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La Bible face à la critique historique

La guerre des experts (II)

Depuis la découverte de la tombe de Talpiot, les experts pro et anti thèse qu'il s'agit de la tombe de la famille de Jésus de Nazareth s'affrontent par articles, blogs et conférences interposés pour dénoncer les erreurs des uns et des autres et leurs suppositions parfois gratuites. La controverse s'est même accentuée après la diffusion de la "farce" cinématographique de James Cameron et Simcha Jacobovici dont James Tabor n'est pas totalement irresponsable puisqu'il en fut le conseiller scientifique.

A présent que tout le tapage médiatique et les émotions des premiers instants se sont calmés, il est possible d'établir un bilan de toutes les découvertes et nuancer les propos des protagonistes détaché de toute émotion et parti-pris, quoique ce dernier sentiment résiste encore à la critique scientifique et persiste dans l'esprit de certains archéologues et théologiens.

Cette affaire n'est pas une guerre idéologique autour de la doctrine mais avant tout une guerre scientifique où les experts s'affrontent dans autant de batailles qu'il y a d'écueils à éviter à coups d'arguments et de statistiques à défaut de preuves probantes ou d'incides concordants.

La découverte du supposé caveau familial de Jésus de Nazareth dans la tombe de Talpiot et plus encore des inscriptions et ce qu'elles représentent soulèvent encore aujourd'hui de nombreuses critiques au point que plusieurs experts sceptiques l'ont surnommé "le pseudo tombeau de Jésus" tandis que pratiquement tous les biblistes considèrent que l'ossuaire portant l'inscription "Jésus fils de Joseph" n'est pas le sien.

Parmi ces spécialistes, l'exégète Joel Baden de la Yale Divinity School et la théologienne Candida R. Moss de l'Université de Birmingham en Grande-Bretagne ont déclaré au cours d'une interview accordée à CNN en 2015 et partiellement transcrite dans un article en ligne, que nous n'avons pas la certitude que les prénoms sont correctement identifiés et traduits et que rien ne prouve que les ossuaires appartiennent aux membres de la famille de Jésus de Nazareth, parmi d'autres assertions tout aussi sulfureuses. Se faisaient-ils les avocats du diable ? Probablement pas, ce qui fait tout l'intérêt de leurs critiques.

D'autres experts et notamment des épigraphistes, des statisticiens, des historiens, des théologiens et des exégètes catholiques, juifs et protestants dont le pasteur Émile Carp qui connaissent naturellement très bien le texte biblique et les coutumes locales de l'époque de Jésus ne croient pas que la tombe de Talpiot soit celle de la famille de Jésus, un point de vue partagé par de très nombreux chercheurs et pas du tout pour des raisons dogmatiques. Ces spécialistes et experts du culte ont également publié leurs griefs et démontent tous les arguments mis en avant par Simcha Jacobovici et James Tabor.

Les scientifiques et autres experts en leur domaine ont l'habitude des conflits intellectuels. Ce n'est pas la première fois qu'une telle controverse surgit autour de la doctrine ou d'objets archéologiques prétendûment datés d'une certaine époque ou attribués à l'un ou l'autre personnage (cf. les articles sur l'Ancien Testament). C'est d'ailleurs le propre de la Science d'être sceptique et de remettre en question les théories et les affirmations des uns dès lors qu'elles présentent des faiblesses ou des incohérences internes ou par rapport à de nouveaux faits. On y reviendra à propos du rôle et de l'objectif de la Science.

Les objections évoquées ont donc le mérite d'exister et de forcer le débat contradictoire autour de la tombe de Talpiot. Leur revue permetta aussi à chacun de ne pas se poser en défenseur de l'une ou l'autre théorie sans connaître le fond du sujet comme certains le font encore a priori.

Plusieurs experts ont donc répondu soit directement soit indirectement aux articles controversés ou aux conclusions du premier film (cf. le second film, le livre et les actes des 3e et 4e symposium sur le judaïsme à l'époque du second Temple qui se sont tenus à Jérusalem réfutant la thèse de Simcha Jacobovici et James Tabor) avec des faits étayés et des chiffres que nous allons examiner. A leur tour James Tabor et les quelques experts en faveur de sa théorie ont répondu à leurs détracteurs avec plus ou moins de talent.

Une condition doit toutefois être prise en compte. Pour établir une analyse digne de ce nom et proposer des conclusions objectives, nous devons écarter la thèse dogmatique qui bien évidemment rejette l'idée même que Jésus et accessoirement Marie puissent avoir une tombe puisque selon la doctrine, ils sont ressuscités (cf. l'article sur la résurrection du Christ et l'Assomption de Marie). Dans ce contexte, l'absence de leur corps disqualifie d'office l'authenticité de la tombe de Talpiot comme de toute autre tombe familiale dont les ossuaires porteraient les noms de Jésus de Nazareth et de Marie ou Mariam de Nazareth. On ne peut donc étudier la question que d'un point de vue historique et scientifique en assumant a priori que la résurrection n'a jamais eu lieu, ce qui peut évidemment fâcher quelques lecteurs. Cette hypothèse est toutefois plus simple à concevoir que l'idée surnaturelle de la résurrection.

Le cas de Jacques le Juste (Jacob) soulève aussi un problème puisqu'il fut inhumé en pleine terre après avoir été martyrisé. Tout ossuaire sur lequel serait inscrit Jacques frère de Jésus ou Jacques fils d'Alphée serait très suspect. On y reviendra.

Ce sont les critiques émises par différents spécialistes que nous allons examiner ci-dessous en relevant 14 objections auxquelles nous répondrons en collaboration avec des historiens et des théologiens ayant une très bonne connaissance de la culture judéochrétienne ainsi que des archéologues et épigraphistes ayant examiné les objets de la tombe de Talpiot. Les avis d'un statisticien, d'un physicien et de deux experts légaux seront également très utiles. A chacun ensuite de juger de la valeur des arguments des protagonistes.

Nous allons passer en revue les questions ou objections soulevées suivantes :

1. Les ossements de ressuscités ?

2. Qui sont les membres de la famille de Jésus ?

3. Une tombe taillée dans le roc ?

4. Un caveau familial à Jérusalem ?

5. Des ossuaires provenant de la même tombe ?

6. Pas d'indication du patronyme ?

7. Les inscriptions sont des contrefaçons ?

8. Une probabilité élevée ?

9. Des prénoms communs et une tombe banale ?

10. Jésus fils de Joseph, une inscription douteuse ?

11. Marie en latin ?

12. Marie-Madeleine/Marthe en grec ?

13. Marie-Madeleine : une transcription erronée ?

14. L'analyse ADN remise en cause ?

15. L'ossuaire de Jacques n'existe pas ?

NB. Pour faciliter la navigation, en cliquant sur le mot "Retour ↑" à la fin de chaque réponse vous reviendrez à ce menu.

1. Les ossements de ressuscités ?

A priori, les chrétiens imaginent que la résurrection de Jésus et ensuite celle de Marie sont indissociables de la disparition de leurs ossements car selon la tradition, ils furent directement élevés au ciel. Donc pas question qu'on puisse découvrir leurs ossements dans un ossuaire portant leur patronyme comme à Talpiot. Ca c'est ce que le dogme affirme et que la majorité des chrétiens croient.

D'abord, la résurrection de Marie est une invention de l'Église pour renforcer sa doctrine. Toutes les Églises acceptent l'idée que la Vierge Marie est morte sans souffrir comme les saints morts sans martyre, ce que dogme appelle la Dormition, un état différent de la mort et particulier aux saints. Pour les catholiques comme pour les orthodoxes, Marie serait montée au ciel avec son corps, ce qu'on appelle l'Assomption. Mais les orthodoxes réfute le terme Dormition qui sous-entend que Marie a été enlevée de son vivant. Bref, cet évènement n'a rien à voir avec la réalité historique. Reste la résurrection supposée de Jésus car elle n'a jamais été attestée par l'autorité juive ou romaine ni mentionnée dans des annales officielles.

En réalité, comme nous l'avons expliqué à propos de la résurrection, la première vision chrétienne de la résurrection de Jésus qui fut également celle de ses disciples n'est pas contradictoire avec la présence d'ossements. La confusion est apparue suite à la publication des Épîtres et des Évangiles où les auteurs ont évoqué la tombe vide de Jésus et ses apparitions après sa résurrection.

La première tombe dans laquelle fut placée Jésus contenait évidemment son corps et n'était donc pas vide. Pour rappel, à la demande de la famille de Jésus, Joseph d'Arimathie avait temporairement placé le cadavre de Jésus dans un tombeau neuf jusqu'à la fin de la Pâque et du Sabbat. Il était prévu de le déplacer ensuite dans une tombe définitive. Entre-temps, selon la tradition, son corps disparut et on vit Jésus ressuscité s'adresser aux femmes et à ses disciples. Retour ↑

2. Qui sont les membres de la famille de Jésus ?

La toute première question qui doit venir à l'esprit quand on s'interroge sur les locataires de la tombe de Talpiot est de savoir s'ils sont bien les personnages évoqués dans la Bible ou dans les textes apocryphes. Autrement dit, quelles preuves avons-nous pour déterminer les membres de la famille de Jésus de Nazareth et pour les relier avec certitude aux inscriptions inscrites sur les ossuaires ? Des réponses à ces questions découlent toutes les autres.

C'est justement dans ce contexte que Baden et Moss remettent en question l'identité des membres de la famille de Jésus, y compris des éventuelles femmes et enfants des douze apôtres voire des autres disciples proches de Jésus.

Selon Tabord, "tout d'abord, personne n'a jamais présumé que ces personnes n'avaient jamais existé" et de se référer au texte biblique en guise de preuve. En nous basant sur les Évangiles, si de fait Luc évoque "70 autres disciples" (Luc 10:1) désignés par Jésus mais n'en nomme aucun, Marc puis Matthieu donnent les prénoms des quatre frères de Jésus : Jacques, Joses (Joseph), Jude et Simon (Marc 6:3). En revanche, comme nous l'avons expliqué, les soeurs de Jésus ne sont pas nommées et nous ne savons pas non plus si elles étaient mariées, avaient des enfants ni le nom de leur éventuel mari. De toute évidence, selon Tabor "les femmes et les enfants ont été écartés de la biographie de Jésus, non pas parce qu'ils n'existaient pas mais simplement parce que les Evangélistes ont estimé qu'il n'était pas important de les nommer. Luc et Jean ne mentionnent jamais les prénoms des frères de Jésus. Toutes nos connaissances des frères de Jésus reposent donc sur une seule ligne d'un verset de Marc (qu'a repris Matthieu) et nous n'en savons pas plus. Il faut se reporter à la première Epître aux Corinthiens de Paul pour apprendre que certains apôtres ont une soeur ou une épouse et rappeler que Jésus à des frères (1 Corinthiens 5)". D'autres textes tardifs dont celui d'Eusèbe de Césarée ("Histoire ecclésiastique", Livre troisième, XIX-XX) évoque également les fils (ou beaux-fils) de Jude, le frère de Jésus.

Caractéristiques des inscriptions

gravées sur les ossuaires de la tombe de Talpiot

N° cat.

IAA

N° cat. Rahmani/CJO

Langue de l'inscription

Translittération de l'inscription

Traduction en français

Détail

IAA 80/500

701

Grec

Mariamè kai Mara

(ou Mariamenou Mara)

Marie et Marthe 

(ou Marie/Marthe, Marie-Madeleine et Marthe,

Marie-Madeleine/Marthe)

Décoré. Il peut s'agir de l'ossuaire de deux femmes

IAA 80/501

702

Hébreu

Yehudah bar Yeshua

Judas fils de Jésus

Décoré

IAA 80/502

703

Hébreu

Matiah

Matthieu

Découvert brisé et restauré par le musée

IAA 80/503

704

Araméen

Yeshua (?) bar Yehosef

ou Yudan bar Yehosef

Jésus (?) fils de Joseph

ou Judan fils de Joseph

Griffures sur l'une des deux inscriptions

IAA 80/504

705

Hébreu et araméen

Yose (ou Joses, Yosa)

Joseph (ou Joses, Josah)

Découvert brisé et restauré par le musée

IAA 80/505

706

Latinisation

du nom écrit

en hébreu

Mariah (Mariam)

Marie

-

IAA 80/506

-

-

-

Illisible

-

IAA 80/507

-

-

-

Anonyme

-

IAA 80/508

-

-

-

Anonyme

-

IAA 80/509

-

-

-

-

Cassé, manquant

Concernant le premier ossuaire (réf. IAA 80/500, voir tableau ci-dessus), aujourd'hui les plupart des spécialistes reconnaissent qu'il appartient à "Marie et Marthe". Mais nous verrons plus bas que la transcription de l'inscription a longtemps posé problème, certains épigraphistes y voyant les prénoms de "Marie-Madeleine/Marthe" (voir critique N°13).

La première conclusion de Tabor fut de dire que "tous les spécialistes sont d'avis que la seule candidate ayant pu être suffisamment intime avec Jésus est Marie-Madeleine". Comme nous l'avons évoqué, elle apparaît lors de la crucifixion et est même mentionnée avant la mère de Jésus, Marie, lorsqu'elle se charge de la tâche intime de laver le corps de Jésus avant sa mise au tombeau. C'est aussi la première témoin de la résurrection de Jésus et apparaît détenir par la suite une autorité supérieure à celle de tous les autres disciples, même si son existence fut ignorée par Paul et plus tard par l'Église jusque tout récemment. Mais si cet ossuaire n'est pas le sien comme on le pense, la question ne se pose plus et il faut définitivement écarter Marie-Madeleine de la tombe de Talpiot.

Les ossuaires de "Judas fils de Jésus" (gauche) et de "Matthieu" (droite).

Le second ossuaire (IAA 80/501), celui de "Judas fils de Jésus" présenté ci-dessus en dit presque autant que ce que nous savons sur le personnage. L'ossuaire est aussi décoré que celui de Marie-Madeleine et Marthe qui sont tous deux bien plus élaborés que les modestes ossuaires de Jésus, Marie, Matthieu et Joseph. C'est aussi l'un des plus petits ossuaires, impliquant que Judas est peut-être décédé dans sa jeunesse, ce qui pourrait expliquer le peu d'informations que nous possédons sur lui et qui ont été publiées sur le site Bibleinterp.

Si on s'en tient au strict texte biblique, Jésus n'avait pas d'enfant et donc cet ossuaire n'appartient pas à la famille de Jésus de Nazareth. Mais des textes gnostiques prétendent le contraire ainsi que les études géochimiques conduites par le géoarchéologue Aryeh Shimron et publiée en 2015 (voir critique N°15). Sur le plan scientifique, il est difficile de ne pas en tenir compte mais certains théologiens l'écartent malgré tout sans appel (sauf preuve du contraire, on peut considérer leur position comme dogmatique).

A propos du prénom "Matiah" (Matthieu) figurant sur le troisième ossuaire (IAA 80/502), bien qu'on puisse l'orthographier de différentes manières (par exemple Matya, Matthat, Mattathias, Maath, etc.), c'est le prénom le plus fréquemment cité parmi les membres proches de la famille de Jésus (Luc 3:23-26) alors que le prénom est moins commun que celui de Joseph (2.5% contre 8.6% en Palestine). De plus, Marc nous dit que Lévi également appelé Matthieu, l'un des douze apôtres, est le fils d'Alphée (Marc 2:14), comme le sont Jacques et a priori Jude, son frère ou fils (Marc 3:18 et Actes 1:7). Prétendre que Matthieu n'a rien à voir avec la famille de Jésus de Nazareth est donc faux. En fait, son absence aurait été suspecte. En effet, la présence de Matthieu dans cette tombe familiale et associé à Jésus et ses frères n'est pas étonnant ni du point de vue des traditions ni d'un point de vue statistique, que du contraire (voir l'article de Jodi Magness sur les traditions juives d'inhumation à propos de Jésus et de Jacques sur lequel nous reviendrons).

Le cinquième ossuaire (IAA 80/504) mentionnant le prénom "Joseph" (Yose, Joses ou Josah) en hébreu et en araméen est celui d'une personne dont le prénom est porté par 8.6% des hommes à cette époque en Palestine. Selon Tabor qui se base sur le texte biblique, Joseph (Matthieu 13:56) et Joses (Marc 6:3 et 15:40-47) sont deux personnes différentes. Mais selon l'exégète Craig Evans, malgré la termination différente en hébreu, il s'agit d'une variante du même prénom. Il peut donc s'agir du père de Jésus ou de l'un des frères de Jésus. Toutefois, sans patronyme, il peut tout aussi bien s'agir d'une relation familiale plus éloignée (par exemple un demi-frère ou un cousin) ayant habité sous le toit familial. Mais ayant été déposé dans cette tombe, a priori il s'agit bien d'un membre de la même famille.

A gauche, l'ossuaire de "Joseph" (Yose). Au centre et à droite, la graphie de "Marie" (Mariah) sur le sixième ossuaire mais dont il existe peu de photos de l'ensemble.

Le sixième ossuaire (IAA 80/505) mentionne le prénom "Mariah" (Marie) en hébreu mais dans sa forme latine. "Marie" est le prénom le plus commun, utilisé à cette époque en Palestine par près d'une personne sur quatre. On reviendra sur ce nom latinisé (voir critique N°11).

Une chose est certaine. La présence de tous ces ossuaires dans le caveau familial est conforme à la tradition juive (et paléo-chrétienne) de l'époque qui voulait que toute la progéniture du Maître, ce qu'on appelle "desposyni" en grec, c'est-à-dire non seulement les ancêtres ou descendants familiaux (les parents, la femme et les enfants) mais également les neveux, cousins, etc., soient ensevelis au même endroit, ce que confirme Jodi Magness. Comme nous le verrons plus bas, ceci explique que certaines tombes peuvent rassembler jusqu'à 88 individus sur 5 générations.

En résumé, la tombe de Talpiot comprend 6 ossuaires portant des inscriptions sur les 9 que possède le musée des Antiquités, ce qui est un pourcentage plus élevé (66%) que la moyenne (25.2% selon Rahami, soit 231 ossuaires sur 917). Selon Tabor, "en comparant cette tombe avec toutes les autres tombes connues contenant des ossuaires portant d'une manière ou d'une autre le prénom "Jésus" en grec ou en araméen, il n'en existe que 18 et aucune d'elle ne correspond à la tombe de Jésus de Nazareth, soit parce que les patronymes sont invalidés (Jésus fils de Matthieu, Jésus fils de Judas, Jésus fils de Dositheos, etc.) soit parce que les prénoms sont trop éloignés (Cahres, Eiras, Eartos, etc.) [...]. Ceci ne prouve pas que la tombe de Talpiot est la tombe de Jésus, mais il sape les affirmations constamment répétées que ces noms sont extrêmement communs et qu'il existe beaucoup d'autres tombes ayant le même ensemble de noms. Ce n'est tout simplement pas le cas". Nous reviendrons sur la fréquence des prénoms (voir critique N°9).

A présent que nous sommes quasi certains de l'identité des membres de la famille de Jésus et qu'en théorie ils peuvent correspondre aux inscriptions des ossuaires de la tombe de Talpiot, nous pouvons poursuivre notre enquête et examiner sereinement les autres critiques que nous allons lister par ordre d'importance et par sujet. Retour ↑

3. Une tombe taillée dans le roc ?

La tombe de Talpiot est taillée dans le roc et son entrée est même décorée de manière tout à fait atypique, ce qui implique que son propriétaire avait les moyens financiers pour la construire. Or, tout lecteur ayant lu le Nouveau Testament sait que la famille de Jésus était pauvre et qu'en principe elle n'a pas pu s'offrir un caveau familial de cette qualité. C'est la raison pour laquelle, comme nous l'avons expliqué (cf. le Golgotha et la tombe de Jésus), après la mort de Jésus, ne possédant ni caveau ni sépulture, sa famille plaça temporairement son corps dans la tombe achetée par Joseph d'Arimathie, un notable membre du Sanhédrin. Ce choix était permis par La loi juive mais le corps du défunt devait ensuite être déplacé, mis dans un ossuaire et enterré ailleurs. Seuls les riches pouvaient se permettre de conserver le corps des défunts dans des ossuaires placés dans des caveaux (voir également l'étude de Jodi Magness sur l'inhumation de Jésus et de Jacques).

Bien entendu, en théorie on ne peut pas exclure la possibilité que la famille de Jésus ait acheté un caveau familial. Mais si c'est le cas, cela soulève une autre question : pourquoi à Jérusalem ? (voir critique N°4). Retour ↑

4. Un caveau familial à Jérusalem ?

En admettant que la famille de Jésus eut les moyens d'acheter un caveau familial ce qui paraît improbable puisque Marie et Joseph pouvaient à peine se payer les offrandes au Temple, comme on le fait encore aujourd'hui, le défunt était enterré là où il résidait (cf. le tombeau d'Hérode) et dans un délai qui ne dépassait pas 24 heures. En toute logique, le caveau de la famille de Jésus devrait donc se trouver à Nazareth, c'est-à-dire à 150 km de Jérusalem. Ce point de vue fut partagé par Jodi Magness dans un article publié dans le "Washington Post" ("'Lost Tomb of Jesus' Claim Called a Stunt", 28 feb 2007, p.A03). Rien n'explique pour quelle raison la famille de Jésus aurait acquis un caveau dans la capitale si elle en avait eu les moyens, encore moins pourquoi les corps auraient été déplacés à 150 km de distance, trois faits peu probables qui remettent en question le lien entre la tombe de Talpiot et la famille de Jésus.

De plus, s'il s'agissait du caveau de la famille, son emplacement devait donc être connu de l'autorité chargée de la gestion des sépultures. Si tel était le cas, après la disparition du corps de Jésus pourquoi les autorités n'ont-elles pas entamé des recherches dans la tombe de Talpiot ? Il n'y a que deux explications : soit cette tombe n'existait pas à l'époque ce que semble contredire sa datation soit elle n'appartenait pas à la famille de Jésus.

On ne sera donc pas étonné d'apprendre qu'à l'occasion de l'une ou l'autre fouille, quelques archéologues ont affirmé avoir découvert la tombe de la famille de Jésus en Galilée, dans la région de Nazareth. Mais jusqu'à présent, aucune de ces découvertes n'a été authentifiée comme étant la véritable tombe de la famille de Jésus. Retour ↑

5. Des ossuaires provenant de la même tombe ?

Selon Robert Genna du Laboratoire Légal de New York, l'analyse des patines des différents ossuaires de la tombe de Talpiot ne permet pas d'affirmer que les ossuaires proviennent de la même tombe. En revanche, selon l'expert légal Steven Cox, la patine de l'ossuaire de Jésus et de celui de Jacques indiquent qu'ils proviennent de la même carrière.

D'autres experts ont analysé la patine des différentes inscriptions mais n'ont pas été en mesure d'affirmer si oui ou non elles étaient authentiques.

En revanche, quelques doutes subsistent concernant l'ossuaire de Jacques découvert à Silwan (voir critique N°15). Finalement tous ces avis parfois négatifs déforcent la théorie de James Tabor. Retour ↑

6. Pas d'indication du patronyme ?

Si la tombe de Talpiot était celle de la famille de Jésus, dans ce cas les épigraphistes soulèvent encore un autre problème : l'absence du patronyme. Selon Jodi Magness, les noms sur les ossuaires de Talpiot indiquent que la tombe appartenait à une famille de Judée, c'est-à-dire la région autour de Jérusalem, où les gens étaient connus par leur prénom et leur patronyme. En tant que Galiléens, Jésus et les membres de sa famille auraient utilisé leur prénom et la référence à leur ville natale. En effet, lorsqu'une personne est enterrée loin de son lieu de résidence, son origine est mentionnée à la suite de son prénom comme par exemple Jésus de Nazareth, Joseph d'Arimathie, Paul de Tarse, etc. Or aucun des ossuaires de la tombe de Talpiot ne mentionne le lieu d'origine des défunts.

Cette observation implique soit que l'auteur des inscriptions savait que la famille résidait à Jérusalem et dans ce cas il ne s'agit pas des ossuaires ni de la tombe de la famille du Jésus biblique soit que l'auteur n'avait aucune connaissance de cette pratique. Mais dans ce cas on peut imaginer que l'auteur des inscriptions n'était pas un professionnel mais plutôt un amateur et se demander par conséquent s'il ne s'agit pas de contrefaçons, ce qu'ont déjà évoqué plusieurs experts, sans pour autant pouvoir le prouver. Retour ↑

7. Les inscriptions sont des contrefaçons ?

Du fait que certains ossuaires dont celui de Jacques, le frère de Jésus, découvert à Silwan a été racheté à un marchand dont certains n'hésitent pas à embellir des artefacts en leur donnant par exemple une fausse patine ou à fabriquer de faux objets d'époque, certains experts ont conclu a priori que les ossuaires de Talpiot portant des inscriptions étaient des contrefaçons. Mais à ce jour, aucun expert ayant analysé ces objets n'a pu prouver qu'il s'agissait de contrefaçons, leur datation et les analyses chimiques plaidant en faveur d'objets d'époque. Retour ↑

8. Une probabilité élevée ?

Nous avons expliqué précédemment que certains statisticiens dont John Koopmans et Andrey Feuerverger, la probabilité que la tombe de Talpiot soit celle de la famille de Jésus de Nazareth varie dans les meilleurs cas entre 32-96%. Si on se base sur ces pourcentages, cela signifie également que si on ne prend pas en compte l'ossuaire de Jacques, même en tenant compte des 6 ossuaires portant une inscription, les experts "optimistes" reconnaissent implicitement qu'il y a une forte probabilité (68%) qu'il ne s'agisse pas de la tombe de la famille du Jésus biblique.Mais ces deux interprétations sont fausses !

Dès la publication de ce résultat sur lequel repose l'argumentation du film de Simcha Jacobovici, plusieurs statisticiens ont critiqué la méthode statistique utilisée, non obstant le fait que tout résultat statistique peut être interprété de différentes manières selon que l'on tient compte ou non de certaines données plus ou moins significatives. En fait, comme nous le savons, on peut pratiquement faire dire tout et son contraire à des statistiques dans la mesure où un facteur de probabilité (par exemple 1 sur 600) n'est pas synonyme de probabilité (exprimée en pourcentage de chance ou de vraisemblance) et qu'il est toujours loisible à un expert d'écarter un résultat sous certaines conditions. Ainsi pour paraphraser le psychiatre Georges Daumézon, rien n'est plus facile que d'avoir raison, "Trente pour cent de certitudes, trente pour cent d'erreurs et trente pour cent de résultats indéterminés".

Certains experts et notamment des exégètes ont déclaré que l'hypothèse de départ évoquée par Jacobovici et Tabor est déjà fausse car Matthieu ne fait pas partie de la famille de Jésus, pas plus que Marie-Madeleine/Marthe et Judas. Or nous avons expliqué à propos de la famille de Jésus (voir critique N°2) et nous le verrons également à propos de l'analyse ADN (voir critique N°14), qu'il était de tradition de placer dans le même caveau tous les membres de la famille élargie, y compris la nouvelle épouse, les beaux-frères et les cousins le cas échéant. Etant donné que Marc nous apprend qu'Alphée est le père de Lévy dit Matthieu (Marc 2:14) et de Jacques, il fait bien partie de la famille de Jésus. Selon les manuscrits apocryphes, Jésus entretenait une relation intime avec Marie-Madeleine et Judas serait leur enfant; ils font donc également tous deux partie de sa famille.

Mais aujourd'hui, sachant que le prénom "Marie-Madeleine/Marthe" ne figure pas sur l'ossuaire mais plutôt "Marie et Marthe" (voir critique N°13), il faut écarter définitivement la présence de Marie-Madeleine dans la tombe de Talpiot.

Plus convaincant pour les opposants, du fait que nous n'avons pas les patronymes de Marie et Joseph (pas plus que de Marie et Marthe, la soi-disant Marie-Madeleine/Marthe, ni de Matthieu), rien ne prouve qu'ils appartiennent à la même famille. Toutes les "certitudes" s'évanouissent donc quand il s'agit de calculer des probabilités fondées sur des suppositions plutôt que sur des faits, ce qui est l'un des principaux reproches que l'on peut faire à James Tabor et ses partisans dont l'élan d'optimisme n'est pas très objectif ni scientifique.

Ainsi, comme nous l'avons vu, selon Jacobovici et Tabor, le statisticien Andrey Feuerverger de l'Université de Toronto aurait calculé qu'il y a 1 chance sur 600 soit une probabilité de 0.166% que la tombe de Talpiot ne soit pas celle de la famille de Jésus (ou 600 contre 1 qu'elle le soit). C'est une valeur très élevée qui l'est plus encore en tenant compte de l'ossuaire de Jacques (30000 contre 1). Or ce n'est pas du tout ce qu'il a calculé ! Dans une lettre publiée le 12 mars 2007 soit 8 jours après la sortie du film, Feuerverger démentit avoir fait ce calcul. Il affirma que la chance de 600 contre 1 correspond à "la probabilité que les six noms se trouvent ensemble à un même endroit" et nullement que cela correspond à l'identification de la tombe de la famille de Jésus, qui est un calcul bien plus complexe. Depuis cette rectification, Discovery Channel a supprimé cette information de son site et James Tabor a modifié son interprétation des résultats des calculs de Feuerverger.

Mais pour obtenir cette probabilité, Feuerverger a tout de même supposé que le prénom "Mariah" correspond à Marie, la mère de Jésus, "Mariamè kai Mara" à Marie-Madeleine/Mara et a tout simplement ignoré l'incertitude autour de la transcription tout comme sur celle de "Yeshua" (Jésus) qui ne sont pas certaines parmi d'autres suppositions gratuites. Si par exemple on ne tient pas compte du prénom "Marie-Madeleine", le facteur de probabilité passe de 1/600 à 1/3.8 soit une probabilité de 26% qu'il ne s'agit pas de la tombe de Jésus ! Cette fois la probabilité est totalement défavorable !

Mais pire que cela, du fait que le patronyme des personnes n'est pas mentionné, tout bon statisticien devrait également en tenir compte dans ses calculs. Dans la tombe de Talpiot, cela correspond à 1 manquement par inscription, soit une probabilité moyenne de 50% qu'il faut combiner avec les 6 prénoms (c'est-à-dire 1 / (600 x 0.56 ) = 1/9.375 soit une chance d'environ 9 contre 1) ce qui représente 10.7% de probabilité que la tombe soit celle de la famille de Jésus de Nazareth. Concrètement, cela signifie qu'elle ne l'est vraisemblablement pas.

 Bien sûr, si on balaye sans même les examiner tous les cas litigieux et qu'on ne sélectionne que les cas les plus favorables à la théorie de Tabor, on peut réaliser un scoop mais on s'expose aussi à une critique sévère !

La conclusion de Feuerverger fut critiquée par le physicien théoricien Randall Ingermanson qui est aussi l'auteur du livre "Who Wrote the Bible Code?" (1999) qui expliqua dans un article publié en 2008 que "le théorème de Bayes est la meilleure façon de calculer la probabilité que cette tombe appartienne à Jésus de Nazareth". Compte tenu des incertitudes, il déclara que "la probabilité est d'environ 2%" que la tombe de Talpiot soit celle de la famille de Jésus de Nazareth. Il compléta son article peu après sous le titre "He Is Not Here, Or Is He ?".

Le résultat s'est même vu encore emputer de quelques points lorsque les experts ont tenu compte de la correction proposée par Rahmani concernant l'absence du patronyme (voir critique N°6) et en éliminant les suppositions gratuites ou erronées. Dans ce cas, on obtient une probabilité de 0.94% que la tombe de Talpiot soit celle de la famille de Jésus de Nazareth ! En théorie, il faudrait même intégrer le facteur de probabilité que le tombeau familial n'aurait pas été visité par l'autorité juive lorsque les disciples ont découvert que le tombeau était vide. Dans ce cas, on tombe en dessous 0.5% qui est la valeur scientifique la plus proche de la réalité et dans ce cas, la tombe de Talpiot devient une tombe ordinaire parmi les autres.

C'est donc pour les raisons tout à fait légitimes évoquées ci-dessus sans parler des critiques suivantes que les recherches continuent malgré ou peut-être à cause de l'existence de la tombe de Talpiot qui ne convainc pas beaucoup d'experts. Retour ↑

9. Des prénoms communs et une tombe banale ?

La fréquence plutôt élevée des prénoms gravés sur les ossuaires, en particulier Marie et Joseph, est un indice souvent évoqué par des spécialistes et moins spécialistes pour déclarer qu'il s'agirait justement d'une tombe banale qui n'a rien à voir avec celle du Jésus biblique et pourrait être celle de n'importe quel Jésus habitant Jérusalem.

Le linguiste Frank Cross qui est pourtant expert du hébreu (professeur émérite) a confirmé le prénom "Yeshua" sur l'ossuaire attribué à Jésus mais refuse toute interprétation. Il considère que les noms mentionnés sur les ossuaires sont très fréquents à Jérusalem et que les statistiques mises en avant par Tabor ne sont pas convaincantes (c'est d'ailleurs pour cette raison que son point de vue fut écarté lors du montage du film de Cameron et Jacobovici au profit de l'avis d'un autre expert de l'Université d'Harvard favorable à la thèse de Tabor).

Si Amos Kloner qui fut l'un des premiers archéologues à explorer la tombe reconnaît lui-même que certains prénoms sont communs, Tabor accepte ce fait mais n'accepte pas la conclusion qu'il s'agirait d'une tombe banale. En effet, en se basant sur leur fréquence, la combinaison des six prénoms auxquels il faudrait aujourd'hui ajouter celui de Jacques découvert à Silwan mettrait au défi l'effet du hasard. Selon Tabor, "c'est l'ensemble des noms basés sur les fréquences qu'on doit jauger. Plutôt que de développer le point qui a été si largement démontré par une éventail d'experts, je renvoie le lecteur aux excellents articles de Kevin Kilty et Mark Elliott [publiées en 2010 et 2012], ainsi que les autres études statistiques auxquelles ils sont liés. Je suspecte que le mantra "les noms sont communs" deviendra finalement théorique lorsqu'il sera entièrement évident sur base des dernières preuves d'Aryeh Shimron que l'ossuaire de "Jacques" appartient également à cet ensemble". Cette conclusion est exacte à condition que la preuve soit apportée concernant l'ossuaire de Jacques, ce que seul Shimron aurait établi (voir critique N°15), et depuis que l'on sait que le prénom de Marie-Madeleine n'est pas correct et celui de Jésus est discutable, la valeur de cet argument ne fait presque plus le poids. Retour ↑

10. Jésus fils de Joseph, une inscription douteuse ?

Baden et Moss ont également déclaré que la traduction "Jésus fils de Joseph" de l'inscription figurant sur le quatrième ossuaire (IAA 80/503) est "tout à fait douteuse". Selon les deux exégètes, au lieu de "Yeshua" on peut tout aussi bien lire "Hanun" comme le proposa Stephen Pfann.

Tabor s'oppose à cette transcription. S'il est vrai que l'inscription relative à Jésus que l'on voit ci-dessous est par endroit difficile à lire en raison des ratures ou du faible relief, elle est loin d'être "douteuse" et "de tomber en poussière" comme ils l'ont prétendu de mauvaise foi. Chacun peut reconnaître presque chaque lettre de l'alphabet araméen tardif et le nom complet ne laisse pas beaucoup de place à l'interprétation. Comme insiste Tabor, "bien que le Yod soit difficile à lire, il est inscrit Yod, Shin, Vav et Ayin,..." c'est-à-dire la forme longue du nom "Yahshuah" équivalente à "Yeshua", autrement dit "Jésus".

A voir : Alphabets phénicien, grec, araméen et hébreu - Vieil alphabet araméen

Gros-plan sur les deux inscriptions gravées sur l'un des ossuaires de la tombe de Talpiot datant du 1er siècle de notre ère. On peut y lire en araméen "Yeshua bar Yehosef", c'est-dire "Jésus fils de Joseph". Ajouté aux autres inscriptions figurant sur les autres ossuaires de cette tombe, le lien avec Jésus de Nazareth est possible mais pas du tout certain. Documents adaptés de James Tabor.

En fait, il faut vraiment interpréter l'inscription pour lire "Hanun", ce qui n'est pas très scientifique. Au mieux et avec beaucoup d'imagination, en supposant qu'un premier prénom a été surchargé, on pourrait lire "Yudan"[1], c'est-à-dire "Judan".

Mais même les archéologues Amos Kloner et Levy Rahmani qui ont validé le prénom "Yeshua" (Jésus) reconnaissent qu'il existe un doute puisque dans leur article original ils ont placé un point d'interrogation derrière ce prénom, signe de ponctuation qu'ont repris divers experts dont l'historien et exégète Craig Evans et de très nombreux auteurs par la suite, validant en quelque sorte le doute autour du prénom "Jésus".

Certains auteurs ont également souligné que le prénom "Yeshua" n'est pas identique à "Yahshua" car il manque la lettre "hey" en hébreu dans "Yeshua". De plus dans la bible hébraïque, le signe de voyelle ou tsere représenté par deux points (..) en dessous du Yod de "Yeshua" se prononce [yèy] et non pas [yah]. On retrouve la même problématique avec la translittération de la voyelle grecque êta (η ou H) qui se prononce [yèy] en hébreu dans le prénom "Yeshua".

Bien que le doute soit permis, aujourd'hui la plupart des spécialistes se rallient à la traduction de Rahmani. Tabor rappelle que les noms et prénoms relevés sur les ossuaires "furent confirmés et validés sans équivoque par les épigraphistes Christopher Rollston et Jonathan Price, par les archéologues Amos Kloner et Boaz Zissu, par l'historien et épigraphiste Stephen Pfann et par l'historienne et lexicographe Tal Ilan experte du judaïsme" : de l'avis général, il est bien inscrit "Yeshua bar Yehosef" (Jésus fils de Joseph). Apparemment on ne pourrait donc pas avoir de meilleure garantie, qui plus est, multidisciplinaire.

Seul bémol, comme tout expert qui doit se prononcer sur l'authenticité d'un objet, du fait des griffures et du faible relief sur l'une des inscriptions, il plane une incertitude qui fait dire à certains que lire "Yeshua" (Jésus) est une interprétation parmi d'autres et personne ne peut objectivement le nier. Heureusement, la deuxième inscription présentée ci-dessus confirme l'avis général.

Notons que juste à côté de l'ossuaire de "Jésus fils de Joseph" se trouvait celui portant l'inscription "Mariah". Retour ↑

11. Marie en latin ?

On peut également s'étonner que le prénom de "Marie" sur le sixième ossuaire (IAA 80/505) est inscrit dans sa forme latine "Mariah". En effet, la langue natale de la famille de Jésus était l'araméen, ils parlaient aussi hébreu mais aucun d'eux n'a probablement jamais parlé latin qui était la langue de l'occupant romain. Les érudits et les notables parlaient grec et on suppose que Jésus devait connaître des rudiments de grec et bien sûr certains apôtres dont les quatre apostoliques (ou ceux que la communauté johannique pour Jean).

Dans le texte original des Évangiles écrits en grec, Marie est plus souvent appelée par son prénom araméen "Mariam" (ou Maryam) qui apparaît 13 fois alors que "Maria" apparaît 11 fois. Même le Coran la nomme "Maryam" (sourates 3 et 19). Notons que "Mariam" est l'équivalent de "Myriam" ou "Meryem" en hébreu (מרים). "Mariam" est aussi utilisé pour nommer Marie-Madeleine, ajoutant à la confusion des personnes.

Cette inscription latine est donc étrange et personne ne peut expliquer la latinisation de ce prénom, si ce n'est le fait que la Palestine était alors occupée par les romains.

Etant donné que l'araméen était la langue natale de la plupart des juifs de Palestine, certains ont proposé que "Mariah" est la transcription en araméen du prénom "Marie" traduit en grec (Mανγία, c'est-à-dire "Maryia"). Dans ce cas, l'ossuaire pourrait bien être celui de Marie, la mère de Jésus, bien qu'il manque son patronyme. Cela résout également le problème de la latinisation et ce qui en découle (inscription par une personne d'origine romaine, ossuaire d'une autre personne, supercherie, etc.). Dans le doute raisonnable, cette hypothèse a été retenue par la plupart des experts. Toutefois, l'incertitude sur son lien de parenté avec Jésus n'est pas levée. Retour ↑

12. Marie-Madeleine/Marthe en grec ?

Baden et Moss se sont étonnés que l'inscription figurant sur le premier ossuaire (IAA 80/500) soit en grec "ΜαρίαMηκοι'Mαρα" ("Mariamè kai Mara" mais d'autres interprétations sont possibles, voir critique N°13) alors que les autres sont en araméen ou en hébreu (ou hébreu latinisé pour Marie). Pour James Tabor, ce n'est vraiment pas un problème : "Sur l'ensemble des ossuaires datant du 1er siècle découverts à Jérusalem, 60% sont gravés en hébreu, 30% en grec comprenant notamment le prénom de "Marie" et 10% mélangent le grec et le hébreu". Retour ↑

13. Marie-Madeleine/Marthe, une inscription erronée ?

Lors des premières transcriptions de l'incription en grec du premier ossuaire (IAA 80/500), l'archéologue et épigraphiste Levi Rahmani avait lu "ΜαρίαMηνου'μαρα" ou en majuscules "ΜAPIAMHNOY'MAPA" (MariaMenou'Mara). La terminaison "νου" (-nou) est la forme génétive de "Μαρίαμ" (Mariam) suivi du prénom Mara (Marthe). Selon Rahamni il était donc inscrit "Mariamenou qui est également appelée Mara"[2], ce que confirma l'archéologue Amos Kloner. L'épigraphiste Jonathan Price était du même avis, pour qui il est inscrit "Mariam qui est aussi [connue comme] Mara" et donc se réfère à une seule femme.

Or selon le théologien et épigraphiste Émile Puech et l'historien et épigraphiste Stephen Pfann, il est plutôt inscrit "ΜαρίαMηκοι'μαρα" (Mariamè kai Mara), c'est-à-dire "Marie et Marthe". L'ossuaire n'aurait donc pas contenu les restes d'une mais de deux femmes. Trois avis contradictoires dont ceux de deux épigraphistes sur quatre démontre toute la difficulté de ce genre d'expertise. Qui a raison ?

La transcription de l'inscription du premier ossuaire (réf. IAA 80/500)

se lit "Mariamè kai Mara", c'est-à-dire "Marie et Mara".

Document T.Lombry adapté d'un facsimilé de l'inscription de L.Rahmani.

L'inscription étant en grec, Tabor se défend en affirmant qu'"on retrouve cette tradition encore aujourd'hui en Grèce. Ainsi une femme portant deux prénoms comme Sophia et Maria sera référencée comme "Sophia kai Maria" sous-entendant qu'il s'agit de "Sophia [appelée] Maria" et donc du prénom suivi du surnom. Mais le souci est que Tabor se contredit. En effet, en grec le mot "kai" signifie "et". Dans ce cas, il s'agit bien de deux personnes.

Face à autant d'avis contadictoires, à l'époque j'avais contacté l'exégète Craig Evans pour me faire ma propre opinion. Bien que je ne sois pas épigraphiste, comme la plupart des lecteurs pouvant lire le grec, si on peut juste reconnaître au milieu de l'inscription le "êta" (η ou H) qui se traduit par "ou", il est difficile voire impossible de reconnaître la terminaison génitive "νου" ou "NOY" en majuscule (-nou) qu'on peut confondre avec la conjonction "κοι" (kai) signifiant "et". Selon Evans, il est effectivement "difficile de reconnaître le mot kai, "et". Il ressemble à nou, mais [...] le nom n'est pas un cas génitif de "Mariamè" ou quelque chose comme ça".

En fait, les experts ont résolu le problème en comparant l'inscription avec plusieurs inscriptions similaires qui montrent que le mot central est "kai". Par conséquent, il s'agit bien de l'inscription "Marie et Marthe".On ne peut donc pas exclure que l'ossuaire contenait les corps de deux défuntes mais sans preuve (par exemple ADN) on ne peut pas le confirmer non plus.

A l'époque où on pensait que le premier prénom était "Marie-Madeleine", Tabor reconnaissait cette possibilité : "même si on considère qu'il s'agit de deux personnes, sur base des Évangiles, il est difficile de les écarter de la famille de Jésus sachant la position particulière de Marie-Madeleine dans la tradition chrétienne". Mais cet argument n'est plus recevable dans la mesure où l'ancienne transcription est erronée (il ne s'agit pas de Marie-Madeleine/Marthe mais de Marie et Marthe). Cette correction a évidemment des conséquences sur les conclusions.

Le lecteur qui souhaite approfondir le sujet pourra consulter le livre intitulé "Tomb of Jesus and His Family? Exploring Ancient Jewish Tombs Near Jerusalem’s Walls" qui reprend les actes du 4e symposium consacré aux origines du judaïsme et du christianisme publié en 2014 par l'éditeur James Charlesworth, en particulier les pages 187-200 de Stephen Pfann. Notons que Craig Evans et James Tabor recommandent aussi la lecture de ce livre de plus de 500 pages abondamment illustré.

Quant à Mara (Marthe), Tabor semble l'oublier dans son décompte puisqu'il estime qu'il s'agit de la même personne. Notons que certains experts dont l'exégète Jane Schaberg de l'école jésuite privée de l'Université de Detroit Mercy ont associé à tord "Marthe" avec "Marthe de Béthanie" mais les deux personnages sont distincts comme le confirma le concile Vatican II.[3] Retour ↑

14. L'analyse ADN remise en cause ?

Nous avons vu précédemment que des analyse ADN furent pratiquées sur "Jésus" et "Marie-Madeleine" par Carney Matheson. Son avis est sans appel :  "Les seules conclusions que nous avons tiré étaient que ces deux personnes n’avaient pas de lien maternel. Pour moi cela ne ressemble à absolument rien". Autrement dit, il peut toujours s'agir de deux quidams résidant à Jérusalem sans aucun rapport avec la famille de Jésus de Nazareth.

Selon l'archéologue Joe Zias du musée des Antiquités de Jérusalem, rien ne permet d'affirmer que les restes d'ossements dont on pourrait prélever et analyser l'ADN correspondent à leur ossuaire respectif. En effet, un ossuaire portant un seul nom peut parfaitement contenir les restes de six personnes et de générations non continues. Dans ce cas, l'analyse ADN n'a aucune valeur.

Dans une interview réalisée dix ans avant le film de Cameron et Jacobovici en prévision d'un documentaire sur la même tombe produit par la BBC, un journaliste posa plusieurs questions à Zias et d'autres experts, notamment sur la valeur des analyses ADN. L'interview n'a finalement pas été conservée lors du montage du film. En voici un extrait.

Le journaliste demanda à Zias : "Est-il juste de dire que les ossuaires comme ceux trouvés à Talpiot ont été utilisés pour [y placer] plus d'une personne ?"

Zias répondit : "Plus d'une personne ! En fait, si vous vous référez au journal Atiqot, volume 21, publié en 1992, vous trouverez un rapport concernant une tombe qui ne fut pas dérangée datant de l'Antiquité que j'ai excavée avec Varda Sussman. Elle réalisa l'archéologie et je fis l'anthropologie. Dans ce qui fut l'un des plus beaux ossuaires en pierre jamais découvert, il est gravé "Ceci est l'ossuaire de Yehosef Bar-Hanania". A côté de Yehosef, il y avait cinq autre personnes. Pour cette raison, l'ADN seul n'est pas une preuve.

J'ai du rire quand ils ont pris l'ADN d'un ossuaire et dirent avoir trouvé les restes d'une femme. En fait, il pouvait y avoir deux hommes et trois femmes à l'intérieur. Quand je dis six personnes, c'était des fragments de cinq autres personnes. Il est très rare de trouver un ossuaire ne contenant qu'une seule personne même s'il n'y a qu'un nom. Sur 15 ossuaires [trouvés durant cette excavation], je pense que trois d'entre eux contenaient au moins cinq ou six personnes. [Au total], il y avait 88 personnes dans la tombe. 15 ossuaires, 88 personnes ! Et la plupart d'entre eux n'étaient évidemment pas dans les ossuaires. Il y avait au moins 4 ou 5 générations à l'intérieur. Ces personnes ne forment pas une famille nucléaire, il s'agit des familles étendues. Une autre chose, est qu'il existe une loi dans le judaïsme qui permet de vous inhumer avec tout ceux avec lesquels vous avez dormi. Ainsi, par exemple deux frères ayant grandi ensemble, dormant dans le même lit; le mari et sa femme, une mère et trois enfants qui moururent avant l'âge de cinq ans".

Zias remet aussi en question les compétences des cinéastes, des profanateurs de tombes et le sens critique de certains experts : "Vous devez comprendre que ces personnes ne connaissent pas l'anatomie. Je veux dire que vous trouvez des pierres dans les ossuaires, vous trouvez des racines d'arbres dans les ossuaires, des parasites dans les ossuaires, des oeufs de parasites calcifiés. Vous trouvez un tas de choses. Il est très, très rare de trouver un ossuaire ne contenant qu'une personne. C'est vraiment une exception. Il n'y a également aucun moyen de déterminer les liens de parenté. Comme dire "Jésus, fils de Joseph" ne signifia pas qu'il existe un quelconque lien de parenté entre cet ossuaire et l'ossuaire sur lequel est inscrit "Joseph". L'ossuaire de "Joseph" est peut être deux ou trois générations plus vieux que lui. C'est pourquoi il n'existe aucun moyen de le dire. Ce Joseph peut avoir été un oncle, uns second cousin, et ainsi de suite".

Ceci dit, il faut remettre l'avis de Zias à sa juste place car depuis son interview d'immenses progrès ont été réalisés en paléogénétique. Les analyses génétiques effectuées sur des momies dont celle de Toutânkhamon et de Ramsès II âgées de plus de 3300 ans ont montré qu'il était tout à fait possible d'identifier chaque individu et de le replacer dans l'arbre généalogique de sa famille et même d'identifier les maladies congénitales. Mais dans le cas des ossements de Talpiot, cette analyse a été réduite au minimum car soit les autorités ont interdit tout prélèvement sur les autres squelettes soit il n'y avait plus ou pas assez d'ossements dans les ossuaires pour effectuer cette analyse. Retour ↑

15. L'ossuaire de Jacques n'existe pas ?

Selon James Tabor, l'ossuaire de Jacques découvert à Silwan (voir cette photo) contenait des ossements et proviendrait de la tombe de Talpiot, et plus précisément correspondrait à la référence 80/509 du catalogue IAA dont la pièce est manquante. Mais Amos Kloner avait relevé les dimensions de cet ossuaire que l'épigraphiste André Lemaire publia en 1996 dans le journal "Atiqot", volume 29 en pages 15-22 : il mesurait (LxHxl) 60 x 30 x 26 cm. Or l'ossuaire de Jacques mesure 56/50.5 x 30.5 x 25 cm, formant un léger trapèze inversé plus grand à hauteur du couvercle, il est fabriqué d'une pièce et comprend une inscription, alors que l'ossuaire manquant n'avait pas d'inscription et était placé à l'extérieur, avec les autres ossuaires taillés d'une pièce.

Contrairement à ce qu'affirme Jacobovici dans son livre où il écrit que "James Tabor a vérifié les dimensions de "Jacques" [...] elles correspondent exactement à celle de l'ossuaire manquant" (page 236), il y a en réalité entre 4 et 10 cm de différence de longueur entre les deux ossuaires.

Il y a également des traces d'humidité au fond de l'ossuaire de Jacques alors que la tombe de Talpiot est sèche et ne présente aucune trace d'humidité depuis près de 2000 ans. Les neuf ossaires de la tombe de Talpiot ne présentent pas non plus de traces d'humidité.

De plus, Rahmani précise dans son catalogue que l'ossuaire 80/509 était cassé alors que celui présumé de Jacques découvert à Silwan n'était pas cassé. "Etait" car à l'époque il présentait juste une longue fissure sur sa largeur qui débordait un peu sur le côté de l'inscription comme on le voit sur la photo du lien ci-dessus ou ci-dessous à gauche. En revanche, comme on le voit ci-dessous à droite, en 2002 pendant son transport vers une exposition qui se tenait à Toronto au Canada, il fut très endommagé et plusieurs fractures sont apparues (sans le casser totalement) dont l'une a traversé l'inscription. A peine 2 semaines après avoir été présenté au public, l'homme a été capable de détruire un objet que la nature avait préservé pendant 2000 ans ! L'ossuaire put heureusement être restauré avant d'être présenté à l'exposition. Notons que la valeur de l'ossuaire de Jacques a été estimée à 2 millions de dollars.

A gauche, le marchand Oded Golan montrant l'inscription sur l'ossuaire de Jacques (ossuaire de Silwan) taillé dans du calcaire découvert en 2002, quelques jours avant qu'il soit abîmé. A droite, les fractures survenues en 2002 pendant son transport vers une exposition qui se tenait à Toronto. L'ossuaire fut restauré.

En fait, étant donné que l'ossuaire de Jacques fut racheté au marchand Oded Golan et probablement vidé de son contenu bien avant comme le font tous les profanateurs de tombe, ayant été sorti de son contexte, l'objet n'a plus aucune valeur car on ne peut rien en tirer scientifiquement parlant. Ceci dit, étant donné qu'il remonte à plus de 1900 ans, ce qui est assez rare, il a tout de même été étudié et fait l'objet d'analyses.

Selon l'Autorité des Antiquités Israélienne (IAA) et confirmé par André Lemaire, l'inscription figurant sur l'ossuaire de Jacques n'est pas régulière. En effet, la première partie du nom (Jacques fils de Joseph) est plus profondément incisée que la seconde (frère de Jésus), suggérant qu'elle fut inscrite à une autre époque (plus récemment) ou que la roche calcaire présentait une dureté différente. La patine montre toutefois que l'ossuaire résida dans une tombe durant plusieurs siècles. La même patine recouvre l'inscription suggérant qu'elle est authentique.

Le 18 juin 2003, l'IAA déclara que l'inscription était l'oeuvre d'un faussaire. Elle aurait été fabriquée au XXe siècle et sa patine aurait été vieillie avec une solution de craie. Christopher Rollston déclara également que l'inscription n'étaient pas authentique.

En 2006, l'expert en patines Wolgang E. Krumbein conclut que "l'inscription est ancienne et l'essentiel de la patine originale a été retirée (nettoyée ou par utilisation d'un outil pointu) [...] toute contrefaçon des trois types distincts de patines, même si elle s'avère possible, exige l'utilisation de techniques ultra-avancées, une connaissance approfondie et la collaboration extensive d'un grand nombre de divers experts". Dans un article publié en 2016 dans le journal "Jerusalem Post", Krumbein déclara que "ce genre de patine met au moins 50 ans pour se former et donc, s'il s'agit d'une contrefaçon, elle fut réalisée il y a plus de 50 ans", ce qui blanchit le marchand Oded Golan qui prétendit l'avoir acheté dans les années 1970. Rappelons que Golan fut acquitté en mars 2012. Pour sa part, l'archéologue Gabriel Barkay de l'Université Bar-Ilan conclut également que l'inscription est authentique.

En résumé, les spécialistes n'ont pas pu se mettre d'accord sur l'authenticité ou non de l'inscription dont le statut reste indéterminé.

Les traces de la stupidité de la police scientifique israélienne sur l'ossuaire de Jacques.

Mais toute cette affaire a fini par abîmer l'ossuaire. Non seulement, il a été fracturé suite à des manipulations brutales mais suite aux analyses réalisées par le laboratoire de la police scientifique israélienne, comme on le voit à droite, à force de vouloir prouver que l'inscription "Yeshua" (Jésus) était l'oeuvre d'un faussaire, la police a détruit le peu de patine qui restait sur l'inscription.

En 2015, le géoarchéologue Aryeh Shimron publia les résultats de plus de 200 tests chimiques qu'il effectua sur l'ossuaire de Jacques et dans les tombes de Silwan et de Talpiot. Il aboutit à la conclusion que la patine et la terre prélevées dans l’ossuaire de Jacques présentent une signature géochimique unique qu'on ne retrouve que dans la tombe de Talpiot et a déclaré que l'ossuaire reposait à l'origine au côté des ossuaires portant les noms de Jésus et de sa famille.

Si cette conclusion fait évidemment le bonheur de James Tabor, sa théorie est en contradiction avec les annales historiques et les coutumes. En effet, selon Flavius Josèphe ("Antiquités Judaïques", Livre XX, XI.200), "Jacques, le frère de Jésus qui est appellé Christos" fut lapidé vers l'an 62, avant la Guerre des Juifs (66-72), sur ordre du souverain sacrificateur Ananius ben Anân (ou Anan, le beau-frère de Joseph Caïphe). Mais selon la tradition chrétienne, Jacques fut condamné à mort pendant la Guerre des Juifs, en 66. On tenta d'exécuter la sentence en le jetant du haut du Temple. Puis, après avoir évité la lapidation, il fut tabassé à mort (cf. John Meier, "Marginal Jew: Rethinking the Historical Jesus", Vol. 1, p58).

Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique, Livre II, XXIII, 3-25) cite l'historien Hégésippe qui vécut au IIe siècle mentionnant l'existence d'une stèle commémorant le lieu de sépulture de Jacques qui fut inhumé en pleine terre à Jérusalem. Selon une très intéressante étude de Jodi Magness[4] publiée en 2005 déjà citée consacrée à l'inhumation de Jésus et de Jacques, Jacques le Juste fut enterré hors les murs, dans la vallée de Cédron (entre Jérusalem et le mont des Oliviers) qui ne correspond pas du tout à l'emplacement de la tombe de Talpiot située à environ 3 km de distance. Si d'autres auteurs dont Origène et Flavius Josèphe évoquent également le décès de Jacques, aucun d'entre eux ne précise que ses reliques furent déterrées, placées dans un ossuaire et mis en tombe à Talpiot.

Selon Magness, cette pratique ne se faisait jamais et "n'était pas nécessaire car les ossuaires contenaient les os des premiers défunts récoltés dans les tombes familiales taillées dans la roche. Cela aurait été une perte de temps et d'argent de retirer les ossements de terre et les replacer dans un ossuaire". Et de conclure, "Même si l'inscription est authentique, elle ne se rapporte pas à Jacques le Juste, frère de Jésus. La controverse entourant l'ossuaire de Jacques reflète une idée fausse fondamentale et répandue concernant la fonction et le contexte social de l'ossilegium [les os calcinés placés dans des urnes ou des ossuaires] durant la période du judaïsme du second Temple" (page 154 dudit article).

En revanche, si on admet que cet ossuaire est bien celui de son propriétaire alors on peut supposer qu'il s'agit d'un faux et par voie de conséquence on est en droit de remettre en question l'identité des défunts des autres ossuaires de Silwan et de la tombe de Talpiot. Pourquoi ? Car si un élément historique d'un ensemble apparemment cohérent est faux, pourquoi les autres ne le seraient-ils pas ? Et les opposants à la théorie de la tombe de Jésus ont quelques arguments pour appuyer leur thèse dont ceux évoqués ci-dessus. Retour ↑

En guide de conclusion

En février 2017, visiblement agacé par les critiques de tout bord, James Tabor publia un bref commentaire dans le webzine "Huffington Post" dans lequel il déclara notamment : "Je trouve quelque peu étonnant que tant d'opinions s'exprimant librement sur la tombe controversée de "Jésus" à Talpiot et/ou sur "l'ossuaire de Jacques" n'aient pas consulté la moindre des dernières recherches sur le sujet". S'il considère que les scientifiques et journalistes sont incompétents, alors on peut aussi lui retourner l'argument. Cette façon de critiquer tout le monde et personne n'est pas à son honneur.

De plus, certains spécialistes (archéologue, historien, exégète, théologien, etc.) ont créé leur propre blog dans lequel ils abordent la question de la tombe de Talpiot et développent des arguments tout à fait légitimes, il est vrai s'opposant souvent aux conclusions de Tabor et de ses partisans. Tabor serait injuste et partial de les critiquer en y voyant que des propos obsolètes voire faux quand lui-même gère un blog et m'a personnellement expliqué qu'il avait peu de temps à y consacrer et à répondre aux lecteurs. Quant aux lecteurs lisant les pages de son blog ou sa page Facebook, il serait étonnant que certains n'aient pas une formation scientifique. Parmi les autres lecteurs, quelques amateurs sont probablement même bien informés, d'autant plus à l'heure d'Internet où il est très facile d'accéder à des articles scientifiques et de contacter des chercheurs. Ce dossier étant indirectement visé par les propos de James Tabor, donnerait-il l'impression d'avoir été écrit par un ignorant ? C'est d'ailleurs ce que je lui ai personnellement répondu.

En résumé, il est difficile pour n'importe quel expert du sujet de déclarer avec certitude que les ossuaires et les inscriptions de la tombe de Talpiot sont authentiques mais rien ne permet non plus d'affirmer le contraire. Ce caveau familial contient trois fois le prénom de Jésus (sur son propre ossuaire, celui de son frère Jacques et de son fils Judas) ainsi que les prénoms et parfois le patronyme de certains membres de la famille élargie de Jésus de Nazareth. Mais cette coïncidence apparente n'est pas inhabituelle vu la fréquence de ces prénoms. Malheureusement, très peu de fragments de squelettes ont été découverts dans les ossuaires et aucun objet dans la tombe qui permet d'apporter quelques indices sur l'identité ou les relations entre ces personnes.

Ainsi, beaucoup de spécialistes dont une écrasante majorité de biblistes américains défendent les arguments du bibliste James H. Charlesworth du Séminaire Théologique de Princeton développées dans son livre collectif "The Tomb of Jesus and His Family?" (2000 et réédité en 2014) et appuyent la conclusion de l'archéologue Rachel Hachlili de l'institut d'Archéologie Zinman d'Isräel qui conclut : "À la lumière de tout ce qui précède, la tombe de Talpiot est une tombe familiale juive sans lien avec la famille historique de Jésus; ce n'est pas la tombe familiale de Jésus et la plupart des faits présentés pour l'identification sont des spéculations et des conjectures." (op.cit., p143).

Après avoir jeté l'opprobe sur les critiques de ses adversaires, James Tabor a finalement modifié ses conclusions mais sans pour autant réfuter sa théorie (il est toujours difficile et plus encore pour un scientifique de reconnaître qu'il s'est trompé) qu'il présente toujours sur son blog notamment dans son article "The “Jesus” Tomb Story: Does the Evidence Add Up?" publié en 2016 dans lequel il répond à ses détracteurs à propos des preuves relatives à la tombe de Talpiot et de Silwan.

Ce dossier n'est pas clos. L'enquête scientifique continue mais en d'autres endroits, car en ce qui concerne ces deux tombes, l'enquête est pratiquement terminée faute de données exploitables et de certitudes ou d'indices suffisamment concordants pour servir de preuve. Aussi, du fait que les conclusions scientifiques reposent sur des données fragmentaires incertaines, les sceptiques ne se font pas prier pour invoquer l'incomplétude des données et les interprétations un peu trop optimistes de certains experts pour invalider la thèse selon laquelle la tombe de Talpiot est bien celle de Jésus de Nazareth et de sa famille. Mais si certains veulent y croire, le doute est permis, même si ce n'est pas un "doute raisonnable" comme le diraient les avocats de la défense.

Malgré les doutes et les peurs que suscitent a priori chez certains croyants les révélations autour de la tombe de Talpiot par leurs conséquences éventuelles sur le sens de la Bible, il existe à travers ce lieu un lien dogmatique mais également spirituel qui permet de remonter à travers la doctrine de Jésus et de ses premiers disciples jusqu'au racines communes entre le christianisme et le judaïsme. Vu dans cette perspective, la tombe de Talpiot mérite qu'on s'y intéresse avec la curiosité autant d'un scientifique que d'un historien.

Pour plus d'informations

Lire "In-Depth Reading on the Talpiot “Jesus Family” Tomb" (2017) de James Tabor ainsi que la dizaine de liens qui terminent l'article en réponse aux différents spécialistes qui se sont prononcés sur le sujet et qui ne partagent pas son point de vue.

The Tomb of Jesus? Wrong on Every Count, Craig Evans et Steven Feldman, BAS, 2022.

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[1] Lire James Charlesworth, "The Tomb of Jesus and His Family", pp.174-183.

[2] Lire Levy Y. Rahmani, "A Catalogue of Jewish Ossuaries in the Collections of States of Israel", Israel Antiquities Authority, N° 701, également sous forme de livre.

[3] Marie-Madeleine (Marie de Magdala) est une disciple de Jésus qui le suivit durant tout son ministère et assista à sa résurrection. Statistiquement, son nom est cité plus souvent dans les quatre Évangiles que certains apôtres. C'est le pape Grégoire Ier au VIe.s. qui associa Marie-Madeleine avec Marthe de Béthanie. Toutefois cette erreur fut corrigée au XXe.s. après Vatican II; les deux personnes sont distinctes. Marie de Béthanie est également une disciple de Jésus. C'est la soeur de Lazare et de Marie de Béthanie (cf. Luc 10:38-42). Selon l'apocryphe de l'Epître des Apôtres rédigé en l'an 120, Marthe de Béthanie aurait été témoin de la résurrection de Jésus avec Marie-Madeleine et Sarah.

[4] Lire Jodi Magness, "Ossuaries and the Burials of Jesus and James", in Journal of Biblical Literature 124, 1, p.121-154 (2005).


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