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Le génie génétique

L'expression du vivant (I)

Nous souffrons tous un jour ou l'autre de maladies plus ou moins bénignes ou aiguës. Au cours des infections bactériennes ou virales, le patrimoine génétique de nos cellules peut-être affecté. Additionné aux 6000 maladies génétiques déjà connues, telles la mucoviscidose, le diabète ou l’hypertension, voici quelques décennies les scientifiques ont reconnu qu'il était urgent de séquencer et cartographier le génome humain afin de déchiffrer toutes les pages de cette immense encyclopédie en 46 volumes que représentent les 3.055 milliards de lettres ou paires de bases représentant les quatre acides nucléiques (A, T, G et C) ou nucléotides et 19969 gènes distribués dans les 23 paires de chromosomes.

S'il était transcrit sur papier, le génome humain occuperait 500 volumes de 800 pages chacun mais dont plus de 97% du contenu soit 485 volumes n'ont apparemment plus d'utilité; ce sont les gènes de rebut.

Nous sommes identiques à nos semblables à plus de 99.9% mais il y a tout de même quelques différences génétiques. C'est ce 0.1% de gènes qui nous caractérise et détermine nos malheurs et nos bonheurs. En 2005, la revue "Nature Genetics" publia justement un article dans lequel Paul de Bakker et son équipe tentèrent de nous expliquer pourquoi nous sommes tous différents.

Si on énumérait tous les nucléotides du génome de deux personnes à raison d'une base par seconde, il faudrait environ 8.5 minutes pour détecter la première différence entre les deux individus.

Génétiquement, nous nous différencions assez peu des autres espèces animales. De manière générale, les génomes humain et du chimpanzé sont identiques à 99.4% (cf. D.E. WIldman et al., 2003; A.Gibbons, 2012). Le génome humain comprend environ 21500 gènes contenant chacun 1500 nucléotides. Mais le nombre de gènes n'est pas synonyme de complexité, d'intelligence ou de faculté d'adaptation. A titre de comparaison, le grain de riz dispose d'environ 25000 gènes, le ver de terre de 19098 gènes, la mouche des fruits de 13602 gènes, la levure de 6034 gènes, le bacille de Koch (Mycobacterium tuberculosis) de ~4000 gènes et le SARS-CoV-2, le coronavirus vecteur de la Covid-19, dispose de 11 gènes.

Le séquençage du génome

Le séquençage du génome humain débuta en 1990 et fut "presque" totalement cartographié en 2003, plus rapidement que prévu. Ce travail de séquençage fut effectué au niveau mondial, dans une collaboration entre les laboratoires de recherches américains et des instituts privés internationaux rassemblés dans l'organisation HUGO (Human Genome Organisation) afin que les résultats puisse être mis à disposition du public. Ce programme cache également des contrats commerciaux dont on ne connaît pas encore tous les termes et les conséquences.

"Presque" tout le génome fut cartographié, car contrairement à ce qu'on lit souvent, à l'époque pour des raisons techniques il n'a pas été possible de le séquencer totalement (cf. STAT, 2017) car la méthode de séquençage utilisée n'a pas lu le génome comme on lit un livre de la première à la dernière page mais préleva des séquences au hasard contenant entre 1000 lettres (en 2001) et 100 lettres (en 2017).

Malgré les duplications, il restait des lacunes dans le séquençage qui, selon le bioingénieur George Church de l'Harvard Medical School, représenterait plus de 8% du génome soit plus de 1500 gènes. On avait répertorié 341 lacunes dont 250 sont situées dans la partie principale de chaque chromosome. Seules 33 lacunes (en 2017) se situaient dans ou près du centromère de chaque chromosome et des télomères. A priori ces séquences sont peu utilisées, il peut aussi s'agir de répétitions apparemment inutiles ou de gènes de rebut mais nous savons que certains d'entre eux interviennent dans le processus de vieillisement et certaines maladies comme les cancers.

A partir de 2013, dans le cadre du Consortium Telomere to Telomere (T2T), une centaine de chercheurs appartenant à 30 institutions internationales sous la direction d'Adam Philippy de l'Institut américain de recherche sur le génome humain, à Bethesda, et de Karen Miga, de l'Université de Californie à Santa Cruz (UCSC) ont cartographié les 8% de séquences manquantes, y compris les centromères, une tâche difficile car ils sont très densément compactés et contiennent presque une infinité de codes redondants.

Plusieurs centaines de millions de paires de bases furent ainsi ajoutées puis en 2021 on découvrit 115 nouveaux gènes. Les dernières séquences furent ajoutées en 2022. Ce génome intégralement séquencé est nommé T2T-CHM13v2.0 (cf. S.Nurk et al., 2021; Nature, 2021; S.Nurk et al., 2022). Il faut à présent comprendre ce que tout cela signifie.

Entre-temps, entre 2008 et 2015 les membres du 1000 Genomes Project se concentrèrent sur le séquençage des variations du génome humain. Les chercheurs ont identifié 2 millions de variants de gènes dont seulement 622 ont une importance médicale reconnue. Cela signifie que ces 2 millions de variants résultant de l'évolution et dont on ignore tout peuvent potentiellement contribuer à l'émergence de certaines maladies.

Le génome T2T-CHM13 ne représente qu'un seul génome humain. Les chercheurs ont donc fait équipe avec le Consortium Human Pangenome Reference pour séquencer plus de 300 génomes d'ici 2025 provenant d'humains du monde entier, en utilisant T2T-CHM13 comme référence. Ils prévoient également de séquencer un chromosome Y, car le sperme utilisé pour créer la môle hydatiforme (une anomalie de la grossesse) ne portait qu'un chromosome X.

Manipulations génétiques. Document T.Lombry

Deux autres associations américaines travaillant dans le même domaine de recherche ont également vu le jour, Celera Genomics et Human Genome Project (HGP), cette dernière travaillant en collaboration avec le Départment de l'Energie (DOE) et comprend parmi ses membres de grandes institutions américaines telles que l'Institut National de Recherche sur le Génome Humain (NHGRI) et l'Institut National de la Santé (NIH).

Vu la puissance de l'informatique distribuée - nous connaissons la puissance de SETI@home équivalent à celle d'un superordinateur cadencé à 15 TeraFlops - la recherche en biologie moléculaire passe aujourd'hui également par Internet, c'est le projet Folding@home auquel toute personne disposant d'un ordinateur connecté à Internet peut participer. N'hésitez pas à vous y connecter, c'est de la science !

Il va sans dire que le bénéfice potentiel de cette recherche touche de près notre santé. Le fait de pouvoir choisir un index dans cette fameuse encyclopédie génétique et d’y trouver toutes les tares que porte un gène, sans compter les effets qu’il produit lors d’une mutation est d’une importance vitale. La découverte de gènes salvateurs permettrait à la thérapie génique d’atténuer ou de supprimer les déficits héréditaires.

Toutefois des dizaines de milliers de séquences prises un peu au hasard ont été brevetées... à toutes fins utiles. Mais revers de la médaille, cela signifie qu'elles ne seront pas connues du milieu scientifique sans une participation financière, et dès lors ces gènes "sous copyright" ne permettront pas aux chercheurs de créer de nouveaux médicaments pour éradiquer certaines maladies.

C'est ici que les comités d'éthiques et les lois supranationales doivent veiller et fixer des limites précises. Espérons malgré tout que grâce à tout ce déployement d'énergie, l’homme sera bientôt capable de réparer les déficiences de dame Nature.

En l'espace de 20 ans, le seul projet HUGO coûta 3 milliards de dollars. Chaque seconde, les ordinateurs de ces laboratoires de microbiologie sont capables de décoder 12000 lettres de cet alphabet génétique et grâce à de nouvelles techniques plus performantes (pyroséquençage, séquençage SMRT, etc), le décodage s'accélère chaque année. Aujourd'hui nous avons réassemblé tous les "mots" constituant le génome humain et possédons tous les "livres" de cette bibliothèque génétique. Nous pouvons à présent lire notre patrimoine dans le texte et un jour comprendre pourquoi nous sommes ce que nous sommes.

A voir : Comment fait-on une analyse ADN ?, Unisciel

Séquençage de l'ADN, Enième Prod

A gauche et au centre, deux schémas expliquant le principe du séquençage du génome. Cette technique consiste à extraire l'ADN cellulaire, isoler chaque nucléotide puis recombiner l'ensemble pour lire toute la séquence. A gauche, 1: Extraction de l'ADN cellulaire, 2: Isolement des sels d'ADN, 3: Isolement des gènes par électrophorèse, 4: Séquençage (inventaire des nucléotides), 5: Assemblage (rassemblement des fragments) et lecture. A droite, une installation de séquençage de l'ADN à l'Université Monash d'Australie. Ce travail d'inventaire fut tellement gigantesque qu'il a fallu près de 20 ans et l'aide des ordinateurs pour y parvenir, en faisant appel à des centaines de laboratoires à travers le monde. Documents BBC, U.Monash/Micromon et UBC.

Cellules souches et génie génétique

Le fait de discuter du génome nous offre l'occasion d'aborder la question sensible des manipulations génétiques. Dans le cas de l'être humain, on parle d'embryon jusqu'au 60e de jour de la vie intrautérine, ensuite de foetus. On a tendance à parler de bébé à partir du 7e et certainement du 8e mois de grossesse du fait que son système nerveux est formé, il a ouvert les yeux depuis un mois, il entend, bouge, prend beaucoup de poids (250 g/semaine le 7e mois puis 100 g/semaine le 8e mois) et vient de se retourner, la tête en bas. Beaucoup de bébés prématurés naissent dès le 8e mois et pèsent déjà 2.5 kg et mesurent 45 cm. Mais remontons quelques mois plus tôt, quand il n'y avait encore que deux cellules indifférenciées.

Après la fusion des gamètes et jusqu'au 13e jour de la division cellulaire, les cellules sont indifférenciées. Il s'agit des cellules souches. Si on les manipule génétiquement durant cette période de la vie, en les implantant par exemple dans un autre embryon en formation, ces cellules peuvent donner indifféremment tous les tissus du corps (muscle, rein, peau, oeil, etc) voire tout un organisme.

A partir du 14e jour on assiste à leur spécialisation. La cellule souche ne se divise plus à l'identique, et selon un schéma que l'on commence à comprendre suite à la recherche sur le génome, elle se met à créer un organe ou un tissu spécifique du corps.

Au cours de la division des cellules souches, l'une des cellules obtenue après la division garde son statut de cellule souche tandis que l'autre se différencie suivant le tissu dans lequel elle se trouve. Ce processus reste totalement mystérieux. On note cependant qu'en fonction de la nature des cellules souches, celles-ci donneront certains types de cellules.

A lire : 23andMe décode votre ADN (sur le blog

Des cellules de peau changées en cellules souches

A gauche, un embryon humain de 3 jours au stade 8 cellules appelées blastomères. Il s'agit de cellules souches totipotentes capables de donner naissance à tout un organisme. Au centre, un embryon humain de 4 jours au stade morula car il rappelle la forme d'une petite mûre. Il contient entre 12 et 16 cellules. L'ovocyte a perdu sa membrane pellucide. A droite, l'intérêt des cellules souches pluripotentes, dites embryonnaires, est de pouvoir former n'importe quel type de tissu. Documents WVU/HSC, Jason Burns/Ace/Phototake NYC et Doug Brutlag/U.Stanford adapté par l'auteur.

Il existe 4 types de cellules souches :

- unipotentes : elles ne peuvent former qu'un seul type de cellule (hépatocytes, kératinocytes, myoblastes,...). Une fois différenciées, ces cellules conservent la faculté de s'autorenouveller.

- multipotentes : elles sont à l’origine d’un nombre réduit de cellules (cellules souches de la moelle osseuse à l’origine des cellules sanguines : hématies, globules blancs,...). On trouve également ces cellules dans le sang du cordon ombilical où elles sont souvent prélevées. Elles sont très peu nombreuses dans les tissus adultes.

- pluripotentes : elles sont à l’origine de presque tous les types cellulaires. On les appelle également les cellules souches embryonnaires. En effet on trouve ces cellules chez l’embryon âgé de 5 à 7 jours. Ces cellules se retrouvent également chez l’embryon âgé de 5 à 10 semaines dans les zones à l’origine des ovaires et des testicules. Les généticiens extraient ces cellules d’embryons surnuméraires.

- totipotentes : elles peuvent potentiellement donner naissance à un individu complet. Chacune des 8 premières cellules de l’œuf fécondé est totipotente. Leur préservation vaut le prix de la vie !

Les cellules pluripotentes et totipotentes se trouvent uniquement chez l’embryon. Les cellules unipotentes et multipotentes sont présentent dans tout organisme adulte, d'où l'intérêt qu'elles représentent dans le cadre du génie génétique (culture de tissus et clônage).

Prélèvement et usage des cellules souches.

Le problème d'innocuité

Il y a toutefois un risque à utiliser des cellules souches pluripotentes car, par nature, elle sont capables de se diviser indéfiniment. Elles flirtent donc dangereusement avec le processus de développement des cellules cancéreuses. Des tests effectués sur des souris ont montré qu'elles peuvent se transformer en tératome (tumeur bénigne ou maligne) ou en tératocarcinome (tumeur maligne de l'épithélium) et donc développer des cancers.

Par sécurité, on ne peut utiliser les cellules souches pluripotentes que lorsque celles-ci se sont différenciées en un type de cellule précis. Actuellement, quelle que soit la méthode utilisée pour séparer les cellules pluripotentes de leur progéniture différenciée et non cancérigène, il faut impérativement s'assurer que cette séparation est parfaite, sans aucun risque pour le patient.

Et dans ce contexte, la technique consistant à utiliser des gènes et des rétrovirus comme l'ont fait deux équipes de chercheurs en 2007 pour transformer des cellules de peau en cellules souches, n'est pas plus rassurante.

Un panoramique dentaire examiné par un dentiste. Document Ridofranz/Istock.

De même, en dentisterie les solutions de garnissage existantes sont peut-être esthétiques mais elles sont toxiques pour les cellules et donc incompatibles avec la pulpe dentaire (la partie interne de la dent). Pour résoudre ce problème, il faut développer une matière ou idéalement un biomatériel synthétique capable de stimuler les cellules souches.

Ces problèmes ne peuvent être résolus qu'en inventant de nouvelles techniques. Si ce domaine demande encore des décennies de recherches, au fil des années il faut constater que les chercheurs ont déjà réussi à développer de nouveaux traitements à partir de cellules souches, apportant un peu plus d'espoir à tous les patients. Demain espérons qu'ils parviendront à mettre au point des thérapies complètes.

Ainsi après plusieurs années de recherches (cf. cette annonce de 2009), en 2012 le premier médicament obtenu à partir de cellules souches mature mésenchymateuses (présentes dans le mésenchyme de l'embryon)  fut approuvé au Canada et par la FDA américaine, c'est le Prochymal. Fabriqué par Osiris Therapeutics, on peut l'administrer dans le cas de la maladie du greffon contre l'hôte ou GvHD (Graft-Versus-Host Disease) liée au rejet d'un transplant. En 2013, ce médicament fut approuvé par la Commission Européenne.

Puis en 2016, des chercheurs des universités de Nottingham et d'Harvard ont annoncé qu'ils avaient développé un produit régénératif dentaire à partir de cellules souches permettant aux dents de se régénérer elles-mêmes. Cette invention fut aussitôt primée par la Society Royale de Chimie et considérée comme "un nouveau paradigme dans les traitements dentaires". Toutefois, à l'heure actuelle ce traitement est très onéreux et réservé une fois de plus aux plus riches. Ce progrès incontestable ne doit cependant pas être une excuse pour ne plus vous laver les dents !

Quant aux techniques de clonage et de fécondation in vitro, en l'espace de 20 ans, elles ont abouti à d'étonnants résultats.

Prochain chapitre

Hello Dolly ou les manipulations génétiques

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