Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Le rôle des virus dans l'évolution

Comme un virus infecte les cellules hôtes, le gène neuronal Arc peut apporter du matériel génétique aux neurones via un transfert de son ARNm (les cavités bougeonnantes expulsées par l'Arc). Adapté de Cell.

Arc où le témoin de l'origine virale de notre mémoire (III)

Bien que les biologistes et les neurologues notamment étudient le fonctionnement du cerveau humain de manière scientifique depuis la fin du XIXe siècle (cf. Sherrington 1897, Golgi 1898 et Cajal 1906 parmi d'autres), les détails entourant le fonctionnement de notre mémoire défient toujours les neuroscientifiques. En fait  le processus de mémorisation est très complexe, impliquant plusieurs systèmes cérébraux. Pour en avoir une bonne compréhension, il faut analyser le cerveau au niveau moléculaire. A cette échelle, on constate que les protéines ne survivent pas plus de quelques minutes. Or nos souvenirs peuvent durer toute notre vie. Quelle structure biologique permet donc de péréniser cette mémoire à long terme ? Telle est la question que se sont posés les membres d'une équipe internationale de chercheurs de l'Université de l'Utah, de l'Université de Copenhague et du Laboratoire de biologie moléculaire du MRC britannique.

Dans une étude publiée dans la revue "Cell" en 2018, le neurobiologiste Jason Shepherd de l'Université de l'Utah et son équipe ont annoncé avoir découvert une étrange propriété d'un gène neuronal appelé Arc qui produit une protéine essentielle à la formation de la mémoire à long terme. Ils ont découvert que ce gène présente des propriétés très similaires à celles que présente un virus infectant son hôte.

Selon les chercheurs, "le gène neuronal Arc est essentiel pour le stockage durable de l'information dans le cerveau des mammifères. Il intervient dans diverses formes de plasticité synaptique et est impliqué dans les troubles du développement neuronal". Malheureusement, on sait peu de choses sur la fonction moléculaire de l'Arc et ses origines évolutives.

Pour expliquer sa présence dans notre cerveau, les chercheurs estiment qu'il y a des centaines de millions d'années une rencontre fortuite est survenue suite à laquelle Arc a joué un rôle central dans notre faculté actuelle de mémorisation.

Sheperd qui étudie cette protéine depuis 2002, rappelle qu'à l'époque on ne savait pas grand-chose sur la fonction moléculaire ou les origines de l'Arc et manqua d'abandonner l'étude de cette protéine. Mais après avoir observé les capsides des virus, il changea d'avis, convaincu d'avoir "découvert quelque chose d'intéressant" a-t-il précisé dans un communiqué de presse. En utilisant la microscopie électronique, Shepherd et ses collègues ont étudié la protéine de sa capside de près et constaté qu'elle rassemble à la façon dont fonctionne le rétrovirus VIH (SIDA) dont on voit un schéma ci-dessous à gauche.

Les chercheurs ont été intrigués par l'idée qu'une protéine pourrait se comporter comme un virus et servir de plate-forme à travers laquelle les neurones communiquent. Ce que fait Arc, c'est "ouvrir une fenêtre" à travers laquelle les souvenirs peuvent se consolider. Sans Arc, il n'a pas de mémorisation à long terme.

Pour cette étude, les chercheurs ont étudié des souris sans Arc et noté qu'elles avaient peu de plasticité cérébrale et ne pouvaient pas se souvenir de ce qui leur était arrivé seulement24 heures auparavant. Mais personne n'avait fait le rapport ni suggéré un mécanisme imitant une entité étrangère, du moins jusqu'à présent.

Suite à leurs travaux, Shepherd et ses collègues estiment qu'il y a 350 à 400 millions d'années, l'ancêtre du rétrovirus, le rétrotransposon Ty3/gypsy, injecta son matériel génétique dans une créature terrestre à quatre membres. Cela a conduit au développement de la protéine Arc d'une manière similaire à son fonctionnement neurochimique actuel. Selon une étude récente de l'Université du Massachusetts, le même processus s'est développé indépendamment dans certains parasites de fruits il y a quelque 150 millions d'années.

Les chercheurs ont constaté que l'Arc agit comme une capside virale. Les capsides sont une enveloppe extérieure solide et creuse qui contient le matériel génétique d'un virus, en l'occurence un brin d'ARN. Un virus utilise la capside pour transférer son matériel génétique d'une cellule à une autre, provoquant une infection virale.

Comment Arc mime ce mécanisme ? Selon la postdoctorante Elissa Pastuzyn qui participa à cette étude, Arc encapsule son ARN afin de le transférer d'un neurone à l'autre : "Aucune autre protéine non-virale que nous connaissons n'agit de cette manière" a-t-elle précisé dans un communiqué de presse. Pour tester leur théorie, Shepherd et ses collègues ont conçu un certain nombre d'expériences pour vérifier si l'Arc fonctionne bien comme un virus. Ils ont découvert que la protéine réplique plusieurs copies d'elle-même dans les capsides qui renferment son ARN messager (ARNm). Ils ont ensuite pris ces capsides et les ont placés dans des boîtes de Petri contenant des neurones de souris, où ils ont observé l'Arc transférant son ARNm de l'un à l'autre. Il semble que l'activation d'un neurone déclenche un plus grand nombre d'Arc, ce qui provoque la libération de plus de capsides, et donc un effet domino se produit.

Ceci dit, il reste encore beaucoup mystères à élucider avant de comprendre où et sous quelle forme l'information est stockée et ensuite comment est-elle récupérée et reconstruite. Affaire à suivre.

A voir : A Virus-Like Protein is Important for Cognition and Memory

En guise de conclusion

Notre génome ne s'est pas construit au fil d'emprunts divers mais est bien une structure qui est restée homogène au cours de l'évolution. Ce qui ne veut pas dire que nos gènes furent aussi nombreux ni même identiques dans un lointain passé. Comme partout dans le monde vivant, très tôt dans l'évolution, nos cellules ont dû lutter contre les virus infectieux et au fil de l'évolution et des interactions mutuelles, elles en ont intégré un grand nombre dans leur génome.

La découverte du mode de transfert de l'Arc qui intervient dans la mémoire à long terme change notre perception du processus évolutif. Plutôt que des mutations aléatoires, cela suggère que les organismes peuvent emprunter les uns aux autres pour se développer.

Quand on voit la dimension et le mode d'infection des macrovirus, on constate qu'ils sont très semblables à ceux des cellules eucaryotes. On en déduit mais il faut encore le prouver, qu'à une certaine époque les virus existaient sous une forme différente, plus complexe, et disposaient peut-être même d'un noyau. A une époque où les différents domaines étaient encore en train de se déterminer, ces virus ancestraux étaient probablement en concurrence avec les cellules eucaryotes mais pour une raison encore inconnue l'évolution en a décidé autrement et les virus furent les perdant de l'évolution. Mais plutôt que de prendre la voie de l'extinction, pour survivre les virus ont préféré se transformer afin de s'intégrer ou s'adapter aux cellules eucaryotes.

La comparaison des gènes d'espèces appartenant aux trois principaux domaines indique que 324 gènes seulement furent conservés entre les trois embranchements, dérivant probablement de LUCA, le dernier ancêtre commun universel. On peut donc supposer que LUCA est la cellule progénitrice de toutes les formes de vie. Toutefois les gènes contrôlant la réplication de l'ADN, pourtant si cruciaux pour l'identité génomique et sa conservation ne font pas partie de cet ensemble ! Aussi, en terme de nombre de gènes, un virus à ADN pourrait facilement fournir cette quantité de gènes.

De plus en plus de généticiens pensent que les premiers virus à ADN étaient des cellules dégénérées correspondant à des lignées très anciennes aujourd'hui disparues, ayant ou non précédé LUCA.

Tous ces indices ainsi que d'autres pourraient finalement témoigner du fait que les virus nous ont aidé à faire de nous ce que nous sommes.

Pour plus d'informations

Livres

Planète de virus, Carl Zimmer, Belin, 2016

Les virus émergents, Antoine Gessain et Jean-Claude Manuguerra, PUF-Que sais-je ?, 2006

Les nouveaux virus, E.Moulin, Les Asclépiades, 2005

La Guerre contre les virus, J.-F. Saluzzo, Plon, 2002

Des virus et des hommes, Luc Montagnier, Odile Jacob, 1994

Sur Internet

La place des virus dans le monde vivant, thèse de Gladys Kostyrka, 2018

Le mystère des virus géants, CNRS, 2014

Sur les traces des virus géants chez les plantes, INRA, 2014

Virus géants associés aux amibes, Angélique Campocasso et Bernard La Scola, Virologie, 16, 1, pp.6-17, 2012

Un gène d'origine rétrovirale essentiel pour la formation du placenta, Thierry Heidmann, 2009

Center for Virus Research, s/dir P. Luis P.Villarreal

Virusworld (galerie d'images), U.Wisconsin

HERVd - Human Endogenous Retrovirus Database

ICTVdB: The Universal Virus Database

Pseudogenes And other Forms of 'Junk' DNA, Sean D. Pitman, 2002-2010

The Tree of Life: Tangled Roots and Sexy Shoots, Chris King, 2009

Viruses of the Archaea: a unifying view, Patrick Forterre et al., Nature, 2006

The evolution, distribution and diversity of endogenous retroviruses, R.Gifford, M.Tristem, 2003

Signification biologique des rétrovirus endogènes humains, Virologie, 2001.

Retour à la Biologie

Page 1 - 2 - 3 -


Back to:

HOME

Copyright & FAQ