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La Bible face à la critique historique

Un palais en moellons (réf. "palais 6000", Area L) datant du IXe siècle, contemporain des rois Omrides du Nord (et non du roi Salomon comme on le crut d'abord) découvert sur le tertre de Megiddo. Document de l'Expédition Megiddo.

La puissance du roi Omri

Selon la Bible, Salomon était un grand roi bâtisseur, mais comme nous l'avons expliqué, il n'existe aucune preuve archéologique, ni ruine ni annale relatives à ses travaux. Cette conclusion est paradoxale et embarrassante car elle est en total désaccord avec le récit biblique. Aussi, les archéologues ont-il voulu comprendre pourquoi le premier livre des Rois est-il si différent de ce que nous révèlent les données archéologiques. Et question subsidiaire, si l'archéologie ne ment pas (elle peut se tromper), pourquoi la Bible a-t-elle inventé cette histoire de roi bâtisseur ? Qu'y a-t-il de vrai et de faux dans le texte biblique ?

Pour tenter malgré tout de valider le titre de bâtisseur attribué au roi Salomon, les archéologues ont littéralement fouillé tout Israël à la recherche de grands édifices remontant au Xe siècle avant notre ère.

A cette époque, il existait trois grandes cités en terre de Canaan : Hazor au nord, Megiddo au centre et Gézer au sud avec Jérusalem comme haut-lieu culturel mais de taille réduite. Dans chacun de ces trois lieux se trouve une citée fortifiée bâtie sur un tertre ou tel (d'où le nom Tel Megiddo, Tel Hazor, etc.) et toutes les trois présentent la même porte monumentale caractérisée par ce que les archéologues ont appelé la "triple tenaille", trois portiques placés en série telle une mâchoire à trois dents comme on le voit plus bas.

On a également découvert à Megiddo un grand silot à grains, un complexe composé de deux temples (probablement pour deux divinités), deux palais en moellons, deux écuries capables de contenir 450 chevaux et même un système hydraulique souterrain creusé jusqu'à 36 m de profondeur. Ce n'est pas le genre de bâtiments et d'infrastructures que l'on construit pour des éleveurs semi-nomades ou des fermiers mais plutôt pour une vaste population sédentaire abritant une garnison digne d'un souverain. Et qui dit militaire dit armement et pièces en bronze et surtout en fer forgé.

Une autre découverte importante, faite récemment par l'expédition Megiddo de l'Université de Tel-Aviv, est le "Grand Temple" de Megiddo qui remonte à environ 3000 ans avant notre ère. Selon la reconstruction des chercheurs publiée dans l'"American Journal of Archaeology" en 2014, le bâtiment principal comprend une énorme salle rectangulaire avec deux couloirs à l'arrière. Les chercheurs ont également trouvé des preuves d'activités culturelles dans ce temple. Selon les chercheurs, les dalles de basalte trouvées à l'intérieur du temple "semblent avoir été des éléments essentiels du culte, agissant probablement comme des tables d'offrandes ou pour placer des fétiches de culte. Le Grand Temple s'est avéré être la structure la plus monumentale de la période" dans cette région de la Méditerranée orientale.

A consulter : Tel Parc national Megiddo - Guide complet

A gauche, une vue aérienne de Megiddo prise le 14 octobre 2019. A droite, les ruines de la cité-forteresse. Documents Eli Schwartz/Shutterstock et Dreamstime.

Les similitudes entre ces trois cités et la grandeur des édifices de Megiddo suggèrent que toute la région était dominée par une seule culture.  Or, à cette époque, dans le royaume du Sud, Jérusalem n'était encore q'un petit village de montagne avec une population réduite, sans administration ni religion ou culture unique (on n'y a retrouvé aucune poterie signée ni ostracum pas plus que de jarres standardisées). La population constituée d'anciens pasteurs s'est transformée en éleveurs et agriculteurs mais resta longtemps assez pauvre en raison de la configuration du terrain et du climat régnant dans les Hautes Terres (voir plus bas). Bref, il n'existe aucune trace d'une grande capitale comme le prétend la Bible. Pourtant il y a ces fameuses ruines monumentales. La Bible ne nous dit donc pas toute la vérité, ce que les archéologues ont voulu découvrir. 

Qui avait construit ces édifices en triple tenaille ? S'agit-il de l'oeuvre de Salomon ou d'un autre souverain ? Et dans ce cas, de quelle époque car nous verrons plus bas que toute la région fut sous la domination de pratiquement tous les empires régnant à proximité. Pour le savoir, les trois cités fortifiées ont été analysées sous tous les angles par de très nombreux archéologues et finalement leur travail qui a duré plusieurs décennies a porté ses fruits.

Dans le tertre ou le "monticule" formant aujourd'hui le site de Megiddo, les archéologues ont découvert 25 couches archéologiques et au moins 20 villes anciennes, construites les unes sur les autres. Ces couches successives couvrent 7000 ans d'histoire (presque autant qu'à Jéricho qui couvre 8000 ans d'histoire). Leur analyse montrent que Megiddo était une cité-État comptant environ 2000 habitants vers 1800 avant notre ère (Âge du bronze) et occupait déjà un rôle dominant dans la région.

A consulter : Les tels bibliques de Megiddo, Hazor, Beer-Sheba

(classés au patrimoine de l'humanité par l'UNESCO)

Rewriting Tel Megiddo's Violent History, Discover, 2015

A gauche, la porte en triple tenaille de Megiddo attenante à la cité. Au centre, celle d'Hazor. A droite, le temple Est de Megiddo faisant partie du "complexe du temple". Le cercle de pierre est une structure similaire à un autel où l'officiant réalise les rites sacrificiels. C'est le "saint des saints" entouré de la chambre principale et d'un vestibule. Documents Wikimedia et Université hébraïque de Jérusalem.

Corrélations entre Samarie et Megiddo

Des indices furent découverts dans l'ancienne cité de Samarie située entre Megiddo et Jérusalem. L'excavation des ruines a révélé l'existence de vestiges romains mais également des ruines d'un somptueux palais construit en pierre de taille. Détail intéressant, ce palais est mentionné par les Assyriens qui le nomment "Beth-Khumri", c'est-à-dire "Maison du palais d'Omri".

Dans son livre "The Bible and Radiocarbon Dating" (2005) dont voici une version html, l'archéologue Norma Franklin déjà citée à propos des Peuples de la mer précise à propos de Samarie et Megiddo que les architectes ont utilisé la même longueur étalon de 0.495 m tandis que "les deux palais [celui de Samarie et le palais 1723 de Megiddo] attestent l'utilisation de l'étalon court de 0.45 m", confirmant qu'il y a bien une corrélation entre les bâtisseurs des deux édifices. Selon Franklin, "l'étalon de longueur de 0.495 m est d'origine mésopotamienne et connu sous le nom de Coudée Assyrienne".

En explorant les vestiges de Samarie, Franklin découvrit que certaines pierres taillées présentaient les mêmes marques de maçons (+, I, W, etc.) qu'à Megiddo. Ces ruines datent du IXe siècle avant notre ère, c'est-à-dire de l'époque du roi Omri qui régnait sur le royaume du Nord.

Le palais de Samarie est dans le pur style Omride (voir plus bas) et date du VIIIe siècle avant notre ère. La cité fortifiée de Megiddo date également du VIIIe siècle tandis que la "triple tenaille" date du début du IXe siècle avant notre ère, exactement de 800 avant notre ère et est plus récente que celle d'Hazor. Les ruines du palais de Megiddo situé sous le mur d'enceinte et des temples sont plus anciens, de 900 avant notre ère. Cela signifie que ces bâtiments n'ont pas été construits par Salomon du temps où le royaume d'Israël était unifié mais un siècle plus tard, après le schisme du royaume, par le roi Omri vassal des Assyriens.

Une conclusion s'impose : contrairement à ce que prétend la Bible, ces différentes cités-États indiquent que le royaume du Nord, celui des Omrides était puissant, très riche, développé et même ouvert au monde comparé au pauvre royaume de Juda isolé dans les Hautes Terres dont les habitants vivaient d'une économie de subsistance.

Portrait du roi Omri dans l'ouvrage iconographique "Promptuarii Iconum Insigniorum" (p66) de Guillaume Rouillé publié à Lyon en 1553. L'auteur écrit que le roi "Amri qui régna sur Israël est né en l'an 946 avant la naissance du Christ". Document Google Books.

 Les cités-États montrent que le pouvoir exécutif mis en place par le roi Omri était capable de contrôler administrativement et militairement une très vaste région s'étendant sur plus de 200 km de Gézer (proche de la latitude de Jérusalem) aux limites du royaume araméen de Damas (la Syrie actuelle sera finalement intégrée au royaume d'Israël peu avant son déclin). Comme Hazor et Gézer, Megiddo assurait le contrôle des vallées afin d'assurer le développement économique du royaume. Les garnisons en place assuraient également le contrôle les routes commerciales reliant Damas à la côté méditerranéenne du pays de Canaan.

En résumé, aucune preuve archéologique n'atteste la construction par le roi Salomon de grands édifices sur son territoire, que du contraire. Dans tous les cas, si un grand royaume avait existé, comme ce fut le cas pour les autres peuples, les scribes des pays voisins n'auraient pas manqué de le signaler suite aux comptes-rendus de voyageurs, de commerçants ou des missions diplomatiques.

Aussi, comme pour le roi Saül (dont l'existence même n'est pas certaine), concernant le roi David et le roi Salomon, étant donné que l'archéologie n'a révélé aucune architecture monumentale datant du XIe ou Xe siècle, on s'accorde pour considérer que ces trois souverains israélites étaient tout au plus des chefs tribaux mais ne disposaient d'aucune administration avancée comme on s'y attend de tout souverain régnant sur un véritable royaume. Toutefois, il faut reconnaître que distinguer dans deux couches géologiques adjacentes ce qui appartient à un siècle plutôt qu'un autre est parfois très difficile sans traces organiques pouvant être analysées par radiocarbone.

En conclusion, le roi David, le roi Salomon et les mines du roi Salomon ont donc bien existé. En revanche, l'existence du temple du roi Salomon à Jérusalem n'est pas attestée par l'archéologie bien que la majorité des spécialistes estiment qu'il exista et fut construit à l'endroit actuel du mont du Temple, un lieu qu'il est devenu impossible de fouiller.

De même, l'étendue du pouvoir du roi David et de Salomon, l'existence de leur palais et leurs richesses ne sont pas confirmées. Sur ce point, la Bible est une fois de plus en totale contradiction avec l'archéologie. Selon les archéologues, vers 800 avant notre ère le royaume d'Israël comptait environ 350000 habitants. Par comparaison, le royaume de Juda rassemblait environ 35000 habitants. De plus, les découvertes archéologiques ont montré que l'art des premiers Israélites est primitif et très simple contrairement à ceux des autres peuples. Ajouté aux autres découvertes, on en déduit que ce n'est pas le royaume du Sud, celui de Juda gouverné par le roi David puis par son fils Salomon qui étaient prospères mais bien le royaume du Nord, d'Israël, gouverné par le roi Omri et sa dynastie !

Maintenant on comprend mieux le sens du récit biblique. En effet, du fait que ces souverains étrangers honoraient des dieux païens, les Israélites les ont considéré comme des "rois maudits" d'où leur mépris à leur égard dans la Bible.

A propos de l'Armageddon

Sur le plan culturel, Megiddo est mentionnée 12 fois dans la Bible hébraïque et dans une multitude d'autres textes anciens, mais la cité-forteresse est surtout connue grâce au dernier livre du Nouveau Testament, l'Apocalypse ou Livre des Révélations, pour avoir été le lieu de l'avant-dernière (et non pas la dernière) bataille entre les "forces du Bien et du Mal" comme le rappelle Eric Cline, spécialiste des langues et civilisations classiques et du Proche-Orient à l'Université George Washington dans son livre "Digging up Armageddon: The Search for the Lost City of Solomon" (PUP, 2020).

Selon Cline, le nom "Armaguédon" (Armageddon en anglais) qu'utilise les Chrétiens pour nommer Megiddo et qui est aussi synonyme d'apocalypse au sens de catastrophe globale vient du mot hébreu "Har Megiddo" signifiant la "montagne de Megiddo". Cline précise : "Au Moyen-Âge, plusieurs nationalités, langues et siècles avaient ajouté un "n" et laissé tomber le "h", transformant Har Megiddo en Harmageddon et de là en Armageddon".

Cline ajoute : "Il y a déjà eu de nombreux Armageddons sur l'ancien site de Megiddo, alors qu'une civilisation, un groupe ou une entité politique céda la place à une autre au cours des millénaires - une fin du monde et un autre début." On reviendra plus bas sur Megiddo à propos d'un tremblement de terre cité dans les livres de plusieurs prophètes.

La Stèle de Mesha

Un autre artefact fut également découvert en relation avec la Bible et le royaume des Omrides. Il s'agit d'une stèle en basalte appelée la "Stèle de Mesha" présentée ci-dessous. Elle fut découverte en 1868 à Dibon (aujourd'hui Dibhan) en Jordanie par le missionnaire allemand F.A.Klein et rachetée par le diplomate et archéologue amateur français Charles Clermont-Ganneau.

La stèle est datée de 800-850 avant notre ère et mesure 115 cm de hauteur et 60 cm de largeur. Elle comprend un texte écrit en moabite de 34 lignes décrivant notamment les oeuvres de "Mesha, fils de Kamosh(gad), roi de Moab, le Dibonite". En résumé, Mesha explique qu'il régna après son père. Omri fut roi d'Israël et opprima Moab car Kamosh était irrité contre son pays. A la demande du Dieu Kamosh, Mesha prit la cité de Neboth à Israël et tua 7000 hommes, femmes et enfants suite à la colère de Ashtar-Kamosh. Ensuite Mesha chassa le roi d'Israël et bâtit un palais royal ainsi que de nombreuses cités.

A la ligne 18 de l'illustration ci-dessous au centre et agrandie à droite, on peut lire le tétragramme YHWH en moabite. La phrase dit : "[J'ai pris les va]ses de YHWH et je les ai portés devant Kémosh. Et le roi d'Israël avait construit [Yahaz]".

A gauche, la "Stèle de Mesha" commémorant les victoires roi de Moab contre le royaume d'Israël datée de 800-850 avant notre ère. La stèle en basalte mesure 1.15 m et est exposée au Musée du Louvre, dans l'Aile Sully du Département des Antiquités orientales. Au centre, la copie du texte avec le tétragramme YHWH (Yahvé) surligné. A droite, son agrandissement.

Selon une étude publiée en 1994 par l'épigraphiste français André Lemaire de l'EHESS et membre de la Biblical Archaeology Society, à la ligne 31 un morceau de phrase fut effacé dont il ne reste que les mots : "...les Horoneyn..."  Selon Lemaire, la phrase manquante était "ils vivaient dans la Maison de David", un sens généralement accepté. Sauf que certains spécialistes comme le professeur émérite Baruch Margalit considérait dans son article "Studies in NWSemitic Inscriptions" publié dans le journal "Ugarit-Forschungen" (26, 1994, p275) que la phrase manquante serait plutôt : "Maintenant Horoneyn fut finalement occupé à la fin [du règne de mon pré]décesseur par les [Edom]ites", hypothèse qui n'est pas plus validée que la précédente.

En fait, les chercheurs favorables à la thèse biblique y voient un parallèle avec la stèle de Tel Dan citant également la "Maison de David" tandis que ceux rejetant la réalité de l'histoire telle que relatée dans Bible écarte cette théorie.

En revanche, pour appuyer la théorie de Lemaire, comme le relate Patrick Graham dans son livre "The Land That I Will Show You" (2001, pp.300-306) relatif à l'histoire de l'archéologie antique du Moyen-Orient, en 1998 Anson Rainey parvint à traduire deux mots de la ligne 12 de la Stèle de Mesha par : "son coeur-autel davinique", c'est-à-dire l'autel du sacrifice tel que l'instaura le roi David. Toutefois, l'identification sur la stèle d'un mot relatif à David n'a jamais été confirmée.

Le récit gravé sur la Stèle de Mesha évoque un conflit entre le royaume de Moab et le royaume d'Israël mais en des termes très différents de ceux décrits dans la Bible (2 Rois 3:4-6 et 24). La référence à Yahvé montre aussi clairement que le nom du divin était connu des contemporains de Mesha et qu'il s'est inspiré du culte de Kémosh. Dans la Bible, c'est exactement de la même manière que Yahvé inspira les prophètes. La seule différence est que le récit de la stèle fut rédigé au IXe siècle avant notre ère juste après les conquêtes de Mesha alors que le passage équivalent du livres des Rois est une version tardive rédigée plusieurs siècles plus tard qui fut adaptée afin de mettre en avant Yahvé et le peuple d'Israël pour défendre la cause théologique proto-judaïque.

On déduit de ces découvertes qu'au IXe siècle avant notre ère il existait deux royaumes distincts en terre de Canaan, chaque peuple adorant son ou ses dieux : Yahvé au sud et Baal ou El au nord. Aussi, sur le plan historique, l'unité d'Israël qu'évoque la Bible durant le règne du roi David et de Salomon et leur respect de la loi divine doivent être relativisés et relève plus de l'imagination comme le précise le bibliste Thomas Römer dans son livre "L'invention de Dieu" (2014).

Clivage entre le royaume de Juda et le royaume d'Israël

Les royaumes de l'Israël antique vers 850 avant notre ère. Adapté d'une carte d'Eric Gaba.

Les découvertes archéologiques ont montré qu'en pays de Canaan, à partir du IXe siècle et le schisme des deux royaumes, deux populations aux moeurs totalement différents ont cohabité mais dans le sens qu'elles se sont méprisées et ignorées plus qu'elles n'ont coopérées. Cette réaction de rejet et de repli sur soi s'est rapidement imposée aux tribus du royaume de Juda comme étant la seule solution pour préserver le peuple juif, sa culture et ses traditions. Les juifs se sont volontairement isolés, se démarquant ainsi des autres tribus et civilisations dont ils ne partageaient pas la religion ni les moeurs. Ainsi, la religion a servi de moteur à l'édification de leur nation sous le commandement de leur roi et des grands-prêtres. Dans le reste du pays de Canaan, les anciennes tribus se sont unies sous la bannière du royaume du Nord, celui d'Israël.

Sur le plan économique, comme on le voit à droite, au nord, dans le royaume d'Israël qui s'étend à partir de la latitude de la plaine du Jourdain qui s'ouvre à l'extrémité nord de la mer Morte jusqu'en Phénicie et délimitée à l'est par le Jourdain, la population est cosmopolite et polythéiste de part son histoire. Elle est relativement aisée, les cités sont prospères et les commerçants ont un accès direct à la mer notamment à Dor ainsi qu'aux vallées du nord. Le pays compte également de nombreuses petites vallées fertiles. Dans les régions nord-ouest et nord du pays les paysages sont verdoyants bien qu'à la latitude du lac de Tibériade, quelques montagnes culminent à 1200 mètres d'altitude. Les nombreuses rivières (wadi) et le climat sont propices aux cultures. On y cultive des céréales, des oliviers et même des vignes. La région produit de l'huile d'olive et du vin (cf. ces presses à olives et pressoirs à fouler le raisin découverts à Nazareth bien que plus tardif de quelques siècles). Au fil du temps, les villageois se sont enrichis; les cités sont devenues des villes dont deux millénaires plus tard une certaine Haifa.

En revanche, la situation économique est toute différente dans le sud du pays de Canaan. A l'est, le royaume de Juda est presque totalement circonscrit dans les Hautes Terres dont l'altitude moyenne est de 610 mètres. Le royaume bénéficie d'un accès à la vallée mais uniquement dans un étroit couloir le long de la mer Morte et dans le nord-est du pays, dans la région de Jéricho.

Les habitants du royaume de Juda isolés dans les Hautes Terres doivent lutter au quotidien contre un sol ingrat, rocailleux et plus aride que dans les plaines ou les vallées. En effet, soumis au régime capricieux des saisons bien marquées, ses habitants subissent un climat méditerranéen chaud d'avril à octobre et hivernal avec de la neige entre novembre et mars alors que le climat est chaud et doux dans la plaine. Mais jamais il viendrait aux habitants des Hautes Terres l'idée de descendre dans la plaine pour améliorer leur quotidien (un sentiment qu'éprouvent encore aujourd'hui tous les montagnards et pas seulement en Israël). Une autre raison empêchait la tribu de Juda de descendre dans la plaine : les Philistins.

A gauche, les États du Levant selon la tradition biblique (et non historique) vers 800 avant notre ère. A droite, carte des invasions et flux migratoires dans les royaumes hébreux entre les X-VIe siècles avant notre ère. Documents T.Lombry et ASP.

Les Philistins occupaient toute la plaine côtière de Gaza à Jaffa (Tel-Aviv) depuis l'époque des invasions par les Peuples de la mer dont ils faisaient partie. Ils se battirent longtemps contre les Égyptiens. Puis en 525 avant notre ère, ce territoire passa sous la domination des Perses qui s'en servirent comme de tête de pont pour leurs compagnes en Égypte. Il va sans dire que Jérusalem et tout le pays de Canaan subirent les effets de bord de ces conquêtes. Toutefois, en raison de leur isolement, les habitants des Hautes Terres furent épargnés.

Pendant le règne de Jéroboam II (c.787-747 avant note ère), le royaume d'Israël était prospère car en tant que vassal fidèle, le roi acceptait la suprématie assyrienne et en tira profit pour développer son économie. En revanche, si cette culture proto-capitaliste profita aux classes aisées, elle paupérisa les classes modestes. Des prophètes comme Osée (futur roi d'Israël) et Amos ont dénoncé ces dérives et notamment la vénération des veaux à Samarie et à Béthel.

Cette période calme et relativement faste ne survécut que deux générations, jusqu'en 734 avant notre ère où on assista à l'exil assyrien (voir plus bas).

Preuve à Jérusalem d'un tremblement de terre biblique

Dans l'Ancien Testament, on peut lire dans le premier verset du livre d'Amos : "Paroles d'Amos, l'un des bergers de Tekoa, visions qu'il eut sur Israël, au temps d'Ozias, roi de Juda, et au temps de Jéroboam, fils de Joas, roi d'Israël, deux ans avant le tremblement de terre" (Amos 1:1).

Selon la Bible, Ozias également appelé Azarias, fut roi de Juda entre 787 et 736 avant notre ère et "régna pendant 52 ans à Jérusalem" (2 Chroniques 26). Quant à Jéroboam, il s'agit du roi polythéiste Jéroboam II qui régna sur Israël entre 782 et 753 avant notre ère.

Ce tremblement de terre est également cité dans le livre de Zacharie qui fut rédigé entre le VIe et le IVe siècle avant notre ère : "Vous fuirez alors dans la vallée de mes montagnes, Car la vallée des montagnes s'étendra jusqu'à Atzel; Vous fuirez comme vous avez fui devant le tremblement de terre, Au temps d'Ozias, roi de Juda" (Zacharie 14:5)

Enfin, Ézéchiel y fait aussi allusion. Son texte fut vraisemblablement écrit entre le VIe et le IIIe siècle avant notre ère : "Je le déclare, dans ma jalousie et dans le feu de ma colère, En ce jour-là, il y aura un grand tumulte Dans le pays d'Israël. Les poissons de la mer et les oiseaux du ciel trembleront devant moi, Et les bêtes des champs et tous les reptiles qui rampent sur la terre, Et tous les hommes qui sont à la surface de la terre; Les montagnes seront renversées, Les parois des rochers s'écrouleront, Et toutes les murailles tomberont par terre" (Ézéchiel 38:18-20).

Des tessons de poteries apparemment brisées par un tremblement de terre survenu à Jérusalem au VIIIe siècle avant notre ère. Document Eliyahu Yanai/City of David.

Beaucoup plus tard, au Ier siècle de notre ère, l'historien juif romanisé Flavius Josèphe mentionne ce même tremblement de terre et précise son origine supposée dans le royaume du roi Ozias : "Azarias, assisté de quatre-vingts prêtres, voulut l'en empêcher [...], dans sa fureur il les menaça de mort, s'ils ne se tenaient tranquilles. Mais, à ce moment, une forte secousse ébranla la terre, et le Temple s'étant entrouvert, la lumière éclatante du soleil eu jaillit et tomba sur la face du roi, de sorte qu'aussitôt la lèpre l'envahit et, devant la ville, près de l'endroit appelé Erogé, la moitié de la montagne d'Occident fut arrachée et, après avoir roulé quatre stades, s'arrêta vers le mont d'Orient, de façon à obstruer les voies d'accès et les jardins du roi" (Antiquités Judaïques, Livre IX, 10:4[185-187]).

D'abord soulignons qu'il n'est pas étonnant que Josèphe se rappelle de cet évènement remontant à plusieurs siècles. Comme tous les juifs, pendant sa jeunesse Josèphe lut régulièrement les livres des prophètes qui constituaient ses livres de chevet au même que la Torah, comme aujourd'hui les chrétiens connaissent encore les principaux textes bibliques rédigés il y a plus de 2000 ans.

Reste à présent à vérifier si cet évènement s'est réellement produit et donc à découvrir les traces de ce tremblement de terre en Israël.

Les chercheurs sont d'avis que cet évènement repose sur des faits réels survenus vers 760 avant notre ère et des indices convergeants soutiennent cette conclusion qu'il faut toutefois nuancer à la lumière des dernières découvertes.

Les archéologues bibliques ont découvert dans la partie nord d'Israël de nombreuses traces de catastrophes survenues au VIIIe siècle avant notre ère. Il y a d'abord Megiddo précitée alias "Armaguédon" (Armageddon) située à ~130 km au nord de Jérusalem qui fut fouillée par l'équipe d'Israel Finkelstein. Les chercheurs ont constaté que "les murs et les piliers étaient inclinés, des murs étaient tordus et déformés, des pierres de construction furent fracturées, des sols sont inclinés, du sable est liquéfié, des murs de briques crues sont effondrés et des débris sont brûlés." (cf. S.Marco et al., 2006). Puis il y a Hazor où les ruines furent datées par Israel Finkelstein et Yigal Yadin de 760 avant notre ère et Acre dont les ruines sont datées du milieu du VIIIe siècle avant notre ère, toutes deux situées au nord de Megiddo. Lakish fut daté par David Ussishkin de la même époque et se situe au sud-ouest de Jérusalem. Tel Abu Hawam située dans la baie d'Haïfa fut bâtie à l'âge du Bronze au moins 1200 ans avant notre ère et fut détruite après un tremblement de terre survenu au milieu du VIIIe siècle et ne fut jamais reconstruite. Citons enfin les ruines de Tel Dan qui correspondent aussi à l'époque du tremblement de terre.

Amotz Agnon de l'Université hébraïque estime que certaines ruines découvertes par les archéologues n'auraient pas pu résulter d'un travail avec les outils primitifs de l'âge du Bronze ou même du début de l'âge du Fer. A Tel Shafi, par exemple (l'ancienne la ville philistine de Gath), il y avait un mur de 4 m d'épaisseur qui fut renversé au VIIIe siècle avant notre ère. S'il fallut effectivement "une main de Dieu" pour l'abattre, ce n'est pas un âne ou quelques soldats qui y seraient parvenus. Selon Agnon, "Ces dommages ne pouvaient pas avoir été causés par l'homme". Les géologues ont en fait découvert non pas un mais deux tremblements de terre survenus VIIIe siècle avant notre ère. Mais on ignore leur épicentre et leur origine, d'autant plus que tout Israël est ridé de failles.

Dans un article publié dans la revue "Tectonophysics" en 2005, Shmuel Marco et Amotz Agnon ont présenté des preuves paléosismiques de la région de la mer Morte (des carottes prélevées à Ein Gedi et des preuves de sédiments stratifiés à Ein Feshkha et Nahal Tze'elim située près de Massada). En utilisant la datation au carbone 14, les chercheurs ont identifié deux tremblements de terre, le premier entre 861 et 705 avant notre ère et le second entre 824 et 667 avant notre ère. La marge d'erreur est liée au fait que la matière organique datée est soit morte avant ou après le tremblement de terre. Mais une chose est sûre, il y eut deux importants séismes au VIIIe siècle avant notre ère dans la région de la mer Morte qui correspondraient aux propos des trois prophètes bibliques.

De nouvelles excavations faites par des archéologues de l'Autorité des Antiquités d'Israël (IAA) et par la Fondation Ir David à Jérusalem-est, près de Silwan, dans une couche contenant des ruines ajoutent des indices en faveur de ce tremblement de terre survenu au VIIIe siècle avant notre ère (cf. Haaretz, 2021).

A voir : Archaeologists discovered in Jerusalem evidence

of an earthquake that is mentioned in the Bible, IAA

Les chercheurs ont déclaré qu'ils ont envisagé d'autres explications possibles pour ces dégâts, y compris le feu, mais n'ont trouvé aucune cendre ou autre preuve suggérant que la ville fut incendiée à ce moment-là. Ils ont également examiné la possibilité que la destruction ait été isolée à un seul endroit. Selon l'achéologue Joe Uziel de l'IAA, "Pour prouver que cela n'implique pas un bâtiment qui subit un traumatisme isolé, nous l'avons comparé à d'autres sites, à la fois à Jérusalem et à d'autres endroits où nous trouvons également cette couche, afin que nous puissions faire le lien et affirmer qu'il ne s'agit pas d'un évènement isolé mais plutôt de quelque chose de plus répandu."

En conclusion, le bibliste Wolfgang Zwickel, spécialiste de l'Ancien Testament à l'Université Johannes Gutenberg de Mayence, déclara dans la revue " Haaretz" qu'il est possible que les deux tremblements de terre historiques aient été regroupés en un seul dans les récits bibliques ou qu'Amos et les autres prophètes se réfèrent à l'évènement le plus important.

L'exil assyrien

En 734 avant notre ère, on assiste à une révolte des peuples du Levant contre les Assyriens qui amputera les Araméens et les Israélites d'une grande partie de leur royaume. Sous le roi néo-assyrien Tiglath-Pileser III (745-727 avant notre ère), le royaume du Nord fut intégré à l'Empire et des milliers d'Israélites furent déportés à Halah, Habor, Ninive et en Médie (1 Chroniques 5:26, 2 Rois 15:29). Cette extension de l'Empire assyrien permit à de nombreux colons babyloniens et araméens de s'établir en Samarie et d'y pratiquer leurs cultes païens (2 Rois 17).

En revanche, en Judée, sur les conseils du prophète Isaïe, le roi Achaz (Akhaz) qui régna entre 736 et 716 avant notre ère, demanda la protection du roi assyrien Tiglath-Pileser III qui épargna son royaume moyennant le payant d'un tribut. Cette opportunité permit aux juifs du nord de fuir vers le royaume du Sud, venant grossir la population de Jérusalem.

En 727 avant notre ère, le roi Osée, dernier roi d'Israël, chercha l'appui politique des Égyptiens, ce qui déclencha la colère des Assyriens et le début d'une guerre dont les rédacteurs de la Bible se souvinrent longtemps.

L'anéantissement du royaume d'Israël et l'exil à Babylone

Les textes assyriens montrent que la civilisation babylonienne était bien plus avancée et ses militaires plus expérimentés et mieux armés (avec armure, archers et chars en acier) que les Israélites.

Le roi babylonien Salmanasar V qui régna entre 727 et 722 avant notre ère décida de mettre un terme à l'influence égyptienne au Moyen-Orient et conquit le royaume du Nord. Les Israélites résistèrent aux Assyriens pendant quelques années, jusqu'à la mort de Shalmanasar V (probablement assassiné lors d'un coup d'État mais qui n'est pas documenté). C'est son général en chef, Sargon II, qui lui succéda à la tête de l'Empire assyrien entre 722 et 705 avant notre ère.

La Samarie tomba sous l'armée de Sargon II en 722 avant notre ère et le royaume fut divisé en quatre provinces assyriennes. Jusqu'à 20% de la population d'Israël soit environ 30000 personnes furent déportées à Babylone. Ceux qui restèrent sur place furent assimilés à la culture assyrienne et d'autres populations s'établirent sur ces terres.

Comme le précise le deuxième livre des Rois (2 Rois 17), cette population mixte continua d'adorer les idoles, au grand dam des Judéens. Cette communauté cosmopolite est l'ancêtre des Samaritains.

L'anéantissement du royaume d'Israël provoqua un afflux de réfugiés vers le sud, le royaume de Juda et Jérusalem. Contrairement à ce que certains textes laissent entendre, les descendants du royaume d'Israël ont donc survécu.

Suite à cet évènement, le petit royaume de Juda jusque là renfermé sur lui-même se développa et devint un véritable État mais toujours vassal de l'Assyrie. Sans le vouloir, le frère cadet d'Israël "protégé par Yahvé" avait remporté la victoire ultime sur tous ses autres frères païens comme les prophètes l'avaient prédit. Par la volonté de Yahvé, Juda resta seul pour gérer l'héritage Israélite. Du moins, c'est ainsi que les sacerdotaux de l'époque post-exilique ont interprété ce revirement inattendu de l'histoire géopolitique de cette région du monde qui allait justifier leur théologie.

A gauche, expansion de l'Empire assyrien entre les Xe et VIIe siècle avant notre ère. Document Wikimedia. A droite, la Destruction de l'armée de Sennachérib imaginée par Gustave Doré (fin XIXe.s.), même si dans les faits elle fut victorieuse.

Selon Israël Finkelstein et Neil Silberman[1], "en quelques décennies voire même une génération, de modeste bourgade des hautes terres d'une superficie d'environ 6 ha, Jérusalem devint une zone urbanisée d'environ 75 ha abritant une dense agglomération de maisons, d'ateliers et d'édifices publics. En termes démographiques, la population de la cité a dû être multipliée par quinze, passant d'un millier à quinze mille habitants". De petit village modeste, vers la fin du VIIIe siècle avant notre ère, Jérusalem devint la cité dominante de la région et une vraie capitale, ce qui implique une réorganisation sur les plans politique et économique avec une administration "professionnelle" et une économie qui s'écarta du modèle traditionnel purement agricole. C'est probablement à cette époque que la population s'étendit sur les autres collines de Jérusalem, notamment vers l'ouest et le mont Sion.

C'est aussi suite au brassage de ces populations cosmopolites que les traditions religieuses du royaume du Nord (les récits de Jacob, l'Exode, les récits prophétiques d'Osée, Elie, etc.) se développèrent dans le royaume de Juda tout en s'adaptant à la culture judéenne monothéiste. En ce sens, la culture des Israélites du royaume du Nord influença la culture judéenne.

Ensuite, Sargon II continua ses batailles jusqu'en 711 où il envahit la Philistie, ennemi séculaire de Juda, et matta les nouvelles rébellions en pays de Canaan. Un an plus tard il fut sacré roi à Babylone. Sargon II mourut en 705 sur le champ de bataille des Monts Taurus, dans le sud de l'Anatolie.

Profitant du changement de pouvoir, sous le règne de son fils Sennachérib (ou Sanchérib, 705-681 avant notre ère), les souverains de Phénicie, de Chypre et des royaumes locaux se révoltèrent contre l'occupation assyrienne, parfois aidés par les armées égyptiennes. Mais formé à bonne école, l'armée de Sennachérib les anéantit et soit mit le souverain ennemi en déroute (le roi de Sidon s'enfuit à Chypre) soit l'exila en Assyrie (le roi d'Ascalon). Finalement, en 701 avant notre ère Sennachérib descendit jusqu'en pays de Canaan, pénétra dans le royaume de Juda et assiéga Jérusalem, fief du roi Ézéchias (2 Rois 18:13).

L'empreinte d'Ézéchias

Selon la tradition juive, l'un de ces "bons" rois juifs monothéistes fut Ézéchias qui régna sur le royaume de Juda de 716 à 687 avant notre ère. La Bible nous dit que sous son règne son royaume fut prospère et qu'il agrandit sa capitale Jérusalem. Les juifs lui doivent quantité d'autres travaux attestés par l'archéologie dont probablement le tunnel de Siloé qui contient la première inscription monumentale judéenne (il pourrait aussi s'agir d'une oeuvre du roi Manassé, le fils d'Ézéchias et pro-assyrien qui rétablit le culte d'Ashérah et que détestaient les auteurs du livre des Rois).

Selon la Bible, Ézéchias aurait même mis en oeuvre les premières réformes religieuses, précédent celles du roi Josias sur lesquelles nous reviendrons, en détruisant notamment les hauts-lieux de culte pour ne conserver que le temple de Jérusalem, il détruisit les statues à l'image d'Ashéra et le serpent de bronze que Moïse avait fabriqué (2 Rois 18:4). Aucun de ces faits n'a été confirmé par l'archéologie mais il est probable qu'étant vassal de l'Assyrie, il a voulu se débarrasser de certains symboles égyptiens encombrant comme le serpent guérisseur et les idoles.

Mais comme le montre son seau royal présenté ci-dessous, Ézéchias avait une politique étrangère téméraire car il était plutôt ami des Égyptiens et ennemi des Assyriens et de son frère-ennemi de toujours, le roi d'Israël, vassal de ces païens. Nous le savons car les rares sceaux royaux d'Ézéchias que nous possédons (deux à ce jour, présentés ci-dessous) affichent au centre des symboles égyptiens : la croix ansée (ânkh) symbolisant la vie, le Soleil bardé de rayons avec les deux grandes ailes déployées en signe de protection, deux symboles des divinités égyptiennes (nommées Rê) qui furent pas la suite associées au dieu solaire créateur Atum (Atoum).

A gauche, l'empreinte du sceau du roi Ézéchias découverte en 2009 par Eilat Mazar à Jérusalem. L'empreinte mesure 13.4x11.9 mm et illustre le dieu tutélaire solaire égyptien qui à cette époque se confondait avec Yahvé. L'inscription en paléo-hébraïque signifie : "À Ézéchias (fils de) Ahaz, roi de Juda". A droite, le sceau du roi Ezéchias (et son empreinte développée) découvert à Mari et exposé au Musée du Louvre. Le 13e roi du royaume de Juda régna sur le royaume du Sud pendant 29 ans, juste avant l'invasion assyrienne en 687 avant notre ère. Ezéchias fut assassiné cette année là. Ce sont les seules preuves historiques attestant l'existence du roi Ezéchias mentionnée dans les textes bibliques (livre des Rois). Documents Eilat Mazar/Ouria Tadmor et Musée du Louvre/Antiquités orientales.

Cette allégeance à peine déguisée aux Égyptiens déplut aux Assyriens. Mais tant que Sargon II était au pouvoir et que la Syrie et les peuples du pays de Canaan restaient calmes, il n'est pas intervenu militairement. Mais dès que l'Égypte organisa le soulèvement des royaumes de Philistie (à l'ouest de la Judée), d'Ashdod, de Juda, d'Edom et de Moab ainsi que des provinces syriennes et de la ville de Damas, Sargon II n'hésita pas à envoyer son armée réprimer ces rois et leur population.

Selon la Bible, pour respecter la parole du prophète Isaïe (Isaïe 38:1-6) qui le somma de résister, grâce à Yahvé, Ézéchias fit périr 185000 Assyriens et fit fuir Sennachérib qui serait mort peu après à Ninive.

En réalité, Ézéchias fut vaincu mais dans des circonstances qui restèrent dans la mémoire collective des juifs. En effet, Sennachérib envahit le royaume de Juda. Il détruisit les villes de Beit Shemesh et la forteresse de Lakish, la plus puissante après Jérusalem. Ensuite, il fit le siège de Jérusalem. Mais en 701, pour une raison mystérieuse, Sennachérib retira ses troupes de Jérusalem. Les juifs en ont déduit que Sion, le symbole de Jérusalem, était inviolable et que Dieu lui-même, Yahvé-Sabaot protégeait la ville et son Temple.

Mais finalement Sennachérib entra dans la capitale. Le temple de Jérusalem fut détruit et les Assyriens emportèrent non seulement toute sa décoration mais également l'Arche d'alliance. Ézéchias paya un lourd tribut à Sennachérib : 30 talents d'or, 800 talents d'argent et la déportation de sa cour dont ses filles et son harem en Assyrie et perdit une grande partie de son territoire qui fut cédé aux Assyriens.

Que représente le tribut payé par Ézéchias ? En se basant sur le prix d'une journée de travail et un salaire minimum de 1000 € par mois et en l'extrapolant à sa valorisation psychologique pour acheter de quoi vivre, on estime qu'un talent d'or équivalait à 6.4 millions d'euros et un talent d'argent (3000 sicles) équivalait à 400000 €. Le tribut pécuniaire fut donc de l'ordre de 512 millions d'euros. Loin de représenter toute la richesse du pays qui pouvait encore compter sur ses commerces, ses marchands et ses agriculteurs, ce fut tout de même une catastrophe financière et économique dont les juifs ne se remettront que lentement et difficilement.

L'existence du prophète Isaïe

Sachant que la Bible nous dit que le prophète Isaïe était le conseiller du roi Ézéchias et vu l'importance des prophéties d'Isaïe sur lesquelles nous reviendrons, peut-on confirmer son existence ? Jusque tout récemment nous n'en avions aucune preuve. Mais en 2018, l'archéologue Eilat Mazar déjà évoqué annonça dans la revue "Biblical Archaeology Review" la découverte en 2009 sur la colline d'Ophel située au sud du temple de Jérusalem de sept nouveaux bullae ou sceaux antiques venant compléter les quinze déjà découverts dont un petit fragment présenté ci-dessous à gauche mesurant environ 11 mm de diamètre. Il porte l'inscription "Yesha‘yah[u] Nvy[...]" dont voici le schéma, c'est-à-dire "Isaï..." suivi d'un substantif incomplet.

A gauche, le fragment de sceau découvert en 2018 par Eilat Mazar et son équipe sur la colline d'Ophel à Jérusalem. Il porte l'inscription "Yesha‘yah[u] Nvy[...]" signifiant "Isaïe le prophète". A droite, gros-plan sur la mosaïque d'Isaïe de la basilique Saint-Vital à Ravenne.

Selon l'archéologue Reut Livyatan Ben-Arie qui a étudié l'artefact avec Mazar, il y a assez d'espace dans le texte manquant pour deux autres lettres : un "w" (vav), la dernière lettre du nom "Yesha'yahu" signifiant "Isaïe" et un "h", l'article défini "le" pour le mot "navy" signifiant "prophète", le mot entier étant " hanavy" ("le prophète"). On peut déduire que l'inscription signifie "Isaïe le prophète". Cette inscription est identique aux expressions "Isaïe le prophète", "Isaïe le prophète et fils d'Amotz", "Isaïe le fils d'Amotz" ou encore "Isaïe le fils d'Amotz le prophète" qu'on peut lire dans le deuxième livre des Rois (2 Rois 19-20). Notons que dans chaque phrase l'article "h" est mentionné auprès du mot "nvy'" (הנביא en hébreu). Il n'y a donc aucun doute sur le sens de l'inscription qui atteste virtuellement (puisque nous n'avons pas découvert son ossuaire ni son squelette) l'existence du prophète Isaïe. De plus, le sceau fut découvert auprès d'autres bullae portant le nom du roi Ézéchias, ce qui appuye son authenticité. Isaïe aurait donc bien existé à l'époque du roi Ézéchias, c'est-à-dire vers 700 avant notre ère.

La réponse biblique

Pourquoi la Bible a-t-elle (de nouveau) menti à propos de Salomon, des Omrides et d'Ézéchias ? Il faut lire la Bible dans une perspective théologique juive en imaginant que Dieu a choisi les juifs et la dynastie de David comme les seuls héritiers légitimes du pays de Canaan, à l'origine d'un futur empire juif au Moyen-Orient. Toute autre dynastie était condamnée à disparaître (encore aujourd'hui c'est le point de vue des Juifs d'Israël qui ne tolèrent aucune cohabitation avec les Arabes. On y reviendra).

Mais une partie du peuple élu ayant prêté allégeance aux Assyriens païens, l'auteur du premier livres des Rois n'a pu s'empêcher de dénoncer son égarement quand il écrit : "Quand Salomon fut vieux, ses femmes détournèrent son coeur vers d'autres dieux et son coeur ne fut plus tout entier à Yahvé" (1 Rois 11:4). Ce serait de nouveau cette infidélité qui aurait eu des conséquences dramatiques deux siècles plus tard, lorsque les Assyriens envahirent le royaume d'Israël et firent un détour jusqu'à Jérusalem pour détruire le Temple.

En résumé, les auteurs sacerdotaux de l'Ancien Testament ont toujours considéré Yahvé comme un Dieu ayant la rancune tenace et la main lourde, les écarts de la droiture et les "trahisons" se payant toujours cash et dans la douleur. La bible hébraïque relate ces faits de façon imagée et très altérée par rapport aux faits historiques, considérant que le peuple d'Israël n'a pas souvent compris qui était Yahvé et prit conscience de la puissance du côté obscur dirait-on aujourd'hui de son pouvoir.

Selon la Bible, ces épopées sacrées mises au service du culte sont considérées comme victorieuses pour ceux qui sont restés fidèles à Yahvé. Le but des théologiens était de prouver aux juifs qu'ils avaient intérêt à rester unis et à resserrer les rangs autour du culte du dieu unique pendant qu'ils luttaient ou résistaient face aux envahisseurs païens. Mais dans la réalité, ses invasions furent vécues comme autant de drames pour les juifs qui furent oppressés par l'envahisseur.

Les faits historiques prouvent clairement que Dieu n'est pour rien dans ces épisodes dramatiques dont les campagnes militaires et les anathèmes (massacres et autres génocides) ne sont même pas le fruit du hasard mais le triste résultat des conflits entre souverains rivaux et des mauvaises stratégies choisies par les souverains juifs.

Nous verrons dans le prochain article comment le roi Josias restaura le royaume de David et la naissance du judaïsme sous le roi Esdras.

A lire : De la naissance du Livre sacré à la naissance du judaïsme

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[1] Israël Finkelstein et Neil A. Silberman, "La Bible dévoilée", Bayard, 2002, p278.


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