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Les extinctions de masse

La fin des Géants. Document iStock/T.Lombry.

Prélude d'une mort annoncée (I)

Comment expliquer que des milliers d'espèces en pleine croissance ou parvenues au sommet de leur évolution aient disparues périodiquement depuis l'éon Phanérozoïque, il y a 541 millions d'années ?

En découvrant qu'il manquait des espèces dans les enregistrements fossiles, Darwin imagina qu'il dût y avoir des cataclysmes peu plaisants dans le passé, ce qui n'allait pas vraiment dans le sens de sa théorie de l'évolution. C'est la raison pour laquelle il évoqua des disparitions graduelles car elles devaient dépendre, selon lui, de la sélection naturelle.

Or, après analyse, géologues et paléontologues reconnurent que des catastrophes globales s'étaient bien produites, mais que l'Histoire de la Terre ne se résumait pas à une suite progressive d'évènements : en fait l'évolution suivait plutôt un régime en dents de scie voire chaotique comme l'explique le paléontologue statisticien David M. Raup dans son livre "Extinction: Bad Genes or Bad Luck" (1991) traduit dans "De l'extinction des espèces" (1993).

On ignore encore en partie quels sont les évènements ayant provoqué ces extinctions de masse mais on peut résumer ces catastrophes en affirmant qu'il y eut un changement de la concentration du gaz carbonique. Plus précisément, selon le paléontologue Rolf Schmidt du Musée Victoria de Melbourne, spécialiste des invertébrés fossiles, en particulier des Ectoptocta ou Bryozoaires du Mésozoïque et du Cénozoïque, les causes ont quelque chose à voir avec un changement brutal des conditions climatiques.

Précisons que selon une étude publiée en 2019 sur laquelle nous reviendrons, les chercheurs ont identifié une sixième extinction de masse qui s'est produite il y a ~260 millions d'années et grâce à l'intelligence artificielle, des chercheurs ont découvert 9 extinctions de masse supplémentaires (voir page suivante).

A télécharger :

Echelle des temps géologiques (et PDF) - Version anglaise sur ICS

Les principales extinctions de masse

La sixième extinction de masse (par ordre des découvertes) fut identifiée en 2019 et s'est produite au Permien moyen (259.8 millions d'années). Mais peu d'auteurs la mentionnent. Pour des raisons historiques mais aussi d'habitudes, la prochaine extinction de masse est appelée la 6e extinction.

Adapté de D.E.G. Briggs et P.R. Crowther, " Palaeobiology II", ch. "Biodiversity through time" par M.J. Bendon, 2001, pp212-220.

Décrivons brièvement ces grandes extinctions de masse et leurs origines probables.

A la fin de l'Ordovicien (444 millions d'années)

Au cours de l'Ordivicien tardif, il y a 444 millions d'années, à l'époque où le continent Gondwana (comprenant l'Afrique, l'Inde, l'Europe, l'Amérique du Sud, l'Australie et Antarctique) amorçait son rapprochement du continent Laurentia (la future Amérique du Nord), entre 84 et 85% des espèces ont disparu (55% des genres et 22% des familles). Il s'agit de la deuxième plus grande hécatombe après celle du Permien (voir plus bas) mais sa cause reste encore en partie mystérieuse.

Carte paléogéographique de l'Ordovicien tardif (450 Ma). Document J.Smolarek-Lach et al. (2019) adapté par l'auteur.

Parmi les espèces ayant disparu, il y avait les graptolites présentés ci-dessous à gauche, une créature marine mesurant seulement 2-3 cm qui filtrait l'eau et vivait en colonies rassemblant jusqu'à plusieurs milliers d'individus. Les graptolites sont apparus au Cambrien furongien (anciennement Cambrien supérieur, il y a 497 millions d'années) et ont disparu au Carbonifère il y a 300 millioons d'années). Leur disparition qui s'étala sur environ 1 million d'années fut très remarquée en Laurentia, dans la région actuelle de l'Amérique du Nord.

Parmi les autres espèces touchées par cette extinction de masse mais dont certaines populations survécurent, il y eut les trilobites, les brachiopodes, les nautiloïdes et les crinoïdes.

Au fil du temps, plusieurs mécanismes d'extinctions ont été proposés, notamment des évènements bioévolutionnaires (cf. T.Servais et al., 2016; T.M. Lenton et al., 2012), des changements océanographiques (cf. L.Zhou et al., 2015; M.J. Melchin et al., 2013; Brenchley et Newall, 1984) et des processus géotectoniques (cf. Servais et Harper, 2004).

Cette extinction de masse fut d'abord probablement provoquée par un bref mais sévère âge glaciaire qui baissa le niveau des mers, probablement suite à l'élévation de la chaîne des Appalaches. Les roches composées de silicates nouvellement exposées à l'air ont absorbé le dioxyde de carbonique de l'atmosphère, produisant un refroidissement de la planète.

Ce n'est qu'en 2017 qu'on établit également un lien avec une activité volcanique. Des relevés effectués dans la région péri-baltique ont montré la présence d'une forte anomalie positive de mercure et des conditions redox (oxydoréduction). L'enrichissement en mercure fut associé à des évènements volcaniques qui ont déclenché des changements environnementaux massifs (cf. J.Smolarek-Lach et al., 2019). Combinés à la baisse durable des températures, la plupart des créatures n'ont pas pu s'adapter suffisamment vite à ce changement climatique et ont disparu.

A la fin du Dévonien (375 millions d'années)

Ensuite, il y eut l'extinction survenue à la fin du Dévonien, il y a 375 millions d'années au cours de laquelle entre 79 et 83% des espèces ont disparu (50% des genres et 22 des familles) dont une majorité de trilobites (certains survécurent jusqu'il y a 252 millions d'années). Ces arthropodes (elle représente aujourd'hui la classe la plus importante du règne animal avec 80% des espèces connues comprenant les crustacés, les myriapodes, les arachnides, les insectes, etc.) sont apparus lors de "l'explosion du Cambrien" il y a 550 millions d'années.

Très connus du public en raison de leur grande diversité (on a répertorié plus de 18750 espèces, (cf. J.M. Andrain, 2006) et caractérisés par leur corps segmenté et leurs yeux composés (à facettes) proéminents, les trilobites ont survécu à la première grande extinction mais furent pratiquement balayés des océans au cours de la seconde extinction de masse. Le présumé coupable fut l'émergence des plantes terrestres qui couvrirent toute la planète à l'époque du Dévonien. Leurs racines profondes ont remué la terre, libérant des nutriments qui ont fini dans les océans. On pense que ce phénomène accéléra la croissance des algues qui absorbèrent l'oxygène de l'eau, provoquant la suffocation des animaux vivant sur le fond comme les trilobites.

A lire : L'apparition et le développement de la vie

Les premiers métazoaires (troisième partie)

A gauche des fossiles de graptolites de 2-3 cm, des créatures marines filtrant l'eau vivant à la fin de l'Ordovicien, il y a 440 millions d'années. Au centre et à droite, deux parmi les plus de 18750 espèces de trilobites vivant au milieu de Dévonien (392-382 Ma) et découverts au Maroc. Au centre, l'extraordinaire Walliserops tridens (7x4 cm sans le trident) dont voici une photo de la tête d'un autre spécimen. Voici une autre photo des yeux composés (à facettes) d'un Erbenochile erbeni du genre Phacops à épines. A droite, un Phacops rana (7x4 cm). Documents Jaime Murcia/Musée de Victoria, Fossilera et Coll. T.Lombry.

Parmi les autres organismes touchés par cette extinction de masse mais dont certaines populations survécurent, citons les brachiopodes, les nautiloïdes, les ammonoïdes, les stromatoporidés, les coraux tabulaires et rugueux, les crinoïdes et les poissons placodermes.

L'effet du rayonnement UV-B sur les écosystèmes

Dans une étude publiée dans la revue "Science Advances" en 2020, John E.A. Marshall de l'Université de Southampton (qui est aussi un explorateur pour le National Geographic) et ses collègues ont apporté des preuves montrant que des niveaux élevés de rayonnement UV ont détruit les écosystèmes forestiers et tué de nombreuses espèces de poissons et de tétrapodes à la fin du Dévonien, il y a 359 millions d'années.

Les chercheurs ont découvert dans l'est du Groenland dans des roches qui formaient autrefois le lit d'un immense lac intérieur au coeur du vieux continent aride de grès rouge prélude aux futures Europe et Amérique du Nord, des spores de plantes terrestres (du pollen et des plantes semblables à des fougères qui n'avaient ni graines ni fleurs) malformées. De plus, de nombreuses spores avaient des parois pigmentées sombres, considérées comme une sorte de "bronzage" protecteur, en raison de l'augmentation et de la détérioration des niveaux d'UV. Ces données démontrent que l'extinction du Dévonien coïncida avec un rayonnement UV-B élevé suite à une réduction de la couche d'ozone.

Les données sur le mercure relevé durant cette période d'extinction massive prouvent que, contrairement à d'autres extinctions massives, il n'y a pas eu d'éruptions volcaniques (source de mercure) à l'échelle planétaire ni d'impact météoritique majeur (bien qu'on découvrit des microtectites en Belgique dans des roches remontant à 367 millions d'années suggérant qu'il y eut localement un impact météoritique important). En revanche, l'extinction coïncidait avec un réchauffement climatique majeur qui mit fin au cycle glaciaire intense du Dévonien.

Des spores de végétaux du Dévonien récoltés dans une couche de charbon dans le lit d'un ancien fleuve à Rebild Bakker au Danemark. Ci-dessus, un spore normal de Grandispora cornuta (gauche) et malformé (droite). Ci-dessous, un spore normal de Verrucosisporites nitidus (gauche) et un spécimen fortement pigmenté (droite). Documents J.E.A. Marshall et al. (2020).

Cette période glaciaire intense fut suivie par un réchauffement rapide de l'atmosphère au cours duquel un mécanisme de réduction de la couche d'ozone s'enclencha suite à l'augmentation du transport convectif du monoxyde de chlore (ClO), un radical connu pour son rôle destructif de la couche d'ozone. C'est un processus inhérent au système terrestre. Selon les auteurs, "Il conduit à la conclusion inévitable que nous devrions être attentifs à une telle éventualité dans le futur réchauffement climatique".

Les chercheurs en déduisent que pendant une période de réchauffement climatique rapide, la couche d'ozone s'est effondrée pendant une courte période, exposant la vie sur Terre à des niveaux nocifs de rayonnement UV, provoquant un évènement d'extinction de masse sur terre et dans les eaux peu profondes à la frontière Dévonien-Carbonifère. Cette élévation de l'intensité du rayonnement UV-B dura plusieurs milliers d'années.

La conséquence de l'explosion de supernovae ?

Quant à savoir quel évènement conduisit à la réduction de la couche d'ozone, la question reste ouverte. Toutefois, dans un article publié dans les "PNAS" en 2020 (en PDF sur arXiv), une équipe de chercheurs dirigée par l'astrophysicien Brian Fields de l'Université de l'Illinois à Urbana-Champaign suggère que "de multiples explosions de supernovae à environ 65 années-lumière de distance peuvent avoir contribué à l'appauvrissement de la couche d'ozone et à plusieurs extinctions ultérieures à la limite du Dévonien-Carbonifère, il y a environ 359 millions d'années". Selon Jesse A. Miller, doctorant en astronomie à l'Université de l'Illinois et coauteur de cet article, les dommages induits sur la Terre et à sa couche d'ozone peuvent durer jusqu'à 100000 ans.

Illustration du rémanent d'une supernova ou SNR quelques années après son explosion. Selon les conditions, le résidu stellaire, c'est-à-dire le noyau de l'étoile massive peut éventuellement avoir survécu sous forme d'astre compact (naine blanche, étoile à neutrons, pulsar ou trou noir) mais il peut également avoir été éjecté à grand vitesse du lieu d'explosion ou avoir été totalement détruit. Document T.Lombry.

Cependant, des preuves fossiles indiquent un déclin de 300000 ans de la biodiversité menant à l'extinction de masse du Dévonien, suggérant la possibilité de plusieurs catastrophes, peut-être même de multiples explosions de supernovae. Selon Miller, "C'est tout à fait possible. Les étoiles massives naissent généralement au sein d'amas avec d'autres étoiles massives, et d'autres supernovae sont susceptibles de se produire peu de temps après la première explosion".

Mais pour prouver qu'une supernova s'est manifestée à cette époque et près de la Terre, il faudrait trouver les isotopes radioactifs du plutonium-244 et du samarium-146 dans les roches et fossiles déposés au moment de l'extinction. Mais le plutonium-244 et le samarium-146 se désintègrent au cours du temps; la demi-vie du 244Pu est de 80 millions d'années et de 68 millions d'années pour le 146Sm. De plus, ces radioisotopes n'existent pas naturellement sur Terre. La seule façon de les créer est via une réaction atomique ou un processus astrophysique. Si les chercheurs découvrent ces radioisotopes sur Terre, cela signifie qu'ils furent créés récemment par une supernova qui explosa à proximité du système solaire.

On peut aussi tenter d'identifier son progéniteur s'il n'a pas été détruit, la naine blanche, l'étoile à neutrons, le pulsar ou le trou noir éventuel ou même l'enveloppe de gaz et de poussière éjectée au cours de l'explosion, c'est-à-dire le rémanent de supernova (SNR). Mais cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin et donc les chances de réussir sont pratiquement nulles.

Quoi qu'il en soit, pendant cette extinction les plantes ont survécu de manière sélective mais furent fortement perturbées lorsque l'écosystème forestier s'est effondré. Le groupe dominant de poissons blindés (Placodermes) a disparu. Ceux qui ont survécu furent les requins et les poissons osseux.

Selon Marshall, les découvertes de son équipe ont des implications surprenantes pour la vie sur Terre aujourd'hui. "Les estimations actuelles suggèrent que nous atteindrons des températures moyennes mondiales similaires à celles d'il y a 360 millions d'années, avec la possibilité qu'un effondrement similaire de la couche d'ozone puisse se reproduire, exposant la surface et la vie marine peu profonde à des radiations mortelles. Cela nous ferait passer de l'état actuel du changement climatique à une urgence climatique".

Cette extinction est survenue à un moment clé pour l'évolution de nos propres ancêtres, les tétrapodes. Les premiers tétrapodes sont des poissons qui ont évolué pour avoir des membres plutôt que des nageoires, mais qui vivaient encore principalement dans l'eau. Leurs membres possédaient de nombreux doigts et orteils. L'extinction a réinitialisé la direction de leur évolution, les survivants post-extinction étant terrestres et le nombre de doigts et d'orteils réduit à cinq.

A la fin du Permien moyen (259.8 millions d'années)

En 2019, les biologistes Michael R. Rampino du Département de biologie de l'Université de New York et du centre Goffard de la NASA et Shu-Zhong Shen de l'Université de Nanjing en Chine ont déclaré dans un article publié dans le journal "Historical Biology" qu'ils avaient mis en évidence une nouvelle extinction de masse survenue à la fin du Permien moyen ou Guadalupien, plus exactement à la fin du Capitanien il y a 259.8 millions d'années.

Cette sixième extinction de masse (dans l'ordre des découvertes) coïncide avec l'éruption basaltique massive qui s'est produite dans la province chinoise d'Emeishan située au sud du Sichuan (29°40' N, 103°30' E). Selon Rampino et Shen : "les éruptions massives telles que celles-ci libèrent de grandes quantités de gaz à effet de serre, en particulier du dioxyde de carbone et du méthane, qui provoquent un réchauffement climatique grave, avec des océans chauds et pauvres en oxygène qui ne favorisent pas la vie marine. [...] En raison du nombre de genres ayant souffert de l'extinction, et particulièrement en termes d'impact écologique. [...] l'extinction de la fin du Guadalupien entre dans la même catégorie que les autres extinctions de masse majeures. Ainsi, il y aurait eu six grandes extinctions massives au Phanérozoïque et la perte actuelle d'espèces devrait peut-être être qualifiée de « septième extinction »." On y reviendra à propos de la perte de biodiversité.

A la fin du Permien (252 millions d'années)

A la fin du Permien, à la limite du Trias (limite P/T) il y a ~252 millions d'années, ~96% des espèces ont disparu (80% des genres et 55% des familles) dont 95 à 98% des espèces d'invertébrés marins à coquilles et cette fois toutes les espèces de trilobites, de blastoïdes et de coraux rugueux ainsi qu'environ 70% des espèces terrestres.

Parmi les autres espèces touchées par cette extinction de masse mais dont certaines populations survécurent citons les échinoïdes, les crinoïdes, les brachiopodes, les bryozoaires, les ammonoïdes et les reptiles terrestres.

Cette extinction de masse fut surnommée "la Grande Mort" (Great Dying). Quelle en est la cause ? En fait, c'est une série de catastrophes qui sont à l'origine de cette hécatombe, "la mère de toutes les extinctions de masse" pour reprendre l'expression du paléobiologiste Douglas H. Erwin de l'Institut Smithsonian.

A cette époque, le taux d'oxygène atmosphérique atteignait 23% (en volume, contre 21% de nos jours) et le taux de CO2 atteignait 900 ppm soit plus du double d'aujourd'hui (cf. la courbe de Keeling), tandis que le niveau moyen des mers était 20 mètres plus bas qu'aujourd'hui.

A gauche, le Permien Moyen et la fin du Permien furent marqués par plusieurs extinctions successives d'ampleurs variables mais la dernière survenue il y a 252 millions d'années fut la plus destructrice, anéantissant jusqu'à 98% des espèces d'invertébrés marins à coquilles et environ 70% des espèces terrestres. Il fallut ensuite patienter 100 millions d'années pour que la biodiversité retrouve son niveau d'origine. Bien que le début du Trias fut instable sur le plan environnemental, au moins 7 embranchements et 20 ordres de métazoaires ainsi que des algues ont émergé. Au centre, à la fin du Permien, suite au réchauffement du climat (plus chaud de 5°C en moyenne avec des températures atteignant 60°C dans les régions équatoriales), dans beaucoup de régions les rivières et les lacs se sont taris et les paysages se sont aridifiés. A droite, un tronc pétrifié opalisé datant de 225 millions d'années dans le Petrified Forest National Park situé près d'Escalate, dans le sud de l'Utah. Documents Nathalie Huber adapté par l'auteur, WallpaperUp et Patrick Fuchs.

Des études pluridisciplinaires étalées sur plusieurs décennies ont révélé qu'il s'agit de la conséquence d'un changement climatique majeur combinant au moins 43 facteurs dont les effets se sont étalés sur plusieurs dizaines de milliers d'années :

- la présence de zircons datés de 252 à 250 millions d'années indique que la Terre subit l'impact de plusieurs grands météorites qui bouleversèrent la biosphère à l'échelle régionale voire globale pour les plus gros impacts. Mais ce n'est pas le principal facteur qui provoqua cette extinction massive.

- l'émission de gaz (F, S, CO2, C, hydrate de méthane, etc) à la même époque et l'analyse des isotopes de l'oxygène prisonniers des fossiles indiquent une forte augmentation de l'activité volcanique dont les trapps de Sibérie sont les traces les plus marquantes comme le confirma l'étude de Stephen E. Grasby et ses collègues publiée dans la revue "Nature" en 2011. Il s'agit manifestement des effets d'un supervolcan combinés à un réchauffement et une aridification des sols. Ces gaz et en particulier le dioxyde de carbone éjecté dans l'atmosphère augmenta l'effet de serre et la masse nuageuse, obscurcissant durablement l'atmosphère. On estime que la température moyenne du globe augmenta de 5°C. On y reviendra plus loin.

- Les bactéries méthanogènes se sont ensuite multipliées et ont émis globalement de grandes quantités de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Mais nous verrons plus bas qu'une autre étude minimise l'effet du méthane à cette époque. En raison de la forte augmentation du CO2, la température moyenne de l'atmosphère augmenta brutalement. Dans une étude publiée dans la revue "Science" en 2012, Yadong Sun de l'Université de Leeds et son équipe ont étudié la composition de près de 15000 microfossiles de conodontes (a priori des dents de vertébrés marins mesurant entre 0.1-2 mm peut-être proche des anguilles). Ils ont calculé que la température de l'air atteignait 60°C dans les régions équatoriales tandis que la température à la surface des océans approchait 40°C, tuant la plupart des organismes marins habitués à des températures de 15 à 30°C plus fraîches selon les endroits.

Sous ces fortes chaleurs, les roches sédimentaires ont à leur tour libéré leurs gaz dont le gaz carbonique qui piéga la chaleur et contribua au réchauffement de la planète. Les courants océaniques ont ralenti faisant chuter la production d'oxygène.

- Une étude publiée dans les revues "Geology" et "Science Advances" en 2018 concernant le taux d'uranium-238 et d'autres éléments (C-13, Sr-87, Sr-86) relevé dans les roches datant du Permien-Trias a permis d'inférer les niveaux d'oxygène dans l'océan. Jusqu'alors les scientifiques soupçonnaient que l'anoxie (le manque d'oxygène) était responsable de la disparition de la vie aquatique. Mais leurs données provenaient de mesures prises dans des roches marines qui se sont formées dans l'ancien océan Téthys, qui ne représentait qu'environ 15% de l'étendue des mers. Selon le géochimiste Feifei Zhang de l'Université d'Arizona, auteur principal de cette étude, c'est à peine suffisant pour affirmer quoi que ce soit pour l'ensemble du domaine marin. En revanche, les chercheurs confirment que plusieurs périodes d'intenses et globales anoxies marines se sont produites durant l'extinction du Permien-Trias.

A gauche, du corail tabulaire disparut au Permien appartenant à un tout autre groupe que le corail actuel. A droite, des microfossiles de conodontes (a priori des dents d'une sorte d'anguille primitive) datant du Permien. Documents Jaime Murcia/Musée de Victoria et Paul Taylor/Natural Museumù (NHM).

Dans leurs conclusions, les chercheurs estiment que les excès d'isotopes sont liés à une augmentation du volcanisme combinée à un réchauffement du climat qui auraient conduit à une intensification du lessivage des sols et une augmentation de la concentration des phosphates (PO43-) dans les océans, contribuant à l'eutrophisation des eaux. L'excès de nutriments marins qui en résulta combiné au réchauffement rapide auraient entraîné une anoxie générale, phénomène qui réduisit la solubilité de l'oxygène et le mélange vertical lié aux gradients thermiques dans la partie thermocline des océans (entre les eaux superficielles plus chaudes et oxygénées et les eaux profondes plus froides).

- En parallèle, les océans se sont acidifiés suite aux émissions de gaz (dioxyde de carbone et acide sulfurique) par le supervolcan de Sibérie (voir plus bas) tandis que dans les autres étendues liquides, l'eau a stagné, libérant du sulfure d'hydrogène (H2S) qui empoisonna toute la faune et la flore. Ce phénomène ayant duré plusieurs dizaines de milliers d'années, il empêcha les crustacés de former leur coquille. C'est leur inadaptation à ce changement climatique qui conduisit à leur extinction. Le même effet s'est produit lors de l'extinction majeure à la limite C/Pg il y a 66 millions d'années (voir plus bas).

Les trapps de Sibérie

Dans les années 1970 et 1980, des chercheurs anglais dont le spécialiste en pétrologie Adrian Jones de l'University College de Londres (ES/UCL) étudièrent les trapps de Sibérie[1], une couche de 250 à 350 mètres d'épaisseur formée par l'éruption d'une plume tectonique remontant à 250 millions d'années.

Situés entre 50-75°N et 60-120°E, aujourd'hui les trapps de Sibérie recouvrent une superficie d'environ 2.5 millions de km2 et un volume qui pourrait atteindre 4 millions de km3. On estime que ces trapps s'étendaient à l'origine sur 7 millions de km2 (cf. A.V. Ivanov et al., 2013). Ils se composent en proportions plus ou moins égales d'intrusions proches de la surface et de roches extrusives constituées de laves et de tuf (des projections volcaniques).

A lire : The Siberian Traps, R.Cowen (UCMP Berkeley)

Distribution et structures des trapps de Sibérie formés à la limite Permien-Trias il y a 250 millions d'années. LIP = Large Igneous Province (Grande Province Ignée, c'est-à-dire une zone d'accumulation de roches intrusives et extrusives). Documents U.Bristol adapté par l'auteur et V.L. Masaitis (1983) via A.V. Ivanov et al. (2013) adapté par Dewittell.

Les plumes tectoniques ne sont pas des évènements rares. Depuis le Permien, la Terre enregistra l'émission d'au moins 8 plumes tectoniques dont la dernière fut celle du Yellowstone il y a 17 millions d'années. Elle forma le plateau basaltique de Columbia situé dans les États d'Orégon et de Washington puis elle se déplaça vers l'ouest pour former la plaine de Snake River en Idaho et la fameuse Vallée de la Lune (Valley of the Moon dans le comté de Sonoma, à ne pas confondre avec la vallée du même nom située au Chili). Elle donna ensuite naissance à la grande éruption du Yellowstone il y a 650000 ans. C'est dire combien les retombées de ce type de volcanisme peuvent bouleverser une région et être catastrophiques pour toutes les espèces vivant dans un rayon pouvant atteindre 1000 km autour du volcan.

Par la même occasion les géologues recherchèrent en Russie le cratère d'impact éventuel qui aurait provoqué ces retombées. Mais bientôt on se rendit compte que pour anéantir autant d'êtres vivants, la météorite aurait dû être gigantesque afin de produire des effets persistants à l'échelle mondiale. En fait on estima qu'elle aurait dû être aussi grande que l'île de Manhattan, bref aussi grande qu'un petit astéroïde !

Selon des simulations informatiques, il put y avoir un impact mais il aurait été si violent que la croûte terrestre aurait localement fondu et le cratère original aurait été noyé sous la lave. Restait alors à trouver ces traces de lave... Or à ce jour les indices sont fragmentaires. Même les quantités de cristaux de quartz choqués ou d'iridium relevés en Antarctique, dans la couche du Permien, sont insuffisantes pour expliquer l'ampleur de cette catastrophe. Il fallait encore chercher.

Dans les années 1990, Paul Wignall et son équipe de l'Université anglaise de Leeds découvrirent au Groenland des sédiments remontant au Permien qui s'étalaient sur plusieurs mètres d'épaisseur et non plus sur quelques centimètres comme en Russie, ainsi que de très intéressants fossiles de toutes dimensions. Leur découverte fit la manchette des journaux et fut si sensationnelle qu'elle passionna les chercheurs. Elle apportait la preuve que l'extinction du Permien ne se déroula pas en un bref instant dans l'échelle du temps comme on l'imaginait, mais elle fut lente et dura bien plus de 10000 ans.

A gauches, les coulées basaltiques subhorizontales ou trapps de Sibérie en forme d'escalier. A droite, le plateau ou massif de Putorana situé dans le nord de la Sibérie centrale, au-delà du Cercle polaire par 69°N et 93.5°E. Il couvre une superficie de 800x500 km et s'élève à 1678 m d'altitude. Les extrusions de laves ont formé des trapps sur plusieurs centaines de mètre d'épaisseur. Cette région très appréciée des géologues et des touristes (on y dénombre 25000 lacs, quantité de rivières et de chutes) abrite 500 millions d'années d'histoire. Documents U.Münster et Thomas Algeo/NFS.

Au cours de l'extinction de masse du Permien, on constata que les fossiles s'éteignirent progressivement en trois phases distinctes. D'abord les plantes et les animaux disparurent durant 40000 ans, puis dans une seconde phase l'extinction s'étendit aux créatures marines et fut brève. Enfin, durant une troisième phase l'extinction repris sur la terre ferme : on perdit les espèces végétales et animales caractéristiques. Durée totale : au moins 80000 ans !

Du coup la théorie de l'impact météoritique devenait caduque et plus personne ne savait exactement ce qui s'était réellement produit au Permien. Il fallait continuer à analyser les sédiments.

On découvrit que le carbone-12 augmentait entre les phases 2 et 3. Le carbone-12 est connu pour se former lors de la décomposition des matières organiques animales ou végétales. Mais sa concentration était beaucoup plus élevée que prévu.

Un peu plus tard, un chercheur discuta de ses travaux en compagnie du géologue Gerald Dickens de l'Université de Rice au Texas. Dickens avait justement étudié l'hydrate de méthane et savait qu'il contenait beaucoup de carbone-12. D'origine organique on en retrouve un peu partout à travers le monde près des côtes.

Après enquête sur la transformation de l'hydrate de méthane en carbone-12, Dickens découvrit qu'un petit morceau de méthane gelé libérait énormément de carbone-12. La température de l'eau suffisait également à faire fondre le méthane, libérant le carbone-12. Après publication de ses résultats, Paul Wignall en eut connaissance et imagina quelle pouvait être l'influence du méthane sur le climat, sachant que cet élément était également un puissant gaz à effet de serre.

Wignall démontra que le dégagement de méthane suffisait pour réchauffer la planète de 4 à 5° mais était insuffisant pour tuer toutes les espèces vivantes. Il fallait alors trouver un évènement antérieur qui aurait également réchauffé l'atmosphère de 4 à 5°. Ensemble, les 10° d'augmentation auraient alors tué toutes les formes de vie.

On finit par trouver un scénario tout à fait plausible et confirmé par différents indices relevés sur le terrain. Sur des milliers de kilomètres à travers toute la Russie, les volcans se sont réveillés voici 250 millions d'années, formant les fameux trapps de Sibérie. La lave s'écoula et envahit les terres. C'était le premier tueur. Le réchauffement climatique était constant, jusqu'à 4-5°. Certaines espèces succombèrent. Puis la mer se réchauffa, entraînant la mort d'au moins 95% des invertébrés marins à coquilles et de tous les trilobites.

Puis un deuxième évènement se produisit : les eaux devenues plus chaudes libérèrent le tueur venu des profondeurs océaniques : le méthane. La libération du gaz à effet de serre accrût encore le réchauffement du globe de 4-5° pour atteindre à présent 10° d'augmentation ! Mais était-ce suffisant pour tuer des organismes ? Si cela se produisait aujourd'hui, les climatologues nous disent que l'Europe deviendrait un désert. Ok, c'est plutôt convaincant.

Du charbon de bois de combustion mis à jour suite à l'érosion des basaltes de Sibérie dans une carrière près de la ville d'Ust Ilimsk. Photo de Scott Simper et document L.Elkins-Tanton et al. (2020).

En 2017, Michael R. Rampino précité et ses collègues publièrent dans la revue "Nature Scientific Reports" les résultats d'une nouvelle analyse d'échantillons de roches datant de la limite P/T. Depuis 2001, plusieurs équipes de chercheurs dont celles de Kaiho, Rothman et Xiang, ont révélé l'existence d'une anomalie géochimique positive en nickel en divers endroits du monde (Chine, Israël, Slovénie, dans les Alpes, sur l'île du Spitzberg, en Hongrie, en Inde, au Japon, etc). Les relevés effectués dans les "Sections de Meishan" situées dans le sud de la Chine indiquent des abondances en nickel variant entre 90 ppm et 250 ppm, par rapport à un niveau moyen de respectivement 20 et 40 ppm.

Le nickel est le cinquième élément le plus abondant sur la Terre (~2.4%). C'est un élément notamment produit par les volcans. Il est également présent à l'état natif dans la croûte terrestre, dans le noyau, dans les sidérites et les nodules polymétalliques qu'on trouve au fond des océans. De nos jours, la production de nickel atteint plus de 26000 de tonnes par an sous forme de sulfure de nickel (NiS) émis par les volcans généralement associé à des coulées de laves ultramafiques ou komatiites ou libérés sous forme de nickel par l'érosion éolienne.

A partir de l'analyse de ces échantillons, Rampino et ses collègues déduisent que "les anomalies de nickel à la fin du Permien étaient un phénomène mondial". Ils proposent que ces anomalies à la limite P/T trouvent leur source dans le volcanisme sibérien et par des intrusions de magma riches en nickel contemporaines.

De plus, les chercheurs ont constaté que les pics d'abondance de nickel sont corrélés avec des anomalies négatives de carbone-13 13C) et d'oxygène-18 (δ18O) suggérant que "les réactions explosives entre le magma et le charbon pendant les éruptions sibériennes de basalte ont libéré de grandes quantités de CO2 et de CH4 dans l'atmosphère, provoquant un réchauffement climatique sévère et une extinction de masse ultérieure". Les chercheurs concluent que "la chronologie des pics soutient l'hypothèse que les trapps de Sibérie ont contribué à la dernière extinction de masse du Permien".

Dans une autre article publié dans la revue "Geology" en 2020, après six années de recherches, une équipe scientifique dirigée par la planétologue Lindy Elkins-Tanton de l'Université d'Arizona apporta la toute première preuve directe que la combustion de charbon à grande échelle en Sibérie fut la principale cause de l'extinction du Permien.

Il existe encore d'autres indices. En 2019, Jun Shen et ses collègues publièrent dans la revue "Nature Communications" les résultats de l'analyse de la teneur en mercure de certaines roches datant de la limite Permien-Trias extraites de dix sections marines situées dans l'hémisphère nord. Leurs résultats renforcent l'hypothèse volcanique pour expliquer l'extinction de masse du Permien. Selon les auteurs, "les pics de concentration de mercure à proximité de la limite Permien-Trias suggèrent un couplage entre l'extinction biotique et l'augmentation de l'activité volcanique. De plus, les données isotopiques sur le mercure pour un sous-ensemble de ces sections fournissent des preuves qu'il s'agit de sources de mercure essentiellement atmosphériques plutôt que terrestres, reliant ainsi l'enrichissement en mercure à une activité volcanique accrue."

Les chercheurs ont découvert des enrichissements de coronène en mercure dans des roches sédimentaires dans le sud de la Chine et en Italie remontant à 252 millions d'années. Les enrichissements jumelés coronène-mercure sont les produits de plusieurs phases d'un grand volcanisme régional igné. Ceci aurait pu conduire aux changements environnementaux à l'origine de l'extinction de masse à la fin du Permien. Document K.Kaiho et al. (2020) adapté par l'auteur.

Les chercheurs ont également découvert que les pics de mercure dans les sections d'eau peu profondes étaient presque synchrones avec l'extinction massive du Permien, tandis que les pics mesurés dans les sections d'eau profondes se produisaient des dizaines de milliers d'années avant l'extinction principale. Selon les auteurs, "cela put éventuellement contribuer à un retournement biotique global et à un prolongement de l'extinction de masse."

Quelques mois plus tard, dans un autre article publié dans la revue "Geology" en 2020, Kunio Kaiho de l'Université de Tohoku à Sendai au Japon et ses collègues confirmèrent cet enrichissement anormal en mercure dans du coronène (un PAH de formule C24H12) en deux endroits du monde, dans le sud de la Chine (Liangfengya, Meishan et dans la province de Zhejiang) et à Bulla dans le nord de l'Italie, à la fin du Permien.

Selon Kaiho, "Nous pensons que cela résulte de grandes éruptions volcaniques car l'anomalie du coronène se forme par une combustion à température anormalement élevée. Du point de vue volcanique, cela aurait pu se produire en raison de la combustion à plus haute température de la matière organique vivante et fossile provenant des coulées de lave et du magma intrusif (sill) dans le charbon sédimentaire et le pétrole. L'ampleur différente des deux enrichissements du coronène en mercure montre que l'écosystème terrestre fut perturbé par des changements environnementaux mondiaux plus petits que l'écosystème marin. La durée entre les deux évènements volcaniques est de plusieurs dizaines de milliers d'années."

Par rapport aux autres PAH à simple ou double cycle de benzène, avec ses 7 benzènes le coronène nécessite une énergie nettement plus élevée pour se former. Par conséquent, la combustion volcanique à haute température peut enrichir le coronène. Cela signifie également que la combustion à haute température des hydrocarbures dans les roches sédimentaires par intrusion de magma forma du CO2 et du CH4, deux puissants gaz à effet de serre qui augmentèrent la pression partielle de ces gaz dans l'air qui, combinée aux éruptions volcaniques pulsées furent à l'origine du réchauffement climatique et de l'extinction de masse.

Ainsi, après de longues années de recherche, la cause de l'extinction de masse du Permien a peut-être été identifiée : une activité volcanique inimaginable suivie par une acidification des océans et un réchauffement climatique fatals pour la plupart des espèces vivantes. Il faudra ensuite patienter plus de 80000 ans pour assister au début de l'ère des dinosaures.

Mais les géologues découvrirent qu'un être vivant avait survécu à cet enfer; l'herbisosaurus, un animal de la taille d'une vache et sans doute pas plus méchant, l'ancêtre de tous les mammifères, et donc de l'homme... Il réussit à s'accrocher à la vie lors de la plus grand catastrophe que la Terre ait jamais connue.

En résumé, à la fin du Permien l'évolution s'arrêta temporairement et revint pour ainsi dire 300 millions d'années en arrière. Il faudra ensuite patienter 100 millions d'années pour que la biodiversité retrouve son niveau d'origine. Les roches récoltées après cette extinction de masse ne contiennent plus aucun dépôt coralien ou récif coralien. Les coraux actuels appartenant à l'embranchement des Cnidaires (corail, méduse, etc.) sont donc tous apparus après l'extinction du Permien voire celle du Trias (voir ci-dessous).

Reconstructions de la concentration en CO2 et de l'activité volcanique

Dans un article publié dans la revue "Nature Geoscience" en 2020, Hana Jurikova du Centre GEOMAR-Helmholtz de Recherche Océanographique de Kiel en Allemagne et ses collègues ont étudié des coquilles marines fossiles pour déterminer l'acidité de l'eau de mer à l'époque de l'extinction du Permien-Trias.

Des analyses des isotopes stables du calcium et du bore avaient déjà été réalisées antérieurement dont les résultats furent publiés respectivement dans les "PNAS" en 2010 et dans la revue "Nature" en 2015 confirmant l'acidification des océans décrite plus haut.

Cette fois, Jurikova et ses collègues ont mesuré au moyen d'un spectromètre SIMS (Secondary-ion mass spectrometry ou spectrométrie de masse des ions secondaires), les isotopes du carbone et du bore dans les coquillages. Ces données furent combinées à des modèles informatiques et donnèrent des résultats très intéressants.

C'est la première fois que des chercheurs parviennent à une reconstruction des circonstances atmosphériques avec autant de détails. Leurs résultats fournissent plus d'informations sur les mécanismes sous-jacents qui se sont déroulés à l'époque sur la planète et quelles furent les conséquences au cours des milliers d'années qui suivirent. Cette étude répond à quelques questions sur la combinaison des évènements et leur séquence, liant clairement l'augmentation du CO2 à l'activité volcanique.

Illustration de PaleoFactory/Université Sapienza de Rome pour H.Jurikova et al. (2020).

L'analyse et la modélisation suggèrent également qu'un autre facteur - la libération de grandes quantités de méthane par les microbes sur le fond marin - n'était pas si important. Selon le biochimiste marin Marcus Gutjahr du GEOMAR et coauteur de cet article, "Avec cette technique, nous pouvons non seulement reconstituer l'évolution des concentrations atmosphériques de CO2, mais aussi la corréler clairement à l'activité volcanique. La dissolution des hydrates de méthane, qui avait été suggérée comme une autre cause potentielle, est hautement improbable d'après nos données."

Ce qui rend cette nouvelle étude passionnante, c'est qu'elle montre comment notre compréhension peut être approfondie grâce à l'amélioration des techniques d'analyse qui sont mises en ligne, y compris l'utilisation de la spectrométrie et l'étude des fossiles de brachiopodes. Mais il reste encore beaucoup à découvrir sur les facteurs contributifs, leur durée de vie et la façon dont certaines espèces ont survécu.

Des forêts fossilisées en Antarctique

Malgré cette extinction de masse, des études récentes ont permis de découvrir qu'à l'époque du supercontinent Gondwana, à la fin Permien, l'Antarctique (qui était alors ~15° plus au nord, cf. cette mappemonde) abritait des écosystèmes florissants. Erik Gulbranson de l'Université du Wisconsin-Milwaukee et son équipe ont conduit fin 2017 une expédition en Antarctique (près Collinson Ridge par 85°13' S, 175°21' O et Graphite Peak par 85°03', 172°45' E) à la recherche de forêts fossilisées. A leur grand étonnement, ils ont découvert cinq forêts fossilisées qui auraient pu survivre à l'extinction du Permien, à l'image des forêts pétrifiées du parc de Yellowstone (200 millions d'années). En effet, les chercheurs ont également découvert un intervalle sédimentaire produit en même temps que l'intervalle d'extinction. Ils en ont déduit que ces nouvelles forêts fossiles auraient survécu à l'extinction de masse et représentent trois niches écologiques distinctes vieilles de 251 millions d'années.

A voir : Glossopetis Fossil

Les régions Antarctique du Promontoire McIntyre (gauche avec le prof. Erik Gulbranson) et de Graphite Peak (droite) où furent découverts en 2017 cinq forêts pétrifiées datant de 251 millions d'années. Documents Danny Uhlmann.

Les chercheurs ont constaté que les plantes du Permien ne ressemblent à aucune espèce vivante connue. L'anatomie comme la morphologie des plantes fossilisées dont celles du genre Glossopteris, des plantes ligneuses a priori caduques vivant il y a environ 300 à 200 millions d'années n'ont rien de commun avec les plantes modernes et paraissent très étranges. Cette découverte a mis en lumière l'urgence de la protection de la nature et de la biodiversité, au point que certains chercheurs évoquent déjà une 6e extinction. On y reviendra.

A la fin du Trias (200 millions d'années)

A la fin du Trias, il y a 200 millions d'années, 80% des espèces ont disparu (50% des genres et 22% des familles). Parmi les fossiles datant de cette époque, on a découvert des tonnes de conodontes mesurant 0.25-2 mm comme on le voit sur la photo présentée un peu plus haut. Longtemps considérés comme des fragments de bivalves ou d'éponges, grâce à la découverte d'une mandibule complète en Écosse dans les années 1980, on pense qu'il s'agit des microdents d'une espèce de vertébré proche de l'anguille.

Les conodontes sont l'une des première espèces dont la structure est constituée d'hydroxyapatite (Ca5(PO4)3(OH)), une espèce de minéral proche des phosphates riche en calcium qui assure encore aujourd'hui un rôle clé dans notre ossature et nos dents.

Parmi les autres espèces touchées par l'extinction du Trias mais dont certaines populations survécurent citons les brachiopodes, les ammonoïdes, les gastéropodes, les bivalves, les spongiaires, les reptiles marins et terrestres, les poissons d'eau douce et les insectes.

Parmi toutes les extinctions de masse, celle du Trias est la plus énigmatique car aucune cause apparente ne semble l'expliquer.

A la fin du Crétacé (66 millions d'années, limite C/Pg)

Une ammonite géante. Etant donné son poids, il s'agit d'une réplique d'un spécimen découvert à Lyme Regis, Inglaterra, dans le sud de l'Angleterre. Document D.R.

A la fin de l'ère Mésozoïque, à la limite C/Pg, il y a 66 millions d'années, une nouvelle extinction de masse se produisit : 70 à 76% des espèces ont disparu (45% des genres et 15% de sfamilles), mettant brutalement un terme à deux importants règnes : celui des dinosaures sur terre (et des plésiosaures dans les mers) et des ammonites dans les mers dont on voit la réplique d'un spécimen géant à droite découvert dans le sud de l'Angleterre.

Parmi les autres espèces touchées par cett extinction de masse mais dont certaines populations survécurent citons les foraminifères, les bryozoaires, les coraux, les spongiaires, les échinoïdes, les brachiopodes, les gastéropodes, les bivalves, les ptérosaures, quelques rares dinosaures et les mammifères marsupiaux.

Ici également les raisons sont multiples. L'activité volcanique et les changements climatiques qui en découlèrent avaient déjà perturbé les biotopes et placé les ammonites notamment en état de stress.

Mais c'est surtout l'impact d'un astéroïde de 10 à 20 km de diamètre à Chicxulub, au Mexique, qui décima les dinosaures, permettant aux premiers petits mammifères d'occuper les nouvelles niches écologiques avec le succès que l'on sait. Quelques rares descendants des ancêtres des dinosaures (les oiseaux de la classe des Aves) et des ammonites (les nautiles) ont survécu.

Plus de 10000 nouvelles espèces apparurent après cet évènement. Un nouveau monde naquit dans lequel les mammifères allaient pouvoir s'épanouir, apprenant à lutter pour leur survie parmi une végétation luxuriante.

Au Pliocène-Pléistocène (5-2.5 millions d'années)

Il y a environ 2.6 millions d'années, on observa une extinction de masse dans les océans dont l'origine reste encore mystérieuse. Dans un article publié dans la revue "Astrobiology" en 2017 (en PDF sur arXiv), le physicien Adrian L. Melott de l'Université du Kansas et ses collègues annoncèrent la découverte de traces de fer-60 partout dans le monde remontant à une période comprise entre 2.5 et 10 millions d'années avec un pic il y a ~2.5 millions d'années.

Sachant que le fer-60 est un isotope produit au cours de l'explosion d'une supernova, les auteurs suggèrent qu'une supernova explosa à cette époque, c'est-à-dire durant l'Âge glaciaire. Cette émission proviendrait d'une supernova située à ~150 années-lumière qui illumina le ciel préhistorique pendant quelques semaines à quelques mois. En l'espace de quelques centaines d'années, bien après que la supernova ait perdu son éclat, un intense flot de rayons cosmiques aurait atteint le système solaire et frappé l'atmosphère de la Terre.

Selon Melott, les rayonnements émis par cette supernova et notamment le flux intense de rayons cosmiques (muons) provoqua un changement climatique sur Terre qui dura entre 10000 et 100000 ans à l'origine de l'extinction massive de grands animaux marins, y compris du Mégalodon, une espèce proche du requin blanc mais plus grand qu'un autobus (18 m de long avec une gueule de ~3 m de hauteur soit trois fois la taille d'un T.Rex) qui disparut il y a 1.6 million d'années. Les chercheurs estiment que cette irradiation à l'échelle planétaire aurait tué 36% des espèces de la mégafaune marine, principalement dans les eaux côtières où les animaux reçurent une plus forte dose de muons que ceux vivant dans les eaux profondes.

A gauche, le résidu de la supernova N63A situé dans le Grand Nuage de Magellan photographié par le Télescope Spatial Hubble. Le nuage moléculaire représente ~700 masses solaires et la région choquée photoionisée représente ~1500 masses solaires. A droite, illustration d'un Mégalodon. Il vécut entre 28 et 1.6 million d'années. Documents NASA/ESA/STScI et D.R.

En réponse à cette conclusion, en 2018 l'astrophysicien Brian Thomas de l'Université Washburn publia une article plus nuancé dans la même revue "Astrobiology" qui fut repris sur le site de la NASA qui finança l'étude. Thomas reconnaît qu'il y eut un changement dans la diversité des espèces et leur population durant cette même période (c'est aussi l'époque des Australopithèques africanus tardifs et des Homo habilis). Il suggère que deux supernovae situées entre 163 et 326 années-lumière de la Terre auraient explosé il y a ~2.5 millions d'années. L'explosion aurait provoqué une réduction d'environ 22% de la densité de la couche d'ozone en 100 ans, de 26% en 300 ans et de 17% en 1000 ans.

Toutefois Thomas refuse de conclure que ce type d'explosion aurait été délétère pour tous les organismes vivants car certaines espèces et notamment végétales n'ont subi aucun changement après cet évènement et ont même vu leur rendement augmenter comme le soja et le blé. On reviendra en détails sur les effets des rayons cosmiques sur la biosphère.

Reste à trouver le rémanent (SNR) ou le résidu (le coeur) de cette ou ces deux supernovae. Sur les quelque 400 SNR répertoriés (cf. le SNRcat), aucun ne se situe si près du Soleil (la plupart sont à quelques milliers d'années-lumière) et tous se sont formés assez récemment (moins de 500000 ans et même moins de 20000 ans). Mais même s'il en existe probablement quelques-uns dans un rayon de 150 années-lumière, nous n'avons aucun moyen de savoir avec certitude s'il est à l'origine de l'extinction de masse du Pléistocène.

Sur le plan statistique, malgré la relative faible densité des étoiles dans la banlieue du Soleil (au coeur du bras d'Orion), au cours des derniers 500 millions d'années d'autres supernovae ont certainement explosé à proximité du Soleil. Mais rien n'indique que cela provoqua des effets délétères sur la Terre. Il est possible que leur rayonnement provoqua des mutations génétiques et des cancers en particulier chez les grands animaux ou les rendit stériles. Mais il est impossible d'affirmer qu'il existerait un lien entre les supernovae et le développement de la vie. Même les effets d'une violente éruption gamma solaire aurait peu d'effet si ce n'est de brûler certaines espèces de la faune et de la flore et de les contaminer avec quelques éléments radioactifs (Be-10, C-14, etc). En fait, si un petit surplus d'énergie pourrait accélérer et entretenir des réactions entre atomes et molécules prébiotiques, rien n'indique qu'il serait bénéfique pour des organismes vivants, que du contraire.

La prochaine extinction de masse

Si on considère une période de 100 millions d'années, il est très probable que la Terre subira une nouvelle extinction de masse, que soit suite à l'éruption d'un supervolcan, l'impact d'un astéroïde voire d'un mégatsunami. Si localement des espèces disparaîtront, il en faudra plus pour que l'humanité disparaisse. Mais certains se demandent toutefois si les espèces actuelles survivront à la 6e extinction qui leur semble inévitable, celle provoquée par l'homme et qui pourrait conduire à sa propre extinction plus rapidement qu'il le pense. On y reviendra dans l'article consacré au risque d'extinction de l'humanité.

Prochain chapitre

Des extinctions de masse supplémentaires

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[1] Si en français et en anglais on utilise parfois le mot "trap", trapp est le mot exact car il est emprunté au suédois (ou au norvégien) signifiant escalier.


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