquelle les habitants de Nazareth ont trouvé du travail dans les villages et les villes proches est aujourd'hui obsolète sans écarter le fait que certains ouvriers qualifiés travaillaient à la construction de Sepphoris ou à la fortification d'autres cités.

Comme expliqué sur le site de l'Université of the Holy Land, lorsque Stephen Pfann fouilla l'ancien village avec son équipe d'archéologues en 1997, ils découvrirent dans les fondations de l'Hôpital de Nazareth et aux alentours les ruines de bassins taillés servant au pressage du raisin, des cultures en terrasses, les fondements de cinq tours d'observation, des canaux d'irrigation en pierre et une petite carrière. Ces infrastructures datent de l'époque romaine, du temps de Jésus.

A gauche, ces fosses découvertes à Nazareth servaient à fouler le raisin à pieds nus et à récupérer le précieux jus. Au centre, une presse à olives reconstituée dans le Village vivant de Nazareth. A droite, une ancienne carrière de pierre proche de Nazareth. Documents Wolff, Lickeyend et CRASL.

Selon Evans, l'économie de Nazareth était plus que suffisante pour faire travailler ses habitants à temps plein. Les découvertes de Pfann apportent des preuves d'une forte activité économique comme des vignobles et des presses à raisins (les Cananéens produisent du vin depuis 1700 avant notre ère. Aujourd'hui, il existe plus de 40 vins en Israël dont le Tishbi et le Yatir, cf. cette revue), des cultures en terrasses, des presses à olives et des manufactures d'huile d'olive ainsi que des maçonneries en pierre de taille qui justifient l'emploi d'une importante main-d'oeuvre. On soupçonne également la présence de bétail et peut-être d'ateliers de tannerie. Ces outils témoignent que la région fut habitée par les Israélites et des commerçants dès le XIIe siècle avant notre ère.

Après avoir étudié la région de Nahal Zippori qui sépare géographiquement Sepphoris et Nazareth, Ken Dark conclut également que Nazareth était un village marqué par une profonde identité juive et auto-suffisant sur le plan économique. Nazareth n'était pas isolé dans la campagne de Galilée comme le sous-entendent certains apôtres évoquant les prêches de Jésus dans son village natal. Nazareth se trouve au nord de la route principale reliant Césarée située sur la côte à Tibériade (Tiberias) située à l'ouest de la mer de Galilée (lac de Tibériade).

Exemples d'aliments qu'on peut récolter à Nazareth similaires à ceux de l'époque de Jésus en rappelant que les juifs mangent cacher et donc ne consomment pas d'animaux qui se nourrissent de chair crue et ne pêchent que les animaux ayant des nageoires (et donc pas crustacés), un principe de précaution pour éviter les maladies ou les empoisonnements. Une table juive comprend du pain de blé, des olives, des figues du ragoût de légumes, de l'orge, des oignons et des épices, en plus des aubergines, des grenades, des salades, des carottes, du raisin, du miel, des oeufs, des agrumes, des fruits frais ou secs, de l'eau, du vin, du lait cru, sans oublier l'élevage d'agneaux, de brebis et de chèvres, la fabrication de fromages et la pêche. Certaines céréales comme le mil servait de nourriture à la volaille. Rappelons que certains plantes herbacées et tubercules comme les tomates, les haricots et les pommes de terre étaient inconnus puisqu'ils furent importés d'Amérique du Sud au XVIe.s. Documents David Landis et 123RF.

A l'époque, Césarée, Sepphoris et Tibériade sont les trois villes les plus importantes de Galilée et leurs activités commerciales rayonnaient dans toute la région. Après les stèles et la monnaie, les poteries sont très recherchées par les archéologues car étant fragiles, elles sont souvent remplacées et représentent un excellent indice pour connaître l'identité, la démographie et l'évolution culturelle d'une population (cf. les sites archéologiques des Hautes Terres). Ainsi, des poteries fabriquées à Kefar Hananya situé à environ 16 km de Sepphoris ont été découvertes partout en Galilée où vivaient des juifs. Ces poteries représentaient 75% des poteries utilisées par les juifs de Galilée.

Troisième partie

Visite des lieux saints de Nazareth

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