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La Bible face à la critique historique

Paul de Tarse (Saul). Peinture exposée à la Galerie Kenneth Wyatt.

La querelle paulienne

Nous avons expliqué dans l'article sur le rôle de Paul dans la foi chrétienne que sans ses "révélations de Jésus-Christ", Paul n'aurait jamais fondé ses églises, prêché la Bonne Nouvelle et n'aurait jamais écrit ses fameuses Épîtres. Mais du fait que Jésus n'a pas laissé d'écrits et que les idées de son frère Jacques le Juste n'ont pas été suivies par les disciples paiens (non-juifs), c'est finalement le message de Paul que les premiers chrétiens ont retenu et sur lequel l'Église fonda sa doctrine. Voyons comment cette querelle théologique a commencé et ce qu'il en est advenu de ses protagonistes.

Le proto-christianisme de la communauté des Nazaréens

Aujourd'hui, après des siècles d'endocrinement et d'influence chrétiennes, il est difficile d'imaginer le proto-christianisme avant la vision théologique de Paul et les affirmations dogmatiques de la Grande Église. Or les preuves archéologiques attestent qu'il existait un Crédo des apôtres avant la vision paulienne.

Après la disparition de Jésus, comme nous l'avons évoqué à propos de sa jeunesse et de ses frères et soeurs, conformément à ses souhaits, c'est son frère Jacques le Juste (Ya’acov HaTzaddik) qui prit la direction de la communauté des apôtres nazaréens, aidé par Pierre et Jean. La communauté des nazaréens continua à vivre comme les juifs, observant la Torah et adorant Dieu dans le Temple de Jérusalem ou dans leurs synagogues locales, tout en commémorant le souvenir et honorant Jésus comme leur Maître et Messie mort en martyre.

Selon la tradition, les apôtres ou du moins certains d'entre eux ainsi que Paul de Tarse ont très tôt cru en la divinité de Jésus considéré comme le Fils de Dieu, mais pratiquement tous en eurent uniquement la certitude après la Résurrection, car auparavant même les frères de Jésus pensaient qu'il avait perdu la raison (Marc 3:21; 3:30; 6:3). Mais la date de ce changement de foi dépend de la manière dont on considère les textes. En effet, les premières Épîtres, les Évangiles et les Actes des Apôtres furent écrits plusieurs décennies après les faits (entre 46-48 pour Paul et 110 pour Jean) mais quand ils évoquent la divinité de Jésus, ils relatent des évènements datant des années 30.

Prenons quelques exemples chronologiquement. Dans l'Épître aux Galates (rédigée vers 46-48), Paul déclare "si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu" (Galates 2:20) et le répète presque à l'identique en Galates 3:26. Ensuite, dans l'Évangile selon Matthieu (70-75), Simon (Pierre) déclare qu'il croit que Jésus est "le Messie, le Fils du Dieu vivant" et Jésus lui confirme et profite de l'occasion pour le renommer Pierre (Matthieu 16:15-18). Peu après, dans les Actes (vers 60 ou entre 60-90), Luc confirme à propos de Jésus que "Lui est le Fils de Dieu" (Actes 9:20).

La question est de savoir si les apôtres et les disciples ont changé de foi peu après la résurrection du Christ ou leur foi ne germa que progressivement, au terme de 20 ans de réflexions voire plus au sein de leur communauté nazaréenne.

Gros-plan sur le visage de l'apôtre Paul peint par Rembrandt van Rijn vers 1657. Huile sur toile de 131.5x104.4 cm exposée à la National Gallery of Art à Washington, D.C. Voici une vue générale.

Si les apôtres et les disciples ont certainement mis quelque temps pour assimiler la nature divine de Jésus, il est donc possible qu'ils n'aient attendu que quelques années seulement pour assimiler l'idée de sa divinité. En revanche, il fallut attendre plusieurs générations pour que Paul et ensuite les Évangélistes ou plutôt des judéo-chrétiens ou des païens convertis anonymes de culture hellénistique couchent sur papier les paroles et les actes de Jésus et que ces textes soient transmis entre les fidèles. Mais dans un cas comme dans l'autre, entre-temps les apôtres n'ont pas changé leur façon de concevoir leur religion.

Ainsi, les apôtres n'ont jamais considéré Jésus comme le "Messie souffrant" ou le "Sauveur sacrifié" qui prit "sur ses épaules tous les péchés du monde" comme le prétend l'Église en accord avec l'interprétation de Paul (cf. Romains 1:18-32). Ils ne pratiquaient aucun rituel de baptême au nom du Christ et ne célébraient pas non plus un repas sacré (l'eucharistie) équivalent à "manger le corps et boire le sang du Christ" comme garantie de la vie éternelle.

Le message des apôtres était entièrement centré sur leur espoir que le royaume de Dieu était proche comme l'avait annoncé Jean le Baptiste et Jésus (cf. les Béatitudes et la source "Q"), et que très bientôt Dieu interviendrait dans l'histoire des hommes pour apporter paix et justice à toutes les nations. Ils exhortaient également les juifs et les Gentils (non-juifs) à se repentir de leurs péchés, à se tourner vers Dieu et à vivre avec Lui dans l'attente de son pardon et d'accéder à son royaume le jour du Jugement Dernier.

Par la suite, leurs héritiers chrétiens ont récupéré bon nombre des croyances messianiques juives nées à la fois du discours de Jésus mais également des croyances juives instaurées au cours des six siècles précédents. De ces croyances à l'origine du christianisme primitif, il nous reste l'enseignement de Paul dans sa version grecque et les rares textes de Pierre. Toutes les autres traditions éventuellement transmises par les autres apôtres ou les membres d'autres sectes judéo-chrétiennes ont disparu (ou n'ont pas encore été explorées comme par exemple les traditions syriaques et araméennes). C'est ainsi que le christianisme et le judaïsme sont les deux faces d’une même histoire autour de la foi en un Dieu unique.

Toutefois, le rôle de Jacques le Juste fut minimisé voire effacé par les Pères de l'Église au profit de l'enseignement de Paul sur lequel repose aujourd'hui la foi pratiquée par des milliards de chrétiens. Pour quelle raison l'Église prit-elle cette décision ? Plusieurs faits expliquent cette décision.

La doctrine chrétienne

Selon la doctrine de l'Église romaine d'Occident, Marie, la mère de Jésus était vierge et ayant fait voeu de chasteté, le fait qu'elle ait pu avoir un autre enfant est incompatible avec sa virginité. Pour contourner cette difficulté, les Pères de l'Église ont alors suggéré que Jacques était un demi-frère par Joseph voire même un cousin germain de Jésus puisque cela ne changeait pas les traductions ni même la généalogie qui n'en précisait pas tous les détails.

Finalement, au IVe siècle de notre ère, après le concile de Nicée, saint Jérome proposa que Jacques soit le fils de Marie de Clopas (Cléophas, la demi-soeur de Marie, la mère de Jésus) épouse de Clopas. Par conséquent, Jacques le Juste est devenu Jacques le Mineur également appelé Jacques d'Alphée (à ne pas confondre avec Jacques de Zébédée dit Jacques le Majeur, fils de Zébédée et de Salomé, le frère de l'apôtre Jean) ajoutant un peu plus à la confusion. Mais l'Église d'Orient n'a pas accepté ce changement. Le lecteur pourra se reporter au livre "Jacques, frère de Jésus" (2003) de Pierre-Antoine Bernheim pour plus de détails.

"Paul rédigeant ses Épîtres". Peinture sur toile de 99.4x133.0 cm d'un auteur anonyme influencé par Le Caravage mais attribué à Valentin de Boulogne réalisée vers 1618-1620. Elle est exposée au Musée des Beaux Arts de Houston (MFAH). Sous cette peinture, l'analyse aux rayons X a révélé un portrait de Jésus couronné d'épines qui apparaît en reflet et à l'envers sur la table (cf. cette image). Il est possible que le visage de l'homme soit l'autoportrait du peintre.

Jacques serait l'auteur de la première Épître du Nouveau Testament. Mais de quel Jacques parle-t-on ? On a longtemps pensé que c'était Jacques le Mineur mais d'autres spécialistes y ont vu la théologie de Jacque le Juste, le frère de Jésus. Aujourd'hui, on estime qu'il s'agit d'un apocryphe anonyme rédigé par un juif.

Le problème est que cette Épître fut longtemps attribuée à Jacques le Juste car ce texte est loin de pouvoir être qualifié de catholique ni même de chrétien. En effet, dès le premier paragraphe, "Jacques" s'adresse non pas à l'ensemble des nations mais en particulier "aux douze tribus qui sont dans la dispersion" qu'il salue (Jacques 1:1). De plus, Jacques ne mentionne que deux fois le nom de Jésus ou Jésus-Christ (cf. Jacques 1:1 et 2:1) et chaque fois d'une manière qui n'apporte rien à ses propos. Mais la raison sans doute la plus importante aux yeux des Pères de l'Église est le fait que Jacques ne fait nulle part allusion au Christ sauveur. Contrairement à Paul, Jacques va jusqu'à affirmer la nature positive de la Torah qu'il oppose au Salut (la rédemption) par la foi chère à Paul (cf. Romains 10:4; Galates 2:16) tout en insistant sur le respect et la mise en pratique des commandements sacrés, ceci expliquant cela. Cette affinité projuive associée au fait que Ponce Pilate fit crucifier Jésus à la demande du Sanhédrin, des juifs, déplut évidemment aux Pères de l'Église qui ont voulu se débarrasser de ce frère héritier gênant, le seul témoin mais peu représentatif des origines du christianisme. C'est du moins l'interprétation de l'Église.

Historiquement, l'Épître de Jacques ne figurait pas dans les Saintes Écritures de Rome classées dans le "Fragment de Muratori" rédigé au IIe siècle. Elle apparaît au IIIe siècle, mais le théologien Origène (185-254) puis l'évêque Eusèbe de Césarée (263-339) ont considéré qu'elle était contestable. Ce n'est qu'au IVe siècle que saint Jérome l'accepta à contre-coeur dans le canon du Nouveau Testament.

Même Luther mit des réserves à l'Épître de Jacques qu'il qualifia d'"Épître de paille" (stroherne Epistel) du fait qu'elle ne présentait "pas de caractère évangélique" et de la faible présence du Christ. Il y voyait clairement le refus de cautionner l'enseignement théologique de Paul même si Jacques dit vouloir enseigner une foi en relation avec notre prochain, rejoignant l'idée de Paul et des autres apôtres.

Si l'Église considère que les idées de Jacques représentent un "problème" théologique, si on revient quelques décennies après la mort de Jésus, c'était plutôt les premiers chrétiens qui posaient problème à Jacques le Juste et aux Nazaréens ! A part la confusion des "Jacques", comment un tel retournement de situation est-il arrivé ?

La théologie de Jacques le Juste face à celle de Paul

Les Pères de l'Église ont d'abord attribué les textes de "Jacques" à Jacques le Mineur, considérant qu'il s'agissait de Jacques le Juste, le frère de Jésus. Ils ont estimé avoir de bonnes raisons pour écarter ses témoignages projuifs y compris son Apocalypse et ne lui réserver qu'une seule petite Épître qui est probablement la moins lue de toutes.

La réaction de la Grande Église est partiellement excusable dans la mesure où elle cherchait par tous les moyens à imposer le christianisme et se défaire de son origine judaïque devenue problématique. De même, sachant que Luc n'était pas juif, plus proche de Paul et des traditions romaines que des juives, chaque fois qu'il le peut il écarte les références à Jacques le Juste et aux traditions juives au profit des autres témoins ou des autres apôtres ou invente même des références romaines. Le plus bel exemple est l'instant de la mort de Jésus que nous avons évoqué où, selon Matthieu (verset 27:46) et Marc (verset 15:34), Jésus lança un cri à Dieu (Eloï) que Luc a supprimé pour le remplacer par la supplique aux soldats romains : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font" (Luc 23:34) !

A gauche, la dernière page de l'Évangile selon Luc écrit en grec dont la fin est soulignée par une ornementation. Il provient du Codex Alexandrinus rédigé à Constantinople ou en Asie Mineure au Ve siècle. Ce codex mesure 320 x 265 mm. Au centre, l'Évangile selon Matthieu traduit en latin au IXe siècle. Il provient de France et mesure 310 x 210 mm. A droite, le recto de la page 150 du codex Minuscule 223 du Nouveau Testament rédigé en grec. Il commence par la première Épître de Paul aux Corinthiens qui comprend 16 chapitres. Il s'agit d'une copie réalisée au XIVe siècle par le moine Antonius. La version originale de Paul remonte vers l'an 55. Documents du British Museum.

Il faut avouer que ni Luc ni la Grande Église n'ont été honnêtes en gommant l'influence de Jacques le Juste à l'aube du christianisme pour mettre en avant les actes des autres disciples, en particulier de proromains comme Paul, dont on retrouve les traces dans les Actes de Apôtres aux côtés d'autres disciples (Pierre, Philippe, Simon, Etienne, Barnabé, Saul, etc.). Jacques le Juste n'y est présent que dans un seul discours (Actes 15:13-21) mais une nouvelle fois il met en avant les paroles des prophètes et le respect des pratiques juives, sans jamais évoquer le message universel de Jésus.

La plupart des chrétiens sont plongés depuis leur enfance dans le dogme de l'Église et la vision théologique de Paul et n'ont pas conscience ou pas appris qu'aux premiers temps de l'Église une querelle surgit entre Jacques le Juste et Paul de Tarse à propos de l'enseignement de Jésus. En effet, si on relit les Épîtres de Paul, partout où Jésus évoquait sa nature humaine (Fils de l'homme) et la venue du royaume de Dieu sur terre (cf. la prière du Notre Père), Paul les remplace par un Christ déifié et un royaume céleste : "Jérusalem d'en haut est libre, c'est notre mère" (Galates 4:26).

Ce différend entre Jacques le Juste et Paul a été occulté aux chrétiens par les enseignants cléricaux qui n'ont pas jugé nécessaire de justifier pourquoi la Grande Église préféra la vision de Paul à celle de "Jacques" qui était pourtant l'authentique et légitime successeur de Jésus. Nous allons donc rafraichir la mémoire des lecteurs.

Carte des voyages de l'apôtre Paul. Document Bibliquest.

Vers l'an 50 de notre ère, deux courants théologiques ont vu le jour. D'un côté, nous avons la communauté des nazaréens représentée par les apôtres avec Jacques le Juste comme chef de file qui poursuivit l'oeuvre de Jésus dans le cadre du judaïsme réformé et des enseignements de la Torah. C'est l'Église de Jérusalem ou le Conseil de Jérusalem d'origine juive qu'on appelle également la Petite Église. De l'autre côté, nous avons la communauté des chrétiens non-juifs représentée par les auteurs des Épîtres, Paul, Luc et la communauté johannique. Cette communauté comprend principalement des convertis d'origine païenne à l'exception de Paul de Tarse d'origine juive (de la tribu de Benjamin). Depuis l'an 100 environ, cette communauté s'appelle la Grande Église qui donnera naissance aux différentes Églises actuelles. Notons que le pontife de l'Église catholique revendique le siège de Pierre, le successeur du "Prince des apôtres", un orgueil déplacé et anachronique quand on connaît le sens de la Bonne Nouvelle enseignée par Jésus qui vient s'ajouter aux autres querelles dogmatiques qui ont conduit au schisme des Églises chrétiennes.

Un consultant extérieur à l'Église lisant à la fois le Nouveau Testament et les manuscrits apocryphes comprendrait de suite qu'il existe un différend théologique entre l'enseignement de Paul et de Jacques le Juste, entre la Grande Église et l'Église de Jérusalem.

Aucun texte n'évoque de dissensions théologiques entre Jésus et les apôtres pendant ou après son ministère, juste des réactions épidermiques devant l'incrédulité du public ou le reniement des apôtres à l'heure de la Passion. Comment dans ce cas peut-on expliquer que Jacques soit déconsidéré et son rôle minimisé par l'Église alors qu'il s'agit du frère de Jésus, héritier des mêmes traditions juives, ayant les mêmes croyances et les mêmes aspirations que lui et issu de la même lignée de David ? Ce n'est pas pour rien que Jésus le qualifia de "Juste" et de "bien-aimé". Jacques fut toujours considéré par Jésus et les autres apôtres comme le frère dévoué, un prêtre par excellence, droit, sage et inspirant confiance. L'Église devrait au contraire le respecter tout comme ses successeurs nazaréens.

La réponse se trouve dans l'influence de Paul dont les idées transpirent dans la moitié des livres du Nouveau Testament (Actes et Épîtres). Comme nous l'avons évoqué à propos du canon, peu après la mort de Jésus et trois ans après sa conversion (en 37), Paul rencontra Pierre durant quinze jours lors d'un séjour à Jérusalem de même que Jacques le Juste qui dirigeait alors la communauté de Jérusalem (Galates 1:19).

Paul voulut discuter avec Pierre mais il savait qu'il était essentiel qu'il rencontre Jacques le Juste qui était responsable du mouvement Nazaréen. Paul ne dit pas que Jacques le Juste était un apôtre mais l'identifie comme "le frère de Jésus". Rappelons aussi que les Nazaréens se méfiaient de Paul car il avait compté parmi ceux qui les avaient persécutés.

Illustration du Christ (gauche) et Jacques le Juste (droite) dans la "Vies de saints" du copiste parisien Richard de Montbaston (XIVe.s.). Son atelier publia notamment le "Roman de la rose" enluminé par son épouse Jeanne.

Il est intéressant de noter que Paul ne mentionne que brièvement Jacques le Juste et n'a pas senti l'intérêt d'expliquer pourquoi il le rencontra. Paul explique ensuite que quatorze ans après sa conversion, vers l'an 50-51, encouragé par la communauté d'Antioche où il passa 12 années de sa vie et fut secondé par des disciples dévoués, il retourna seul à Jérusalem pour demander aux représentants du mouvement, Jacques, Pierre et Jean, l'autorisation de partir en mission d'évangélisation auprès des Gentils, les païens (Galates 2: 9).

Le fait que Jacques le Juste soit nommé est significatif, de même que sa préséance devant Pierre et Jean. Paul a bien compris qu'il était impératif que l'ordre des noms soit respecté car il représentait la hiérarchie du mouvement Nazaréen. En effet, selon la tradition, Jésus qui occupait la position royale dans la lignée du roi David, n'a jamais désigné son successeur et notamment qui présiderait son mouvement et quel apôtre serait assis à droite et à sa gauche. Or, dans l'"Évangile selon Thomas" rédigé vers 350 mais basé sur des textes grecs datant de 140-250 qui fut écarté du canon, il est écrit dans le 12e logion ou parole à propos de Jésus : ""Nous savons que tu nous quitteras. Qui sera notre guide alors ?" Jésus leur dit : "Où que vous alliez, vous irez vers Jacques le Juste, pour qui le ciel et la terre ont été créés"". Jésus transfera logiquement le rôle de chef de famille et de chef de sa communauté à son frère cadet.

A présent, Jacques le Juste présidait le Conseil des Douze[1] et la communauté des Nazaréens tandis que Pierre et Jean occupaient respectivement les sièges à sa droite et à sa gauche. Notons qu'on retrouve ce schéma dans le "Conseil de la Communauté" de Qumrân qui définit un conseil de douze hommes et de trois prêtres maîtrisant toutes les substilités de la Torah (manuscrit 1QS 8)

Même Luc qui ne se sent pas l'âme juive que du contraire et nullement redevable à Jacques le Juste, a changé l'ordre hiérarchique. Ainsi, avant l'établissement des Douze, Luc donnait la préséance à Pierre puis à André, Jacques et Jean (Luc 6:14). A présent, Luc se sent obligé de préciser que Jacques assumait la responsabilité et donc la charge du mouvement Nazaréen (Actes 15). Ainsi quand il raconte la libération de Pierre, Luc dit clairement que le groupe de disciples de Jésus s'est réuni dans une maison privée et que Jésus leur demanda d'annoncer à "Jacques et aux frères qu'il avait été libéré" (Actes 12:17). Du temps de Jésus, Pierre devait rendre compte à Jacques le Juste et aux frères de Jésus. Bien que rien de plus ne soit dit à propos de l'organisation du groupe, la hiérarchie est évidente. Luc mentionne également à plusieurs reprises et toujours dans le même ordre les noms de "Pierre et Jean" pour indiquer qu'ils assument des fonctions dirigeantes (Actes 1:13; 3:1; 4:1, etc.). Ceci montre que Paul a influencé Luc car c'est Paul qui définit les "piliers" de l'Église, à savoir Jacques le Juste, Pierre et Jean.

Mais si Paul reconnaît le rôle fondamental de Jacques le Juste, Pierre et Jean dans ce qu'il considère comme l'avènement d'une nouvelle religion, il conclut que "cela ne m'importe pas" (Galates 2:6-9) et finalement qu'il n'est pas redevable aux apôtres. Dès l'introduction de l'Épître aux Galates destinée aux habitants de l'actuelle Turquie d'Asie Mineure, Paul dit clairement qu'il détient son autorité de "Jésus-Christ et Dieu le Père" (Galates 1:1) et non des hommes. Un peu plus loin, au "royaume de Dieu sur terre" décrit par Jésus, Paul lui substitue un royaume céleste : "Jérusalem d'en haut est libre, c'est notre mère" (Galates 4:26). De même, au Jésus physique annonçant la Bonne Nouvelle, Paul qui ne l'a jamais connu lui substitue un Jésus-Christ symbolique et spirituel qu'il assimile à Dieu, symbole tout à fait artificiel mais qu'a récupéré la Grande Église.

Dans les documents du "Corpus pseudo-clémentin", une Épître apocryphe du Nouveau Testament datant du IVe siècle, il existe un texte appelé "Kerygmata Petrou" ou la "Prédication de Pierre" vraisemblablement écrit au Ier siècle. Il s'agit d'une missive que Pierre adresse à Jacques le Juste. On peut lire dans cette lettre que Pierre qui était proche des visions des Ébionites (des chrétiens de la région orientale de la Palestine proche de l'enseignement de Jacques) déplore que Paul déforme et tronque ses missives : "Car certains parmi les nations ont rejeté la prédication conforme à la Loi qui était la mienne, pour adopter un enseignement contraire à la Loi, les sornettes de l’homme ennemi [Paul]. Et cela, de mon vivant : certains ont entrepris de travestir mes paroles par des interprétations artificieuses pour abolir la Loi, en prétendant que moi-même, je pensais ainsi, même si je ne le proclamais pas ouvertement. Loin de moi pareille attitude !" (1 Pierre 2). Pierre demande à Jacques le Juste "avec insistance de ne communiquer les livres de [ses] prédications à personne de la gentilité ni de [leur] race sans épreuve probatoire" (1 Pierre 2).

Bien que les exégètes ne pensent pas que ce texte soit authentique, il reflète malgré tout les conflits intellectuels qui régnaient au Ier siècle autour des personnes de Jésus, Jacques le Juste et Pierre dont les idées étaient opposées à celles enseignées par Paul et dont Eusèbe de Césarée se fit l'écho en traitant les Ébionites d'hérétiques et qu'Épiphane de Salamine classa quelques générations plus tard parmi les gnostiques chrétiens dans son "Panarion" écrit vers 375.

Deux versions de l'Épître de Paul aux Romains. A gauche, une enluminure extraite de la Vulgate (édition de 1101-1200 avec prologues de saint Jérome). A droite, la version contemporaine extraite de la Bible de Jérusalem (Ed. Le Cerf/Desclée De Brouwer, version annotée avec guide de lecture,1979). Documents BnF/Gallica / Bibliothèque de l’Arsenal (Ms-4, fol. 269r) et T.Lombry.

Paul prétend dans ses Épîtres que son récit est basé sur les premiers témoignages (1 Corinthiens 15:1-8). Or, il n'a discuté qu'avec Pierre et Jacques le Juste et plus tard avec les membres du Conseil des Douze, ce qui veut dire que ses témoignages sont tous indirects et subjectifs, ce qu'il a bien évité de préciser. C'est sans doute pour cette raison que dans la même Épître, Paul se sent obligé de déclarer que Jésus lui est également apparu, une manière d'asseoir son autorité à défaut d'avoir été témoin oculaire et de disposer de preuves formelles des miracles et de la résurrection de Jésus.

En fait, Paul est très diplomate (un opportuniste et un hypocrite diront les mauvaises langues) car il n'exprime pas le fond de sa pensée. Dans certaines Épîtres, il dit clairement qu'il adapte son discours aux gens qu'il rencontre pour ne pas offenser leurs croyances, notamment les juifs à propos de la Torah et les Grecs à propos de la résurrection. Jacques le Juste et la communauté Nazaréenne ayant appris que Paul enseignait la Bonne Nouvelle du Christ mais en écartant toute référence à la Torah alors que lui-même la respectait quand il était Pharisien, il fut tenu de s'expliquer sur sa manière de prêcher devant la communauté Nazaréenne. On ignore comment se conclut cette réunion, mais Paul alla se purifier au Temple en guise de pardon. La communauté trouva ensuite un compromis en acceptant que Pierre convertisse les Juifs et que Paul convertissent les païens : "Jacques, Cephas et Jean, considérés comme des colonnes de l'Église, nous donnèrent la main à moi et à Barnabé en signe de communion afin que nous allions, nous vers les païens, eux vers les circoncis" (Galates 2:9). On demanda également à Paul de faire respecter les rites alimentaires par les païens (Actes 15:29), mais il n'imposa jamais cette règle à ses Églises dont les fidèles étaient étrangers à la culture et aux rites juifs.

Divergences d'opinions entre Paul et les Évangélistes

On comprend mieux le point de vue de Paul et celui des Évangélistes quand on lit en parallèle leurs textes respectifs à propos des mêmes sujets. Alors qu'on s'attendrait à ce que les idées de Paul soient paratgées par les Évangélistes (bien qu'entre eux, ils se contredisent aussi), l'analyse textuelle montre qu'il existe des contradictions théologiques flagrantes entre les opinions de Paul et celui de Marc ou de Matthieu ou entre Paul et ses prétendus Actes en réalité écrits par l'auteur de l'Évangile selon Luc.

Commentaires des Épîtres de Paul datant du XIIe siècle. Doc BnF.

A lire ses Épîtres, on peut considérer Paul comme une sorte de gnostique de la foi chrétienne quand il la considère comme "la révélation du mystère caché pendant des siècles" (Romains 16:25). Il refuse d'accorder le moindre intérêt à la Torah alors que Jean le Baptiste, Jésus, Jacques le Juste et Pierre, bref les piliers de la famille de la "royauté juive messianique" la considèrent au contraire comme au coeur même de leur croyance puisqu'elle fonde l'alliance entre Dieu et les hommes.

L'exemple de la justification de la foi est l'exemple le plus flagrant de divergence entre Paul et les juifs traditionnels et notamment avec Matthieu. Selon Matthieu, les juifs doivent respecter la Loi de Moïse (surtout les Commandements) pour espérer le Salut, alors que Paul dit au contraire dans ses Épîtres aux Galates et aux Romains qu'il ne faut pas suivre la Loi (et forcément pas les païens) mais uniquement croire en la résurrection.

Pour Paul comme pour les premiers chrétiens n'ayant pas d'affinités particulières avec les juifs Nazaréens ni avec les Esséniens ou les Ébionites et n'ayant pas connu Jésus, le comportement de Jacques résolument projuif, se référant aux préceptes de la Torah et destinant le message du Christ aux seul peuple juif, ressemblait à un repli sur soi motivé par sa crainte de voir disparaître la religion traditionnelle de ses pères, remplacée par une "hérésie" comme l'appela un temps Paul avant de se convertir, un mouvement religieux délibérément réformateur et ouvert au monde comme l'avait souhaité Jésus.

Mais contrairement à ce que pense l'Église, cela ne veut pas dire que l'opinion de Paul est le seul digne des Justes qui iront au Paradis et que celui de Jacques le Juste et ses disciples serait erroné et qu'ils ne méritent que l'Enfer ! En revanche, une affirmation est vrai. Si on lit bien les Actes des Apôtres, tous les Justes n'accéderont pas à la vie éternelle. Concrètement, tous les fidèles respectant a priori les préceptes de leur religion mais qui eurent la "malchance" de ne pas être chrétiens ne peuvent pas bénéficier de l'aide de Jésus pour "venir au Père" et n'auront pas droit à la vie éternelle... Même les chrétiens les plus pieux en seront privés car le Salut n'est possible qu'à travers Jésus-Christ et personne d'autre (Actes 4:1). Voilà un pavé jeté dans la mare ! Paul, Jean et quelques autres ont donc trouvé une solution en prétendant que "croire au Fils" serait une alternative pour avoir la vie éternelle (Jean 3:14-15). Mais que le lecteur non-chrétien se rassure, toutes les religions ont leur concept de vie éternelle qui existait bien avant l'émergence du christianisme (cf. les pharaons). On reviendra sur le sens de la vie éternelle qui est l'un des piliers du Crédo et certainement la promesse de Jésus la plus convoitée par les chrétiens.

Deuxième partie

D'une doctrine à l'autre

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[1] Au cours des décennies suivantes, la liste officielle des Douze constitua une base importante du mouvement protochrétien et s'avéra avoir une signification durable et eschatologique basée sur la promesse de Jésus (cf. Luc 22:30; Apocalypse 21:14). Quelques anciennes copies manuscrites de la première Épître aux Corinthiens ont modifié la référence de Paul aux "Douze" qu'ils ont remplacée par "Onze" dans une tentative d'harmoniser le texte avec celui de Luc (vv.24:9-33) où Jésus apparaît le jour même de la résurrection aux "Onze" et non aux "Douze" depuis la mort de Judas l'Iscariote (cf. Matthieu 28:16 à comparer avec Marc 16:14).


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