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Le génie génétique

La médecine face à la religion (III)

Bien que la biotechnologie ait réalisé d'énormes progrès, elle doit encore faire face à un immense obstacle : Dieu, du moins tel qu'il est défini dans les religions occidentales. En effet, pendant que les leaders de gauche et de droite s'interrogent sur la moralité de la recherche sur les cellules souches, que le corps médical critique la naissance de bébés très prématurés et que les universités se battent pour obtenir des subventions pour la biotechnologie, les chercheurs ont déserté leur laboratoire comme les généticiens Nancy Jenkins et Neal Copeland, qui ont quitté l'Institut National du Cancer (NCI) américain pour poursuivre leurs recherches à Singapour.

L'Asie offre en effet un terrain fertile aux nouveaux chercheurs, peu de restrictions et un point de vue différent sur la religion et la vie qu'en Occident. En Corée du Sud par exemple, Hwang Woo Suk étudie la possibilité de créer des cellules souches pluripotentes par des méthodes de clonage et ne ressent aucune pression des médias ni ne se sent obligé de s'excuser pour avoir offensé des tabous dogmatiques. Il justifie le clonage en citant les textes sacrés bouddhistes qui évoquent le cycle de la vie à travers la doctrine de la réincarnation. Si cette approche est réfutée par les religions monothéistes, elle est néanmoins partagée par plus d'un milliard d'habitants (les hindous, les bouddhistes, les jaïns et les groupes spiritualistes).

Ceci peut néanmoins conduire à des conflits. Là où certains parlent de fraude et de mensonge du chef du Dr. Hwang qui a sciemment publié dans revue "Science" des études truquées sur le clonage en 2004 et 2005 (depuis il a été suspendu par l'Université Nationale de Séoul, interdit de recherche et condamné le 12 mai 2006 par la justice coréenne), le plus haut chef religieux bouddhiste de Corée, le Révérend Ji Kwan, âgé de 73 ans (2006) déclare que la recherche sur les embryons est en accord avec les préceptes de Bouddha et conseille aux scientifiques coréens ne pas tenir compte des codes éthiques occidentaux ! Mais cette fois, ni les scientifiques ni la justice ne lui ont donné raison.

Les religions pratiquées en Asie s'inquiètent moins que les religions occidentales du "rôle de Dieu" dans la biotechnologie. Le clonage thérapeutique peut effectivement être interprété comme une "réincarnation" dans les philosophies bouddhiste ou hindoue et donc ne pas choquer les chefs religieux ni le public.

Les spiritualités et leur impact sur les biotechnologies

Dans son livre "Challenging Nature" (2007), le biologiste moléculaire Lee M. Silver de l'Université de Princeton a analysé les conflits potentiels entre science et spiritualité à propos des recherches en biotechnologie, OGM et clonage des embryons. Il s'est demandé sur un plan spirituel de quoi les gens avaient peur, sur quels sujets ils refusaient de discuter, instauraient des interdits, des tabous, etc, et sur quels sujets ils avaient une vision libérale.

Silver a constaté que la plupart des pays d'Asie du sud et de l'est présentent peu d'opposition envers la recherche sur le clonage des cellules souches ou les OGM. La Chine, l'Inde, Singapour et d'autres pays d'Asie ont voté des lois autorisant le clonage des embryons pour la recherche médicale (clonage thérapeutique, par opposition au clonage reproductif destiné à recréer un corps humain complet). On retrouve également des cultures OGM en Chine, en Inde et ailleurs.

L'autorisation ou l'interdiction du clonage des embryons humains dépend notamment de la religion et de la politique plus ou moins libérale pratiquée dans le pays concerné.

En Europe, les OGM sont attaqués de toutes parts par les écologistes, notamment en France et en Allemagne. Cela ne s'est pas arrangé avec la décision de la Commission européenne de tolérer 0.9% d'OGM dans les produits Bio. Suite à la répétition des manifestations et des saccages de cultures, la France et l'Allemagne ont décidé d'instaurer un moratoire sur les cultures OGM mais il prit fin en 2010. 

En revanche, le clonage des embryons humains pour la recherche a été légalement autorisé en Grande Bretagne, en Belgique et dans d'autres pays, mais il est interdit dans une douzaine d'autres dont la France et l'Allemagne.

En Amérique du Nord et du Sud, les OGM sont largement utilisés. Mais le clonage des embryons à des fins de recherche est interdit dans de nombreux pays, notamment au Brésil, au Canada et au Mexique. Il n'est pas interdit dans tous les Etats américains mais la recherche sur le clonage ne bénéficie pas de subventions fédérales et certains Etats l'ont interdit.

Selon Silver, ces positions divergentes et parfois dogmatiques s'expliquent par l'appartenance des peuples à certaines obédiences spirituelles qu'il classe en 3 catégories :

- Les traditionnalistes chrétiens, prédominant en Occident et notamment dans la plupart des pays Européens

- les post-chrétiens comme il les appelle, concentrés dans les autres pays européens et dans certaines régions d'Amérique du Nord, surtout le long des côtes (qui sont aussi les zones les plus peuplées)

- les adeptes des religions d'Asie.

La plupart des pays hindous et bouddhistes ont une tradition spirituelle dans laquelle il n'existe pas qu'un seul Dieu créateur comme dans les religions judéo-chrétiennes. Il peut y avoir de nombreux dieux (il y a 330 millions de divinités dans l'hindouisme) comme aucun dieu du tout et aucun "grand architecte" de l'univers. En lieu et place, les esprits sont éternels et la vertu des individus - leur karma - détermine l'évolution de leur esprit dans leur prochaine vie. A quelques exceptions près, ce point de vue autorise la recherche sur les embryons et les OGM.

Au contraire, dans la tradiction judéo-chrétienne, Dieu représente le "grand architecte de l'univers", c'est le Maître créateur qui a donné une âme à chaque être humain et leur a permis de dominer sur les plantes et les animaux. Pour les Chrétiens traditionnalistes, l'embryon est déjà un être humain et il dispose d'une âme. Les scientifiques ne peuvent pas utiliser les techniques de clonage pour créer des embryons humains ou pour détruire des embryons au cours de leur recherche.

En revanche, les chrétiens n'ont pas ces tabous quand le clonage concerne les ordres "inférieurs" comme les animaux ou les plantes. On peut donc conclure que le clonage des animaux et les OGM ne sont pas des sujets controversés pour les chrétiens traditionnalistes. En revanche, les post-chrétiens s'inquiètent également pour la faune et la flore.

De nombreux Européens ainsi que les gauchisants américains ont rejeté le dieu chrétien traditionnel et l'ont remplacé par un dieu post-chrétien, la déesse mère Nature, et ont modifié l'eschatologie chrétienne (la théologie et la philosophie en lien avec la destinée de l'humanité). 

On voit immédiatement que ce système de croyance n'est pas cohérent. Certains y incorporent même la philosophie New Age. Mais profondément enfoui, il y a toujours l'idée que les humains ne devraient pas toucher au monde naturel. D'où leur opposition face aux OGM.

Du fait que les post-chrétiens ne partagent pas nécessairement la vision biblique du Dieu omnipotent ayant le pouvoir de créer des âmes, ils sont moins enclins à considérés que les scientifiques "jouent aux dés" dans leur laboratoire avec les embryons. En Californie par exemple, État très libéral et cosmopolite, les résidents ont voté en faveur du clonage des embryons à des fins de recherches ainsi que pour son financement, une position totalement opposée aux vues dogmatiques voire sectaires des Républicains.

Mais parfois le respect de la nature comme l'imagine les post-chrétiens s'étend aux embryons, conduisant à des alliances improbables. Ainsi, quand les intellectuels conservateurs comme Francis Fukuyama ont fait campagne au Congrès (Chambre des Représentants et Sénat) pour interdire le clonage des embryons, certains activitistes écologistes comme Jeremy Rifkin les ont rejoints. De même, le leader des Verts allemands, Voker Beck, a qualifié la recherche sur le clonage des cellules souches comme du "cannibalisme voilé".

L'impact des croyances sur l'éthique

Manipulation génétique. Document Science Photo Library.

Bien sûr, de nombreuses personnes critiquant les biotechnologies ne se réfèrent pas explicitement à des dogmes religieux pour justifier leur opposition. Après tout, les Etats-Unis sont supposés être guidés par leur constitution séculaire et non par des croyances sectaires. Les opposants aux OGM se focalisent sur les dangers potentiels sur les écosystèmes et la santé humaine tandis que les comités scientifiques essayent de résoudre la question en effectuant des analyses de risques.

En réalité, les décisions sont plus influencées par les croyances que par les données scientifiques. Quand une étude trouve que les OGM sont suffisamment sains pour rassurer les chrétiens traditionnalistes du Kansas, les post-chrétiens de Suède les qualifient de "frankenfood", de "bouffe OGM" par référence au patchwork d'éléments pris chez différents êtres vivants qu'utilisa Frankenstein pour créer son monstre.

De la même manière, certains opposants au clonage des embryons comme Leon Kass, ancien président du Conseil présidentiel de Bioéthique, considère qu'ils ne défendent pas des croyances judéo-chrétiennes mais la "dignité humaine". Le Dr. Kass donne un statut spécial aux êtres humains tels qu'ils sont décrits dans le Livre de la Genèse et voudrait qu'on en tienne compte, non pas de l'autorité Biblique mais parce que le message reflèterait une "vérité cosmologique".

Il va de soi qu'il n'est pas facile de défendre une telle vérité sur la nature humaine qui n'est ni triviale ni partagée par tous les croyants. Les Conservateurs de la Chambre des Représentants ont essayé d'interdire tout traitement dérivé des cellules souches mais les membres du Sénat s'y sont opposés.

Les recommandations de l'OMS

Le 25 novembre 2018, la revue "MIT Technology Review" annonça la naissance des deux premiers bébés jumeaux humains, Lulu et Nana, génétiquement modifiés (l'expérience visait à introduire dans le génome des embryons une mutation du gène CCR5 afin conférer aux sujets une résistance au VIH). Ces manipulations à la CRIPR étaient l'oeuvre du chercheur chinois He Jiankui. Ces travaux effectués en dehors de tout cadre éthique furent immédiatement condamnés par la communauté scientifique internationale et déclenchèrent un débat sur la nécessité d'encadrer les recherches sur les manipulations du génome humain. Un an plus tard, on apprenait que l'expérience s'était probablement soldée par un échec.

A voir : Notre génome manipulé ? La révolution Cripsr expliquée, 2019

Suite à ces dérives, en 2021 l'OMS publia des recommandations afin d'encadrer l'édition du génome humain, y compris la thérapie génique sur des cellules somatiques et les manipulations génétiques des cellules germinales dans des buts non reproductifs.

Afin d'éviter que ce genre d'expérience ne se reproduise et que ce genre de recherche passe sous les radars des agences de contrôle de la Santé, le Comité consultatif d'experts de l'OMS publia des recommandations sur la gouvernance et la surveillance de l'édition du génome humain dans neuf domaines distincts, y compris des registres d'édition du génome humain afin de tracer toute recherche dans ce domaine.

Document 123RF.

En introduction du rapport, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS, précise que "L'édition du génome humain a le potentiel de faire progresser notre capacité à traiter et à guérir les maladies, mais son impact complet ne sera réalisé que si nous la déployons au profit de tous, au lieu d'alimenter davantage d'inégalités en matière de santé entre et au sein des pays."

Selon l'OMS, "Les recommandations se concentrent sur les améliorations visant à renforcer les capacités dans tous les pays afin de garantir que l'édition du génome humain est utilisée de manière sûre, efficace et éthique."

Ces recommandations et registres concernent la recherche internationale et les voyages à des fins médicales, les recherches illégales, non enregistrées, contraires à l'éthique ou dangereuses, la propriété intellectuelle ainsi que l'éducation, l'engagement et l'autonomisation.

L'OMS fournit également un nouveau cadre de gouvernance qui identifie des outils, des institutions et des scénarii spécifiques pour illustrer les défis pratiques dans la mise en œuvre, la réglementation et la supervision de la recherche sur le génome humain. L'OMS cite par exemple trois scénarii spécifiques tels que :

- Un essai clinique hypothétique d'édition du génome humain somatique pour la drépanocytose (ou anémie falciforme) proposé en Afrique de l'Ouest

- L'utilisation de l'édition du génome somatique ou épigénétique pour améliorer les performances sportives

- Une clinique imaginaire basée dans un pays où la surveillance sanitaire est minimale et où des services d'édition du génome humain seraient offerts à des clients internationaux après la fécondation in vitro et le diagnostic génétique préimplantatoire.

Comme le déclara le Dr Soumya Swaminathan, le scientifique en chef de l'OMS, "Ces nouveaux rapports de l'OMS représentent un bond en avant pour ce domaine de la science en plein essor. Alors que la recherche mondiale approfondit le génome humain, nous devons minimiser les risques et tirer parti des moyens par lesquels la science peut améliorer la santé de tous, partout."

En guise de conclusion

Le scientifique a beau être désintéressé, il reste influencé par ses croyances et son idée du bien et du mal. On ne pourra jamais convaincre un biogénéticien catholique pratiquant qu'il commet une action anodine en jetant des embryons surnuméraires ni persuader un agnostique que des cellules pluripotentes ont une âme. Si les deux points de vue sont inconciliables, ils iront chacun travailler là où la recherche est compatible avec leurs intimes convictions. Et sauf interdiction légale et contrôle, on peut en déduire que la recherche biogénétique ira toujours de l'avant.

La population n'a pas ce choix et lorsqu'on ne lui demande pas son avis par référendum, elle doit bien accepter les décisions du pouvoir législatif sur les questions de bioéthique. Mais étant donné qu'il s'agit de décisions générales, dans nos pays démocratiques le législateur laisse suffisamment de libertés au peuple pour que chacun prenne son destin en main et décide en âme conscience s'il accepte ou non les principes de la biotechnologie.

Aujourd'hui rien ne dit que la recherche sur les cellules souches pourrait un jour conduire à des thérapies pour soigner la maladie de Parkinson ou d'autres dégénérescences qui affectent une partie grandissante de la population.

Le clonage des embryons, des enfants pour ainsi dire, à des fins thérapeutiques est encore plus incertain et distant, d'autant plus que la recherche actuelle permet d'obtenir des cellules souches sans utiliser d'embryons. Par ailleurs, ni les scientifiques ni le public ne sont franchement intéressés par cette solution tout de même très lourde et qui reste risquée sur le plan scientifique.

Même si un jour le clonage d'un être humain n'offrirait plus aucun risque, il n'est pas certain qu'il y aura une demande pour ce genre de "service", la plupart des gens préférant toujours avoir des enfants de manière naturelle et traditionnelle.

Bien sûr, comme dans certains films de science-fiction, certains parents voudront un enfant cloné pour des raisons soit sentimentales, ne fut-ce que pour remplacer un enfant mort par accident ou suite à un handicap soit pour des raisons thérapeutiques, pour avoir comme nous l'avons dit, un "enfant médicament" sous la main qui pourrait suppléer aux déficiences d'un membre de sa famille, tout en vivant lui-même de manière tout à fait normale. Ces parents ne pourront jamais être dissuadés par les convictions aussi sincères qu'elles soient des Chrétiens ou des Post-Chrétiens. Si ces derniers s'y opposent par la force, grâce aux nouvelles recommandations de l'OMS, ces parents savent dorénavant qu'ils ne pourront plus trouver le réconfort en Asie ni ailleurs.

Pour plus d'informations

Les OGM en question (sur ce site)

Les risques biologiques liés aux techniques de génie génétique en laboratoire (PDF), INRS, 2012

Human Genome Organisation (HUGO)

1000 Genomes Project

Consortium Telomere to Telomere (T2T)

Consortium Human Pangenome

Human Genome Project

Fécondation humaine in vitro, Groupe Hospitalier COCHIN

Questions fréquemment posées à propos du génome humain (CNRS)

Comité International de Bioéthique (UNESCO)

Les OGM en question, par Gilles-Eric Séralini

Comité OGM

OGM.org

L'Hybridation de l'humanité à l'ère de la technocratie, Forbes.fr, 2020

Génome et société, Axel Kahn, 2002

Benefits & risks of biotechnology, Future of Life

La Saga Crispr, Aline Richard Zivohlava, Flammarion, 2021

Anatomie et physiologie humaines, E.Marieb/G.Laurendeau, Pearson Education, 1992/2005

Atlas de poche de biotechnologie et de génie génétique, Rolf-D Schmid, Christian Freier, Flammarion, 2005

Les aliments génétiquement modifiés, Nigel Hawkes et al, Piccolia, 2004

Les scientifiques sont-ils fous ?, Philippe Andrieu, Autrement-Jeunesse, 2004

Principes de génie génétique, S.Primrose et al, De Boeck, 2004

La thérapie génique, Odile Cohen-Haguenauer, Collectif, Tec & Doc Lavoisier, 2003

Cellules souches pluripotentes, B.Dodet et M.Vicari, John Libbey Eurotext, 2001

Transgenèse animale et clonage, Louis-Marie Houdebine, Dunod, 2001

Les OGM : La Transgénèse chez les plantes, Yves Tourte, Dunod, 2001

Comment fabriquer un dinosaure. La science de Jurassic Park, R.DeSalle et D.Lindley, Seuil-Points Sciences, 1999

Génie génétique, Daniel Loncle, Doin, 1998

Challenging Nature: The Clash Between Biotechnology and Spirituality, Lee M. Silver, Harper Perennial, 2007.

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