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La Bible face à la critique historique

La résurrection du Christ peinte en 1700 par Noël Coypel. Huile sur toile.

La résurrection et la vie après la mort

Si on demande aux biblistes et aux archéologues biblistes quelles sont les questions qu'on leur pose le plus souvent à propos de Jésus, la résurrection du Christ est de loin la plus fréquente suivie par l'authenticité de la tombe de Talpiot et loin derrière l'authenticité des icones ou reliques et des lieux sains. Face à une énigme scientifique et l'avis divergent des communautés, chacun veut comprendre ou être rassuré et cherche une explication qu'il n'obtient jamais.

Selon la tradition, Jésus est mort crucifié sur la croix et trois jours plus tard, il serait ressuscité; les femmes venues visiter le tombeau constatèrent que la pierre ronde fermant la tombe fut roulée, la tombe était vide et Jésus serait ensuite apparu à ses disciples. Pendant 40 jours, ses proches et ses disciples l'auraient encore vu avant que le Christ ne s'élève définitivement au ciel jusqu'au jour du Jugement Dernier. Deux mille ans plus tard, on se demande toujours ce qui s'est réellement passé après la mise au tombeau de Jésus.

Avant d'aborder la théologie judéo-chrétienne, rappelons ce que pensaient les Égyptiens de la mort et de la vie dans l'au-delà. Leur point de vue nous aidera à replacer nos concepts "chrétiens" à leur juste place historique, n'en déplaise aux croyants les plus pratiquants.

Osiris, juge des morts

Comme le découvrit avec stupéfaction Jean-François Champollion en 1828-1829 lorsqu'il déchiffra les hiéroglyphes dans le temple de Séthi 1er (1294-1279 avant notre ère, le père de Ramsès II) situé à Abydos, au nord de Louxsor, les concepts de résurrection, d'Enfer et de Paradis ne sont pas propres à la religion chrétienne ni même juive. En effet, quelque 2400 ans avant Jésus de Nazareth, à la fin de la Ve dynastie, apparaît une divinité égyptienne appelée Osiris (Ouser). Mais tout porte à croire qu'on la vénérait lors de processions dès le début de l'histoire de l'Egypte, 3000 ans avant notre ère.

Les Égyptiens se sont très tôt interrogés sur la mort et la vie dans l'au-delà. C'est le seul peuple de l'Antiquité qui consacra à travers sa mythologie autant d'efforts à la mort et surtout à la survie des âmes.

Dans le temple de Ptah de Memphis situé à 20 km au sud du Caire, qui abrite notamment l'un des tombeaux d'Osiris, ainsi que sur la stèle du Canope rédigée par le pharaon Nectanébo 1er (380-362 avant notre ère, XXXe dynastie) découverte en 1881 dans le grand temple d'Héracléion (appelée Thônis par les Égyptiens) situé à 40 km d'Alexandrie et aujourd'hui submergé, on peut lire des textes hiéroglyphiques célébrant les rites sacrés en l'honneur du dieu Osiris.

Dans la mythologie égyptienne, à l'origine Osiris est le dieu de la fertilité et de la croissance mais il devint rapidement l'une des divinités majeures et les plus populaires du panthéon égyptien en raison de son rôle dans la vie après la mort.

En bref, Osiris est le fils de la déesse Nout (déesse du Ciel) et du dieu Geb (dieu de la Terre) et règne sur le monde en bienfaiteur. A ce titre, Osiris est le premier pharaon d'Egypte. Il est secondé dans son rôle par sa soeur Isis, qui est également son épouse.

Mais son frère Seth, jaloux de sa réussite, détrône Osiris et prend le pouvoir. Lors d'un banquet, Seth présente un sarcophage qu'il a confectionné et promet de l'offrir au dieu le plus à l'aise à l'intérieur. Alors qu'Osiris s'allonge dans le sarcophage, Seth l'y enferme et le jete dans le fleuve où il se noye. Seth repêche le cadavre d'Osiris, le démembre et le découpe en quatorze morceaux qu'il disperse dans toute l'Egypte.

Mais Isis, aidée par sa soeur Nephtys, rassemble les morceaux de son bien-aimé époux. Epaulées par le dieu Anubis, Isis et Nephtys lavent le corps de leur frère et accomplissent tous les rites funéraires puis l'enroulent de bandelettes afin qu'il soit momifié.

Isis ayant des pouvoirs divins et métamorphe et notamment zoomorphe, elle se transforme en femelle faucon et grâce au battement de ses ailes qui insufflent la vie, elle parvient à ranimer son frère. C'est alors qu'elle se pose sur le sexe d'Osiris et s'accouple avec lui. De cette union naît Horus, l'héritier du trône d'Egypte.

A gauche, un pendentif en or et lapis-lazuli d'Osiris entouré d'Isis et d'Horus datant de la XXIIe dynastie (945-715 avant notre ère). Il porte le nom du souverain Osorkon II (IXe.s. avant notre ère). Il est exposé au Musée du Louvre. Document Archives Nathan. Au centre, un fragment de porte en calcaire peinte provenant d'un temple construit à l'entrée de l'allée menant au Sérapéum de Saqqara datant de la XXXe dynastie (359-341 avant notre ère) exposé au Musée du Louvre (inv. N402). Au-dessus au centre, il y a l'inscription "Aset Ourt Mout Netcher" signifiant "La Grande Isis" (moitié supérieure avec le symbole du faucon) "Mère du Dieu" (partie inférieure avec le symbole du vautour). A droite du centre, le plafond voûté de la chambre funéraire inférieure de la tombe N°17 du pharaon Séthi 1er dans la Vallée des Rois, à Thèbes. Elle représente le firmament et les étoiles. Diverses constellations ont été reproduites ainsi que deux cortèges divins, notamment la Grande Ourse (au dessus au centre représentée par un taureau). En-dessous à gauche du centre et agrandi à droite, figure la déesse Isis symbolisant l'étoile Sirius et son lien avec la manne nourricière du Nil (cf. NatGeo.fr).

Osiris est donc ressuscité mais il ne peut plus mener une vie terrestre; il règne dorénavant sur le Royaume des morts, présidant au jugement des hommes. Le dieu Osiris promet la vie éternelle à tout individu.

Selon le "Livre pour sortir au jour" mieux connu sous le titre du "Livre des Morts" des Anciens Égyptiens, Anubis est l'officiant de ce tribunal divin et conduit le défunt devant la balance où son coeur, siège de l'âme, est pesé devant 42 assesseurs. S'il pèse plus que la plume de Maât, déesse de la vérité et de la justice, cela signifie que le défunt a commis trop de fautes durant sa vie. Dans ce cas, un monstre dévore son coeur et le défunt est damné et descend aux Enfers osiriens. Mais s'il est plus léger que la plume, l'âme du défunt entre dans le royaume d'Osiris où elle accède à la vie éternelle.

Notons que le défunt condamné aux Enfers n'est qu'au début de sa seconde vie car le Livre des Morts comprend 192 chapitres ou formules et autant d'aventures à surmonter avec ou sans talisman ou amulette protectrice. A partir du chapitre 64, le défunt subit une véritable transfiguration. Il s'identifie à Rê, le dieu Soleil, et à Osiris tout en gardant son individualité propre. Son âme-ba peut sortir au jour; la porte de la tombe s'ouvre (formule 67) et comme le fit Osiris, le défunt se redresse et s'éveille à nouveau à la vie (formules 68 à 71). Il voyage ensuite dans la barque solaire qui le mène au royaume d'Osiris.

Au terme de son voyage (chapitre 110), le défunt arrive dans les Champs d'Ialou ou Champs des Roseaux où les âmes justes peuvent se reposer si elles ont passé toutes les épreuves de la mort. Elles peuvent y croiser Rê, Osiris et les autres dieux (cf. le résumé du Livre des Morts sur Wikipédia, l'édition papier et la traduction des Champs d'Ialou).

Papyrus d’Ânkhésénaset (fin de la XXIe dynastie, c.1069-943 avant notre ère) montrant une défunte en prière devant Osiris. C'est une illustration typique du "Livre des Morts" de la Troisième période intermédiaire. Document Gallica.

A travers ce récit, on ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec le récit biblique du Jugement Dernier qu'on retrouve dans les Livres de Daniel et Isaïe (Daniel 7:26; Isaïe 13:9), les paroles de Jésus (Matthieu 10:15) et diverses épîtres dont celle de Pierre. On retrouve aussi le concept très "catholique" de purgatoire qui permet de sauver les damnés ainsi que les concepts d'Enfer et de Paradis que nos jeunes têtes blondes chrétiennes pratiquantes apprennent au catéchisme. Autant de "coïncidences" ne relèvent plus du hasard !

Sur le plan littéraire, on peut aussi établir un parallèle entre le "Livre des Morts" égyptien et l'"Enéide" de Virgile comme le fit Émile Amélineau en 1913.

En ressuscitant, Osiris symbolise le pouvoir d'offrir la vie éternelle mais aussi la fertilité au sens large; c'est le dieu qui apporte la vie, y compris dans le cycle agricole des semailles aux moissons.

Osiris est souvent représenté comme un dieu de forme humaine (voir la statuette ci-dessus à gauche) et représente trois symboles importants :

- Le Maître de l'Au-delà (représenté momifié, les bras croisés sur la poitrine)

- Le pharaon ou souverain d'Egypte portant les insignes du pouvoir (couronne atef, mitre, sceptre et flagellum)

- Le symbole de stabilité et de résurrection (Osiris est souvent représenté droit comme un pilier, la peau verte comme celle du limon source de vie en Egypte ou arborant le disque solaire, qui repose sur deux cornes de bélier, symbole de fécondité (comme le porte Isis)).

Osiris joue donc un rôle central dans la vie des Egyptiens qui lui vouent un culte sacré. A l'époque, ils célèbraient chaque année la Renaissance d'Osiris au mois de Khoiak, celui qui correspondait à la décrue du Nil et à la fin des inondations et qui précédait la germination des semences (c'est-à-dire entre octobre et novembre).

Selon les croyances égyptiennes, tout homme pouvait revivre après sa mort, à condition qu'on pratique les rites sacrés sur le corps d'Osiris. Si originellement, la vie éternelle n'était offerte qu'au seul pharaon, à partir du Moyen Empire (vers 2000 avant notre ère), tout égyptien pouvait accéder à l'éternité, même sans construire de pyramide et en écrivant les incantations sacrées sur de simples morceaux de papyrii ou sur un mur.

Si les rites égyptiens finirent par être galvaudés, ils perdurèrent au moins jusqu'à Cléopâtre VII - la fameuse reine Cléopâtre - la dernière reine de la dynastie des Ptolémée, sous la XXXIIe dynastie (30 avant notre ère). Rome toléra la liberté de culte dans l'Empire en 313 de notre ère (cf. l'édit de Milan). A cette époque les Chrétiens ne représentaient encore que 4 ou 5% de la population totale de l'Empire (cf. R.L. Fox, 1997).

Revenons à notre récit mythologique.

Par la suite Seth apprend qu'Osiris a un héritier qui risque un jour de revendiquer le trône. Pour sauver son fils, Isis cache Horus dans les marécages. Ici également, on retrouve l'histoire de Moïse caché (et abandonné) dans les roseaux (Exode 1-2).

Champollion découvrit également que les Égyptiens vénéraient une certaine Mout Netcher (ou Mout Netjer), la "Mère du dieu" (netjer signifiant dieu), c'est-à-dire de l'enfant divin Horus. Plusieurs spécialistes dont l'égyptologue Christiane Desroches-Noblecourt (1913-2011) la considèrent comme le concept ancestral de la Vierge Marie, Mère de Dieu, de l'enfant Jésus, que reprendront les Chrétiens (cf. le podcast de France Culture).

Rappelons que les catholiques considèrent la Vierge Marie comme la Mère nourricière de Dieu, l'enfant-Jésus, mais également comme l'Étoile de mer (cf. l'hymne de l'Ave Maris Stella). Or Isis représente également l'étoile Sirius liée aux inondations périodiques qui déposent le limon nourricier du Nil. Durant la période gréco-romaine (-332 à +395), Isis-Tychè était aussi la patronne des marins et des navigateurs.

Ces ressemblances avec le christianisme ne sont pas des preuves d'un lien théologique entre les deux cultures mais sont significatives d'une influence ancestrale altérée et adaptée au fil du temps. Une partie de ces concepts inspira les premiers juifs d'Egypte et furent consolidés plus tard en terre d'Israël. Ils furent ensuite adroitement combinés aux mythes babyloniens et aux traditions juives. Finalement la Grande Eglise s'efforça de classer ces textes disparates pour en faire une hagiographie théologique et le socle de son dogme.

Champollion nota ces ressemblances et l'influence de la mythologie égyptienne sur le mythe chrétien. Ayant critiqué les ecclésiastiques catholiques qu'il surnommait les "Noirs" avec des critiques en retour parfois violentes, Champollion jugea ses découvertes en matière religieuse trop sensibles et "dangereuses" pour être divulguées dans ses lettres et récits de voyages. Il s'abstint donc d'en parler et mourut peu après sa campagne d'Egypte, en 1832, sans dévoiler ses secrets. Mais l'Histoire s'en chargea puisqu'après lui tous les égyptologues apprirent à lire les hiéroglyphes.

Comme les histoires babyloniennes furent retenues par les enfants juifs exilés en Mésopotamie, les histoires égyptiennes d'Osiris et d'Isis ont été incorporées dans la Bible hébraïque et se retrouvent dans les paroles de Jésus de Nazareth et dans les écrits des premiers Chrétiens. Toutefois, leur influence sur la doctrine chrétienne reste mineure du fait que les chrétiens furent littéralement endocrinés par des Eglises très actives qui ont édulcoré et noyé tous ces mythes et croyances paganistes dans l'eau bénite, toujours persuadées de détenir la seule Vérité. Seuls ont persisté les concepts communs aux différentes religions comme l'Enfer, le Paradis et la résurrection des morts. C'est la raison pour laquelle, plus de 2000 ans après le règne de Cléopâtre, de nos jours beaucoup de chrétiens ignorent encore ces influences et sont étonnés de retrouver des concepts "chrétiens" et même "catholiques" dans la cosmogonie égyptienne (ou babylonienne selon le cas). En prêchant pour sa chapelle, l'Eglise les a bien dupés !

Voyons à présent le concept de résurrection et de vie après la mort dans la tradition judéo-chrétienne.

L'image populaire de la vie après la mort

D'un point de vue culturel, les chrétiens, les juifs et les laïques n'ont pas la même définition de la résurrection mais tous font référence à des croyances faute de preuves tangibles. Pour les uns il s'agit de la renaissance physique du corps, pour les autres d'une renaissance spirituelle quand certains n'évoquent pas l'immortalité de l'âme, des notions très confuses non seulement pour chacun de nous mais également pour la science.

Gravure du Paradis de la "Divine Comédie" de Dante, Chant 31, réalisée par Gustave Doré.

Que sait-on de la "vie" après de la mort ? Non pas des expériences de "mort imminente", les fameuses "NDE" qui touchent plus à l'activité autonome du cerveau et aux hallucinations qu'à une autre réalité (cf. les recherches du neurologue Steven Laureys du CHU de Liège), mais de ce qui existerait après la mort cérébrale d'un point de vue scientifique, en supposant qu'on puisse réellement étudier le sujet, ce qui n'a jamais été possible.

Certains affirment qu'il n'y a plus rien après la mort, suivant la logique de Descartes qui disait "je pense donc je suis". Et donc d'un point de vue médico-légal, si la personne ne respire plus, si toute activité cérébrale est arrêtée pendant 10 minutes après l'arrêt du coeur, les médecins parlent de "mort cérébrale" et considèrent que la personne est décédée (cf. "Science"). Après la mort, on ne parle plus de personne mais de dépouille, ce qui sous-entend bien que même ses proches ne considèrent plus qu'il s'agit d'un être humain mais du cadavre de cette personne, sans rapport avec son existence antérieure.

Mais quand on sait qu'au bout de quelques années le cadavre est réduit à l'état d'os, on à peine à croire qu'il existerait une "âme" qui survivrait à ce processus.

Mais certaines personnes sont intimement persuadées qu'il existe une autre réalité après la mort qu'elles placent sur un plan spirituel puisque manifestement si le corps est détruit, il ne peut s'agir d'une résurrection physique. Même au cimetière, les chrétiens bien qu'évoquant le retour du corps du défunt à la poussière évoquent aussi le salut et la vie éternelle comme annoncées par Jésus. On y reviendra. Dans ce cas, comme le pensaient déjà les Égyptiens il y a plus de 4500 ans, le corps serait une "demeure" temporaire occupée par un esprit immatériel et immortel. Dans ce cas, nous serions alors soit le produit de nos vies antérieures soit la forme charnelle et primitive d'un être d'une autre nature, spirituelle. Ce point de vue est également partagé par certaines confessions orientales. Mais étant donné que personne ne se souvient de ses vies antérieures, on peut honnêtement douter de cette réalité alternative tout comme d'une "vie" après la mort.

Un certain public fait donc une distinction entre le corps charnel et l'esprit, le premier étant l'enveloppe physique du second, sous-entendant que l'esprit pourrait être immortel. Cette idée n'est pas nouvelle car toutes les anciennes civilisations y croyaient déjà, en particulier à travers le culte des Anciens ou le concept d'immortalité encore très développé chez les Grecs du temps de Jésus. La religion chrétienne en fait même la pierre d'achoppement de la Foi car sans résurrection de l'âme il n'y a point de foi spirituelle. On rejoint ce que pensaient déjà les gnostiques à propos de la vie après la mort.

Plaque de cuivre émaillée champlevé de Limoges de c.1250 représentant la résurrection de trois saints. Le texte "PROPOSITO FIXO CRUCIFIXUS CU(M) CRUCIFIXO" signifie "Projet Immuable (du) Crucifié Avec Christ Crucifié". L'oeuvre mesure 23.1x13x1.7 cm et pèse 0.72 kg. Elle est exposée au Victoria and Albert Museum de Londres.

Les grands philosophes antiques ont disserté sur le sujet dont Socrate et Cicéron. Selon Cicéron, l'âme est la seule véritable entité : "Travaille en effet ; et sache bien que tu n'es pas mortel, mais ce corps seulement : car, tu n'es pas ce que manifeste cette forme extérieure. "L'individu est tout entier dans l'âme, et non dans cette figure, qu'on peut désigner du doigt" " (Cicéron, "La République" Livre VI, XVII). Cicéron va jusqu'à diviniser l'homme : "apprends donc que tu es dieu; car il est dieu celui qui vit, qui sent, qui se souvient, qui prévoit, qui exerce sur ce corps, dont il est le maître, le même empire, le même pouvoir, la même impulsion que Dieu sur l'univers, celui enfin qui fait mouvoir, intelligence immortelle, un corps périssable, comme le Dieu éternel anime lui-même un corps corruptible".

Cette vision dualiste entre le corps et l'âme faisait partie de la philosophie gréco-romaine, y compris parmi les premiers juifs hellénistiques tels que Philon d'Alexandrie et Flavius Josèphe. Les théologiens chrétiens comme Clément d'Alexandrie, Origène et Augustin ont même considéré que Platon avait un point de vue "pré-chrétien" sur le sujet. Par conséquent, il n'est pas étonnant de trouver cette philosophe platonicienne chez les chrétiens, les juifs, les musulmans ainsi que dans toutes les traditions spirituelles concevant une vie spirituelle après la mort.

Malheureusement personne n'est revenu nous expliquer son expérience post mortem et quand on demande l'avis des théologiens et des biblistes, faute d'avoir compris le phénomène, ils nous renvoient au texte de la Bible. De manière générale, la résurrection chrétienne au sens biblique serait celle d'une "vision de Dieu" telle que Jean la décrit dans l'Apocalypse quand il décrit sa rencontre avec Jésus ressuscité (Apocalypse 1:9-20). Mais ce message que l'apôtre adresse aux premières Églises est tellement symbolique qu'il n'est ni concret ni objectif et il faut l'interpréter au second degré quand il n'y a pas de jeux de mots. Finalement, aucun exégète n'oserait prétendre qu'il comprend concrètement le sens de cette vision; que se passe-t-il lors de la résurrection, que devient-on, où allons-nous, quand, comment ? Même Jésus ne l'explique pas et n'a jamais dit à quel moment ou quelle époque les défunts ressusciteraient. Cela reste un mystère et c'est bien pour cela que l'Église inventa les concepts de Paradis et d'Enfer.

Aussi, face à autant d'interrogations, à défaut d'indices et de certitudes, la science est plus sceptique que les anciens philosophes et les théologiens et reste toujours muette sur le sujet. En fait, pour les cartésiens par nature rationnels, la résurrection au sens biblique est une vue de l'esprit et ne sera donc jamais décrite par la science. Bref, étant donné que personne ne peut nous expliquer concrètement ce qu'est la résurrection, chacun ou presque a proposé son explication, qui toutes sont naturellement irrationnelles tant que la science ne peut l'expliquer.

Les différentes formes de résurrection

Jusqu'à présent, si on retrouve dans les différentes religions et philosophies la notion de vie après la mort, personne n'a évoqué la résurrection comme le fit Jésus. Ce concept est donc différent au point qu'apparemment il ne concerne pas le commun des mortels.

Pourtant, en consultant la Bible mais également les sources rabbiniques comme la Mishna (cf. les Treize Principes de Maimonides) et le Coran (Sourate 2:79), il est bien question de "résurrection des morts" et le crédo chrétien (la profession de foi) l'a repris dès sa toute première forme dans le "Crédo des Apôtres" ou "Symbole des Apôtres" mentionné dans les actes du concile de Chalcédoine (cf. le Symbole de Nicée-Constantinople, 451) où le crédo se termine par ces mots : "Je crois en l’Esprit Saint, à la sainte Église catholique, à la communion des saints, à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle".

La résurrection du corps

"La vallée des os secs" d'Ézéchiel (vv 37:3-6). Illustration de Robson Batista.

La résurrection est un concept commun au judaïsme et au christianisme notamment. Dans son interprétation immédiate et la plus intuitive, le prophète Ézéchiel l'a parfaitement illustrée quand il évoque la résurrection des morts de la "vallée des ossements secs" dans laquelle "l'Esprit de Dieu" le déposa et où il découvrit de nombreux ossements éparpillés sur le sol, probablement suite à une guerre : "[L'Eternel] me dit: Fils de l'homme, ces os pourront-ils revivre? Je répondis: Seigneur Eternel, tu le sais. Il me dit : Prophétise sur ces os, et dis-leur : Ossements déssechés, écoutez la parole de l'Eternel ! Ainsi parle le Seigneur, L'Eternel, à ces os: Voici, je vais faire entrer en vous un esprit, et vous vivrez; je vous donnerai des nerfs, je ferai croître sur vous de la chair, je vous couvrirai de peau, je mettrai en vous un esprit, et vous vivrez. Et vous saurez que je suis l'Eternel" (Ezéchiel 37:3-6).

A plusieurs reprises, l'Ancien Testament évoque la reconstruction du corps physique, un miracle par lequel un défunt retrouve la vie en reprenant possession de son corps charnel. On l'évoque également dans les livres des Rois (1 Rois 17:17-22, 2 Rois 2:32-37, 2 Rois 13:21).

Jésus a également procédé à ce genre de miracles et même à quatre reprises (une fillette, un jeune homme, Lazare et beaucoup de morts sortis de leur tombe, cf. Marc 5:41-43, Luc 7:11-17, Jean 11:43-44 et Matthieu 27:52).

Enfin, nons seulement les apôtres croient en la résurrection de Jésus (cf. Paul dans 1 Corinthiens 15:50) mais même après la disparition de Jésus, Pierre ressuscita la veuve Tabitha (Actes 9:32-42) et Paul ressuscita un homme défenestré (Actes 14:8-10; 20:7-12). On y reviendra à propos des miracles.

Dans ces exemples, il y a bien entendu miracle dans la mesure où le corps de la personne morte depuis plusieurs jours s'est reconstitué et le défunt est revenu à la vie. La question de fond est de savoir si l'esprit ou l'âme du défaut est également revenue à la vie ou si elle a survécu ? Dans le premier cas, la personne est revenue du monde des morts, des Enfers, alors que dans le second cas, son esprit ou son âme a transité d'un état second ou supérieur diront certains vers son ancien état charnel et terrestre.

La célèbre fresque byzantine de l' "Anastasis" présentée ci-dessous à gauche et que certains dénomment "La descente aux Enfers" a très souvent été reproduite sous forme d'icônes et illustre précisément ce type de résurrection. On voit le Christ illuminé et donc "blanchit" du Mal et des péchés du monde s'élevant au ciel dans toute sa gloire entouré des principaux personnages bibliques. Il tend la main à Adam et Ève (en rouge, symbolisant l'humanité). A gauche, figurent les rois David et Salomon ainsi que Jean-Baptiste et à droite, le prophète Daniel et divers saints non identifiés. Au sol figure une représentation humanisée et prisonnière du serpent du Paradis terrestre qui tenta Adam et Ève, des tombes ouvertes et les représentations des outils et objets ayant servi à la crucifixion.

A gauche, "L'anastasis" (l'action de se lever) ou la résurrection du Christ. Fresque byzantine du parécclesion de l'Eglise Saint-Sauveur-in-Chora d'Istanbul réalisée vers le XIe siècle. A droite, "La résurrection de Tabitha" (cf. Actes 9:32-42) peinte par Masolino da Panicale (Tommaso di Cristoforo Fini) entre 1423-1426. Cette fresque mesure 260x340 cm et est exposée dans la chapelle Brancacci en l'église de Santa Maria del Carmine, à Florence, en Italie.

Toutes les religions évoquent l'existence d'un lieu ou résident les morts, quelle que soit leur condition de leur vivant. La Bible évoque ce "monde des morts" ou des ténèbres dans plusieurs livres : Psaumes 115:17; 6:5; 88:3-12, Job 3:11-19, Isaïe 38:18, 1 Samuel 28:8-15, etc.

Jésus comme Dieu seraient donc capables de faire "revivre les morts" au sens littéral, ce que les Grecs appelaient l'anastasie (littéralement "se lever"); comme le dit Ezéchiel, de rassembler les os et les chairs et de reconstruire la personne et de lui réinsuffler la vie.

Mais étant donné que la personne finira tout de même par de nouveau mourir et se transformer en "ossements secs", il s'agit d'un retour temporaire à la vie terrestre et non pas d'une résurrection dans le royaume de Dieu comme l'enseigna Jésus et comme l'ont cru ses apôtres et tous les fidèles.

Cependant le Talmud a interprété le sens des paroles d'Ézéchiel (vv.37:12-14) en affirmant que Dieu fera renaître la personne avec les mêmes attributs physiques, les mêmes infirmités éventuelles et le même âge que le jour de sa mort mais qu'ensuite son corps sera guéri car il accédera à un monde spirituel où le corps prendra une autre dimension et où l'âme est immortelle. Notons que comme dans la Bible, le Zohar (cf. la Kabbale) précise que l'âme se retrouvera dans le dernier corps qu'elle quitta avant que celui-ci ne renaisse et accède à la vie éternelle, ce qui nous conduit à décrire la résurrection spirituelle.

La résurrection en esprit

La deuxième forme de résurrection est très peu décrite dans l'Ancien Testament ou dans la Bible hébraïque qui ne l'évoque clairement que dans un seul passage, celui de Daniel : "En ce temps-là, ceux de ton peuple qui seront trouvés inscrits dans le livre seront sauvés. Plusieurs de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, et les autres pour l'opprobre, pour la honte éternelle. Ceux qui auront été intelligents brilleront comme la splendeur du ciel, et ceux qui auront enseigné la justice, à la multitude brilleront comme les étoiles, à toujours et à perpétuité" (Daniel 12:1-3).

Malgré les apparences, il ne faut pas interpréter cette pensée littéralement comme une réincarnation au sens propre (sans les transmigrations successives de l'âme d'un corps à l'autre). Il s'agit d'une métaphore de Daniel correspondant à la résurrection. En effet, malgré les apparences si on lit ce texte au premier degré, il ne s'agit pas de réanimer les cadavres des morts et les voir sortir de leur cercueil déguenillé comme dans un mauvais film d'horreur mais d'assurer une vie éternelle à leur âme. C'est le même concept que développèrent certains mouvements juifs, notamment les Pharisiens, les Esséniens et un certain Jésus de Nazareth.

"L'Ange de la Résurrection" par Louis C. Tiffany (1848-1933). C'est la représentation typique d'une résurrection spirituelle où l'âme du défaut subsiste éternellement. Collection du Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM).

La résurrection dont parle Jésus et les juifs ne consiste pas à rassembler les "ossements secs" ou les corps en décomposition et à reconstruire l'enveloppe charnelle du défunt. C'est une résurrection totale de l'esprit qui sera réalisée à la fin des temps. A ce sujet, dans son Apocalypse, Jean est clair sur la résurrection. Même si le feu dévore les corps ou si la mer les disperse, si les morts "seront dispersés jour et nuit, aux siècles des siècles", Dieu les ressuscitera : "Et je vis les morts, les grands et les petits, qui se tenaient devant le trône. Des livres furent ouverts. Et un autre livre fut ouvert, celui qui est le livre de vie. Et les morts furent jugés selon leurs oeuvres, d'après ce qui était écrit dans ces livres. La mer rendit les morts qui étaient en elle, la mort et le séjour des morts rendirent les morts qui étaient en eux; et chacun fut jugé selon ses oeuvres" (Apocalypse, 20:10-13).

A l'époque de Jésus comme aujourd'hui, les majorité des juifs qui appartiennent au courant conservateur dit orthodoxe (qui se distancient des juifs réformés) considèrent qu'au jour du Jugement Dernier, les défunts sortiront de l'état de mort, ce qu'ils appellent le Sheol signifiant "question", ils sortiront de tombe et vivront sous une forme réincarnée. Les chrétiens ont un équivalent quand ils évoquent les Ténèbres ou les Enfers où les Grecs imaginaient que régnait le dieu Hadès d'où ils pourraient revivre sous condition.

Mais comme du temps de Jésus, toute la question est de savoir de quel corps parle-t-on à propos de cette résurrection d'entre les morts ? Chacun sait que personne n'est jamais revenu du Sheol ou des Enfers. Les Grecs comme les Saduccéens n'imaginaient donc pas cette résurrection comme Jésus et les apôtres la décrivaient. Selon la philosophie platonicienne, si l'âme immortelle peut se libérer de son enveloppe charnelle au cours de la mort physique, pourquoi se réincarnerait-elle dans ce corps ? Ils se moquaient donc des Évangélistes promettant ce genre de résurrection.

Les Saduccéens qui formaient le parti sacerdotal et appartenaient aux familles riches se sont toujours amusés des propos de Jésus. Luc évoque l'une de leurs remarques : "Maître, voici ce que Moïse nous a prescrit : Si le frère de quelqu'un meurt, ayant une femme sans avoir d'enfants, son frère épousera la femme, et suscitera une postérité à son frère. Or, il y avait sept frères. Le premier se maria, et mourut sans enfants. Le second et le troisième épousèrent la veuve; il en fut de même des sept, qui moururent sans laisser d'enfants. Enfin, la femme mourut aussi. A la résurrection, duquel d'entre eux sera-t-elle donc la femme ? Car les sept l'ont eue pour femme" (Luc 20:28-33).

Rappelons que dans le judaïsme, la polygamie existait dès le livre de la Genèse (vv 4:19) mais elle fut interdite au Xe siècle à la communauté Ashkénaze (cf. les édits de Rabbeinou Guerchom) tandis que les membres de la communauté Séfarade l'appliquèrent plus tardivement. En revanche, la Torah impose la polygamie dans le cas du lévirat où le frère d'un défunt épouse la veuve de son frère pour poursuivre sa lignée si sa belle-soeur n'a pas eut d'enfant. C'est justement le cas évoqué par les Saduccéens et qui aurait également pu s'appliquer à la Marie. On y reviendra.

Fidèle à sa doctrine, Jésus répondit aux Saduccéens : "Les enfants de ce siècle prennent des femmes et des maris; mais ceux qui seront trouvés dignes d'avoir part au siècle à venir et à la résurrection des morts ne prendront ni femmes ni maris. Car ils ne pourront plus mourir, parce qu'ils seront semblables aux anges, et qu'ils seront fils de Dieu, étant fils de la résurrection. Que les morts ressuscitent, c'est ce que Moïse a fait connaître quand, à propos du buisson, il appelle le Seigneur le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob. Or, Dieu n'est pas Dieu des morts, mais des vivants; car pour lui tous sont vivants. Quelques-uns des scribes, prenant la parole, dirent: Maître, tu as bien parlé. Et ils n'osaient plus lui faire aucune question" (Luc 20:34-40).

Un esprit vivant sous des cieux nouveaux

L'apôtre Paul a très vite compris que s'il voulait convertir les païens, il devait adapter son discours à la culture des populations, au risque de ne pas être compris et de passer pour un farfelu. Dans ses Épîtres, Paul a donc défendu l'idée du retour des morts à la vie, mais comme il le dit clairement, ils ne revivent pas dans un corps "physique", le psychikón qu'il appelle le corps de "poussière", mais dans un corps spirituel, le pneumatikón cher aux gnostiques, c'est-à-dire un être transformé qui n'est plus sujet à la mort (1 Corinthiens 15:42-50).

Le tombeau vide de Jésus représente l'espoir et l'assurance de la résurrection : "Mais maintenant, Christ est ressuscité des morts, il est les prémices de ceux qui sont morts" (1 Corinthiens 15:20).

Dans la philosophie grecque, la mort était un ami qui libérait l'âme du monde des Enfers tandis que pour les juifs la mort est perçue comme un ennemi du monde des vivants mais elle peut être conquise.

Paul avait bien compris ces deux notions et leurs différences avec la doctrine enseignée par Jésus qui enseigne que la vie est plus importante que la mort. Aussi, face à ses détracteurs, Paul explique qu'après la résurrection Jésus est devenu un "esprit vivifiant" (1 Corinthiens 15:3-8) pour différencier ce nouvel être de la notion grecque de l'âme immortelle et de la vision hébraïque toute différente. A l'intention des juifs, Paul leur dit que "le dernier ennemi qui sera détruit, c'est la mort" (1 Corinthiens 15:26) et que la création, considérée comme une bonne chose en soi mais qui fut "soumise à la vanité [...], sera affranchie de la servitude de la corruption" (Romains 8:20-21).

Dans les deux interprétations, Paul insiste que la résurrection doit être considérée comme une libération, l'abandon du monde matériel pour quelque chose de différent, qui transfigure littéralement l'ancien personne mortelle.

Les prophètes avaient déjà développé ce thème que finalement Jésus n'a fait que reprendre et développer. Ainsi, Isaïe parle "de créer de nouveaux cieux et une nouvelle terre; on ne se rappellera plus les choses passées, elles ne reviendront plus à l'esprit" (Isaïe 65:17). Paul reprit son expression quand il écrit : "je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n'était plus" (Apocalypse 21:1). Dans les deux citations, les auteurs imaginent que l'être ressuscité réside sous d'autres cieux et sur une autre terre alors que généralement on imagine que le ressuscité quitte cette terre pour aller au ciel comme l'a souvent décrit l'Église en évoquant le Paradis où vivent les anges et les bons sujets de Dieu.

Selon la doctrine de Jésus, le royaume de Dieu surviendra lorsque sa "volonté sera faite sur la terre comme au ciel" (Matthieu 6:10). Tant le judaïsme que le christianisme considèrent que le futur idéal de l'homme convertit se manifestera lorsque Dieu renouvelera l'acte de création pour une renaissance spirituelle et non pas lorsque nous quittons ce monde avec un vague espoir d'un au-delà où nous rejoindrions Dieu (Apocalypse 21: 3).

Selon Paul, le corps charnel sera abandonné comme un vieux vêtement qui retournera à la poussière comme le précise la Bible tandis que l'esprit sera revêtu d'un nouveau corps spirituel, à l'image d'une tente temporaire que l'on remplace par une maison permanente (2 Corinthiens 5:1-5). Il n'est donc pas question de se retrouver nu comme l'imagine les platoniciens (cf. le livre de Jonas ou Jonas est vomi par une baleine au bout de trois jours, scène évoquant la résurrection du Christ après trois jours), mais au contraire de se "vêtir" pour renaître et entrer dans le royaume de Dieu.

Le faux paradoxe des ossements dans la résurrection

Quand on demande aux chrétiens d'aujourd'hui comment ils conçoivent la résurrection de Jésus ou de quiconque, invariablement ils imaginent que le mécanisme est indissociable de la disparition des ossements du défunt. C'est la raison pour laquelle l'ossuaire de Jésus de Nazareth et de Marie découverts dans la tombe de Talpiot ne pouvaient en principe pas contenir d'ossements puisque selon la Bible, Jésus et Marie furent directement "élevés au ciel", ne laissant aucune trace corporelle, aucun squelette derrière eux.

L'un des ossuaires de la tombe de Talpiot portant sur deux faces l'inscription "Yeshua bar Yosef", c'est-à-dire "Jésus fils de Joseph", qui compte tenu du contexte pourrait être celui de Jésus de Nazareth. Il contenait quelques fragments d'os. Document Musée des Antiquités d'Israël.

A l'origine, ce n'est pas la doctrine qui imposa cette vision du ressuscité sans preuve matérielle autre que l'absence de son corps mais les témoignages des femmes témoins oculaires ayant visité la tombe le lundi suivant la Pâque et le sabbat et ensuite des disciples qui ont vu Jésus alors que son corps physique avait disparu. Les témoignages concordent avec les enseignement de Jésus et de Paul au sujet du nouveau corps spirituel de l'être ressuscité.

En réalité, ce n'est pas ainsi que l'Église considère la résurrection. En fait la première vision chrétienne de la résurrection de Jésus qui fut également celle de ses disciples n'est pas contradictoire avec la présence d'ossements. La confusion est apparue suite à la publication des Épîtres à partir de l'an 50-55 (Paul) et des Évangiles à partir de la fin des années 60 (Marc) où les auteurs ont évoqué la tombe vide de Jésus et ses apparitions après sa résurrection (mais dont le récit fut amendé chez Marc car il n'existe pas dans les manuscrits les plus anciens).

La confusion est apparue dans les Évangiles suite à un malentendu à propos du tombeau vide. Comme nous l'avons expliqué, selon la tradition (mais c'est ajout tardif), après le décès de Jésus, à  la demande de sa famille, Joseph d'Arimathie avait placé le cadavre de Jésus dans une tombe provisoire jusqu'à la fin de la Pâque et du sabbat. Il était ensuite prévu de le déplacer dans une tombe définitive. Mais selon la Bible, les circonstances en ont décidé autrement.

Rappelons que lors de l'analyse des ossuaires de la tombe de Talpiot, celui portant l'inscription "Jésus fils de Joseph" et celui de "Marie et Mara" contenaient encore quelques fragments d'os, confirmant qu'un corps s'y trouvait.

Paul qui rédigea ses premières Épîtres vers l'an 50 de notre ère ne dit rien sur la tombe temporaire de Jésus taillée dans le roc ni sur le tombeau vide. Il sait juste que Jésus fut enterré et que le troisième jour, il est ressuscité. Si on relit certains Évangiles, on constate qu'il s'est écoulé au minimum un jour et une nuit entre la mise au tombeau de Jésus et la disparition de son corps. On peut ainsi considérer que les paroles de Paul représentent le premier compte-rendu de la foi aveugle d'un fidèle dans l'enseignement de Jésus et des paroles des témoins oculaires. Toutefois, on ignore qui sont les sources utilisées par Paul, s'il s'est basé sur la mémoire collective transmise oralement ou s'il a lui-même interrogé des témoins oculaires.

Comme nous l'avons expliqué à propos de la constitution des livres canoniques, sur le plan historique, nous savons aujourd'hui que les quatre évangélistes ont rédigé leur écrit entre l'an 70 et environ 80-110 de notre ère, soit au minimum une bonne trentaine d'années après les évènements. Les titres de chacun des Évangiles ainsi que les introductions et même certains passages ou finales furent ajoutées aux manuscrits probablement soit par des membres sacerdotaux de la communauté des premiers chrétiens soit de la Grande Église. On en conclut que Marc, Matthieu, Luc et Jean ne sont que des pseudonymes et nous ne connaissons pas leur véritable identité.

Ce qui est certain, c'est qu'après la résurrection, qu'elle soit authentique ou dogmatique, l'enseignement de Jésus s'est transformé d'une exaltation d'un style de vie proto-chrétien en une véritable théologie chrétienne purement dogmatique et symbolique représentée par un noyau dur de fidèles garant des traditions, un crédo, des supports écrits, des serviteurs de Dieu, des écoles chrétiennes et une stratégie d'évangélisation dans le but de transmettre la Bonne Nouvelle aux peuples de toutes les nations jusqu'à la fin des temps (Matthieu 28:18-19).

Jésus ressuscité présent en chair et en os

Bien que Jésus ait enseigné qu'après la mort, l'âme des fidèles se transformera en esprit immortel et rejoindra le royaume de Dieu le jour du Jugement Dernier, les Évangiles apostoliques nous racontent une autre histoire à propos de l'état dans lequel fut Jésus après sa résurrection.

Source: https://www.josh.org/generation-skeptics-open-resurrection/

Selon Luc, Jésus est apparu aux apôtres dans un corps physique avec ses blessures. Selon la Bible, voyant qu'ils étaient effrayés, épouvantés et troublés, pour les rassurer qu'il n'était pas un fantôme mais bien un corps fait de "chair et d'os", Jésus leur permit de le toucher (Luc 24:39) et mangea même du poisson rôti et un rayon de miel devant eux (Luc 24:43). Il ne s'agissait donc pas d'un esprit comme il leur précisa lui-même ni d'une hallucination collective. Ensuite, Jésus apparut à divers témoins mais on ignore sous quelle forme, mais vraisemblablement sous l'aspect d'un homme normal. On y reviendra.

Ce que Luc et plus tard Jean décrivent c'est que Jésus leur est apparu dans le même corps que celui qui fut placé dans la tombe. Ce phénomène n'est pas du tout le message transmis par le dogme de l'Église à l'époque des premiers chrétiens. Cette différence entre la résurrection spirituelle enseignée par Jésus et sa réincarnation devant ses disciples est à l'origine d'une confusion tenace entre les chrétiens croyants à la résurrection physique d'entre les morts et ceux qui l'interprètent sur un plan spirituel, sans relation directe avec l'enveloppe du défunt.

Suivant l'idée de Paul, pendant des siècles les exégètes ont discuté de la nature des "os et de la chair" de Jésus (1 Corinthiens 15:50). Certains l'ont comparé à l'apparence d'un ange ou plutôt d'un mal'akim (un messager) qui se manifeste comme un être humain dans l'Ancien Testament, qui est même capable de manger (Genèse 18:1-8). D'autres ont imaginé la manifestation de Dieu comme une sorte de fumée venue d'un autre monde qui apparait et disparait à volonté (Juges 6:19-22).

En réalité les deux récits apostoliques sont des légendes. Nous le savons car comme nous l'avons évoqué à propos du canon et de la source "Q", Marc rédigea son Évangile plusieurs décennies avant les autres et son récit ne mentionne aucune apparition de Jésus. Marc termine son Évangile sur la visite au tombeau où il cite une personne vêtue d'une robe blanche dire aux femmes qui s'inquiétaient de l'absence du corps de Jésus : "il est ressuscité, il n'est pas ici" mais qu'il les avait devancées et qu'on pouvait le trouver en Galilée (Marc 16:6-7). Les femmes sont ensuite reparties toutes remblantes prévenir les apôtres. Tout le reste fut ajouté par d'autres sources.

Les récits de Luc et de Jean ont visiblement été rédigés dans le but de faire l'apologie de la doctrine de Jésus et l'opposer aux descriptions païennes comme celle du philosophe grec Celsus qui vécut au IIe siècle et farouchement opposé aux premiers chrétiens qu'il accuse d'être des hystériques ayant vu des illusions comme le rapporte les extraits de son livre "La Vraie Parole" (Λόγος Ἀληθή) écrit vers l'an 177 cité dans le livre "Contra Celsum" (Contre Celse) d'Origène rédigé en 248.

La Bible Segond21 Archéo ouverte sur les versets de Matthieu évoquant le vol du corps de Jésus (Mat. 28:13). Document T.Lombry.

A l'époque, les juifs et les païens s'opposaient aux premiers chrétiens car les premiers n'acceptaient pas l'idée que Jésus soit né d'une vierge ou ressuscita après sa mort. Pour les païens les idées de résurrection et d'apparition étaient délirantes. Quant aux Juifs, ils acceptaient tout juste la règle traditionnelle tolérant de déplacer le corps d'un défaunt pour le placer dans un tombeau familial. Mais les juifs orthodoxes sont même farouchement opposés à cette pratique et encore aujourd'hui celui qui profane une tombe juive risque d'être reçu à coup de pierres.

En s'opposant à ce mensonge juif comme le qualifia Matthieu qui était un antisémite notoire, on pourrait en déduire que l'histoire aurait un fond de vérité puisqu'il mentionne que la disparition du corps de Jésus fut annoncée sacrificateurs et aux anciens qui ont tenu conseil (Matthieu 28:11-15). Matthieu accusa les juifs d'être facilement soudoyés et prêts à mentir quand il écrit : "Les disciples sont venus et l'ont volé." Cette partie du discours est partiellement vraie. Selon les biblistes, des juifs sont venus la nuit et emportèrent le corps de Jésus. Mais ils ne l'ont pas volé et ce n'était pas n'importe quel juif. Comme nous l'avons expliqué, selon la tradition Joseph d'Arimathie avait reçu l'autorisation du gouverneur Ponce Pilate de s'occuper lui-même de l'enterrement. Quand Matthieu affirme que l'histoire s'est répandue parmi les juifs jusqu'à aujourd'hui, c'est également en partie vrai. Les juifs qui vivaient à Jérusalem savaient que le corps de Jésus avait été placé dans un tombeau par sa famille et ses disciples. L'histoire s'est donc transmise oralement dans toute la région. Mais les auteurs des Évangiles ayant rédigé leur livre 40 à 60 ans après les évènements (grosso-modo entre 70 et 100 de notre ère),  ils étaient très éloignés des comptes-rendus des témoins oculaires dont la plupart étaient déjà morts, y compris Paul, Pierre, Jacques et la plupart des autres témoins et ils ne connaissaient pas le christianisme.

Ceci dit, la plupart des historiens doutent que cet épisode soit authentique car aucune annale ne mentionne ce rapport aux autorités ni qu'elles auraient recherché le corps de Jésus, ce qui était pourtant une obligation légale. De plus, on imagine mal la famille de Jésus, les apôtres et quelques disciples courir dans tout la ville de Jérusalem pendant trois jours annoncer que Jésus est ressuscité si son corps était placé dans une tombe juste à côté des murs d'enceinte. Cela ne tient pas debout et ne repose que sur des légendes rédigées plusieurs décennies après les évènements, notamment sur les Actes des Apôtres qui nous font croire que leurs actions se sont toutes déroulées durant la période 30-70 de notre ère. Sur le plan historique, seuls les récits de Paul, le document de la source "Q" qui servit de base aux Évangiles synoptiques et le Protévangile de Jacques (IIe siècle) sont nos seuls témoignages les proches de l'époque de Jésus.

En guise de conclusion

Dès l'introduction de cet article nous avons souligné que le sujet de la résurrection était et demeure une énigme. Comme le font les théologiens, faute de mieux, on peut accepter la "vision de Dieu" décrite par Jean mais cette vision toute symbolique et doctrinale ne satisfera probablement pas tous ceux qui souhaitent obtenir des réponses concrètes car elle soulève trop d'interrogations et laisse planer le mystère et donc le doute.

Il est ironique de constater que tout l'enseignement du christianisme repose sur la source "Q" et l'écrit de Jacques alors que ces documents sont exclusivement consacrés aux enseignements éthiques de Jésus et ne contiennent aucune théologie chrétienne. Jacques ne mentionne son frère Jésus que deux fois et en passant. On peut donc avoir l'esprit de famille mais ne pas avoir la même interprétation de la foi et de la nature de l'esprit.

Résurrection. Document T.Lombry.

C'est finalement sur la théologie de Paul que se développa le christianisme qu'il dit basé sur les premiers témoignages (1 Corinthiens 15:1-8) avec un Christ divin et Fils incarné de Dieu, mort et ressuscité pour la rémission des péchés du monde, avec l'idée du pardon par le don de son sang, le baptême comme rite mystique de l'union et l'Eucharistie où l'on se nourrirait plus que symboliquement du corps et du sang du Christ, une notion assez difficile à avaler sur laquelle nous reviendrons. On reviendra en détails sur le rôle de Paul dans la foi chrétienne.

Ironie du sort, alors que la théologie de Paul semble très éloignée de celle des premiers disciples de Jésus, sa vision de la résurrection de Jésus est très proche de celle de Jésus mais elle n'a pas empêché les croyants de relancer récemment la polémique autour des ossements de la tombe Talpiot, comme quoi les vérités dogmatiques ou même scientifiques ne sont pas celles du peuple.

Après deux millénaires d'études des récits apostoliques, en raison des contradictions et des ajouts tardifs, on constate que c'est toujours la confusion autour du sens de la résurrection. Pourtant très tôt, les premiers disciples de Jésus ont visité le tombeau de sa famille et ont proclamé unanimement leur foi en la résurrection de Jésus et ont finalement cru qu'il était effectivement le Messie. Paradoxalement, c'est exactement le message que les juifs attendent encore de nos jours quand ils honorent les tombeaux des Justes (les zadikim) qu'ils considèrent comme des saints. Et comme par hasard, chez les chrétiens les saints ont également le privilège de pouvoir ressusciter.

Malgré les doutes et les peurs que suscitent a priori chez certains les révélations autour de la tombe de Talpiot par leurs conséquences éventuelles sur le sens de la Bible, il existe donc un lien dogmatique qui permet de remonter à travers la doctrine de Jésus et de ses premiers disciples jusqu'aux racines communes entre le christianisme et le judaïsme.

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