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L'origine et l'avenir de l'Homme

Reconstruction de l'Autralopithecus anamensis. Document Antroporama.

Les Australopithèques : 4.1 - 1 million d'années (IV)

Les Australopithèques sont un genre d'homininé descendant probablement (car le lien direct n'est pas établi, cf. ce cladogramme) de Toumaï et d'Orrorin ayant vécu en Afrique entre 4.1 et 1 million d'années, ce qui en fait le genre ayant connu la plus grande longévité.

A première vue, ils ressemblent à des singes mais même un amateur pourrait constater que leur squelette (position du crâne, canine, pelvis, fémur, ...) et leurs articulations présentent déjà des caractéristiques les rapprochant plus des humains que des singes, tout en conservant certains de leurs aspects et aptitudes (faciès, longs membres, longues phalanges, fémur oblique, etc).

La plupart des Australopithèques ne sont donc pas les descendants évolués des singes (genre Pan) mais bien les ancêtres primitifs des humains.

Au cours des âges, l'Afrique connut au moins 8 espèces d'Australopithèques : A.anamensis, A.africanus, A.deyiremeda, A.afarensis, A.bahrelghazali, A.garhi, A.prometheus et A.sediba. Toutefois, l'A.africanus n'appartient pas directement à la lignée des préhumains tandis que la filiation de l'A.prometheus n'est pas encore déterminée avec certitude. On y reviendra.

Précisons avant de décrire ces espèces que les Australopithèques étaient adultes vers 11 ans et vivaient environ 30 ans.

Cette courte longévité a suivi les hommes pratiquement jusqu'à aujourd'hui du simple fait que tant les préhumains que le genre humain ont toujours été très sensibles aux maladies et à la malnutrition, sans parler aux gaz toxiques émis par les volcans ou certains lacs. Soumis aux caprices de la nature, un individu peut ainsi être emporté en quelques semaines (par.ex. suite à une épidémie de peste, un pneumo-thorax, des retombées d'un nuage de souffre, etc).

Rappelons qu'encore de nos jours, et toujours pour ces mêmes raisons liées à des facteurs extérieurs, dans certaines régions d'Afrique la population ne vit pas plus d'une quarantaine d'années, soit à peine plus de la moitié de la longévité des Occidentaux qui ont la chance de bénéficier des soins de santé.

L'Australopithecus anamensis

A ce jour, la plus ancienne espèce d'Australopithèque est l'Australopithecus anamensis, KNM-ER 20419, découverte en 1965 au Kenya. L'individu vécut dans la région de Kanapoi, à l'est du lac Turkana il y a environ 4.1 à 3.9 millions d'années.

Selon des examens réalisés en 2012 par les paléoanthropologues espagnols sur trois fossiles d'A.anamensis et publiés dans le "Journal of Anthropological Sciences", cette espèce était presque exclusivement végétarienne et non pas carnivore et encore moins charognard comme on le croyait encore dix ans plus tôt. L'Australopithecus anamensis se nourrissait de fruits, de graines, de tubercules et même de plantes (carex).

Bien qu'on n'ait pas encore découvert d'os des jambes ou du pelvis, Meave Leakey pense que cette espèce grimpait souvent dans les arbres, à l'image de nombreuses autres espèces d'homininés de cette époque.

Le crâne MRD-VP-1/1 découvert en 2016 à Miro Dora, dans l'Afar en Éthiopie. Document Y.Haile-Selassie/CMNH.

Puis en 2016, on découvrit un nouveau crâne "remarquablement complet" d'A.anamensis dans la localité de Miro Dora située dans la zone 1 du district de Mille, dans la Dépression de l'Afar (également appelé le "Triangle de l'Afar"), en Éthiopie. Le gisement se trouve à environ 550 km au nord-est de la capitale, Addis-Abeba, et à 55 km au nord de Hadar où on découvrit "Lucy" (voir plus bas). 

Le spécimen fut nommé MRD-VP-1/1 ou simplement MRD. Sur base de la datation des minéraux présents dans les couches de roches volcaniques situées à proximité, les paléoanthropologues estiment que MRD est âgé de 3.8 millions d'années.

Pour la petite histoire, MRD fut découvert dans la zone d'étude du projet paléontologique Woranso-Mille qui débuta en 2004. Le 10 février 2016, Ali Bereino, un travailleur local de l'Afar découvrit d'abord une mâchoire supérieure effleurant en surface. Puis une étude plus approfondie de la zone a permis de récupérer le reste du crâne. Yohannes Haile-Selassie, professeur auxiliaire au Musée d'Histoire Naturelle de Cleveland (CMNH) de l'Université Western Reserve était présente sur le site : "Je ne pouvais pas en croire mes yeux lorsque j'ai repéré le reste du crâne. C'était un moment Eurêka et un rêve devenu réalité", a-t-elle déclarée aux média. La description de MRD-VP-1/1 fut décrite dans deux articles publiés dans la revue "Nature" en 2019 (art 1, art.2).

À ce jour, les chercheurs ont excavé dans la région plus de 12600 fossiles représentant environ 85 espèces de mammifères. La collection comprend environ 230 spécimens d'homininés fossiles datant entre 3.8 et 3.0 millions d'années.

MRD fut enterré dans un delta du fleuve au bord d'un lac qui se forma dans un paysage très sauvage, présentant des collines escarpées et des éruptions volcaniques qui recouvraient le sol de cendres et de lave. La région comprenait également des zones forestières sur les rives du delta ou le long des rives du fleuve qui aboutissaient dans le système de delta et de lacs. Toutefois, le bassin hydrographique qui alimentait le système de rivière, de delta et de lac était principalement sec avec peu d'arbres.

Grâce à MRD, les paléoanthropologues disposent de nouvelles informations sur la morphologie crânio-faciale de l'Australopithecus anamensis que l'on considère aujourd'hui comme l'ancêtre le plus probable de l'espèce de Lucy, l'Australopithecus afarensis.

MRD prouve également que l'espèce de Lucy et son ancêtre hypothétique, A.anamensis, ont coexisté pendant environ 100000 ans, remettant en cause les hypothèses antérieures d'une transition linéaire entre ces deux premiers ancêtres humains. Selon Haile-Selassie, "cela change la donne en ce qui concerne notre compréhension de l'évolution humaine au Pliocène."

A voir : MRD-VP-1/1 cranium - the face of Australopithecus anamensis

Le crâne MRD-VP-1/1 et sa reconstruction par John Gurche. Documents Dale Omori/Musée d'Histoire Naturelle de Cleveland.

En résumé, l'Australopithèque anamensis est le plus ancien membre connu du genre Australopithecus. Il vécut entre 4.1 et 3.8 millions d'années. Grâce à ce crâne quasi complet, les chercheurs ont identifié des traits du visage encore jamais vus chez cette espèce. Selon Haile-Selassie, "MRD a un mélange de traits faciaux et crâniens primitifs et dérivés que je ne m'attendais pas à voir chez un seul individu." Selon Stephanie Melillo de l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste d’Allemagne et coauteure des articles : "A. anamensis était déjà une espèce que nous connaissions assez bien, mais c’est le premier crâne de l’espèce jamais découvert. C’est bien de pouvoir enfin mettre un visage sur le nom." Certaines caractéristiques étaient communes à l'espèce descendante, A.afarensis, alors que d’autres différaient considérablement et avaient plus de points communs avec celles de groupes d’ancêtres humains encore plus anciens et primitifs, tels que Ardipithecus et Sahelanthropus.

L'Australopithecus prometheus

L'Australopithecus prometheus surnommé "Little Foot" fut découvert à Sterkfontein, en Afrique du Sud en 1948. Les fragments du squelette StW 573 remonteraient à 3.67 millions d'années et ressemblent à ceux de l'A.africanus (voir plus bas). Toutefois sa position dans l'arbre phylogénique n'est pas encore connue avec précision comme le confirme cet article de Darryl E. Granger et son équipe publié en 2015 sur le site de l'Université de Purdue. Ce chapitre sera donc complété lorsque nous disposerons de plus d'informations.

A lire : New cosmogenic age of StW 573 "Little Foot", Nature, 2015

Datation de l'Australopithecus prometheus (espèce non confirmée)

L'Australopithecus deyiremeda

Il y a plus de 3 millions d'années plusieurs espèces d'homininés peuplaient l'Afrique de l'Est. L'une d'entre elles fut découverte récemment.

Le maxillaire d'A.deyiremeda découvert le 4 mars 2011 en Ethiopie, dans la Dépression de l'Afar. Document Yohannes Haile-Selassie.

Le 27 mai 2015, après quatre ans de recherches et d'analyses, une équipe de paléoanthropologues rapporta dans la revue "Nature" la découverte à Burtele, en Éthiopie, dans la Dépression de l'Afar, des fossiles d'une nouvelle espèce d'homininé : l'Australopithecus deyiremeda.

Le substantif "deyi" signifie "proche" en langue indigène et "remeda" signifie "cousin", "deyiremeda" signifiant que cette nouvelle espèce est proche des autres homininés.

L'holotype BRT-VP-3/1 comprend une partie de la mâchoire supérieure (maxillaire), deux mandibules contenant encore des dents et quelques fragments. Il est daté de 3.3 millions d'années. Cette espèce vivait à la même époque que l'A.afarensis, la fameuse Lucy (voir ci-dessous).

Ajouté aux découvertes antérieures des Australopithecus bahrelghazali au Tchad et du Kenyanthropus platyops au Kenya, l'A.deyiremeda confirme que plusieurs homininés coexistaient il y a 3 à 4 millions d'années dans l'est de l'Afrique, à l'époque du Pliocène Moyen.

Etant donné les particularités de chaque espèce d'Australopithecus, il paraît évident aujourd'hui que chacune d'elle trouva un moyen de locomotion particulier, une découverte inattendue jusqu'ici.

Ceci dit, l'exemple iconique et la plus célèbre des Australopithèques est bien entendu Lucy.

L'Australopithecus afarensis : Lucy et Selam

Selon les dernières recherches, l'Australopithecus afarensis est l'ancêtre du genre Homo et peut-être également celui du Pan robustus.

Lucy, alias AL-288-1, fut découverte en 1974 à Hadar dans l'est du Rift africain, dans la dépression de l'Afar, par des membres de l'International Afar Research Expedition. Cette expédition était codirigée par Donald Johanson, archéologue et paléoanthropologue américain, conservateur du Musée d'Histoire Naturelle de Cleveland (CMNH), le paléoanthropologue français Yves Coppens du Collège de France et le géologue français Maurice Taieb du CNRS, accompagnés d'une équipe d'une trentaine de chercheurs éthiopiens, américains et français.

Reconstruction de Lucy présentée en 2013 au Musée d'Histoire Naturelle de Cleveland (CMNH) où Donald Johanson, l'inventeur de Lucy, était conservateur. Document Jeff St.Clair/WKSU.

C'est Tom Gray, un étudiant en paléontologie de Donald Johanson, qui repéra le squelette sur le versant d'un ravin. Mais la déouverte ne fit pas immédiatement la une des journaux. Outre l'embargo, il fallait d'abord reconstituer le squelette puis procéder aux analyses, dater et identifier l'individu et enfin se prononcer sur le genre et l'espèce avant de publier les résultats.

Finalement, ce n'est qu'en 1978 que Lucy fut identifiée comme étant une femelle Australopithecus afarensis. Datant de 3.18 millions d'années, elle assure la transition vers le genre Homo. La découverte fut publiée la même année dans le magazine "Kirtlandia", le journal du CMNH, un second article ayant été soumis à "Science".[3]. Depuis, plus de 400 individus appartenant à cette espèce ont été découverts.

Yves Coppens décrit Lucy comme une pré-femme d'environ 1.10 m, vraiment une toute petite personne disposant d’un petit cerveau, qui devait peser à peine 30 kg. Elle serait morte vers l'âge de 20 ans, donc aux deux-tiers de sa longévité théorique.

Il est probable que les Australopithèques afarensis mâles de cette époque devaient mesurer 1.50 m et peser entre 40 et 60 kg. Cet important dimorphisme semble avoir disparu graduellement il y a un peu plus d'un million d’années, à l'époque des premiers Homo erectus bien que A.ramidus contredise cette règle.

On suppose qu'au cours de l'évolution les premiers hommes n'ont plus eu besoin de lutter comme des animaux. Leurs facultés s'améliorant, en préférant les armes et en maîtrisant mieux la nature, leurs comportements et leur physiologie ont évolué; leur dimorphisme sexuel s'est atténué, ils sont devenus moins agressifs, plus malins et plus intelligents. On y reviendra.

En étudiant le squelette de Lucy, on découvre que ses articulations sont bien calées, assurant une très bonne préhension et l'obliquité du fémur est encore très importante, lui conférant une habileté à monter aux arbres. La structure de sa colonne vertébrale et de son bassin confirment que Lucy pouvait se déplacer sur ses deux pieds. Sa marche était déhanchée, elle était donc assez handicapée et ne pouvait parcourir que de courtes distances.

La position centrale de l'os crânien du Foramen magnum (le trou occipital) témoigne que son crâne était en équilibre sur son corps; Lucy se tenait droite. Mais quelle que soit sa place dans notre arbre généalogique, nous savons que Lucy était une préhumain dont les ossements ne sont pas tout à fait superposables aux squelettes du genre Homo qui est beaucoup plus tardif. Ainsi, la forme en entonnoir de son thorax (voir plus bas) est très différence de la forme en tonneau des hommes actuels.

De gauche à droite, le squelette de Lucy (holotype AL 288-1), deux reconstitutions de son crâne (celle de gauche est une réplique de Skulls Unlimited Int'l) et un schéma comparant l'orientation du Foramen Magnum (le trou occipital) chez Lucy, chez l'homme et chez les singes.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2016, le paléoanthropologue John W. Kappelman de l'Université du Texas, à Austin, et ses collègues ont établi un diagnostic sur l'origine du décès de Lucy après un examen clinique détaillé.

Les chercheurs ont constaté que Lucy présentait plusieurs fractures : à l'humérus doit, à l'épaule gauche, à la cheville droite, au genou gauche, au bassin et à une côte. En étudiant le fossile et les scans 3D, les chercheurs ont remarqué que l'humérus droit est cassé d'une façon inhabituelle pour un fossile. Selon Kappelman, "ce type de fracture survient lorsque la main touche le sol au moment d'une chute". Le choc se transmet aux éléments de l'épaule, créant une "signature unique" au niveau de l'humérus. Selon Kappelmann, Lucy est morte probablement en chutant d'un arbre à plus de 12 mètres de hauteur et une vitesse de plus de 56 km/h. "La mort est survenue rapidement". L'idée que Lucy chuta est également supportée par son collègue Stephen Pearce, chirurgien orthopédique et coauteur de cette étude.

Si tous les chercheurs ne partagent pas cette conclusion, elle reste probable. En effet, si les animaux arboricoles chutent rarement, Lucy vivait à la fois au sol et dans les arbres. Selon Kappelman, "cette faculté aurait compromis son habileté à grimper aux arbres. Son espèce aurait été prédisposée à des chutes plus fréquentes".

A lire: Lucy 2.0: la fameuse Australopithèque numérisée (sur le blog)

A voir : eLucy

Reconstructions de Lucy. Même en se basant sur des données scientifiques (ostéologie et anatomie, et parfois l'ADN), les artistes ignorent le volume précis des tissus mous (peau, muscles, tendons, cartilages, graisse, etc). Sans références absolues, ils doivent faire un choix entre un aspect simiesque ou humain. Par conséquent, les couleurs de la peau, du pelage et des iris ainsi que les traits du visage (formes du nez, des lèvres, des oreilles, des joues, etc) restent spéculatifs et subjectifs. Ci-dessus à gauche, une reconstruction réalisée en 2021 par l'équipe de Ryan M. Campbell basée sur une nouvelle technique utilisant un moulage en silicone pigmenté. Les auteurs l'ont fait davantage ressembler aux bonobos avec un pelage sombre et hirsute suggérant que Lucy passait du temps dans l'eau. La reconstruction des tissus est identique à la méthode décrite par John Gurche en 2013. Au centre, la reconstruction réalisée par Elisabeth Daynès de l'Atelier Daynes. A droite, celle réalisée par John Gurche. Ci-dessous, une autre reconstruction anonyme vue sous deux angles différents photographiées respectivement par Dave Einse/Getty Images et Pat Sullivan/AP.

Depuis Toumaï, A.ramidus et certainement depuis les Australopithèques, nos ancêtres se tenaient debouts, les seuls êtres vivants à marcher de la sorte, une posture tout à fait singulière qui leur donna un avantage évolutif ainsi que nous l'expliquerons.

Selam, "la petite Lucy"

A 4 km du lieu où Lucy fut découverte, à Dikika exactement, en Ethiopie, le paléoanthropologue Zeresenay Alemseged de l'Académie des Sciences de Californie et une équipe du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology en Allemagne découvrirent en 2000 les fragments du squelette d'une jeune enfant Australopithèque qui fut nommé sobrement DIK-1-1, plus prosaïquement "Selam" (signifiant "la paix" dans plusieurs langues éthiopiennes), qu'on surnomma "la petite Lucy".

Les chercheurs mirent 5 ans pour extraire le squelette de la matrice de sédiments qui l'emprisonnait, raison pour laquelle les premiers articles décrivant cette découverte ne furent publiés qu'en septembre 2006 dans les revues "Nature" (dont voici une vidéo) et "Scientific American" notamment.

Selam est également une Australopithèque afarensis. Son squelette est pratiquement complet à l'exception des os des bras, d'une partie des mains, du bassin, d'un péroné et d'un fragment de la calotte crânienne qui sont manquants.

Le squelette est daté de 3.3 millions d'années. C'est le fossile d'une enfant, probablement une fillette âgée de 3 ans, le plus ancien et le mieux conservé à ce jour.

Le squelette des enfants étant en pleine croissance,  il ne se fossilise pas aussi facilement que celui d'un adulte. C'est notamment le cas des omoplates (scapula) qu'on voit ci-dessous au centre. Elles sont tellement fines chez le petit enfant qu'elles se fossilisent rarement. Il est donc exceptionnel d'avoir retrouvé les deux omoplates de Selam et en parfait état, qui plus est encore attachée au squelette.

Le squelette de Selam présente des traits hybrides se rapprochant anatomiquement de ceux des singes actuels (omoplates, os hyoïde, canaux auriculaires), de ceux des êtres humains actuels (fémur et tibia croisés) et d'autres ayant des caractéristiques intermédiaires entre les singes et les humains actuels (sillon Sulcus lunatus, taux de croissance du cerveau).

Toutes ces découvertes suggèrent que l'Australopithecus afaransis était encore capable de grimper aux arbres malgré les caractéristiques bipèdes de la partie inférieure de son corps. Selon Alemseged, cela signifie que nos ancêtres auraient abandonné l'escalade des arbres bien plus tard que de nombreux chercheurs l'ont pensé jusque là.

A gauche, le crâne et une partie de l'épine dorsale de Selam. Au centre, on reconnaît très bien les deux omoplates en parfait état sur ce squelette de Selam. A droite, vues latérales des cerveaux des singes et de l'homme. Notez la présence du sillon Sulcus lunatus chez le chimpanzé. Documents Zeresenay Alemseged et Document Stephen J.Gould adapté par l'auteur.

A partir du volume de son crâne, on estime que le cerveau de cette toute jeune Australopithecus afaransis présentait un volume de 330 cm3. Par extrapolation, son cerveau adulte devait atteindre 440 cm3. Il était donc à 75% de sa taille adulte. Si on compare cette croissance à celle d'un chimpanzé de 3 ans, on constate que ce dernier est formé à 80%. Selam accuse donc un développement plus lent que celui d'un chimpanzé actuel.

Jusqu'à quel point Selam préfigure les humains ? L'anthropologue Ralph Holloway de l'Université de Columbia nous dit que le sillon profond du Sulcus lunatus (sillon lunaire ou sillon simien) sépare le lobe de la vision du reste du cortex où s'opère des processus plus complexes.

Le Sulcus lunatus n'existe pas chez l'homme moderne; il s'est déplacé vers l'arrière, vers le lobe occipital car le néocortex est devenu plus important. Chez l'homme moderne c'est cette couche externe des hémisphères cérébraux qui traite les fonctions cognitives supérieures comme la conscience, les perceptions sensorielles, le raisonnement spatial, les commandes motrices volontaires ou le langage.

La position de ce sillon est donc un très bon indicateur de l'état d'évolution cognitif des vertébrés, et en particulier dans une analyse comparée des espèces préhumaine, Pan et Homo.

Si on regarde l'empreinte du cerveau dans le crâne de Selam, on constate que le Sulcus lunatus est reporté à l'arrière, signe d'une évolution différente de celle des chimpanzés. Si Selam est bien une préhumaine, son évolution n'était pas terminée.

Au centre, le crâne du chimpanzé comparé à celui de l'Australopithecus afarensis. Noter dans les deux cas la relative faible inclinaison de la base du crâne et du palais d'où s'ensuit un allongement important du faciès vers l'avant. Documents Modern Human Origins et Bay State Replicas.

L'Australopithecus bahrelgazali : Abel, le Nord Africain

Abel fut découvert en 1995 à 2500 km au nord-ouest du Rift, à Koro Toto, au Tchad, par la mission MPFT dirigée par le paléoanthropologue Michel Brunet, professeur au Collège de France.

Abel appartient à l'espèce Australopithecus bahrelgazali. C'est le premier Australopithèque découvert en Afrique du Nord. -

Quelles informations nous révèlent le squelette d'Abel ? Grâce à la datation de la faune associée découverte dans le gisement, Abel est âgé entre 3 et 3.5 millions d'années. Historiquement parlant il est donc contemporain de Lucy.

Selon Michel Brunet, la mâchoire inférieure d'Abel est raccourcie à l'avant, le signe particulier d'un corps trapu. Elle présente de fortes canines et des prémolaires à trois racines. Son arc dentaire parabolique indique qu'Abel serait un descendant de la sous-espèce A.anamensis ou A.afarensis à laquelle appartient Lucy.

Aujourd'hui, quatre autres individus ont été découverts dans la région. Ils renforcent la présence de nos ancêtres dans toute l'Afrique. En effet, depuis la première découverte des Australopithèques en Afrique du Sud en 1924 jusqu'à Abel, on constate que la distribution de cette espèce est panafricaine et non plus limitée à l'East Side Story d'Yves Coppens.

L'analyse de la dentition d'Abel révèle qu'il avait un régime végétarien et frugivore. Quant à la morphologie de sa mâchoire, il est probable qu'Abel fut capable d'émettre des sons.

La capacité crânienne de l’Australopithecus afarensis est légèrement supérieure à celle des chimpanzés (400 à 500 cm3 contre à peine 395 cm3). Certains individus présentent des canines un peu plus proéminentes que celles des homininés plus tardifs. Aucun outil n’a été découvert auprès des treize squelettes découverts à ce jour.

Abel est différent des autres espèces d'Australopithèques. Il assure la transition avec le Paléolithique et le genre Homo car sa mâchoire est presque humaine.

Nous reviendrons plus loin sur l'Australopithecus sediba car il vécut plus de 2 millions d'années après les premiers Australopithèques et présente une morphologie tout à fait unique en son genre.

L'Australopithecus africanus

C'est un collègue du professeur d'anatomie Raymond Dart qui découvrit à Taung, en Afrique du Sud, des fragments de crâne d'un hominidé qu'il confia à un carrier avant que Dart n'en prenne connaissance en 1924. Biologiste, anatomiste et ancien médecin militaire âgé de 30 ans, en voyant la position du trou occipital, Dart y reconnut le squelette d'un hominidé bipède. Ayant autant de traits simièsques qu'humains, Dart le nomma Australopithecus africanus, soulignant par son nom son ascendance simienne.

Fort de son expérience en tant que médecin militaire et comme anatomiste, Dart proposa une théorie sur l'origine de l'humanité, celle de l'origine africaine que nous connaissons aujourd'hui complétée par celle du chasseur et du prédateur luttant pour sa survie. Plus tard, dans son livre "Adventures With the Missing Link" (1959), Dart considéra un peu précipitamment que le spécimen qu'il avait découvert représentait le "chaînon manquant" entre l'homme et le singe.

Selon les dernières analyses, l'enfant de Taung remonterait à 2.1 millions d'années (les experts du Musée Australien le datent de 2.3 millions d'années et d'autres sources à 2.8 millions d'années).

A gauche, reconstruction du crâne de l'Australopithecus africanus, "l'enfant de Taung" découvert en Afrique du Sud en 1924 et remontant à 2.1 millions d'années. Il comprend notamment un moulage endocrânien. A droite, la reconstruction de l'enfant de Taung réalisée en 2021 par l'équipe de Ryan M. Campbell basée sur une nouvelle technique utilisant un moulage en silicone pigmenté. Les auteurs ont choisi une couleur de peau similaire aux humains modernes originaires d'Afrique du Sud. Les traits du visage sont également dérivés de caractéristiques humaines plutôt que simiesque. La reconstruction des tissus est identique à la méthode décrite par John Gurche en 2013.

Bien que Charles Darwin avait prédit que les ancêtres de l'homme devaient vivre en Afrique, la découverte de fossiles d'humains à large crâne en Europe (les Néandertaliens) et en Asie (les Homo erectus) suggéra aux scientifiques que l'origine de l'humanité se situait en Eurasie et certainement pas en Afrique.

Aussi, dès sa publication, la découverte de Dart fit l'objet d'une violente critique. Dart n'était pas membre de la petite communauté des paléoanthropologues. Directeur depuis 1923 du département d'Anatomie de l'Université de Witwatersrand à Johannesbourg, il savait reconnaître le crâne d'un hominidé et différencier celui d'un humain d'un singe comme celui du babouin, du chimpanzé ou même d'un jeune gorille. Et le crâne qu'il avait identifié ne correspondait à aucun d'entre eux.

Etant donné qu'il n'appartenait pas au sérail et n'eut pas le temps de publier son article dans la revue "Nature" où il aurait été relu par ses pairs avant publication, son identification fut controversée et remise en question par les "experts" et notamment par l'anatomiste et paléontologue écossais Arthur Keith qui prétendit qu'il s'agissait du crâne d'un jeune gorille.

A voir : Reconstruction 3D du crâne de STS 5 "Mrs Ples", NCSSM

A gauche, la reconstruction du crâne de l'Australopithecus africanus STS 5 "Mrs Ples", découvert à Sterkfontein, en Afrique du Sud en 1947 remontant à environ 2.5 millions d'années. Documents extraits de la collection de l'Université de Witwatersrand. A droite, la morphologie comparée du crâne de l'Australopithèque, de l'Homo erectus et de l'Homo sapiens. Notez la petite taille du crâne et la mâchoire imposante de l'Australopithèque qui le rapproche plus d'un singe bipède que d'un humain. Document Scientific American.

En fait, Dart avait découvert le crâne d'un jeune enfant âgé de 3.3 ans surnommé "l'enfant de Taung". C'était une personne gracile dont le volume endocrânien adulte devait atteindre environ 450-530 cm3.

Le crâne de l'enfant de Taung présente des perforations suspectes laissant penser qu'il fut attaqué et tué par un aigle (les mêmes traces que les aigles font encore quand ils s'attaquent aux singes). Cette hypothèse est renforcée par la présence parmi les fragments du crâne, de coquilles d'oeufs et d'un mélange d'os appartenant à divers petits animaux (daman, rongeurs, tortues, lézards, crabes, petite antilope et petits babouins) ce qui est inhabituel comparé aux os d'animaux qu'on peut rencontrer sur les autres gisements d'hominidés.

Le second spécimen emblématique de cette espèce est "STS 5", alias 'Mrs Ples", qui fut également découvert en Afrique du Sud par Robert Broom et John Robinson en 1947. Le fossile remonte à environ 2.5 millions d'années. Sur base de sa dentition, il s'agit d'une femme adulte âgée entre 17 et 21 ans.

Suite à cette nouvelle découverte, Keith reconnut son erreur en 1947. Juste retour des choses, en hommage au travail de pionnier de Raymond Dart, en 1956 l'Université de Witwatersrand (Wits) fonda l'"Institute for the Study of Man in Africa" aujourd'hui intégré à l'Ecole de Médecine. Raymond Dart nous quitta en 1988 à l'âge de 95 ans.

Notons que c'est à 420 km du gisement de l'A.africanus qu'on découvrit les fossiles de l'Homo naledi.

Reconstructions de l'Australopithecus africanus par l'Atelier Daynes (squelette STS 5 de "Mrs Ples") et par John Gurche.

Où se place "l'enfant de Taung" et "Mrs Ples" dans l'arbre des préhumains ? Selon les chercheurs, l'A.africanus est un descendant de l'A.afarensis mais situé sur une branche parallèle à celle des préhumains. Cette espèce serait à l'origine des Paranthropus (P.robustus, P.bosei et P.aethiopicus, cf. ce tableau), mais cette théorie reste à confirmer. La même incertitude se pose à propos de l'A.prometheus évoqué plus haut.

Premières traces d'outils fabriqués : 3.4 millions d'années

Contrairement à ce qu'on croyait jusqu'ici, l’Australopithecus afarensis, que ce soit donc Lucy ou Selam, utilisait des outils. Les paléoanthropologues en ont récemment apporté la preuve sur des os de bovidés fossilisés.

Deux entailles faites dans une côte d'un mammifère de la taille d'un bovidé fossilisé il y a environ 3.4 millions d'années. Document Zeresenay Alemseged.

En effet, en 2010 une équipe internationale de chercheurs dirigée par Zeresenay Alemseged découvrit dans la région de l'Afar où vécut Selam des os fossilisés d'un bovidé. Comme on le voit à gauche, les os et notamment ceux des côtes portaient des traces provoquées par des outils en pierre utilisés pour dépecer la viande ainsi que ce qui ressemble à des marques de percussion faites pour briser les os et extraire la moelle.

Jusqu'à cette découverte, les plus anciens outils de boucherie connus fabriqués en pierre provenaient de Bouri, en Ethiopie où certains os tailladés remontent à environ 2.5 millions d'années.

Cette nouvelle découverte est l'indice que l'Australopithecus afarensis utilisait des outils en pierre et se nourrissait de viande il y a environ 3.4 millions d'années, reculant l'apparition des premiers outils fabriqués par l'humanité d'environ 1 million d'années !

Ensuite, des pierres taillées mais très brutes datant de 3.3 millions d'années furent découvertes par des chercheurs du CNRS sur le site de Lomekwi 3 au Kenya en 2015 (cf. cet article du journal "Le Monde"). Ce sont de grosses pierres très grossières dont certaines sont anguleuses mais très frustres qui ne ressemblent pas encore à des galets amenagés ni à des bifaces et encore moins à des éclats taillés. On ignore précisément quelle espèce préhumaine les fabriqua mais les Australopithèques voire les Kényapithèques sont les plus indiqués. Nous verrons que les véritables pierres taillées remontent aux Néandertaliens et aux Homo sapiens et ont moins de 400000 ans.

L'utilisation d'outils a modifié la façon dont nos plus vieux ancêtres ont interagi avec la nature, leur permettant de manger de nouvelles sortes de nourriture et d'exploiter de nouveaux territoires. Cela eut un impact direct sur leur métabolisme, la nourriture carnée leur apportant beaucoup plus de protéines et d'énergie que le régime végétarien ou frugivore de leurs ancêtres. On y reviendra.

L'invention de l'outil a également conduit à la fabrication d'outils adaptés à différents usages et en série, une étape critique dans notre chemin évolutif qui permit finalement à l'homme d'atteindre un niveau technologique avancé quand on pense qu'il fabrique aujourd'hui des sous-marins, des fusées ou des smartphones !

L’Australopithecus afarensis aurait ensuite évolué en Australopithecus africanus, dont on retrouve principalement des gisements fossiles en Afrique du Sud. Cette espèce possède un cerveau similaire à celui de ses prédécesseurs. Il a toutefois évolué car bien que la dimension de ses molaires reste importante, les canines, au lieu d’être projetées en avant, sont placées dans le prolongement des autres dents. Cette espèce est omnivore à tendance végétarienne.

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L'origine de la bipédie

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